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04/05/2023 | FRANCE | N°19/19849

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-4, 04 mai 2023, 19/19849


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4



ARRÊT AU FOND

DU 04 MAI 2023



N° 2023/



NL/FP-D









Rôle N° RG 19/19849 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFLNM







[E] [P]





C/



Société RG TRANSPORTS

























Copie exécutoire délivrée

le :

04 MAI 2023

à :

Me Stéphane CHARPENTIER, avocat au barreau de NICE


> Me Hervé GERBI, avocat au barreau de NICE























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE en date du 18 Novembre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00718.





APPELANT



Monsieur [E] [P], demeurant [Adresse 2]...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4

ARRÊT AU FOND

DU 04 MAI 2023

N° 2023/

NL/FP-D

Rôle N° RG 19/19849 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFLNM

[E] [P]

C/

Société RG TRANSPORTS

Copie exécutoire délivrée

le :

04 MAI 2023

à :

Me Stéphane CHARPENTIER, avocat au barreau de NICE

Me Hervé GERBI, avocat au barreau de NICE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE en date du 18 Novembre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00718.

APPELANT

Monsieur [E] [P], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Stéphane CHARPENTIER, avocat au barreau de NICE

INTIMEE

Société RG TRANSPORTS, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Hervé GERBI, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre

Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller

Madame Catherine MAILHES, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Mai 2023.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Mai 2023

Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat à durée indéterminée, la société RG Transports (la société) a engagé M. [P] (le salarié) en qualité de chauffeur super lourds, coefficient 150, à temps complet à compter du 29 juin 2015 moyennant une rémunération mensuelle brute de 1 484.85 euros.

La relation de travail a été soumise à la convention collective nationale des transports routiers.

En dernier lieu, le salarié a perçu une rémunération mensuelle brute de 1 548.55 euros.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 28 mai 2018, la société a convoqué le salarié le 07 juin 2018 en vue d'un entretien préalable à son licenciement pour faute grave et lui a notifié sa mise à pied conservatoire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 12 juin 2018, la société a notifié au salarié son licenciement pour faute grave dans les termes suivants:

'(...)

Vous êtes affecté auprès de notre client France EXPRESS depuis juillet 2015.

Ce dernier nous informe que depuis le mois d'avril 2018, il subsiste des dysfonctionnements au sein du dépôt UBALDI qui sont générées par votre comportement.

En effet, vous remettez systématiquement en question les directives qui vous sont données et d'après UBALDI, " vous n'en faites qu'à votre tête " et " remettez constamment la faute sur eux ou France EXPRESS ".

De plus, vous ne respectez pas les horaires initialement prévus. Vous êtes censé déposer le matin la caisse à 6h00 alors que systématiquement vous ne la déposez pas avant 7h00 voir 7h30, créant ainsi de lourds retards sur le site de production d'UBALDI.

De même, vous ne communiquez aucune information sur ce que vous faites ou ne faites pas au personnel de la société UBALDI.

Par ailleurs, le 11 mai 2018, vous avez fait preuve d'une attitude inacceptable sur le site d'UBALDI.

En effet, un des camions appartenant à UBALDI a été oublié devant la caisse que vous deviez récupérer pour votre départ à 13h00, vous empêchant pour cela d'y accéder. Au bout de quelques minutes, vous avez exprimé votre mécontentement par de grands coups de klaxon au lieu d'aller alerter le personnel présent dans le bureau du dépôt.

Sans autorisation de la part d'UBALDI, vous décidez de déplacer le camion en question. Après être sorti du camion UBALDI, vous décidez de revenir sur vos pas afin de déboiter le rétroviseur et lever les essuie-glaces dudit camion.

Le personnel d'UBALDI est venu à votre rencontre afin d'avoir quelques explications mais le ton est monté entre vous.

Vos agissements ne peuvent être tolérés comme une réponse, vous êtes en effet un conducteur professionnel et devez adopter une attitude responsable.

