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01/06/2023 | FRANCE | N°20/00708

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 01 juin 2023, 20/00708


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 01 JUIN 2023

ph

N° 2023/ 240













Rôle N° RG 20/00708 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFOJ4







SAS EDELIS ANCIENNEMENT DENOMMEE AKERYS PROMOTION





C/



[V] [Y]

[C] [Y] épouse [S]

[B] [Y]

[K] [Y]

[L] [Y]











Copie exécutoire délivrée

le :

à :





SELARL SELARL D'AVOCATS MAXIM

E ROUILLOT- FRANCK GAMBINI



SCP LATIL PENARROYA-LATIL











Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal Judiciaire de TOULON en date du 02 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/01511.





APPELANTE



SAS EDELIS anciennement dénommée AKERY...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 01 JUIN 2023

ph

N° 2023/ 240

Rôle N° RG 20/00708 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFOJ4

SAS EDELIS ANCIENNEMENT DENOMMEE AKERYS PROMOTION

C/

[V] [Y]

[C] [Y] épouse [S]

[B] [Y]

[K] [Y]

[L] [Y]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

SELARL SELARL D'AVOCATS MAXIME ROUILLOT- FRANCK GAMBINI

SCP LATIL PENARROYA-LATIL

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal Judiciaire de TOULON en date du 02 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/01511.

APPELANTE

SAS EDELIS anciennement dénommée AKERYS PROMOTION sis [Adresse 9], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège

représentée par Me Maxime ROUILLOT de la SELARL D'AVOCATS MAXIME ROUILLOT- FRANCK GAMBINI, avocat au barreau de NICE substituée par Me Joy PESIGOT, avocat au barreau de NICE, plaidant

INTIMES

Monsieur [V] [Y]

né le [Date naissance 3] 1952 à [Localité 13], demeurant [Adresse 6]

représenté par Me Pascale PENARROYA-LATIL de la SCP LATIL PENARROYA-LATIL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Jocelyne ROCHE, avocat au barreau de TOULON

Madame [C] [Y] épouse [S]

née le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 15], demeurant [Adresse 6]

représentée par Me Pascale PENARROYA-LATIL de la SCP LATIL PENARROYA-LATIL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Jocelyne ROCHE, avocat au barreau de TOULON

Monsieur [B] [Y]

né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 14], demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Pascale PENARROYA-LATIL de la SCP LATIL PENARROYA-LATIL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Jocelyne ROCHE, avocat au barreau de TOULON

Monsieur [K] [Y]

né le [Date naissance 7] 1984 à [Localité 12], demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Pascale PENARROYA-LATIL de la SCP LATIL PENARROYA-LATIL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Jocelyne ROCHE, avocat au barreau de TOULON

Monsieur [L] [Y]

né le [Date naissance 8] 1990 à [Localité 15], demeurant [Adresse 6]

représenté par Me Pascale PENARROYA-LATIL de la SCP LATIL PENARROYA-LATIL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE assisté de Me Jocelyne ROCHE, avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 14 Février 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Patricia HOARAU, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, faisant fonction de président de chambre

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Monsieur Olivier ABRAM, Vice Président placé

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Avril 2023. Le délibéré a été prorogé au 01 Juin 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Juin 2023,

Signé par Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, faisant fonction de président de chambre et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES

M. [V] [Y] et Mme [C] [S] épouse [Y], étaient propriétaires d'une maison à usage d'habitation sise [Adresse 10] à [Localité 15], constituant le lot n° 3 de l'ensemble immobilier en copropriété composé d'une maison d'habitation, genre villa, élevée d'un étage de trois pièces principales, sur rez-de-chaussée lequel comporte dix emplacements pour voitures automobiles.

Ils ont, suivant acte authentique du 15 novembre 2012, consenti une donation de la nue-propriété du bien au profit de leurs trois fils M. [B] [Y], M. [K] [Y] et M. [L] [Y].

La SAS Akerys promotion, désormais dénommée SAS Edelis, a entrepris d'édifier sur le fonds voisin lui appartenant un ensemble immobilier à usage d'habitation.

Elle a sollicité et obtenu du juge des référés, par ordonnance du 21 août 2012, au contradictoire notamment du syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier dénommé [Adresse 11], la désignation d'un expert en bâtiment, M. [J] [R], chargé d'effectuer un état des lieux des immeubles voisins à titre préventif. Il a déposé son rapport le 7 février 2013.

