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25/05/2023 | FRANCE | N°19/19480

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 25 mai 2023, 19/19480


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 25 MAI 2023

ph

N°2023/ 218













Rôle N° RG 19/19480 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFKTQ







[B] [L] épouse [X]

[U] [X]



C/



SA AVIVA ASSURANCES

SCI LA COMTESSINE













Copie exécutoire délivrée le :

à :





SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON



SELARL JEANNIN PETIT PUCHOL



M

e Jean-Charles VAISON DE FONTAUBE





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 04 Novembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 13/13787.





APPELANTS



Madame [B] [L] épouse [X]

demeurant [Adresse 2]



représent...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 25 MAI 2023

ph

N°2023/ 218

Rôle N° RG 19/19480 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFKTQ

[B] [L] épouse [X]

[U] [X]

C/

SA AVIVA ASSURANCES

SCI LA COMTESSINE

Copie exécutoire délivrée le :

à :

SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON

SELARL JEANNIN PETIT PUCHOL

Me Jean-Charles VAISON DE FONTAUBE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 04 Novembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 13/13787.

APPELANTS

Madame [B] [L] épouse [X]

demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Caroline RANIERI de la SELARL RINGLE ROY & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

Monsieur [U] [X]

demeurant [Adresse 2]

représenté par par Me Sébastien BADIE de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Caroline RANIERI de la SELARL RINGLE ROY & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEES

Société ABEILLE IARD &SANTE dont l'ancienne dénomination est SA AVIVA ASSURANCES, dont le siège social est [Adresse 1], pris en la personne de son représentant légal en exercice

représentée par Me Dominique PETIT SCHMITTER de la SELARL JEANNIN PETIT PUCHOL, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

SCI LA COMTESSINE, dont le siège social est [Adresse 4], pris en la personne de son représentant légal en exercice

représentée par Me Jean-Charles VAISON DE FONTAUBE, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Février 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, faisant fonction de Président de chambre et Madame Patricia HOARAU, Conseiller, chargés du rapport.

Madame Patricia HOARAU, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, faisant fonction de Président de chambre

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Madame Pascale POCHIC, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Avril 2023. Le délibéré à été prorogé au 25 Mai 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Mai 2023.

Signé par Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, faisant fonction de Président de chambre et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES

M. [U] [X] et Mme [B] [L] épouse [X] sont propriétaires d'une maison de ville située à [Adresse 5], mitoyenne avec un terrain appartenant à la SCI La Comtessine sur lequel était élevée une maison mitoyenne.

La SCI La Comtessine a entrepris début 2010 un chantier de démolition de cette construction mitoyenne en vue de la construction sous le régime de la vente en état futur d'achèvement, d'un immeuble de quatre étages, comprenant vingt-trois appartements et une maison individuelle en vertu d'un permis de construire du 13 mars 2008.

Désigné par ordonnance de référé du 29 janvier 2010, en vue de l'établissement d'un état préventif des lieux, l'expert judiciaire [S] [C] a déposé son rapport le 16 mars 2010.

Se plaignant de désordres, M. et Mme [X] ont obtenu par une nouvelle ordonnance de référé du 28 janvier 2011, la désignation de ce même expert, qui a déposé son rapport le 5 novembre 2012.

M. et Mme [X] ont par exploit d'huissier du 18 novembre 2013, fait assigner la SCI La Comtessine devant le tribunal de grande instance de Marseille, en indemnisation de leurs préjudices matériels, de remise en état, de jouissance liés au déroulement du chantier, de perte de valeur de leur bien immobilier.

Par assignation du 28 janvier 2016, la SCI La Comtessine a mis en cause son assureur, la société Aviva assurances.

Par jugement du 4 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Marseille a statué ainsi :

- déclare recevable l'intervention volontaire de la société Filia Maif,

- condamne la SCI La Comtessine à payer à la société Filia Maif la somme de 18 388,40 euros en réparation des troubles de voisinage subis par M. et Mme [X],

- déboute les parties de toutes leurs autres demandes ainsi que celles plus amples et contraires,

- condamne la SCI La Comtessine à payer à M. et Mme [X] la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles,

- condamne la SCI La Comtessine aux dépens de l'instance en ce compris les frais d'expertise pour la somme de 6 294,45 euros, distraits au profit de la SELARL Ringle Roy et associés,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu :

- que l'importance des travaux comme des caractéristiques historiques et techniques de l'ancien mur de refend justifient que l'expert ait relevé que le bâtiment des demandeurs a subi des désordres sur les structures et en toiture, imputables à la SCI La Comtessine,

- que de tels désordres ne peuvent être qualifiés d'inconvénients normaux de voisinage, de par l'implantation de la construction érigée le long de leur propriété et pour une part accolée à leur habitation, au droit d'un mur par endroit d'une extrême finesse, et de par la dimension de cette construction,

- sur le préjudice, que l'expert a justement chiffré la réalisation d'une couvertine et de deux joints de dilation, le coût de la révision nécessaire de la moitié de la toiture, le coût des travaux intérieurs et extérieurs, que seules les micro fissures situées à l'intérieur contre le mur mitoyen et à l'extérieur sur l'allège de la fenêtre de droite côté jardin sont la conséquence de l'intervention de la SCI La Comtessine, qu'il ne peut être relevé que les autres micro fissures non situées sur ce mur sont apparues lors des quelques jours précédant la venue de l'expert, les travaux de démolition n'ayant alors concerné que ce mur et le terrassement n'étant pas encore intervenu, que les sommes sollicitées au titre de la provision « aléas et imprévus » comme le coût d'une assistance à maîtrise d'ouvrage sont hypothétiques ou leur nécessité n'est pas démontrée,

- qu'aucune disposition ne permet de contraindre le créancier d'une obligation à une exécution en nature,