Votre comportement nuit à notre image de marque et met en péril nos relations commerciales avec la société France EXPRESS et indirectement avec la société UBALDI. Dans ces conditions, votre maintien parmi nos effectifs apparait impossible, ne serait-ce que pendant la durée d'un préavis.

C'es la raison pour laquelle nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave, lequel sera effectif à la date d'envoi de la présente.

Nous ferons parvenir dans les meilleurs délais les éléments relatifs à la rupture de votre contrat (solde de tout compte, certificat de travail, attestation Pole Emploi).

(...)'.

Le 06 août 2018, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Nice pour contester le licenciement et obtenir le paiement de diverses sommes.

Par jugement rendu le 18 novembre 2019, le conseil de prud'hommes a:

- dit que le licenciement est pour cause réelle et sérieuse,

- condamné la société au paiement des sommes suivantes:

* 4 171.04 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 417.10 euros au titre des congés payés afférents,

* 1 520.69 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

* 838.64 euros à titre de rappel de salaire afférent à la période de mise à pied conservatoire et 83.86 euros au titre des congés payés afférents,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes ,

- condamné la société aux dépens.

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

La cour est saisie de l'appel formé le 27 décembre 2019 par le salarié.

Par ses dernières conclusions régulièrement remises au greffe le 20 février 2023 et auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, le salarié demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de:

Recevoir Monsieur [P] en toutes ses demandes, fins et conclusions.

Le recevoir en son appel et l'y déclarer bien fondé.

INFIRMER ET REFORMER le jugement rendu, le 18 Novembre 2019, par le Conseil de prud'hommes de Nice, en ce qu'il a .

Débouté Monsieur [E] [P] du surplus de ses demandes

Débouté Monsieur [E] [P] de ses autres demandes, à savoir :

DIRE ET JUGER que le licenciement prononcé à son encontre est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En tant que de besoin, ORDONNER une mesure d'instruction consistant à visionner la vidéo de l'incident survenu chez le client UBALDI.

DIRE ET JUGER que doit être écarté le montant maximal d'indemnisation prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable.

CONDAMNER, en conséquence, la SAS RG TRANSPORTS, à payer à Monsieur [P] la somme de 16.684,16 Euros, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et subsidiairement à la somme de 6256,56 Euros.

DIRE ET JUGER que la précipitation et la légèreté blâmable avec laquelle le licenciement a été prononcé, par la société RG TRANSPORTS, à l'encontre de Monsieur [P], lui confèrent un caractère abusif.

Partant, CONDAMNER la SAS RG TRANSPORTS à verser à Monsieur [P] la somme de 5.000 Euros, à titre à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi de ce chef.

CONDAMNER la SAS RG TRANSPORTS à remettre, sous astreinte de 100 Euros par jour de retard, limitée à 60 jours, passé un délai de 30 jours à compter de la notification ou la signification de la décision à intervenir, le Juge de réservant expressément de liquider l'astreinte, à Monsieur [P], les documents sociaux suivants rectifiés conformément à la décision intervenir :

l'attestation destinée POLE EMPLOI rectifiée faisant mention des salaires bruts réellement perçus de juin 2017 à mai 2018, les bulletins de salaire.

CONFIRMER le jugement rendu, le 18 Novembre 2019, par le Conseil de prud'hommes de Nice, en ce qu'il a .

Condamné la SOCIÉTÉ SAS RG TRANSPORTS prise en la personne de son représentant légal à payer à Monsieur [E] [P]

4171 , 04 € au titre des indemnités de préavis

417,10 au titre des congés payés y afférents

1520,69 € au titre des indemnités de licenciement

838,64 € au titre des indemnités de salaire non perçu durant la période de mise à pied conservatoire du 28 mai 2018 au 12 juin 2018 83, 86€ au titre des congés payés y afférents

1000,00 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Débouté la SOCIÉTÉ SAS RG TRANSPORTS de sa demande reconventionnelle

Condamné la SOCIÉTÉ SAS RG TRANSPORTS aux entiers dépens.