Peu après le démarrage des travaux, les consorts [Y] se sont plaints auprès du promoteur de désordres d'aggravation des fissurations de l'immeuble du fait des travaux ainsi que de désagréments causés sur le chantier, le tout ayant, selon eux, contraint leur locataire à leur donner congé.

Par ordonnance du 23 juillet 2013, le président du tribunal de grande instance de Toulon a désigné à nouveau M. [J] [R], en qualité d'expert judiciaire, aux fins notamment, de décrire les désordres invoqués par M. [Y], et de dire s'ils constituent une aggravation par rapport à ce qui avait été constaté préalablement. Les opérations d'expertise ont été étendues aux constructeurs intervenus sur le chantier. L'expert a déposé son rapport définitif le 13 mai 2015.

Les consorts [Y] ont fait assigner en référé, au visa de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, le promoteur, les constructeurs et leurs assureurs suivant actes d'huissier des 22, 25, 26, 27 et 28 janvier 2016, ainsi que les organes de la procédure collective de la SARL EIC par actes des 23 et 24 février 2016, aux fins d'obtenir une provision à valoir sur l'indemnisation de leurs préjudices. Par ordonnance du 2 septembre 2016, le président du tribunal de grande instance de Toulon a dit n'y avoir lieu à référé.

Les consorts [Y] ont par exploit d'huissier du 13 mars 2017, fait assigner la SAS Akerys promotion devant le tribunal de grande instance de Toulon, en indemnisation de leurs préjudices sur le fondement du trouble anormal de voisinage et de l'article 605 du code civil.

Par jugement du 2 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Toulon a statué ainsi :

- condamne la SAS Edelis à payer à M. [V] [Y] et Mme [C] [S] épouse [Y] la somme de 51 429 euros en réparation de leur préjudice de jouissance causé par les désordres liés au trouble anormal du voisinage,

- condamne la SAS Edelis à payer à M. [B] [Y], M. [K] [Y] et M. [L] [Y] la somme de 50 084,65 euros en réparation du préjudice matériel constitué par le coût des travaux de reprise des désordres liés au trouble anormal du voisinage,

- déboute M. [V] [Y], Mme [C] [S] épouse [Y], M. [B] [Y], M. [K] [Y] et M. [L] [Y] du surplus de leurs demandes indemnitaires,

- condamne la SAS Edelis à payer à M. [V] [Y], Mme [C] [S] épouse [Y], M. [B] [Y], M. [K] [Y] et M. [L] [Y] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

- condamne la SAS Edelis aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, et à l'exclusion des frais de constat d'huissier qui sont indemnisés au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonne l'exécution provisoire de la présente décision.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu :

- que constituent un trouble anormal du voisinage, les fissures en façade et au sol constatées sur l'immeuble voisin à celui en construction, peu important le caractère déjà ancien dudit immeuble et le fait qu'il était déjà fissuré auparavant,

- que l'existence de fissurations préexistantes n'est pas incompatible avec le trouble anormal du voisinage, dès lors qu'il est démontré leur aggravation et/ou l'apparition de nouvelles fissures, comme cela est précisément le cas en l'espèce,

- sur le préjudice de jouissance, que les motivations du départ du locataire sont suffisamment établies, que ni les parties ni l'expert ne permettent au tribunal d'évaluer de façon certaine la part du préjudice de jouissance subi par les époux [Y] dont le lien de causalité avec les désordres causés par le chantier est exclusive, directe et certaine, qu'il sera donc tenu compte d'un préjudice de jouissance fixé à 70 % du loyer mensuel total qui était fixé à 930 euros mensuel, soit 651 euros mensuels, pendant la période de mai 2013 (date de départ du locataire) jusqu'à la date du jugement, soit pendant soixante-dix-neuf mois,

- sur le préjudice matériel subi par les nus-propriétaires indivis, que compte tenu de l'ampleur établie du phénomène d'aggravation de la fissuration de l'immeuble, comme de la désolidarisation de la partie contiguë au fonds Akerys/Edelis, la réparation du préjudice matériel des consorts [Y] ne peut se limiter au seul traitement des fissures comme le réclame la SAS Edelis, que faute d'éléments plus précis sur l'appréciation de ceux des travaux qui auraient strictement vocation à réparer le préjudice causé par le promoteur, il y a lieu de réduire le montant total du coût des travaux en fonction du coefficient retenu supra, sur la base du devis plus récent produit, sur lequel la SAS Edelis ne fait pas d'observation, après déduction de la prestation relative à la réfection du réseau d'eaux usées.