- que les sommes sollicitées au titre de la reprise des plantations, du coût du mobilier ou du nettoyage de la terrasse et jardin ne sont pas la conséquence d'un trouble anormal de voisinage et ne sont pas suffisamment justifiées,

- qu'il en est de même pour le trouble de jouissance et la perte d'ensoleillement,

- que l'expertise immobilière produite avance une valeur vénale élevée sans justifier de ses sources en la justifiant maladroitement par le zonage dans lequel l'habitation se trouve et la constructibilité qui s'y attache,

- que le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable, que la société Aviva assurances ne peut soutenir que le rapport d'expertise ne lui est pas opposable, que cependant sont exclus de la garantie les troubles de voisinage, seul fondement de l'action des consorts [X],

- que la société Filia Maif a versé la somme de 18 557,90 euros en réparation du préjudice des consorts [X] et se trouve subrogée dans leurs droits et actions.

Par déclaration du 20 décembre 2019, M. et Mme [X] ont relevé appel de ce jugement.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées sur le RPVA le 16 septembre 2020, M. et Mme [X] demandent à la cour :

- de réformer parte in qua la décision dont appel, et, statuant à nouveau,

- de condamner in solidum la SCI La Comtessine ainsi que son assureur la société Aviva assurances à les indemniser de l'entier préjudice qu'elle leur a causé, détaillé de la façon suivante:

- Dommages matériels :

-Reprise des plantations détruites : 418,00 euros

-Coût des objets mobiliers détruits ou détériorés: 500,00 euros

-Nettoyage de terrasse et jardin : 1 794.34 euros

- Travaux de remise en état des fissures et infiltrations (sous déduction du montant de 13 888 euros revenant à la Filia Maif assureur subrogé) : 37 058,29 euros

- Travaux de reprise préconisés par l'expert [C] : 4 350 euros

- Troubles de jouissance liés au déroulement du chantier : 10 400 + 12 400 = 22 800 euros

- perte de valeur du bien : 132 500 euros

- de condamner in solidum la SCI La Comtessine ainsi que son assureur la société Aviva assurances à leur payer une indemnité article 700 de : 1 471,41 + 1 614,60 + 10 000 = 13 854,41 euros,

- de condamner in solidum la SCI La Comtessine ainsi que son assureur la société Aviva assurances à payer les entiers dépens en ce compris les frais d'expertise s'élevant à 6 294,45 euros avec distraction au profit de la SELARL Ringle Roy et associés sous son affirmation de droit,

- de rejeter toutes fins demandes et conclusions contraires des intimées tant au principal que sur leurs appels incidents.

M. et Mme [X] font valoir en substance :

- que le tribunal n'a pas tiré les conséquences qui s'imposaient tant en ce qui concerne l'ampleur des désordres, que les nuisances et les préjudices qui sont découlés des travaux,

- sur l'ampleur des désordres, qu'elle est établie par les constats d'huissier, le rapport d'expertise et ont aussi touché les plantations, meubles de jardins, la terrasse et le jardin, en lien avec le chantier qui a duré plus de deux ans, que ces nuisances ne peuvent être considérées comme normales car elles résultent d'un défaut de soin dans l'exécution du chantier, ce qui doit être indemnisé en application de l'article 1382 du code civil,

- que c'est injustement que le premier juge a écarté la réparation de certaines fissures intérieures, que les postes « aléas et imprévus » et « assistance à maîtrise d'ouvrage » retenus par l'expert, sont couramment pris en compte au titre de l'évaluation des désordres,

- que la SCI La Comtessine ne s'explique pas sur la brutalité des opérations de démolition, débutées à la hâte avant que l'expert [C] ne se rende sur les lieux dans le cadre du référé préventif,

- qu'il n'est pas possible de qualifier ces véritables dysfonctionnements ressortant d'un comportement fautif ou à tout le moins négligent et incivil des maîtres d'ouvrage comme le fait le tribunal de : « ... simple manifestation d'un environnement urbain et en mouvement, au sein duquel des destructions sont effectuées et des constructions érigées, produisant leur lot de déchets volatiles ... »,

- que leur vie, durant des mois, a été perturbée par des nuisances sonores particulièrement insupportables en provenance du chantier qui a fonctionné parfois pendant six jours sur sept, de 7h15 à 16h30 durant deux ans, ces nuisances sonores ayant été mesurées par procès-verbal de constat d'huissier,

- qu'ils subissent un préjudice d'ensoleillement anormal, du fait de la construction d'un immeuble collectif qui a une emprise au sol et en surface, inattendue dans un quartier résidentiel,

- que la suppression forcée des vues illégales en cours d'expertise, ne règle pas tout,

- que les préjudices sont justifiés par devis,

- que pour le préjudice de jouissance, il faut distinguer les périodes non ouvrées, où il est retenu une perte de 30 % de la valeur locative mensuelle de 1 444 euros pendant vingt-quatre mois, et les périodes ouvrées, où il est retenu une perte de productivité de Mme [X] induisant une surcharge d'horaire de 20 % de son revenu mensuel net de 2 572 euros pendant vingt-quatre mois,

- que la perte de valeur du bien immobilier est incontestable, calculée par un expert immobilier,

- qu'ils ont engagé des frais pour protéger leurs droits et préserver la preuve de leurs dommages, à inclure dans les frais irrépétibles,

- en réponse aux conclusions de la SCI La Comtessine, que les éléments produits justifient la réalité des désordres subis,

- en réponse aux conclusions de la société Aviva assurances, qu'il ressort des éléments produits que les dommages dont il est poursuivi réparation, ne ressortent pas « inévitablement et de manière prévisible des modalités d'exécution des travaux » de même qu'ils ne ressortent pas « du simple fait » de l'implantation de l'immeuble, mais de l'absence de précautions constructives nécessaires.

