COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-4
ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION
ARRÊT AU FOND
DU 25 MAI 2023
N°2023/
NL/FP-D
Rôle N° RG 22/07119 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJNFK
[C] [P]
C/
S.A.R.L. BBJR (LE GLAM)
Copie exécutoire délivrée
le :
25 MAI 2023
à :
Me Stéphanie FALZONE-SOLER, avocat au barreau de NICE
Me Stéphanie JOURQUIN, avocat au barreau de NICE
Arrêt en date du 25 Mai 2023 prononcé sur saisine de la Cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 16 mars 2022, qui a cassé l'arrêt rendu le 19 septembre 2019 par la Cour d'Appel de AIX-EN-PROVENCE.
APPELANTE
Madame [C] [P], demeurant [Adresse 1]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/003819 du 29/04/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE),
représentée par Me Stéphanie FALZONE-SOLER, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
S.A.R.L. BBJR (LE GLAM), demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Stéphanie JOURQUIN, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 06 Mars 2023 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre,
Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller
Madame Catherine MAILHES, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Mai 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Mai 2023
Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
La société BBJR (Le Glam) (la société) exploite une discothèque.
Suivant contrat à durée déterminée à temps partiel qui n'a pas été formalisé par un écrit, elle a engagé Mme [P] (la salariée) en qualité d'aide-vestiaire à compter du 1er novembre 2012.
Le 31 mars 2013, la société a remis à la salariée les documents de fin de contrat.
Le 25 février 2016, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Nice pour obtenir la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à temps complet outre le paiement de diverses sommes.
Par jugement rendu le 21 juillet 2017, le conseil de prud'hommes a:
- rejeté les demandes de la salariée de ses demandes 'liées à l'exécution et à la rupture du contrat de travail';
- condamné la société à payer à la salariée les sommes suivantes:
* 500 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de visite médicale d'embauche;
* 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- rejeté la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la société;
- rejeté le surplus des demandes de la salariée;
- mis les dépens à la charge de la société.
La salariée a fait appel de ce jugement par acte du 18 août 2017.
Suivant ordonnance rendue le 15 mars 2018, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les pièces et conclusions communiquées après le 30 octobre 2017 par la société.
Le 19 septembre 2019, la cour d'appel a rendu un arrêt dont le dispositif se présente comme suit:
'Confirme le jugement du conseil de prudhommes de Nice du 21 juillet 2017 en ce qu'il a constaté la prescription des demandes de Mme [C] [P] relatives à la rupture de son contrat de travail et rejeté les demandes au titre du travail dissimulé et de l'indemnité de requalification ;
Infirme pour le surplus et statuant à nouveau :
Requalifie le contrat de travail à temps partiel de Mme [C] [P] en un contrat à temps complet ;
Condamne la Sarl BBJR à payer à Mme [C] [P] un rappel de salaire sur la base d'un temps complet d'un montant de 6 388,66 €, outre 638,86 € au titre des congés payés, sommes portant intérêts au taux légal à compter du 29 février 2016 ;
Dit que les intérêts échus pourront être capitalisés dans les conditions prévus par l'article 1154 ancien du code civil ;
Enjoint à la Sarl BBJR de délivrer à Mme [C] [P] un bulletin de salaire rectifié ;
Rejette toute demande plus ample ou contraire ;
Condamne la Sarl BBJR aux dépens de première instance et d'appel.'
Statuant sur le pourvoi de la salariée par arrêt du 16 mars 2022, la Chambre sociale de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 19 septembre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence mais seulement en ce qu'il a constaté la prescription des demandes de Mme [P] relatives à la rupture de son contrat de travail, et a remis sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.
La cassation a été encourue en ce que la cour d'appel a dit prescrites les demandes de la salariée relatives à la rupture de son contrat de travail en retenant que la date d'interruption de la relation de travail est le 31 mars 2013, point de départ de la prescription que n'ignorait nullement la salariée ainsi que le confirment ses demandes devant la formation de référé saisie le 3 novembre 2015 en vue d'obtenir la délivrance d'une attestation Pôle emploi, d'un certificat de travail et de bulletins de salaire; qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté l'absence de notification par l'employeur de la rupture du contrat de travail, la cour a méconnu les dispositions de l'article L.1471-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013.
**********************
La cour de céans a été régulièrement saisie par la salariée.