LE REFORMER POUR LE SURPLUS

STATUANT A NOUVEAU

SUR LE LICENCIEMENT

Vu les articles L 1231-1, L 1231-4 et suivants du Code du travail

Vu l'article 10 de la convention n o 158 de l'OIT sur le licenciement,

Vu l'article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996, ratifiée par la France le 7 mai 1999,

Vu les articles LI 235-3 et suivants du Code du travail,

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces du dossier,

DIRE ET JUGER que les faits suivants énoncés dans la lettre de licenciement sont prescrits au regard des dispositions de l'article LI 332-4 du Code du travail :

En effet, vous remettez systématiquement en question les directives qui vous sont données et d'après UBALDI, " vous n'en faites qu'à votre tête " et " remettez constamment la faute sur eux ou FRANCE EXPRESS

De plus, vous ne respectez pas les horaires initialement prévus. Vous êtes censé déposer le matin la caisse à 6h00 alors que systématiquement vous ne la déposez pas avant 7h00 voir 7h30, créant ainsi de lourds retards sur le site de production d'UBALDl.

De même, vous ne communiquez aucune information sur ce que vous faites ou ne faites pas au personnel de la société UBALDI

DIRE ET JUGER que Monsieur [P] n'a commis aucune faute grave et que le licenciement prononcé à son encontre est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En tant que de besoin, ORDONNER une mesure d'instruction, confiée à deux Conseillers Rapporteurs, consistant à visionner la vidéo de l'incident survenu chez le client UBALDI.

DIRE ET JUGER que doit être écarté le montant maximal d'indemnisation prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail.

CONDAMNER, en conséquence, la SAS RG TRANSPORTS, à payer à Monsieur [P], à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de :

16.684,16 Euros, et subsidiairement 6256,56 Euros.

SUR LES DOMMAGES-INTERETS POUR PREJUDICE DISTINCT DE CELUI RESULTANT DU LICENCIEMENT SANS CAUSE REELLE ET SERIEUSE

Vu la jurisprudence,

Vu la convention collective applicable,

Vu les pièces du dossier,

DIRE ET JUGER que la précipitation et la légèreté blâmable avec laquelle le licenciement a été prononcé, par la société RG TRANSPORTS, à l'encontre de Monsieur [P], lui confèrent un caractère abusif.

Partant, CONDAMNER la SAS RG TRANSPORTS à verser à Monsieur [P] la somme de 5.000 Euros, à titre à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi de ce chef.

SUR LA REMISE DES DOCUMENTS SOCIAUX ET LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTERETS

Vu, notamment les articles LI 234-19, 1.3243-2 et R1234-9, Dl 234-6 du Code du travail,

CONDAMNER la SAS RG TRANSPORTS à remettre, à Monsieur [P], sous astreinte de 100 Euros par jour de retard, limitée à 60 jours, passé un délai de 30 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, la Cour se réservant expressément de liquider l'astreinte :

l'attestation destinée POLE EMPLOI rectifiée pour faire mention des salaires bruts de juin 2017 à mai 2018 figurant sur les bulletins de salaire, à savoir :

pour le mois de Mai 2018 : 1.342,60 €

pour le mois d'Avril 2018 : 1.579,52 €

pour le mois de Mars 2018 2.182,25 €

pour le mois de Février 2018 : 2.165,75 €

pour le mois de Janvier 2018 : 2.738,12 €

pour le mois de Décembre 2017 : 1.663,03 €

pour le mois de Novembre 2017 2.149,25 €

pour le mois d'Octobre 2017 : 2.182,25 €

pour le mois de Septembre 2017 : 2.157,50 €

pour le mois d'Août 2017 : 2.332,25 €

pour le mois de Juillet 2017 : 2.365,75 €

pour le mois de Juin 2017 : 2.174,00 €

CONDAMNER également la SAS RG TRANSPORTS à verser à Monsieur [P] la somme de 5.000 Euros, à titre à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi du fait de la réduction des droits sociaux du salarié entraînée par la déduction forfaitaire spécifique abusive de frais professionnels qu'elle a pratiquée à son encontre.