Dans ses conclusions d'intimée déposées et notifiées par le RPVA le 22 juin 2020, la SCI La Comtessine demande à la cour :

- de débouter les époux [X] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement,

- de le réformer en ce que la garantie d'Aviva n'a pas été retenue,

Vu la police d'assurance globale chantier n° 75398068 et ses avenants, vu les dispositions des articles 1134 et suivants du code civil,

- de condamner la société Aviva à la relever et garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre,

- subsidiairement, de la condamner au paiement des sommes auxquelles elle serait elle-même condamnée au profit des époux [X],

- de condamner solidairement les époux [X] au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.

La SCI La Comtessine soutient pour l'essentiel :

- que le tribunal a correctement apprécié le contexte particulier pour trancher le litige et a objectivement analysé le dossier sur les seuls éléments factuels et techniques relatifs aux désordres, n'entrant pas dans une discussion polémique soulevée et entretenue par les époux [X],

- qu'il n'est pas discutable ni discuté que la présence d'un chantier de construction à proximité d'une maison d'habitation occasionne une nuisance et des désagréments, voire des désordres mineurs, qu'en revanche, d'une part ces nuisances et désagréments ne sont pas de nature à être indemnisés si, au sens de la jurisprudence, ils sont qualifiés de normaux, d'autre part les désordres doivent être objectivés,

- que les nuisances, qui ont été ponctuelles, n'ont pas été anormales et ne sauraient donner lieu à indemnisation, pas plus que des désordres qui ne sont pas objectivés par l'expert,

- que l'expert exagère aussi en évoquant un chantier qui aurait duré deux ans alors que ce délai est celui qui a couru entre le début de la démolition et l'achèvement des finitions, que sur deux ans, la période de nuisance est donc largement inférieure et encore faut-il la ramener à des durées précises (essentiellement la démolition et la phase d'enduit du mur pignon) qui n'auront pas excédé quelques semaines (et encore les jours ouvrés seulement),

- que sur la perte d'ensoleillement, la jurisprudence a adopté, fort heureusement, une position restrictive pour éviter une dérive du droit qui serait tout à fait malsaine, que dès lors que l'on se trouve en milieu urbain, il est nécessaire pour qu'un préjudice soit indemnisable que la nuisance constitue un abus de droit, que l'expert, tout en reconnaissant évidemment que la présence du mur pignon plus haut qu'auparavant générait une perte d'ensoleillement, se garde d'ailleurs bien de quantifier ou chiffrer un quelconque préjudice, en évoquant une perte d'ensoleillement partielle sur un jardin en hiver en ville, sans le moindre calcul,

- que les savants calculs effectués par les époux [X] sur le trouble de jouissance ne sont pas pertinents, la privation sur vingt-quatre mois étant ridicule (une fois le gros-'uvre édifié, il n'y a plus de trouble extérieur), le pourcentage de 30% étant exagéré (1/3 de la valeur locative!), que Mme [X] évalue un préjudice de perte de productivité, sans communiquer de bilan de son activité avant, pendant et après travaux et invoque un préjudice constant sur vingt-quatre mois,

Sur la garantie de la société Aviva assurances, la SCI La Comtessine argue :

- que la prescription biennale n'est pas applicable en l'espèce, que le courrier du 17 juillet 2012 adressé à l'agent général Aviva, M. [M], vaut déclaration de sinistre, permet à la compagnie d'assurance de prendre position, en ce qu'il contient le pré-rapport de l'expert et survient avant le dépôt du rapport définitif, et a bien été envoyé dans le délai de deux ans,

- que la déchéance de garantie n'est pas justifiée, dès lors que le fond du litige porte non pas sur les travaux de démolition qui ont occasionné un sinistre en début de chantier qui a été réglé par la concluante, mais sur des fissurations et autres désordres analysés par l'expert et qui n'avaient donné lieu, en juillet 2012, date de la déclaration de sinistre, qu'à un pré-rapport,

- que les désordres immobiliers invoqués par les époux [X], à les supposer établis, entrent bien dans le champ de la garantie contractuelle, d'autre part le préjudice de perte de valeur, là encore à le supposer établi, n'entre pas dans le cadre des exclusions contractuelles,

- que les exclusions doivent être limitativement énumérées et que la dépréciation alléguée ressort d'un tout qui ne justifie pas l'exclusion de garantie.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées sur le RPVA le 13 janvier 2023, la société Abeille iard et santé dont l'ancienne dénomination est Aviva assurances demande à la cour :

Vu l'article 954 du code de procédure civile,

Vu la théorie des troubles anormaux du voisinage,

Vu les conditions particulières et générales de la police n°75 398 068,

Vu les articles L. 114-1 et L.114-2 du code des assurances,

Vu l'article L. 113-2 du code des assurances,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé sa mise hors de cause,

- de rejeter la demande de condamnation formulée par M. et Mme [X] et la société Filia Maif à son encontre comme étant irrecevable faute d'avoir dans leurs conclusions d'appelants développé des moyens critiquant le jugement en ce qu'il a prononcé sa mise hors de cause en application de l'article 954 du code de procédure civile,

- de rejeter en tout état de cause toute demande de condamnation, les dommages de toute nature résultant de l'implantation de l'ouvrage, de ses dimensions, les inconvénients et troubles de jouissance et troubles de voisinage étant exclus des garanties en application de l'article 2.4.7 des conditions générales de la police,

- de confirmer sa mise hors de cause par substitution de motifs le cas échéant,

- de rejeter les demandes de condamnation formulées par la SCI La Comtessine à son encontre comme étant prescrites en application des articles L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances,

- de rejeter les demandes de condamnation formulées par la SCI La Comtessine à son encontre, en l'état de la déchéance des garanties eu égard à la tardiveté de sa déclaration de sinistre,

