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04/05/2023 | FRANCE | N°19/16399

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-4, 04 mai 2023, 19/16399


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4



ARRÊT AU FOND

DU 04 MAI 2023



N° 2023/

FB/FP-D











Rôle N° RG 19/16399 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFB5L







[H] [D]





C/



E.A.R.L. SOCIETE FERMIERE DES TROIS MAS

























Copie exécutoire délivrée

le :

04 MAI 2023

à :



Me François MAIRIN, avocat au barreau de T

ARASCON





Me Murielle VANDEVELDE-

PETIT, avocat au barreau de LYON



















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARLES en date du 22 Octobre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 19/00005.





APPELANT



Monsie...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4

ARRÊT AU FOND

DU 04 MAI 2023

N° 2023/

FB/FP-D

Rôle N° RG 19/16399 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFB5L

[H] [D]

C/

E.A.R.L. SOCIETE FERMIERE DES TROIS MAS

Copie exécutoire délivrée

le :

04 MAI 2023

à :

Me François MAIRIN, avocat au barreau de TARASCON

Me Murielle VANDEVELDE-

PETIT, avocat au barreau de LYON

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARLES en date du 22 Octobre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 19/00005.

APPELANT

Monsieur [H] [D], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me François MAIRIN, avocat au barreau de TARASCON

INTIMEE

E.A.R.L. SOCIETE FERMIERE DES TROIS MAS prise en la personne de son représentant légal, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Murielle VANDEVELDE-PETIT, avocat au barreau de LYON substitué par Me Laurent PEGOUD, avocat au barreau de LYON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre

Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller

Madame Catherine MAILHES, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Avril 2023 prorogé au 04 mai 2023.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 mai 2023.

Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

M. [D] (le salarié) a été engagé le 15 juillet 1994 par l'EARL Société Fermière des Trois Mas, exploitant agricole, en qualité d'ouvrier agricole, coefficient 200 (le contrat de travail n'est pas fourni).

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective des exploitations agricoles des Bouches du Rhône.

La société employait habituellement au moins 11 salariés au moment du licenciement.

Le salarié a été victime d'un accident du travail le 4 février 2015 et a été placé consécutivement en arrêt de travail puis en arrêt de travail pour maladie.

Lors de la visite de reprise du 25 avril 2016 le médecin du travail l'a déclaré inapte à la reprise de son poste antérieur avec l'indication que le salarié serait apte à un poste aménagé:

'- Pas de port de charges$gt; 15 kg

- Limiter le travail bras au-dessus de l'horizontale à 4h/ jour fractionnées.: privilégier un

travail « à hauteur », alternance travail bras Dt bras Gche, prévoir courtes pauses à la demande plutôt qu'une pause à horaire fixe

- Limiter la conduite d'engin agricole en marche arrière prolongée à 3h/jour varier le sens de rotation du tronc vers la Dte et vers la Gche'.

La société a adressé le 4 mai 2016 au médecin du travail un descriptif du poste et une proposition d'aménagement.

Lors de la visite effectuée à la demande du médecin du travail le salarié a été déclaré apte au poste aménagé, en attente d'examens complémentaires.

Après étude du poste, lors de la visite médicale du 8 août 2016 le médecin du travail a déclaré le salarié inapte au poste'serait apte à un poste aménagé, pas de port de charges $gt; 15 kg, limiter le travail bras au dessus de l'horizontale à des tâches occasionnelles, pas de conduite d'engins (tracteur, chariot-élévateur, plate-forme) $gt;2h par jour. Etude de poste de confirmation à prévoir'.

Par courrier du 8 septembre 2016 la société interrogeait le médecin du travail sur la compatibilité des aménagements envisagés avec les restrictions émises.

Lors de la visite médicale du 12 septembre 2016 le médecin du travail a déclaré le salarié apte au poste aménagé.

Le salarié a repris le travail et a été placé en arrêt de travail pour maladie du 8 au 12 septembre 2016, du 21 décembre 2016 au 15 mai 2017, du 1er novembre 2017 au 20 juin 2018.

Lors de la visite de reprise du 28 juin 2018 le salarié a été déclaré définitivement inapte à son poste par le médecin du travail qui a au titre des conclusions et indications relatives au reclassement indiqué 'pourrait occuper un poste administratif après formation professionnelle'.

Par courrier du 16 juillet 2018 la société lui a notifié les motifs de l'impossibilité de reclassement.

Le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 24 juillet 2018, reporté au 1er août 2018.