EN TOUT ETAT DE CAUSE

DEBOUTER la SAS RG TRANSPORTS de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Assortir les condamnations à intervenir de l'intérêt légal, avec capitalisation des intérêts.

CONDAMNER, en outre, la SAS RG TRANSPORTS aux entiers dépens de la présente instance.

DIRE ET JUGER qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision et qu'en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes, correspondant à des créances indemnitaires nées de la rupture ou de l'exécution du contrat de travail, retenues par l'huissier instrumentaire en application des dispositions de l'article A444-32 du Code de Commerce devront être supportées par la partie défenderesse.

CONDAMNER également la SAS RG TRANSPORTS à verser à Monsieur [P] une indemnité d'un montant de 3000 Euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions régulièrement remises au greffe le 13 février 2023 et auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de:

CONFIRMER le jugement rendu le 18 novembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes en ce qu'il débouté Monsieur [P] des demandes suivantes :

- 16 684,16 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre principal et subsidiairement 6 256,56€ à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 5 000€ pour préjudice distinct lié au caractère brusque du licenciement

- Remise sous astreinte de 100€ par jour de retard des bulletins de paie rectifiés, de l'attestation destinée à Pôle Emploi rectifiée

- Remise d'une attestation Pole Emploi rectifiée faisant mention des salaires bruts réellement perçus de juin 2017 à mai 2018

- Intérêt légal avec capitalisation des intérêts

CONFIRMER le jugement rendu le 18 novembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes en ce qu'il débouté Monsieur [P] du surplus de ses demandes

INFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a requalifié le licenciement de Monsieur [P] en cause réelle et sérieuse, et condamné la Société RG TRANSPORTS à payer à Monsieur [P] les sommes suivantes :

- 4.171,04 € à titre des indemnités de préavis,

- 417,10 € au titre des congés payés afférents,

- 1.520, 69 € au titre des indemnités de licenciement,

- 838,64 € au titre des indemnités de salaire non perçus durant la période de mise à pied conservatoire du 28 mai 2018 au 12 juin 2018,

- 83,64 € au titre des congés payés y afférents,

- 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

ET, CONSIDERANT QUE LE LICENCIEMENT POUR FAUTE GRAVE DE

MONSIEUR [P] EST FONDE,

STATUANT A NOUVEAU DE CE CHEF

DEBOUTER Monsieur [P] de ses demandes au titre d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférent, d'une indemnité de licenciement, d'un paiement de salaire au titre de la mise à pied conservatoire et des congés payés y afférents

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :

REDUIRE les demandes de Monsieur [P] conformément à l'article L 1235-3 du Code du Travail EN TOUT ETAT DE CAUSE :

CONDAMNER Monsieur [P] à verser à la Société RG TRANSPORTS la somme  de 2.500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

CONDAMNER le même aux dépens de l'instance et de ses suites.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 06 mars 2019.

MOTIFS

1 - Sur la rupture du contrat de travail

Aux termes de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement par l'employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Il résulte des dispositions combinées des articles L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis.

En l'espèce, il ressort de la lettre de licenciement pour faute grave dont les termes ont été restitués ci-dessus que la société reproche au salarié d'une part des actes d'insubordination et d'autre part un comportement déplacé sur le site de la société Ubaldi le 11 mai 2018.

1.1. Sur l'insubordination

Selon l'article L.1232-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.

Lorsque le déclenchement des poursuites disciplinaires a lieu plus de deux mois après les faits fautifs et que la prescription des faits fautifs est opposée par le salarié, il appartient à l'employeur de rapporter lui-même la preuve qu'il n'a eu connaissance de ceux-ci que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de la procédure disciplinaire qui correspond à la date de convocation à l'entretien préalable.

En l'espèce, la société invoque les faits suivants à l'appui du grief d'insubordination:

- la société Ubaldi a indiqué à l'employeur que le salarié remettait en cause les directives qui lui étaient données;

- le salarié a déposé sur le site de la société Ubaldi la caisse à 07h00 ou 07h30 alors qu'il était tenu de le faire à 06h00;

- le salarié n'a pas communiqué avec le personnel de la société Ubaldi 'sur son travail'.