- de rejeter toute demande de condamnation formulée à son encontre relative aux troubles de voisinage de toute nature résultant de l'implantation de l'ouvrage, de ses dimensions, les inconvénients et troubles de jouissance et troubles de voisinage étant exclus de la police,

- de rejeter toute demande de condamnation de M. et Mme [X] qui ne rapportent pas la preuve d'un trouble anormal de voisinage,

- de réformer sur ce point le jugement entrepris,

- de rejeter en tout état de cause les demandes de condamnation formulées par M. et Mme [X] du chef des dommages matériels suivants : reprise des plantations détruites, coût des objets mobiliers détruits, nettoyage de terrasse et jardin,

- de réformer le jugement en ce qu'il a fait droit aux demandes de la société Filia Maif,

- de rejeter les demandes de condamnation formulées par M. et Mme [X] du chef des fissures et des infiltrations et les demandes de la société Filia Maif,

- de rejeter toute demande de condamnation formulée à son encontre du chef de préjudices de jouissance s'agissant de préjudices exclus du champ d'application de la police,

- de rejeter leur demande de condamnation formulée du chef d'un prétendu préjudice de jouissance : perte d'ensoleillement, perte de la valeur de leur maison et confirmer sur ces différents points, le jugement entrepris,

- de rejeter toute demande formulée à son encontre au titre des frais irrépétibles et dépens comprenant les frais d'expertise,

- de déduire de toute condamnation prononcée à son encontre le montant de la franchise qui s'élève à 3 000 euros,

- de condamner M. et Mme [X], la SCI La Comtessine à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de les condamner aux entiers dépens distraits au profit de la SCP Bernard Hugues Jeannin Petit Puchol qui affirme y avoir pourvu en application de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Abeille iard et santé fait valoir :

- que M. et Mme [X] ne critiquent pas le jugement en ce qu'il a jugé que les préjudices et demandes étaient exclues des garanties de la police souscrite auprès d'elle et se contentent de solliciter sa condamnation, sans émettre le moindre moyen au soutien de leur demande, sans critiquer le jugement en ce qu'il l'a mise hors de cause en méconnaissance de l'article 954 du code de procédure civile,

Sur la confirmation de sa mise hors de cause :

- que sont exclus de la garantie volet responsabilité civile « les inconvénients et troubles de jouissance (préjudices commerciaux) résultant inévitablement et de manière prévisible des modalités d'exécution des travaux, ainsi que les troubles de voisinage de toute nature résultant du simple fait de l'implantation, de ses dimensions, ou encore de ses structures » (Titre 2.3, paragraphe 2.4.7 page 17 des conditions générales de la police), que sont également exclues des garanties « les conséquences de dommages immatériels consécutifs à des dommages non garantis » (article 2.4.8 des conditions générales de la police, page 17), que les troubles de voisinage résultent bien du simple fait de l'implantation du bâtiment construit,

- que la clause d'exclusion analysée est formelle et limitée : elle est expresse, claire et précise, parfaitement compréhensible pour l'assuré, la SCI La Comtessine, en raison de la rédaction et la topographie des conditions générales de la police qui visent des clauses d'exclusions énumérées limitativement,

Sur la prescription :

- qu'il ressort de l'assignation introductive d'instance signifiée par les époux [X] que ces derniers ont sollicité et obtenu du magistrat des référés, la désignation de M. [C] par une ordonnance de référé rendue le 28 janvier 2011, que postérieurement à cette mise en cause, la SCI La Comtessine n'a pas pris l'initiative d'attraire aux opérations d'expertise, son assureur de responsabilité civile,

- que le refus de garantie qu'elle a opposé, n'est pas interruptif de prescription au sens de l'article L. 114-2 du code des assurances,

- que postérieurement à l'envoi de l'assignation, la SCI La Comtessine a attendu plus de deux ans pour l'appeler en garantie,

Sur la déchéance pour déclaration tardive :

- qu'il ressort des pièces versées aux débats que le premier sinistre consécutif aux travaux réalisés par la SCI La Comtessine a eu lieu le 11 février 2010 lors des travaux de démolition, que la SCI La Comtessine n'a pas déclaré dans le délai de cinq jours ouvrés visé aux conditions générales et conformément à l'article L. 113-2 du code des assurances, le sinistre à son assureur,

- qu'elle n'a pas fourni à son assureur dans le plus bref délai les avis et les convocations qui lui ont été adressés,

Sur le fond :

- que les éléments versés aux débats ainsi que les conclusions de M. [C] ne permettent pas de retenir l'existence de troubles anormaux du voisinage,

- que c'est donc à tort que le tribunal a jugé que les désordres allégués par M. et Mme [X] pouvaient être qualifiés d'inconvénients anormaux de voisinage et jugé que les sommes sollicitées par eux au titre de la toiture, de la reprise de certains postes de désordres intérieurs et extérieurs, devaient être accueillies, alors que M. [C] indique très clairement dans son rapport que « concernant les structures, les désordres sont sans conséquences »,

- qu'elle n'est pas à ce stade de la procédure, en possession de la quittance subrogatoire de la société Filia Maif signée le 10 janvier 2014 aux termes de laquelle elle aurait réglé aux époux [X] la somme de 18 557,90 euros au titre de leur indemnisation matérielle à valoir sur le montant de l'indemnisation, que la société Filia Maif indique qu'elle est subrogée dans les droits des époux [X] à hauteur de la somme précitée, que cependant, elle ignore quels devis la société Filia Maif a pris en considération pour régler cette somme,

- que les sommes réclamées du chef de la réparation des fissures et des infiltrations par les époux [X] ne correspondent pas au chiffrage de l'expert judiciaire,

- que ces préjudices immatériels relèvent des garanties facultatives et par conséquent de la liberté contractuelle des parties, que les dommages immatériels consécutifs garantis sont définis aux termes des conditions générales de la police au titre du volet responsabilité civile comme suit : « tout préjudice pécuniaire qui résulte de la privation de jouissance d'un droit, de l'interruption d'un service rendu par une personne ou par un bien meuble ou immeuble ou de la perte d'un bénéfice et directement consécutif à un dommage corporel ou matériel garanti », que le préjudice de jouissance allégué ne constitue pas un préjudice pécuniaire mais un simple désagrément, que le préjudice de jouissance allégué est mal fondé, de même que la perte de valeur du bien.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 24 janvier 2023.