Par déclaration du 20 décembre 2019, la SAS Edelis a relevé appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées sur le RPVA le 12 janvier 2023, la SAS Edelis demande à la cour :

Vu les dispositions de l'article 651 du code civil,

A titre principal,

- d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau,

- de débouter les consorts [Y] de toutes leurs demandes,

- de constater que les causes du jugement de première instance ont été réglées en février 2020,

- de débouter les époux [V] et [C] [Y] de leur demande au titre du préjudice de jouissance,

A titre subsidiaire,

- de dire et juger que l'indemnisation correspondant aux travaux de réparation ne pourra excéder la somme de 39 732,30 euros TTC,

- de condamner in solidum, les consorts [Y] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens de l'instance distraits au profit de Me Maxime Rouillot sous son affirmation de droit,

La SAS Edelis fait valoir en substance :

Principalement,

- que l'établissement de l'origine des désordres était le point principal de la mission de M. [R], qu'il n'y a jamais répondu alors pourtant qu'il avait réalisé le constat des existants,

- que l'habitation [Y] était déjà affectée par des fissures, ayant été construite bien avant l'édification des immeubles voisins « Le Méridien » et « Atlantique », qu'outre sa vétusté, des mouvements de sol ont déjà affecté cette construction lors de la réalisation des terrassements et des fondations de ces deux immeubles, qu'il a pu être constaté que l'immeuble [Y] présentait également des défauts de construction,

- que l'expert ne saurait affirmer avec certitude que l'aggravation des fissures provient des démolitions ou des fouilles pour fondation réalisées dans le cadre du chantier « Harmonia », que l'immeuble « Harmonia » n'est pas contigu à l'immeuble Verrechia, mais s'insère entre les immeubles « Le Méridien » et « Atlantique »,

- que la preuve du lien de causalité entre l'aggravation des désordres de la villa Verrechia et la construction de l'immeuble « Harmonia » n'est pas établie,

Subsidiairement sur le quantum des demandes,

- sur le préjudice matériel, qu'elle ne critique pas la soustraction de 30 % pour tenir compte de l'état antérieur du bâtiment, mais conteste le poste du devis chiffré à 29 252 euros hors taxe concernant la réfection générale de l'annexe Ouest de l'immeuble [Y], alors que l'expert judiciaire ne justifie pas l'obligation de démolir et reconstruire cette annexe, que les fissures n'ont pas évolué et qu'elles peuvent donc être traitées comme le restant, c'est-à-dire les fissures affectant les façades du bâtiment principal et du garage,

- sur le préjudice de jouissance, que l'expert judiciaire n'a jamais déclaré que le bien était inhabitable, mais difficilement habitable en l'état, qu'il n'est pas justifié du motif du congé donné par le locataire [I], que M. [I] a trouvé une locataire pour lui succéder mais que les époux [Y] ont refusé de signer le bail, que les époux [Y] ont aussi refusé de donner le bien à bail au gérant de la société EIC pour la durée du chantier,

- que les consorts [Y] ont été réglés des termes du jugement et avaient donc tout loisir d'effectuer les travaux qu'ils jugeaient nécessaires, qu'ils ne peuvent arguer de l'absence de location alors qu'ils sont restés inactifs quant aux travaux à effectuer,

- que les consorts [Y] ne démontrent pas avoir été dans l'impossibilité de réaliser les travaux selon la liste établie par l'expert, ni que la somme obtenue ne leur permettait pas de financer les travaux nécessaires,

- que leur demande tendant au paiement des intérêts au taux légal depuis le 22 janvier 2016 jusqu'à l'arrêt est d'autant plus mal venue,

- que les prétendus « nouveaux désordres » survenus dans le garage ne sauraient être indemnisés, qu'il s'agit en réalité d'une demande nouvelle au sens de l'article 546 du code de procédure civile, que ces désordres n'ont jamais été constatés par l'expert et encore moins discutés, que ce soit dans le cadre de l'expertise ou dans la procédure de première instance, qu'ils ne résultent nullement des travaux effectués par elle mais seulement de la négligence des consorts [Y].