Par lettre du 4 août 2018 la société lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le salarié a saisi le 3 janvier 2019 le conseil de Prud'hommes d'Arles d'une demande en licenciement sans cause réelle et sérieuse, de demandes d'indemnité compensatrice de préavis, de dommages et intérêts pour rupture abusive, avec intérêts légaux à compter de la demande en justice et capitalisation des intérêts, outre une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation de la société aux dépens en ce compris les frais d'exécution forcée.

Par jugement du 22 octobre 2019 le conseil de prud'hommes d'Arles a :

- débouté Monsieur [H] [D] de sa demande de requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- débouté Monsieur [H] [D] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive et de toutes les demandes subséquentes.

- débouté Monsieur [H] [D] de sa demande de paiement de la somme de 2.500,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

- débouté la Société La Fermière des Trois Mas, prise en la personne de son représentant légal en exercice, de sa demande de paiement de la somme de 2.500,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

- dit que les dépens ne seront à la charge d'aucune des parties.

Le salarié a interjeté appel du jugement par acte du 23 octobre 2019 énonçant :

'Objet/Portée de l'appel : Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués. Appel total porte sur le fait que le Conseil de Prud'hommes d'Arles, section Agriculture a :

- débouté Monsieur [H] [D] de sa demande de requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- débouté Monsieur [H] [D] de sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive et de toutes les demandes subséquentes.

- débouté Monsieur [H] [D] de sa demande de paiement de la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

- débouté la société La Fermière des Trois Mas, prise en la personne de son représentant légal en exercice, de sa demande de paiement de la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Monsieur [H] [D] formule les prétentions suivantes qui seront accueillies par la Cour: Vu les articles L1226-2 et L1235-3 du code du travail;

Dire et juger que le licenciement de Monsieur [H] [D] est dépourvu de cause réelle et sérieuse;

En conséquence, Condamner l'EARL Fermière des Trois Mas au paiement des sommes suivantes:

- 32.203,68 € à titre de dommages intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,

- 5.520,63 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis;

- 552,06 € à titre d'incidence congés payés sur préavis;

Condamner l'EARL Fermière des Trois Mas au paiement de la somme de 2.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du CPC.

Dire et juger que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter la saisine du Conseil de Prud'hommes et seront capitalisés.

Condamner l'EARL Fermière des Trois Mas aux entiers dépens en ce compris les frais d'exécution.'

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 8 décembre 2022 M. [D] demande de :

RECEVOIR l'appel du concluant comme étant régulier en la forme et juste au fond;

INFIRMER la décision entreprise en toutes ses dispositions;

Statuant à nouveau:

Vu les articles L1226-2 et L1235-3 du code du travail;

DIRE ET JUGER que le licenciement de Monsieur [H] [D] est dépourvu de cause réelle et sérieuse;

En conséquence, CONDAMNER l'EARL Fermière des Trois Mas au paiement des sommes suivantes:

- 32.203,68 € à titre de dommages intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,

- 5.520,63 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis;

- 552,06 € à titre d'incidence congés payés sur préavis;

CONDAMNER l'EARL Fermière des Trois Mas au paiement de la somme de 2.500 € au titre de dispositions de l'article 700 du CPC.

DIRE ET JUGER que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter la saisine du Conseil de Céans et seront capitalisés.

CONDAMNER l'intimée aux entiers dépens en ce compris les frais d'exécution.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 8 décembre 2022 l'EARL Société Fermière des Trois Mas demande de :

CONSTATER que la procédure de licenciement pour inaptitude de Monsieur [H] [D] a été valablement menée,

CONFIRMER la décision du Conseil de prud'hommes d'Arles en date du 22 octobre 2019 dans toutes ses dispositions,

DEBOUTER Monsieur [H] [D] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

CONDAMNER Monsieur [H] [D] à verser à l'EARL Société Fermière des Trois Mas la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

CONDAMNER Monsieur [H] [D] aux entiers dépens.

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 décembre 2022.

SUR CE

Sur le licenciement

En application de l'article L.1226-2 du code du travail dans sa version issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 et dans sa rédaction applicable à la date du licenciement, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L.4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique s'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise.

La consultation de l'instance représentative du personnel doit avoir lieu après le constat de l'inaptitude définitive du salarié et avant toute proposition de reclassement adressée au salarié et en tout état de cause avant l'engagement de la procédure de licenciement.

La méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte consécutivement à un accident non professionnel ou une maladie, dont celle imposant à l'employeur de consulter le comité social et économique et antérieurement les délégués du personnel, prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, hors les cas ou le médecin du travail a expressément mentionné dans l'avis d'inaptitude que tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à la santé du salarié ou que son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Ainsi la seule absence de proposition de reclassement ne dispense pas l'employeur de la consultation obligatoire.

Dans les entreprises d'au moins 11 salariés dans lesquelles la mise en place du comité social et économique, et antérieurement des délégués du personnel, est obligatoire, seul un procès-verbal de carence à l'issue du second tour de scrutin est de nature à établir que l'employeur a respecté ses obligations en matière d'organisation des élections professionnelles et à réputer satisfaire à l'obligation de consultation en matière de reclassement des salariés inaptes.

Aux termes de l'ancien article L.2314-2 du code du travail dans sa rédaction applicable jusqu'au 1er janvier 2018 l'employeur informe tous les quatre ans le personnel de l'organisation des élections professionnelles.

En application de l'ancien article L.2314-4 du même code dans sa rédaction également applicable jusqu'au 1er janvier 2018, lorsqu'en l'absence de délégués du personnel, l'employeur est invité à organiser des élections à la demande d'un salarié ou d'une organisation syndicale, il engage la procédure définie à l'article L.2314-2 et L.2314-3 dans le mois suivant la réception de sa demande.

L'obligation d'organiser des élections professionnelles s'imposant tous les quatre ans, dans ce délai aucune périodicité de l'obligation de constater la carence d'institution représentative du personnel n'est fixée, l'employeur devant toutefois répondre à toute demande formée dans les conditions de l'ancien article L.2314-4 du code du travail.

L'ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 a institué à compter du 1er janvier 2018 le comité social et économique, se substituant notamment aux délégués du personnel pour exercer les attributions de consultation en matière de reclassement des salariés inaptes .

La mise en place du comité social et économique dans les entreprises devant en être doté, n'a été rendue obligatoire qu'à compter du 1er janvier 2020 dans les conditions prévues par les dispositions transitoires de l'ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017.

L'article 9 II du titre IV relatif aux dispositions transitoires précise que le comité social et économique est mis en place au terme du mandat des délégués du personnel ou des membres élus du comité d'entreprise, de la délégation unique du personnel, de l'instance regroupée mise en place par accord du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, lors du renouvellement de l'une de ces institutions, et au plus tard le 31 décembre 2019, sous réserve des dispositions qu'elle énumère ensuite, tenant soit à l'existence d'un accord préélectoral en cours soit à l'échéance des mandats en cours.

En l'espèce au soutien de sa demande en licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié invoque le non-respect de l'obligation de consultation de l'institution représentative du personnel du fait de la carence de l'employeur en matière d'organisation des élections professionnelles, en ce que le procès-verbal de carence du 2 juin 2014 dont l'échéance a expiré ne peut réputer satisfaire à l'obligation de consultation et l'employeur ne peut se prévaloir utilement des dispositions transitoires qui n'ont pas pour effet de proroger sa validité.

Il fait valoir que la société ne peut tirer bénéfice du nouveau procès-verbal de carence établi à l'issue des élections professionnelles organisées postérieurement à son licenciement en février 2019 et que la circonstance tenant à la matérialité d'une absence de proposition de reclassement ne dispensait pas l'employeur de consultation dès lors que le médecin du travail dans son avis d'inaptitude n'a pas expressément mentionné un des deux cas de dispense de recherche de reclassement et qu'au contraire celui-ci a émis une indication en ce sens.

La société conteste les moyens et explique que bien que sous l'empire du régime antérieur à l'ordonnance du 22 septembre 2017 de nouvelles élections professionnelles auraient dû être organisées à l'échéance de quatre ans suivant celles ayant donné lieu au procès-verbal de carence le 2 juin 2014, entre-temps la réforme des institutions représentatives du personnel était intervenue et celle-ci ne prévoyait aucune disposition concernant les entreprises dont les précédentes élections avaient donné lieu à un procès-verbal de carence, de sorte qu'au vu du 'flou juridique' et de la complexité entourant l'entrée en vigueur de la réforme, la société n'a procédé à de nouvelles élections qu'à compter de janvier 2019 qui ont de la même façon conduit à l'établissement d'un procès-verbal de carence.