La décision sera contradictoire, puisque toutes les parties sont représentées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'étendue de la saisine de la cour

Aux termes de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Il est constaté que la société Filia Maif n'est ni appelante ni intimée dans le cadre de la présente procédure en appel, en regard aux demandes de la société Abeille iard et santé, dans le dispositif de ses conclusions tendant à voir :

- réformer le jugement en ce qu'il a fait droit aux demandes de la société Filia Maif,

- rejeter les demandes de condamnation formulées par M. et Mme [X] du chef des fissures et des infiltrations et les demandes de la société Filia Maif.

La cour ne peut être saisie de demandes dirigées contre la société Filia Maif, qui n'est pas partie.

Sur les demandes de M. et Mme [X]

Elles sont dirigées à la fois contre la SCI La Comtessine et la société Aviva assurances aujourd'hui Abeille iard et santé, dont la condamnation in solidum est poursuivie.

M. et Mme [X] qui reprochent au premier juge d'avoir rejeté leurs autres demandes, réclament la réparation de plusieurs préjudices, qu'ils imputent au chantier voisin à leur propriété, en évoquant l'anormalité des troubles subis et des fautes du maître d'ouvrage :

- des préjudices matériels : les désordres sur les structures et en toiture à reprendre, les dommages aux plantations et mobiliers et le nettoyage de la terrasse et du jardin,

- du préjudice immatériel de jouissance lié au déroulement du chantier,

- de la perte de valeur de leur bien immobilier, du fait notamment de la perte de l'ensoleillement.

Aux termes de l'article 544 du code civil « La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

La limite de ce droit est que nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage, et qu'à défaut, il en devra réparation, même en l'absence de faute.

L'anormalité du trouble doit s'apprécier au regard des circonstances locales, et doit présenter un caractère grave et/ou répété, dépassant les inconvénients normaux de voisinage, sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute de son auteur.

Il appartient à celui qui invoque le trouble anormal de voisinage d'en rapporter la preuve.

Par ailleurs, l'article 1382 devenu 1240 du code civil énonce que tout fait quelconque de l'homme qui cause préjudice à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, ce qui suppose la triple démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux.

Il est établi par les deux rapports d'expertise déposés par M. [C], le premier le 16 mars 2010 (référé préventif) et le second le 5 novembre 2012 (travaux terminés), que les travaux de démolition et construction, ont commencé dès avant l'exécution de la mission dudit expert désigné par ordonnance de référé du 29 janvier 2010, puisque l'expert a été appelé en urgence le 12 février 2010, pour constater que les travaux de démolition étaient achevés, celui-ci notant : « Corps de bâtiment contre mitoyen complètement démoli, gravois évacués ».

Dans le premier rapport, l'expert constate différents désordres en façade rue, façade jardin, toiture, cabanon dans le jardin, ainsi qu'à l'intérieur, notamment dans le couloir cuisine affecté d'un trou le 12 février 2010, qui a été rebouché par la SCI La Comtessine avec des agglomérés de ciment, laissant subsister des désordres.

Dans le second rapport, l'expert relève en mars 2011, une incontestable aggravation des désordres constatés début 2010. Structurellement les murs, cloisons et plafonds sont marqués par des fissures engendrant des désordres esthétiques qui ne remettent pas en cause l'habitabilité, ni la structure et ne sont pas infiltrantes. Quant au couvert, la couverture de tuiles anciennes a fait l'objet de remplacements ponctuels par l'entreprise, mais des tuiles sont cassées, d'autres ne sont plus en position de couverture, le chéneau révisé ne dispose pas de retenue côté jardin, l'about de gouttière côté jardin a été écrasé par les pierres. Les nuisances subies sont empoussièrement de la terrasse, les éclaboussures sur les végétaux et aménagements de jardins, la chute de différents objets et matériaux, mais il n'a pas relevé de dégradation des végétaux ni des plantations, étant précisé que le chantier n'était pas terminé. Quant aux nuisances sonores il n'en a pas constatées personnellement. La perte d'ensoleillement est évidente, selon l'expert, compte tenu de la taille du mur pignon actuel par rapport au précédent. Au 25 octobre 2011, alors que M. et Mme [X] se plaignent de bruits, l'expert observe qu'au rez-de-chaussée l'appartement est inoccupé, et qu'au premier étage un appartement est en cours d'installation, ce qui peut expliquer le bruit. Il note que le curetage du chéneau et de la descente pluviale côté jardin, bouchés par les poussières et gravats, n'est pas fait alors que c'est nécessaire.

L'expert conclut d'une part que la maison de M. et Mme [X] est ancienne et montrait déjà des traces de fatigue et de vétusté lorsqu'il l'a visitée avant les travaux de terrassement, mais après les travaux de démolition, d'autre part que les désordres sont imputables aux travaux de démolition, de terrassement, de gros 'uvre et d'enduits.

L'expert précise que les désordres sur les structures, sont la conséquence de travaux lourds contre un existant qui s'est trouvé soumis à des contraintes physiques anormales, du fait des opérations de démolition qui ont forcément sollicité les structures adjacentes ne serait-ce que par vibration, du fait des opérations de terrassements au droit de l'assise du mur de refend pour pouvoir réaliser des fondations. Si toutes les pièces sont marquées par la vétusté et montrent des microfissures, seules celles situées au plus près du refend se sont aggravées et sont devenues des fissures ouvertes de 1,3 millimètre à 2 millimètres.