Dans leurs conclusions d'intimés déposées et notifiées par le RPVA le 26 janvier 2023, M. [V] [Y], Mme [C] [S] épouse [Y], M. [B] [Y], M. [K] [Y] et M. [L] [Y] demandent à la cour :

A titre principal,

- de débouter la société Edelis de toutes ses 'ns et demandes

- de confirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau en ce qu'il a :

- condamné la SAS Edelis à payer à M. [B] [Y], M. [K] [Y] et M. [L] [Y] la somme de 50 084,65 euros en réparation du préjudice matériel constitué par le coût des travaux de reprise des désordres liés au trouble anormal du voisinage,

- condamné la SAS Edelis à payer à M. [V] [Y], Mme [C] [S] épouse [Y], M. [B] [Y], M. [K] [Y] et M. [L] [Y] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS Edelis aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, et à l'exclusion des frais de constat d'huissier qui sont indemnises au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Y ajoutant,

- de condamner la SAS Edelis de payer à M. [B] [Y], M. [K] [Y] et M. [L] [Y] la somme complémentaire de 21 464,85 euros représentant le surcoût des réparations à savoir la différence entre 71 549,5 euros TTC et les 50 084,65 euros alloués par le premier juge en réparation du préjudice matériel majoré de la variation de l'indice BT01 à calculer entre le 05 février 2018 (date du dernier devis) et la date de l'arrêt à intervenir devenu définitif,

- de condamner la société Edelis à payer ladite condamnation majorée des intérêts calculés au taux légal depuis le 22 janvier 2016 (date de l'assignation en référé provision) jusqu'au parfait règlement,

- de condamner la société Edelis à payer aux époux [V] et [C] [Y] (usufruitiers du bien) la somme provisoirement arrêtée à 104 160 euros représentant le préjudice subi par les requérants au titre de la perte des loyers soit (930 euros x 112 mois de mai 2013 à septembre 2022) à parfaire au jour du parfait règlement des condamnations à intervenir,

- de condamner la société Edelis à leur payer la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société Edelis aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, et à l'exclusion des frais de constat d'huissier qui sont indemnisés au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec distraction au profit de la SCP Latil-Penaroya Latil sous son affirmation de droit.

M. [V] [Y] et Mme [C] [S] épouse [Y], M. [B] [Y], M. [K] [Y] et M. [L] [Y] soutiennent pour l'essentiel :

- que contrairement aux allégations adverses, l'expert judiciaire qui a constaté des fissures au commencement de la construction, a conclu son rapport en indiquant clairement qu'il prenait en compte la situation préexistante et son aggravation,

- qu'il ressort du rapport d'expertise que toutes les objections soulevées devant la cour ont été balayées,

- qu'ainsi la cour confirmera les motifs retenus par le premier juge,

- sur le montant des travaux de réparation, qu'en l'état du procès-verbal de constat du 29 mars 2022, lequel démontre l'aggravation des désordres jusqu'à ce jour et de l'ancienneté du devis établi par la SARL EBM Scappini, il y a lieu de condamner la société Edelis à indexer la somme de 71 549,50 euros TTC et de majorer la somme des intérêts au taux légal,

- sur le préjudice de jouissance, qu'il est démontré que M. [I] le 15 avril 2013 a donné congé en raison des désordres et désagréments imputables à la construction de l'immeuble voisin, que l'expert a reconnu que la villa était difficilement habitable, qu'aucuns travaux n'ont pu être engagés.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 31 janvier 2023.

La décision sera contradictoire, puisque toutes les parties sont représentées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'étendue de la saisine de la cour

Aux termes de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Il est constaté que le dispositif des conclusions de l'appelante contient des demandes de « constater » et « dire et juger » qui ne constituent pas des prétentions, ce qui explique qu'elles n'aient pas toutes été reprises dans l'exposé du litige, la cour n'en étant pas saisie.

Du fait de l'effet dévolutif de l'appel, la cour est saisie des demandes d'indemnisation des préjudices matériels et de jouissance imputés au trouble anormal de voisinage causé par le chantier voisin à leur propriété, dont le lien de causalité est discuté.