La société soutient que l'absence d'organisation d'élections pour désigner le comité économique et social dans l'entreprise n'affecte pas la validité du licenciement dès lors qu'en l'espèce aucune proposition de reclassement n'a été formulée et que les élections organisées en janvier 2019 ont donné lieu à un nouveau procès-verbal de carence. Elle souligne que les nouvelles dispositions imposant depuis le 1er janvier 2017 cette consultation dans les cas d'inaptitude non professionnelle ne prévoient pas de sanction spécifique en cas d'inobservation, de sorte que le licenciement n'étant 'ispo facto' privé de cause réelle et sérieuse, il appartient au salarié de démontrer en quoi l'absence de consultation produirait cet effet, dans un contexte où l'employeur a démontré sa volonté de maintenir le contrat de travail lors du précédent aménagement de poste opéré conformément aux préconisations du médecin du travail en 2016.

Elle en conclut qu'au contraire de la loyauté dont elle-même a fait preuve, l'action du salarié caractérise sa déloyauté à l'égard de son employeur.

A l'analyse des pièces du dossier la cour relève d'abord que dans son avis d'inaptitude du 28 juin 2018, le médecin du travail n'a pas dispensé la société de son obligation de reclassement dans les conditions de l'article L.1226-2-1 du code du travail.

Il s'ensuit que la société était tenue de procéder à la consultation des délégués du personnels existants ou du comité social et économique institué, à défaut de justifier d'un procès-verbal de carence, la circonstance d'une absence concrète de proposition de reclassement, même non critiquée par le salarié, n'étant pas de nature à exonérer l'employeur de son obligation consultative.

Cette obligation consultative devait dès lors être mise en oeuvre entre le 28 juin 2018, date de l'avis d'inaptitude et le 16 juillet 2018, date à laquelle l'employeur lui a notifié les raisons qui s'opposaient à son reclassement et à défaut, en l'absence d'institution représentative du personnel, seul un procès-verbal de carence peut réputer satisfaire à cette obligation.

Or il est produit un procès-verbal de carence du 2 juin 2014 et un nouveau procès-verbal de carence du 6 février 2019.

Même s'il n'est allégué d'aucune demande de salariés tendant à l'organisation de nouvelles élections professionnelles dans l'intervalle, et compte tenu de la périodicité obligatoire prévue pour les élections professionnelles de quatre ans maximum, le procès-verbal du 2 juin 2014 ne peut pas être retenu.

Et aucune des dispositions transitoires de l'ordonnance du 22 septembre 2017 reposant l'existence de mandats en cours ou de l'engagement du processus électoral dans les conditions du régime antérieur, à sa date d'entrée en vigueur le 1er janvier 2018, n'est susceptible de reporter la date d'exigibilité des nouvelles dispositions sur les instances représentatives du personnel.

Dans ces conditions la cour, qui constate que la société n'a pas satisfait à son obligation consultative, dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence et en infirmant le jugement déféré, la cour déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières de la rupture

1° l'indemnité compensatrice de préavis

Selon l'article L.1226-4 du code du travail en cas de licenciement d'un salarié inapte consécutivement à un accident ou une maladie non professionnelle, le préavis n'est pas exécuté et son inexécution ne donne pas lieu au versement d'une indemnité compensatrice de préavis.

L'indemnité compensatrice de préavis est néanmoins due au salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement consécutive à une inaptitude d'origine non professionnelle.

En l'espèce le salarié sollicite la somme de 5 520,30 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis représentant trois mois de salaire et celle de 552,06 euros pour les congés afférents en raison d'une rupture imputable à l'employeur en raison du manquement à son obligation de reclassement.

La société conteste la demande en faisant valoir qu'il n'a pas manqué à son obligation de reclassement et que le salarié ne peut revendiquer l'extension du principe de l'octroi d'une indemnité compensatrice de préavis auquel le salarié n'a pas droit en cas d'inaptitude d'origine non professionnelle, à la méconnaissance de l'obligation de consultation.

Mais dès lors que le manquement à l'obligation de consultation de l'instance représentative du personnel caractérise un manquement de l'employeur à son obligation de reclassement à l'origine de la rupture, le salarié est fondé en sa demande d'indemnité compensatrice de préavis, nonobstant l'impossibilité physique de l'exécuter.

Dans ces conditions le salarié peut prétendre à une indemnité de licenciement équivalente à deux mois de salaire, dès lors que ni les dispositions de l'article L.1234-1 du code du travail ni celles de la convention collective des exploitations agricoles des Bouches du Rhône ne prévoit une durée de préavis de trois mois pour les salariés de sa catégorie, et ce, sur la base du salaire qu'il aurait perçu s'il avait travaillé pendant la durée du préavis, lequel comprend tous les éléments de rémunération.