S'agissant des désordres sur la toiture, les désordres sont la conséquence de l'accès rendu nécessaire au passage des ouvriers et de la chute de matériaux sur la toiture par insuffisance de protection, ce qui a impacté la moitié de la surface de la toiture.

S'agissant des nuisances de chantier, l'expert conclut qu'elles ont consisté en l'empoussièrement de la terrasse, les éclaboussures sur les végétaux et aménagements de jardin, la chute de différents objets et matériaux pour certains anormalement dangereux ayant rendu particulièrement dangereuse l'exploitation de la terrasse de M. et Mme [X] pour y séjourner ou y passer, puisqu'il n'y avait pas de protection contre la chute des matériaux et ayant nécessité un nettoyage beaucoup plus fréquent qu'avant. L'expert estime que les préjudices durant le chantier ont été réels et quasi permanents de février 2010 au printemps 2012, dans certains cas ils ont été au-delà de ce qu'on pourrait appeler de la tolérance.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que se trouvent caractérisés à la fois des troubles anormaux de voisinage du fait des travaux régulièrement réalisés sur la parcelle voisine en vertu d'un permis de construire, au regard des atteintes relevées à la structure de la maison voisine (aggravation des fissures), et des fautes commises au cours des opérations de construction en raison d'une absence de mise en protection suffisante contre les chutes de gravats, de matériaux, les projections d'enduits.

Il est constaté que le premier juge a condamné la SCI La Comtessine à payer à la société Filia Maif la somme de 18 388,40 euros en réparation des troubles de voisinage subis par M. et Mme [X], en tant que subrogée dans les droits de M. et Mme [X] qu'elle a indemnisés, ce que ceux-ci estiment insuffisant.

Le préjudice matériel allégué est constitué par :

- les dommages aux plantations, mobiliers, terrasse et jardin, pour un montant total de 2 712,34 euros,

- les travaux de remise en état des fissures et infiltrations selon les devis hors taxe de la société Tolanncia pour travaux intérieurs et pour travaux extérieurs, en y ajoutant 10 % au titre de la provision aléas et imprévus, 14,30 % au titre de l'assistance maîtrise d''uvre, 10 % au titre de la TVA pour travaux de rénovation depuis le 1er janvier 2014, soit un montant total de 37 958,29 euros,

- les travaux préconisés par l'expert au titre des travaux de reprise de la moitié de la toiture, du joint de dilatation à ouvrir et traiter, de la couvertine, pour un montant total de 4 350 euros.

Or l'expert a conclu sur la base du devis Tolanncia du 9 octobre 2012, que pour les travaux intérieurs seules les pièces situées contre le mur de refend mitoyen sont concernées, soit un coût de remise en état de 7 845 euros HT et 8 394,15 euros TTC, que pour les travaux extérieurs seule la reprise de la façade jardin est concernée, à l'exclusion de la façade rue, dont l'état n'a pas changé, soit pour un coût de remise en état de 5 275 euros HT et 5 644,25 euros TTC. Ce sont exactement ces montants qui ont été retenus par le premier juge, ainsi que ceux au titre de la réalisation d'une couvertine, de deux joints de dilation, de la révision nécessaire de la moitié de la toiture, pour un montant total retenu par le premier juge de 18 388,40 euros.

Les différents procès-verbaux de constat d'huissier produits (5 février 2010, 22 avril 2010, 18 mai 2010 et 10 septembre 2010) et les photographies, ne sont pas de nature à contredire les conclusions de l'expert sur l'exclusion des autres fissures sur la façade rue et dans les autres pièces. En effet, les conclusions sont motivées et confortées par le fait que seules les fissures situées au plus près du refend se sont aggravées et sont devenues des fissures ouvertes de 1,3 millimètre à 2 millimètres et donc sont en lien avec les opérations de démolition, terrassement et reconstruction, quand bien même il a été constaté que la démolition est intervenue antérieurement à la première intervention de l'expert dans le cadre du référé préventif.

En outre, l'expert n'a pas estimé qu'une maîtrise d''uvre était nécessaire pour ces travaux de reprise et il n'est pas démontré qu'une provision aléas et imprévus doit être ajoutée.

S'agissant des dommages aux plantations, mobiliers, terrasse et jardin, M. et Mme [X] versent aux débats :

- un devis du 6 juillet 2012, au titre du ramassage et évacuation des particules d'enduit de façade, arrachage des végétaux morts, remplacement de cinq végétaux, réparation et taille du lierre décollé du mur sur une longueur de 10 mètres, apport de 10 sacs de gravier sur une surface de 15 mètres carré et évacuation de l'ancien gravier pour un montant total de 518,60 euros TTC,

- un devis du 4 juillet 2012 pour décapage de la terrasse, enlèvement des tâches de plâtres ou ciment, enlèvement d'excès d'enduits sur les façades, pour un montant de 580,56 euros HT,

- facture de 99,99 euros du 22 mars 2013, présentée comme étant celle d'achat d'un karcher.

Il ressort des développements ci-dessus, qu'il n'y avait pas de protection suffisante du chantier caractérisant une faute des constructeurs, ce qui a été la cause de désordres au niveau de la toiture, mais aussi dans le jardin et la terrasse de M. et Mme [X].