Sur l'origine et la cause des désordres

Aux termes du premier rapport d'expertise déposé le 7 février 2013, dans sa partie concernant les immeubles [Adresse 10], composés de deux rangées de garages et de la maison individuelle appartenant à M. et Mme [Y], l'expert judiciaire a relevé que l'état d'entretien de l'immeuble était moyen, de nombreuses et profondes fissures affectant ses façades ainsi que certains de ses murs intérieurs. L'expert a conclu que les fissures si elles ne peuvent être datées, sont apparues depuis plusieurs années, antérieurement aux opérations d'expertise et résultent selon toute vraisemblance, de mouvements de la structure du bâtiment.

Aux termes de son second rapport déposé le 13 mai 2015, l'expert après une analyse motivée et avoir répondu aux dires des parties, a conclu à une aggravation de certaines fissures qui existaient les 27 et 29 novembre 2012, l'apparition de fissures qui n'existaient pas les 27 et 29 novembre 2012, la désolidarisation de la partie de bâtiment en ajout, par rapport à l'autre partie du bâtiment, tout en observant que si la pièce située en fond du dégagement nuit du bâtiment [Y] n'a pas été édifiée dans les règles de l'art, les fissures qui affectaient cette partie de bâtiment avant la réalisation des travaux de la société Akerys aujourd'hui Edelis, n'avaient aucune mesure avec celles constatées, alors que les travaux de la société Akerys étaient en cours.

L'expert a souligné que les travaux de la société Akerys ont causé d'importantes vibrations engendrées par les démolitions du bâtiment existant, le terrassement général sur l'emprise des sous-sol, les forages pour pieux ainsi que la décompression des fondations du bâtiment [Y] du fait du terrassement des terres, nécessité par la création des deux niveaux de sous-sol du bâtiment Akerys.

Ainsi et contrairement aux affirmations de la société Edelis, le lien de causalité entre l'aggravation des fissures et la désolidarisation de partie de la maison [Y] d'une part et les travaux de la société Edelis sur sa parcelle d'autre part est établi, même si des fissures préexistaient et qu'il a été mis en évidence des défauts de construction de l'ensemble annexe Ouest accolé au corps de la maison principale [Y], ce dernier étant immédiatement contigu aux travaux litigieux.

Sur les demandes d'indemnisation

Aux termes de l'article 544 du code civil « La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

La limite de ce droit est que nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage, et qu'à défaut, il en devra réparation, même en l'absence de faute.

L'anormalité du trouble doit s'apprécier au regard des circonstances locales, et doit présenter un caractère grave et/ou répété, dépassant les inconvénients normaux de voisinage, sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute de son auteur.

Il appartient à celui qui invoque le trouble anormal de voisinage d'en rapporter la preuve.

Il ressort des développements ci-dessus que les travaux de la société Edelis sur son bien immobilier, ont causé des atteintes à la propriété [Y], ce qui caractérise un trouble anormal de voisinage.

Sur le préjudice de jouissance

Selon les pièces produites, la maison [Y] était louée moyennant un loyer de 930 euros. Le 13 février 2013 il a été dressé un procès-verbal contradictoire d'huissier en présence de M. [K] [Y] représentant de M. et Mme [Y] requérants, du locataire de M. et Mme [Y], d'un représentant de la société Akerys, dans lequel il est constaté des fissures et des problèmes d'humidité, et évoqué un problème de mouvement de la structure (« la porte d'accès menant au cellier n'est pas ajustée et frotte au sol à l'ouverture. Le locataire précise qu'avant les travaux la porte fermait normalement », « le locataire nous indique qu'il entend des craquements au niveau de la toiture surtout la nuit et ce depuis le démarrage des travaux »). Dans le garage, sous la maison, il a été constaté une canalisation bouchée et un dégorgement d'eau usées au sol, avec une recherche de fuite en cours.

Le locataire qui a donné son congé le 28 février 2013, a écrit au mandataire du bailleur en avril 2013, pour lui faire part qu'il avait trouvé un locataire pour le remplacer à compter du 6 avril 2013, mais que les bailleurs ont fait le choix de ne plus louer leur maison pour des raisons de sécurité. Il y indique avoir subi beaucoup de désagréments avec son épouse, bruit, chaudière en panne, égouts bouchés, etc' dus au travaux effectués à côté de la maison.