Eu égard à la rémunération mensuelle brute perçue par le salarié (1 811,25 euros des seuls bulletins de paie produits), la cour alloue au salarié la somme de 3 622,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et celle de 362,25 euros au titre des congés payés afférents.

En conséquence et en infirmant le jugement déféré, la cour condamne la société à verser au salarié la somme de 3 622,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et celle de 362,25 euros au titre des congés payés afférents.

2° les dommages et intérêts

La méconnaissance par l'employeur de son obligation de consultation des délégués du personnel ou du comité social et économique ouvre droit pour le salarié à une indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail.

Le salarié qui présentait une ancienneté de vingt-quatre années entières, peut prétendre en application de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable à la date du licenciement, à une indemnité minimale égale à trois mois de salaire et maximale égale à 17,5 mois de salaire.

Eu égard à la rémunération mensuelle brute perçue par le salarié (1 811,25 euros des seuls bulletins de paie produits), de son âge, de sa capacité à retrouver un emploi et des seules explications qu'il fournit sur son préjudice et sa situation, il apparaît que la réparation du préjudice résultant pour le salarié de la rupture abusive de son contrat de travail doit être fixée à la somme de 10 000 euros.

En conséquence et en infirmant le jugement déféré, la cour condamne la société à verser au salarié la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les intérêts

En infirmant le jugement déféré la cour dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et la créance indemnitaire à compter du présent arrêt.

En infirmant le jugement déféré la cour ordonne leur capitalisation en application de l'article 1343-2 du code civil dont les conditions sont réunies.

Sur l'exécution forcée

Il résulte de l'application des articles R. 444-52, R. 444-53, 3° et R. 444-55 du code de commerce, que lorsque le recouvrement ou l'encaissement est effectué sur le fondement d'un titre exécutoire constatant une créance née de l'exécution d'un contrat de travail, le versement d'une provision avant toute prestation de recouvrement ne peut pas être mise à la charge du créancier, de sorte qu'en confirmant le jugement déféré, la cour rejette la demande tendant à faire supporter par l'employeur en cas d'exécution forcée du présent arrêt le droit proportionnel dégressif mis à la charge du créancier.

Sur le remboursement des indemnités chômage

En application de l'article L.1235-4 du code du travail dans sa rédaction applicable, il convient en ajoutant au jugement déféré, d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de deux mois d'indemnisation.

Sur les dispositions accessoires

La cour infirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que les dépens ne seront à la charge d'aucune partie et a rejeté la demande du salarié au titre 700 du code de procédure civile.

La société qui succombe au principal est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile il est équitable que l'employeur contribue aux frais irrépétibles que le salarié a exposés en cause d'appel. La société est en conséquence condamnée à lui verser la somme de 1 000 euros pour les frais de première instance, de 1 500 euros pour les frais d'appel et est débouté de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :

- rejeté la demande en licenciement sans cause réelle et sérieuse de M. [D],

- rejeté la demande d'indemnité compensatrice de préavis, les congés payés afférents et la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de M. [D],

- rejeté la demande de M. [D] au titre des intérêts et de leur capitalisation,

- dit que les dépens ne seront à la charge d'aucune partie et rejeté la demande de M. [D] au titre 700 du code de procédure civile,

Statuant sur les chefs infirmés,

Déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne l'EARL Société Fermière des 3 Mas à verser à M. [D] les sommes de :

- 3 622,50 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et celle de 362,25 euros au titre des congés payés afférents,

- 10 000 euros de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dit que les sommes allouées sont exprimées en brut,

Dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et la créance indemnitaire à compter du présent arrêt,

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,

Condamne l'EARL Société Fermière des 3 Mas à verser à M. [D] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance,

Condamne l'EARL Société Fermière des 3 Mas aux dépens de première instance,

Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions,

Y ajoutant,

Ordonne d'office le remboursement par l'EARL Société Fermière des 3 Mats aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à M. [D] du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de deux mois d'indemnisation,

Condamne l'EARL Société Fermière des 3 Mas à verser à M. [D] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais d'appel,

Condamne l'EARL Société Fermière des 3 Mas aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-4
Numéro d'arrêt : 19/16399
Date de la décision : 04/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-04;19.16399 ?
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