Le salarié fait valoir, pour soutenir que le grief n'est pas établi, notamment que les faits invoqués sont prescrits.

La société réplique que le grief d'insubordination est fondé. Elle produit à l'appui un courriel que lui a adressé la société Ubaldi le 22 janvier 2018 pour lui indiquer que le salarié a déposé la caisse à 07h30 au lieu de 06h00 et qu'il 'en fait toujours à sa tête'.

La cour dit que ce courrier fait la preuve que la société a eu connaissance de faits d'insubordination dès le 22 janvier 2018.

Or, cet employeur a engagé la procédure de licenciement le 28 mai 2018, date du courrier portant convocation à un entretien préalable, ce dont il résulte que les poursuites disciplinaires ont eu lieu plus de deux mois après les faits fautifs.

Dans ces conditions, il y a lieu de dire que les faits sont prescrits.

Et dès lors que la société ne produit aucun autre élément pour justifier les autres faits illustrant son grief d'insubordination et évoqués dans la lettre de licenciement, la cour dit que celui-ci doit être écarté.

1.2. Sur le comportement du salarié le 11 mai 2018

La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.

En effet, la tardiveté du prononcé du licenciement tend à démontrer que la faute alléguée ne rendait pas impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et qu'elle n'était donc pas grave.

En l'espèce, la société reproche au salarié d'avoir sur le site de la société Ubaldi le 11 mai 2018 déplacé sans autorisation un camion placé devant la caisse qu'il devait récupérer et d'avoir sur ce camion déboîté le rétroviseur et levé les essuie-glaces, puis d'avoir eu des échanges animés avec le personnel de la société Ubaldi.

Le salarié fait valoir:

- que la société n'a pas respecté le délai restreint;

- qu'il n'a pas commis les fait qui lui sont reprochés.

Sur le moyen tiré du délai restreint, la cour constate que les faits reprochés ont été commis le 11 mai 2018 et que la société a mis en oeuvre la procédure de licenciement le 28 mai 2018, date de la lettre portant convocation à l'entretien préalable, ce dont il résulte un délai de 17 jours.

Il s'ensuit que la société a respecté le délai restreint qui s'imposait à elle.

Ensuite, sur la réalité du grief, la société verse aux débats à l'appui le courriel que lui a adressé la société Ubaldi le 11 juin 2018 par lequel Mme [H], responsable service au sein de la société Ubaldi, décrit les faits relatés dans la lettre de licenciement et auxquels elle a intégralement assistés.

Pour contester la réalité du grief, le salarié soutient qu'il a déplacé le camion en cause et qu'il est resté courtois lorsque le personnel de la société Ubaldi est venu à sa rencontre; que son geste consistant à déplacer le camion a été justifié par le respect des délais de livraison que lui imposaient la société; que les attestations établies par deux collègues indiquent que leur hiérarchie exerçait des pressions sur le personnel pour que le travail soit accompli le plus rapidement possible.

Au vu de ces éléments, et sans qu'il y ait lieu à ordonner une mesure d'instruction, la cour dit que l'employeur justifie que les faits sont établis.

Il s'ensuit que la société rapporte la preuve de faits qui constituent une violation par la salariée des obligations découlant de son contrat de travail.

Pour autant, ces faits ne rendent pas impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis.

En conséquence, la cour confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que le licenciement repose non pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse.

2 - Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail

Le salarié peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis avec les congés payés afférents, ainsi qu'à une indemnité légale de licenciement.

Aucune des parties ne remettant en cause les bases sur lesquelles le conseil de prud'hommes a liquidé les droits du salarié, la cour confirme le jugement de ces chefs.

3 - Sur le rappel de salaires

Il résulte des dispositions de l'article L.1332-3 du code du travail que seule une faute grave peut justifier le non-paiement du salaire pendant une mise à pied conservatoire.

En l'espèce, il résulte de ce qui précède que le licenciement ne repose pas sur une faute grave.