L'expert énonce dans son rapport que lors de son premier accédit du 3 décembre 2013, la maison était difficilement habitable en l'état, en précisant qu'un bâtiment présentant une partie qui bascule vers l'extérieur (s'agissant de la pièce située en fond du dégagement nuit) et un sol surélevé, peut difficilement être considéré comme habitable.

Ainsi, le lien de causalité entre le départ du locataire du fait des désordres causés par les travaux sur la parcelle mitoyenne est suffisamment démontré, ainsi que l'impossibilité de remettre en location le bien, qualifié de difficilement habitable par l'expert judiciaire.

M. et Mme [Y] contestent avoir été destinataires d'une proposition de prendre en location le bien adressée par le gérant de SARL EIC en avril 2013, pour y loger ses ouvriers pendant la durée du chantier. Même si une telle proposition a été faite, il ne peut leur être reproché, de l'avoir refusée au regard du caractère évolutif des désordres, faisant craindre des risques pour la sécurité des occupants, qui n'ont été levés qu'après l'écoulement d'un délai de dix mois après la mise en place de témoins par l'expert, le 21 mars 2014, après l'achèvement des travaux de fondation du bâtiment Akerys.

M. et Mme [Y] usufruitiers, contestent l'indemnisation de leur préjudice de jouissance par le premier juge à hauteur de 70 % du loyer de mai 2013 à la date du jugement du 2 décembre 2019, soit pendant soixante-dix-neuf mois, en sollicitant une indemnisation de la perte totale de loyer de mai 2013 à septembre 2022 à parfaire au jour du règlement des condamnations à intervenir.

Au regard de la préexistence de désordres et de l'absence d'élément nouveau produit par eux sur le préjudice de jouissance de la maison, il convient de confirmer le quantum retenu par le premier juge, qui a fait une juste appréciation du préjudice de jouissance à hauteur de 70 % du loyer de 930 euros, soit 651 euros par mois.

La société Edelis démontre avoir procédé au règlement de la somme de 99 933,48 euros sur le montant total auquel elle a été condamnée avec le bénéfice de l'exécution provisoire, de 110 047,10 euros, le 18 février 2020, et le solde le 26 juin 2020.

Il en ressort que les consorts [Y] étaient en mesure de procéder aux travaux de reprise pour permettre la mise en location de la maison, l'indication selon laquelle aucuns travaux n'ont pu être engagés ne pouvant être admise comme explication légitime.

Le préjudice de jouissance doit donc être arrêté jusqu'au mois d'avril 2020 inclus pour tenir compte du délai de réalisation des travaux à partir du règlement initial, soit pendant quatre-vingt-quatre mois au total.

La société Edelis sera donc condamnée à verser à M. [V] et Mme [C] [Y] la somme de 54 684 euros en réparation de leur préjudice de jouissance. Le jugement sera ainsi confirmé sur ce point, sauf à actualiser le préjudice.

Sur le préjudice matériel

L'expert judiciaire a décrit les travaux permettant de faire cesser les désordres et remettre l'immeuble [Y] en état, correspondant à la démolition du bâtiment contigu au fonds Akerys et sa réfection générale, à l'agrafage et au traitement des fissures des façades du bâtiment principal et des cloisons intérieures, à l'agrafage et au traitement des fissures au niveau du garage situé sous la partie habitation pour un montant total de 61 701,20 euros sur la base d'un devis Techso du 28 janvier 2015, après avoir exclu le poste « réfection générale du réseau eaux usées » étayé par aucun document prouvant l'endommagement total dudit réseau.

Le premier juge a retenu les mêmes travaux sur la base d'un devis plus récent établi par la société EBM Scappini le 5 février 2018 en appliquant un abattement de 30 % comme pour le préjudice de jouissance.

L'appelante qui acquiesce à cet abattement de 30 %, persiste à s'opposer au poste « démolition de l'ensemble de l'annexe Ouest accolée au corps principal du logement » mentionné pour 29 252 hors taxe, estimant que les fissures dudit bâtiment qui n'ont pas évolué, peuvent être traitées comme les autres fissures.