Par ses conclusions notifiées le 27 octobre 2022, la salariée demande à la cour de renvoi de:
Réformer le Jugement sur les demandes relatives à la rupture et statuant à nouveau,
- CONDAMNER la société BBJR au paiement de :
- Indemnité légale de licenciement............................................................905,56 €
- Indemnité compensatrice de préavis ...................................................2.921,16 €
- Incidence congés payés sur préavis''. ..............................................292,12 €
- Indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement................1.460,58 €
- Dommages et intérêts (Article L.1235 du Code du travail)...................8.763,48 €
Outre intérêts au taux légal avec capitalisation.
- ORDONNER à la Société BBJR de remettre à Madame [P] :
o L'attestation Pôle Emploi mentionnant " licenciement sans cause réelle et sérieuse " au titre de la rupture du contrat sous astreinte de 100 € par jour de retard, d'ores et déjà arrêté à 60 jours.
- CONDAMNER la Société BBJR à payer à Maître Karine LE DANVIC la somme de 3.000 € par application des dispositions de l'article 700 du C.P.C et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ses conclusions notifiées le 27 octobre 2022, la société demande à la cour de renvoi de:
1.Déclarer la SARL BBJR recevable en ses conclusions et bien fondée en ses demandes,
À titre principal,
2.Confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Nice du 21 juillet 2017 en ce qu'il " déboute [C] [P] de l'ensemble des demandes liées à l'exécution et à la rupture du contrat de travail ",
3.Débouter, en conséquence, [C] [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
À titre subsidiaire, si la Cour faisait droit à la recevabilité des demandes de [C] [P] et tendait à infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes sur ce point, statuant à nouveau,
4.Dire et juger que [C] [P] ne justifie aucunement des préjudices qu'elle estime avoir subi,
5.Débouter [C] [P] de sa demande au titre de l'indemnité de licenciement en ce qu'elle n'a pas l'ancienneté requise pour en bénéficier,
6.Minorer au plus faible montant les demandes indemnitaires de [C] [P], en ce que les prétendus préjudices ne sont pas justifiés en leurs quantums.
En toutes hypothèses,
7.Débouter [C] [P] de sa demande en application de l'article 700 du Code de procédure civile par application de l'article 37 de la Loi du 10 juillet 1991, 8. Condamner [C] [P] aux entiers dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS
La cour d'appel de renvoi est investie, dans les limites de la cassation, de l'entier litige dévolu à la juridiction dont la décision a été cassée.
Le renvoi à une cour d'appel n'introduit pas une nouvelle instance.
Il résulte de l'article 472 du du code de procédure civile que nonobstant une décision du conseiller de la mise en état constatant l'irrecevabilité des pièces et conclusions de l'intimé, la cour d'appel se doit d'examiner, au vu des moyens d'appel, la pertinence des motifs par lesquels les premiers juges se sont déterminés.
En l'espèce, il convient de rappeler que suivant ordonnance rendue le 15 mars 2018, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les pièces et conclusions communiquées après le 30 octobre 2017 par la société.
Il s'ensuit que les conclusions notifiées ici par la société le 27 octobre 2022 dans le cadre du renvoi de cassation 2022 sont irrecevables.
Il appartient donc à la cour d'examiner, au vu des moyens d'appel de la salariée, la pertinence des motifs par lesquels les premiers juges se sont déterminés.
Préalablement, il convient de rappeler la qualification du contrat de travail.
1- Sur la qualification du contrat de travail
Il résulte de la combinaison des articles L.1242-12 et L.1245-1 du code du travail que le contrat à durée déterminée est requalifié en contrat à durée indéterminée s'il n'est pas établi par écrit.
La rupture d'un contrat à durée déterminée requalifié en contrat à durée indéterminée constitue nécessairement un licenciement.
L'article 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable dispose:
'Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.'
En l'espèce, la cour relève que le contrat de travail de la salariée est un contrat à durée déterminée requalifié en contrat à durée indéterminée dès lors qu'il ressort des éléments de la cause que le contrat à durée déterminée conclu entre les parties n'a pas été formalisé par un écrit.
Et il convient de dire que la société a notifié à la salariée la rupture de ce contrat à durée indéterminée le 21 décembre 2015, date de la remise par la société à la salariée des documents de fin de contrat lors d'une audience devant le conseil de prud'hommes.
En conséquence, la salariée, qui disposait d'un délai de deux ans s'achevant le 21 décembre 2017 pour agir en contestation du licenciement, n'était pas prescrite lorsqu'elle a saisi de ce chef le conseil de prud'hommes le 23 février 2016.