L'expert note expressément qu'il n'a pas relevé de dégradation des végétaux ni des plantations et n'a constaté aucune dégradation du mobilier de jardin, mais seulement un empoussièrement, des éclaboussures d'enduits sur les végétaux et aménagements de jardin. Les demandes au titre de la reprise des plantations, du lierre et du coût du mobilier détruit ou détérioré doivent donc être rejetées. Le coût d'achat d'un karcher n'est pas justifié dès lors qu'est réclamé par ailleurs le règlement de la facture de nettoyage à la fin des travaux. En revanche, sont justifiés au titre du préjudice matériel, le coût du remplacement du gravier sali par les projections d'enduits du chantier et le coût du nettoyage, pour un montant total de 900 euros.

Le préjudice immatériel allégué est constitué par les troubles de jouissance subis pendant le chantier, pour un montant total de 22 800 euros en tendant compte d'une majoration pendant les heures ouvrées motivée par le fait que Mme [X], consultante pour une société étrangère, travaille à domicile et a vu sa production amoindrie.

Il ressort des développements ci-dessus que les nuisances causées par ce chantier ont duré de février 2010 au printemps 2012, soit pendant deux années, générant des bruits et inconvénients liés à un chantier d'ampleur de démolition-reconstruction, mais aussi des chutes d'objets et matériaux en raison de l'absence de protection suffisante du chantier.

Il n'est pas démontré à suffisance que les bruits de ce chantier ont excédé les inconvénients normaux de voisinage d'un chantier de construction, l'expert n'en ayant pas constaté et un seul procès-verbal de constat d'huissier fait état d'un brise roche en fonctionnement de 13h45 à 14h00 le 22 avril 2010 alors que l'huissier était présent le matin de 10h05 à 11h30 et de 13h00 à 14h30.

L'empoussièrement est également lié à la proximité du chantier et il n'est pas démontré qu'il a excédé les inconvénients normaux de voisinage de ce chantier.

En revanche, la chute d'objets et matériaux dont ont souffert M. et Mme [X] pendant des opérations de démolition, terrassement et construction, résultent de manquements dans la mise en 'uvre des mesures de protection nécessaires pour assurer la sécurité du chantier, et a généré un préjudice de jouissance. Il ressort en effet du rapport d'expertise, que le stationnement et même le passage dans le jardin et la terrasse étaient dangereux. Il convient d'indemniser ce préjudice de jouissance à hauteur de 200 euros par mois pendant vingt-quatre mois, soit 4 800 euros au total.

Le surplus de la demande au titre de la perte de productivité alléguée n'est pas étayé et sera rejeté.

Enfin, M. et Mme [X] réclament la somme de 132 500 euros au titre de la perte de valeur alléguée de leur maison, en évoquant la perte d'ensoleillement, l'humidité, l'écrasement de la construction voisine.

Les travaux de reprise préconisés par l'expert ont notamment pour objet de régler les problèmes de risque d'humidité relevés par lui et il n'est pas démontré que la construction voisine est de nature à générer une humidité anormale.

Si la perte d'ensoleillement est évidente, compte tenu de la taille de la construction nouvelle par rapport à l'ancienne, susceptible de générer un sentiment d'écrasement, cela résulte de l'évolution de la configuration urbaine des lieux, autorisée par permis de construire, sans faute caractérisée, ce qui implique que soit démontrée l'existence d'un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage. Au regard de l'évolution inévitable du tissu urbain, comme souligné par l'expert, susceptible d'entraîner des constructions plus imposantes, la perte d'ensoleillement et le sentiment d'écrasement, ne peuvent caractériser un trouble anormal de voisinage.

Cela conduit à écarter la prétention au titre de la perte de valeur liée à la perte d'ensoleillement, d'autant que l'avis immobilier produit par M. et Mme [X] sur une perte de valeur de 25°% de ce bien immobilier valorisé à 530 000 euros sans la construction litigieuse, est insuffisant pour convaincre la cour de la réalité de la perte de valeur du bien, fondée non seulement sur la perte d'ensoleillement mais aussi sur tous les désagréments causés par ce chantier, sur lesquels il vient d'être statué.

Le jugement appelé sera donc infirmé en ce qu'il a débouté M. et Mme [X] de leurs demandes au titre du préjudice matériel concernant la terrasse et le jardin et au titre du préjudice immatériel de jouissance pendant le déroulement du chantier. En revanche, il doit être confirmé pour le préjudice matériel concernant les travaux de reprise et le préjudice tiré de la perte de valeur du bien immobilier.

Selon les dispositions de l'alinéa premier de l'article L. 124-3 du code des assurances, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.

La SCI La Comtessine a souscrit auprès de la société Aviva assurances, aujourd'hui Abeille iard et santé, un contrat d'assurances globale chantier n° 75 398 068 à effet au 8 décembre 2009, pour l'opération de construction [Adresse 3] couvrant « tous risques chantier », « dommages ouvrage » et « responsabilité civile décennale », englobant sa responsabilité civile en cours de travaux pour tous dommages confondus, corporels, matériels et immatériels consécutifs, avec une franchise de 3 000 euros hors dommages corporels.

La société Abeille iard et santé oppose en premier lieu, que M. et Mme [X] ne développent aucun moyen à l'appui de leurs prétentions dirigées contre elle. Or, il est constaté que M. et Mme [X] soutiennent que les dommages dont il est poursuivi réparation, ressortent de l'absence de précautions constructives nécessaires.

En deuxième lieu, la société Abeille iard et santé oppose l'exclusion de garantie pour les troubles anormaux de voisinage en application de l'article 2.4.7 des conditions générales de la police, aux termes duquel sont exclus « Les inconvénients et troubles de jouissance (préjudices commerciaux) résultant inévitablement et de manière prévisible des modalités d'exécution des travaux ainsi que les troubles de voisinage de toute nature résultant du simple fait de l'implantation de l'ouvrage, de ses dimensions ou encore de ses structures (') ».

Le premier juge a débouté M. et Mme [X] de leur demande de condamnation in solidum dirigée contre la société Aviva assurances compte tenu de l'exclusion de la garantie pour les troubles de voisinage, alors seul fondement de leur demande.