La société est en conséquence redevable des salaires dont cet employeur a privé le salarié durant la période de mise à pied conservatoire avec les congés payés afférents, de sorte que le jugement déféré est confirmé de ces chefs.

4 - Sur le préjudice distinct

Il résulte de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que le salarié est en droit d'obtenir réparation du préjudice résultant du comportement fautif de l'employeur dans les circonstances entourant la rupture, distinct de celui résultant de la perte de son emploi.

En l'espèce, le salarié fait valoir à l'appui de sa demande de dommages et intérêts que la société a procédé à son licenciement avec une légèreté blâmable; qu'il a toujours donné satisfaction à son employeur; qu'il a subi des pressions de sa hiérarchie pour accepter une rupture conventionnelle.

La société s'oppose à la demande en soutenant qu'elle est nouvelle et que le salarié ne rapporte pas la preuve d'un manquement, ni d'un préjudice.

La cour dit d'abord que la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté de la demande n'a pas été énoncée au dispositif des écritures de la société ce dont il résulte qu'en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, la cour n'a pas à statuer sur ce point.

Et il convient d'ailleurs de relever que la demande en cause n'est pas nouvelle dès lors que les énonciations du jugement font ressortir qu'elle a été soumise aux premiers juges.

Sur le fond, la cour ne peut que constater que le salarié ne produit aucune pièce de nature à faire la preuve d'une faute imputable à la société dans les circonstances entourant le licenciement, et qu'il ne fournit aucun élément permettant de caractériser un préjudice.

En conséquence, la cour dit que la demande n'est pas fondée de sorte que le jugement déféré est confirmé en ce qu'il l'a rejetée.

5 - Sur l'attestation Pôle Emploi

5.1. Sur la rectification de l'attestation Pôle Emploi

Le salarié demande à la cour de condamner la société à lui remettre sous astreinte une attestation Pôle Emploi rectifiée en ce qu'elle doit mentionner les montants de salaire qui sont portés sur les fiches de paie; que la société a irrégulièrement appliqué sur l'attestation destinée à Pôle Emploi un abattement de 20% pour frais professionnels; que les salaires portés sur l'attestation destinée à Pôle Emploi ont donc été minorés; que le salarié n'a jamais donné son accord pour cet abattement; que le courrier d'acceptation dont se prévaut la société concerne un autre employeur et qu'il a été falsifié; que la convention collective ne permet pas de procéder à l'abattement pour frais professionnels en ce qu'il n'a exposé aucun frais de cette nature pour réaliser des trajets avec une distance de moins de 20 kilomètres; que l'accord d'entreprise du 25 novembre 2019 instaurant l'abattement pour frais professionnels n'est pas applicable au salarié.

Pour contester la demande, la société soutient que l'abattement litigieux a été opéré avec le consentement du salarié ainsi que cela résulte du courrier en date du 31 mars 2018 (la date du 31 mars 2008 constituant une erreur de plume); qu'il a été jugé que l'abattement est prévu pour les entreprises de transport routier par l'article 9 de l'arrêté du 20 décembre 2012 et par l'article 5 de l'annexe IV du code général des impôts.

D'abord sur le consentement du salarié, il apparaît que la rédaction du courrier du 31 mars 2018 est la suivante:

'Comme vous le constaterez sur vos fiches de payes nous effectuons, avec l'autorisation de l'URSSAF, une déduction forfaitaire de 20% pour frais professionnels sur la base de calcul des cotisations de Sécurité Sociale, dans la limite d'un plafond annuel de 7600 Euros.

Cette déduction dont bénéficie l'ensemble du personnel roulant permet de réduire le montant des charges sociales qui sont retenues sur vos salaires.

Bien que cette déduction soit dans l'intérêt de tous, la loi nous oblige cependant à avoir votre consentement pour cette déduction.

Vous voudrez bien nous confirmer votre accord sur le principe en nous retournant ce courrier daté et signé avec la mention " bon pour accord'.

(...)'.