De leur côté, les intimés contestent l'appréciation du premier juge en réclamant la totalité du devis pour 71 549,50 euros TTC, hors travaux sur le réseau d'eaux usées, ainsi que la majoration de la variation de l'indice BT01 à calculer entre le 5 février 2018 et la date de l'arrêt à intervenir, outre les intérêts au taux légal depuis le 22 janvier 2016.

A l'appui de cette demande, est produit un procès-verbal de constat d'huissier dressé le 29 mars 2022 concernant le garage situé sous l'habitation et une terrasse, faisant état de la présence de fragments de briques au sol provenant de la sous-face de dalle ou ourdis du plafond des emplacements de garage, en plusieurs endroits.

Cependant au regard de la préexistence de désordres relevés par l'expert judiciaire, y compris dans le garage situé sous la maison individuelle au niveau du sol et des parois, ainsi que de l'état d'entretien moyen de l'immeuble relevé avant les travaux litigieux, il convient de confirmer le quantum retenu par le premier juge, qui a fait une juste appréciation du préjudice matériel à hauteur de 70 % du dernier devis du 5 février 2018.

S'agissant des travaux concernant l'annexe Ouest et en l'état d'absence d'élément nouveau produit par la société Edelis, il convient également d'adopter la motivation du premier juge, qui a fait une juste appréciation des faits, quant à l'insuffisance du traitement des fissures pour réparer les désordres de cette annexe, qui se désolidarise du bâtiment principal, supposant une reprise totale du bâtiment pour la pérennité de celui-ci.

Le jugement appelé sera donc confirmé sur ce point, sauf à ajouter l'actualisation sur la base de l'indice BT01 à calculer entre le 5 février 2018 et le 18 février 2020, date à laquelle la société Edelis avait procédé au règlement d'un montant substantiel de la condamnation, permettant aux consorts [Y] d'entreprendre les travaux de remise en état.

Selon les dispositions de l'article 1231-7 du code civil, « En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement.

En cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel. Le juge d'appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa. »

Au regard de la confirmation du jugement, il convient de faire courir les intérêts à compter du 2 décembre 2019 sur la somme de 50 084,65 euros, laquelle a été réglée le 18 février 2020. Le surplus de la condamnation représenté par l'actualisation selon l'indice BT01 produira intérêt à compter de la présente décision.

Il n'est en effet pas justifié de reporter le point de départ des intérêts à la date de l'assignation en référé provision dont ils ont été déboutés, soit avant que l'imputabilité des désordres soit déterminée.

Sur les demandes accessoires

En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et au regard de la solution du litige, il convient de confirmer le jugement entrepris sur les dépens comprenant les frais d'expertise, ainsi que sur les frais irrépétibles.

En cause d'appel, la société Edelis qui succombe, sera condamnée aux dépens avec distraction au profit du conseil des consorts [Y], qui le réclame, et aux frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf à l'actualiser en ces termes :

- sur le cours du préjudice de jouissance jusqu'en avril 2020 inclus,

- sur l'indexation du préjudice matériel sur l'indice BT01 du 2 février 2018 au 18 février 2020,

- sur les intérêts ;

En conséquence,

Condamne la SAS Edelis à payer à M. [V] [Y] et Mme [C] [S] épouse [Y] la somme de 54 684 euros (cinquante-quatre mille six cent quatre-vingt-quatre euros) en réparation de leur préjudice de jouissance causé par les désordres liés au trouble anormal du voisinage ;

Condamne la SAS Edelis à payer à M. [B] [Y], M. [K] [Y] et M. [L] [Y] la somme de 50 084,65 euros (cinquante mille quatre-vingt-quatre euros et soixante-cinq centimes) en réparation du préjudice matériel constitué par le coût des travaux de reprise des désordres liés au trouble anormal du voisinage, avec indexation sur l'indice BT01 à calculer entre le 5 février 2018 et le 18 février 2020 et les intérêts au taux légal à compter du 2 décembre 2019 sur la somme de 50 084,65 euros et à compter de la présente décision sur le surplus ;

Y ajoutant,

Condamne la SAS Edelis aux dépens d'appel, distraits au profit de la SCP Latil-Penaroya Latil ;

Condamne la SAS Edelis à payer à M. [V] [Y], Mme [C] [S] épouse [Y], M. [B] [Y], M. [K] [Y] et M. [L] [Y], la somme de 5 000 euros (cinq mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 20/00708
Date de la décision : 01/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-01;20.00708 ?
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