En dernier lieu, M. et Mme [X] se prévalent de la faute du constructeur à savoir la SCI La Comtessine, dans l'absence de précautions constructives, ce qui a été retenu par la présente juridiction, comme ayant causé partie du préjudice matériel et la totalité du préjudice immatériel de jouissance.

L'exclusion de garantie ne joue donc pas.

En troisième lieu, la société Abeille iard et santé oppose la prescription de la demande en application des articles L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances aux termes desquels dans leur rédaction alors applicable : « Toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance. Toutefois, ce délai ne court :

1° En cas de réticence, omission, déclaration fausse ou inexacte sur le risque couru, que du jour où l'assureur en a eu connaissance ;

2° En cas de sinistre, que du jour où les intéressés en ont eu connaissance, s'ils prouvent qu'ils l'ont ignoré jusque-là.

Quand l'action de l'assuré contre l'assureur a pour cause le recours d'un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l'assuré ou a été indemnisé par ce dernier. (')

La prescription est interrompue par une des causes ordinaires d'interruption de la prescription et par la désignation d'experts à la suite d'un sinistre.

L'interruption de la prescription de l'action peut, en outre, résulter de l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception, adressés par l'assureur à l'assuré en ce qui concerne l'action en paiement de la prime et par l'assuré à l'assureur en ce qui concerne le règlement de l'indemnité. »

En l'espèce, la SCI La Comtessine a été assignée en référé expertise le 28 janvier 2011, le rapport d'expertise a été déposé le 5 novembre 2012 et elle a été assignée au fond le 18 novembre 2013. Le 28 janvier 2016, la SCI La Comtessine a appelé en cause son assureur, soit plus de deux après.

Le courrier de la société Aviva assurances à la SCI La Comtessine du 29 janvier 2014, suite à l'envoi de l'assignation au fond du 18 novembre 2013, n'a aucun effet interruptif de la prescription attaché par la loi (articles 2240 et 2241 du code civil) à la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait et à la demande en justice, dans la mesure où ne sont en cause ni une action en paiement de la prime, ni le règlement d'une indemnité.

En effet, ce courrier ne comporte aucune reconnaissance de garantie, mais au contraire oppose une déchéance précise de garantie au motif d'un retard dans la déclaration causant un préjudice, même si la société Aviva y reconnaît avoir reçu le rapport de l'expert judiciaire, s'agissant en fait d'un pré-rapport puisque le courrier de la SCI La Comtessine date du 17 juillet 2012.

Il convient donc de conclure que l'action directe contre l'assureur de la SCI La Comtessine ne peut aboutir.

Le jugement appelé sera donc confirmé par substitution de motif en ce qu'il a écarté la condamnation in solidum de la société Aviva assurances, aujourd'hui Abeille iard et santé.

Au final, la SCI La Comtessine sera condamnée à verser à M. et Mme [X], les sommes suivantes :

- 900 euros au titre du préjudice matériel concernant la terrasse et le jardin,

- 4 800 euros au titre du préjudice immatériel de jouissance pendant le déroulement du chantier.

Sur l'appel en garantie

La SCI La Comtessine sollicite la condamnation de la société Aviva assurances à la relever et garantir de toutes condamnations prononcées contre elle.

Cependant, il ressort des développements ci-dessus que la SCI La Comtessine, a attendu plus de deux ans après avoir été assignée le 18 novembre 2013, en réparation de préjudices sur le fondement du rapport d'expertise déposé en 2012, pour exercer son action contre son assureur responsabilité civile.

Elle est donc prescrite à agir contre son assureur.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a débouté la SCI La Comtessine de sa demande et la SCI La Comtessine sera déclarée prescrite à appeler en garantie la société Aviva assurances, aujourd'hui Abeille iard et santé.

Sur les demandes accessoires

En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et au regard de la solution du litige, il convient de confirmer le jugement entrepris sur les dépens comprenant les frais d'expertise, ainsi que les frais irrépétibles, dont le premier juge a précisé qu'ils comprennent le coût des constats d'huissier.

Il n'y a en effet, pas lieu d'y ajouter le coût du recours à un expert immobilier, que M. et Mme [X] ont pris l'initiative de désigner, et sans que le coût ne soit d'ailleurs justifié.

En cause d'appel, la SCI La Comtessine qui succombe, sera condamnée aux dépens et aux frais irrépétibles avec distraction au profit des conseils de M. et Mme [X] et de la société Abeille iard et santé, qui le réclament.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :

- débouté M. [U] [X] et Mme [B] [L] épouse [X] de leurs demandes au titre du préjudice matériel concernant la terrasse et le jardin et au titre du préjudice immatériel de jouissance pendant le déroulement du chantier ;

- débouté la SCI La Comtessine de sa demande dirigée contre la société Aviva assurances, aujourd'hui Abeille iard et santé ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la SCI La Comtessine à verser à M. [U] [X] et Mme [B] [L] épouse [X], les sommes suivantes :

- 900 euros (neuf cents euros) au titre du préjudice matériel concernant la terrasse et le jardin,

- 4 800 euros (quatre mille huit cents euros) au titre du préjudice immatériel de jouissance pendant le déroulement du chantier ;

Déclare la SCI La Comtessine prescrite à appeler en garantie la société Abeille iard et santé ;

Condamne la SCI La Comtessine aux dépens d'appel, distraits au profit de la SELARL Ringle Roy et de la SCP Bernard Hugues Jeannin Petit Puchol ;

Condamne la SCI La Comtessine à payer à M. et Mme [X] la somme de 5 000 euros (cinq mille euros) et à la société Abeille iard et santé la somme de 4 000 euros (quatre mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 19/19480
Date de la décision : 25/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-25;19.19480 ?
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