La cour relève après analyse de cette correspondance:

- que l'identification de son auteur est impossible dès lors qu'elle ne comporte aucun en-tête, que le siège social visé au pied de la lettre ne précise pas le nom de la société et que le signataire, [V] [N], n'a pas précisé sa qualité;

- qu'il a été apposé une signature '[P]' qui n'est toutefois précédée d'aucune date, ni de la mention 'bon pour accord'.

Il s'ensuit que le courrier du 31 mars 2018 ne fait pas la preuve de l'accord donné par le salarié à la déduction de 20% pour frais professionnels en cause.

Le moyen n'est donc pas fondé.

Ensuite sur l'article 9 de l'arrêté du 20 décembre 2012 et l'article 5 de l'annexe IV du code général des impôts, force est de constater que la société:

- se borne à reproduire les motifs du jugement déféré et ceux d'un jugement également rendu par le conseil de prud'hommes de Nice le 07 septembre 2018 dont il résulte que les premiers juges affirment que les abattements sont prévus par lesdits textes sans autre explication;

- ne verse aux débats aucun élément de nature à établir que ces textes valident les déductions ici en litige.

Ce moyen n'est donc pas plus fondé.

En conséquence, il y a lieu de dire que l'attestation destinée à Pôle Emploi établie par la société et remise au salarié est erronée en ce que la société a irrégulièrement procédé à l'abattement au titre des frais professionnels.

Il convient donc, en infirmant le jugement déféré, de faire droit à la demande de remise d'une attestation destinée à Pôle Emploi rectifiée en ce qu'elle doit mentionner les montants de salaire figurant sur les fiches de paie.

Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'astreinte.

5.2. Sur les dommages et intérêts

La réparation d'un préjudice résultant d'un manquement de l'employeur suppose que le salarié qui s'en prétend victime produise en justice les éléments de nature à établir d'une part la réalité du manquement et d'autre part l'existence et l'étendue du préjudice en résultant.

En l'espèce, le salarié fait valoir à l'appui de sa demande de dommages et intérêts que les déductions sur les salaires au titre des frais professionnels opérées par la société lui ont occasionné un préjudice constitué par le fait que Pôle Emploi a calculé ses prestations sur la base d'un salaire de 1 853.70 euros au lieu de 2 086.02 euros, soit un manque à gagner de 165.68 euros par mois.

La société n'a pas conclu sur cette demande.

Comme il a été précédemment dit, le manquement de la société reposant sur l'abattement au titre des frais professionnels est établi.

Pour autant, le salarié ne verse aux débats aucun élément de nature à justifier de la réalité d'un préjudice résultant de ce manquement.

En conséquence, la cour dit que la demande n'est pas fondée de sorte que le jugement déféré est confirmé en ce qu'il l'a rejetée.

6 - Sur la capitalisation des intérêts

Il y a lieu, en infirmant le jugement déféré, d'ordonner la capitalisation des intérêts, dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

7 - Sur les demandes accessoires

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué au salarié une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société est condamnée aux dépens d'appel.

L'équité et les situations économiques respectives des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.

Il résulte de l'application des articles R. 444-52, R. 444-53, 3° et R. 444-55 du code de commerce, que lorsque le recouvrement ou l'encaissement est effectué sur le fondement d'un titre exécutoire constatant une créance née de l'exécution d'un contrat de travail, le versement d'une provision avant toute prestation de recouvrement ne peut pas être mise à la charge du créancier, de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande tendant à faire supporter par l'employeur en cas d'exécution forcée du présent arrêt le droit proportionnel dégressif mis à la charge du créancier. Le jugement déféré est donc confirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de remise d'une attestation destinée à Pôle Emploi rectifiée et la demande de capitalisation des intérêts,

STATUANT sur les chefs infirmés,

ORDONNE à la société RG Transports de remettre à M. [P] une attestation destinée à Pôle Emploi rectifiée en ce qu'elle doit mentionner les montants de salaire figurant sur les fiches de paie,

ORDONNE la capitalisation des intérêts,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses autres dispositions,

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la société RG Transports à payer à M. [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société RG Transports aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-4
Numéro d'arrêt : 19/19849
Date de la décision : 04/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-04;19.19849 ?
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