Il appartient donc à la cour d'examiner à présent les demandes reposant sur la rupture du contrat de travail.
2 - Sur l'indemnité compensatrice de préavis
La salariée peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis avec les congés payés afférents dont il n'est pas discuté qu'elle est équivalente, compte tenu de son ancienneté, à deux de mois de salaire sur la base du salaire qu'elle aurait perçu si elle avait travaillé pendant la durée du préavis, lequel comprend tous les éléments de la rémunération, soit la somme de 1 460.58 euros, ce dont il résulte que l'indemnité compensatrice de préavis s'établit à la somme de 2 921.16 euros.
En conséquence, et en infirmant le jugement, la cour condamne la société à payer à la salariée la somme de 2 921.16 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 292.11 euros au titre des congés payés afférents.
3 - Sur l'indemnité de licenciement
La salariée a droit à une indemnité de licenciement qui s'établit, selon le décompte qu'elle a inséré à ses écritures et que la cour valide, à la somme de 905.56 euros.
En conséquence, et en infirmant le jugement, la cour condamne la société à payer à la salariée la somme de 905.56 euros au titre de l'indemnité de licenciement.
4 - Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
La salariée, qui était employée dans une entreprise occupant habituellement moins de onze salariés, peut prétendre en application de l'article L.1235-5 du code du travail dans sa rédaction applicable à une indemnité calculée en fonction du préjudice subi du fait de la perte de son emploi.
Eu égard au montant de la rémunération mensuelle brute perçue par la salariée (1 460.58 euros), de son ancienneté au sein de l'entreprise et de sa capacité à retrouver un emploi, il apparaît au vu des pièces et des explications fournies que le préjudice subi par la salariée du fait de la perte de son emploi doit être fixé à la somme de 3 000 euros.
En conséquence, et en infirmant le jugement, la cour condamne la société à payer à la salariée la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
5 - Sur les dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement
Il résulte de la combinaison des articles L.1235-2 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017 et L.1235-5 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, que l'indemnisation prévue par l'article L.1235-2 du code du travail en cas d'inobservation de la procédure de licenciement, qui ne peut être supérieure à un mois de salaire, ne peut se cumuler avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse que si le salarié a moins de deux ans d'ancienneté ou travaille dans une entreprise de moins de onze salariés.
La réparation d'un préjudice résultant d'un manquement de l'employeur suppose que le salarié qui s'en prétend victime produise en justice les éléments de nature à établir d'une part la réalité du manquement et d'autre part l'existence et l'étendue du préjudice en résultant.
En l'espèce, la salariée peut prétendre, en sus des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à des dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement dès lors que la société emploie moins de onze salariés.
Il n'est pas contestable que la société n'a pas mis en oeuvre la procédure de licenciement à l'égard de la salariée lorsqu'elle a rompu le contrat de travail.
Pour autant, la salariée ne verse aux débats aucun élément de nature à établir qu'elle a subi un préjudice du fait du non respect de la procédure de licenciement.
En conséquence, la cour dit que la demande n'est pas fondée de sorte que le jugement est confirmé en ce qu'il l'a rejetée.
6 - Sur la remise des documents de fin de contrat
Il convient d'ordonner à la société de remettre à la salariée une attestation destinée à Pôle Emploi conforme au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de son prononcé.
La demande au titre de l'astreinte est rejetée de sorte que le jugement déféré est confirmé de ce chef.
7 - Sur les demandes accessoires
La société est condamnée aux dépens.
L'équité et les situations économiques respectives des parties justifient qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS ,
CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nice le 21 juillet 2017 en ce qu'il a rejeté les demandes:
- de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement;
- d'astreinte,
INFIRME le jugement en toutes ses autres dispositions,
STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés et Y AJOUTANT,
CONDAMNE la société BBJR (Le Glam) à payer à Mme [P] la somme de 2 921.16 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 292.11 euros au titre des congés payés afférents,
CONDAMNE la société BBJR (Le Glam) à payer à Mme [P] la somme de 905.56 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
CONDAMNE la société BBJR (Le Glam) à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
DIT que les sommes sont exprimées en brut,
RAPPELLE que les sommes de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les autres sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
ORDONNE à la société BBJR (Le Glam) de remettre à Mme [P] une attestation destinée à Pôle Emploi conforme au présent arrêt dans un délai de deux mois,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société BBJR (Le Glam) aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT