COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-8
ARRÊT AU FOND
DU 06 AVRIL 2023
N°2023/330
Rôle N° RG 21/18380 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BITJ7
CAF DES ALPES DE HAUTE PROVENCE
C/
[L] [J]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- Me Séverine TARTANSON
- Me Charline BARLET
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Pole social du Tribunal Judiciaire de Digne les Bains en date du 23 Novembre 2021,enregistré au répertoire général sous le n° 19/00371.
APPELANTE
CAF DES ALPES DE HAUTE PROVENCE, demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Séverine TARTANSON de la SELARL CABINET D'AVOCATS TARTANSON, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE-PROVENCE substituée par Me Romain BONY-CISTERNES, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE-PROVENCE
INTIME
Monsieur [L] [J], demeurant [Adresse 2]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/000166 du 14/01/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE),
représenté par Me Charline BARLET, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Pauline COSTANTINI-RABINOIT, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Février 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre
Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller
Mme Isabelle PERRIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Séverine HOUSSARD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Avril 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Avril 2023
Signé par Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre et Mme Séverine HOUSSARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
M. [L] [J], père de deux enfants :
- [C], né le 25 novembre 1990,
- [V], née le 7 février 1997,
a été avisé par la caisse d'allocations familiales (CAF) des Alpes de Haute Provence de son droit à l'allocation de soutien familial, au retour de sa fille à son domicile au mois d'octobre 2016, après qu'elle en soit partie un mois auparavant pour faire des études.
Considérant qu'il était dans la même situation de parent isolé avec un enfant à charge de moins de 20 ans dès le 1er novembre 2010, par courriel du 6 mars 2017, M. [J] a sollicité la régularisation de sa situation depuis cette date.
Par courrier daté du 14 janvier 2019, M. [J] a, par l'intermédiaire de son avocat, mis en demeure la CAF de lui payer la somme de 6.616 euros à titre de dommages et intérêts, dont 5.616 euros correspondant au montant des allocations qu'il aurait dû percevoir du 1er janvier 2012 au 30 septembre 2016 du fait de sa situation familiale et financière et 1.000 euros correspondant à l'indemnisation de son préjudice moral compte tenu du manque de reconnaissance de ses droits alors même qu'il a dû assumer seul la charge de ses deux enfants pendant six ans et alors que son aîné est en situation de handicap.
Par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 2 octobre 2019, M. [J] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Marseille aux fins de contestation d'une décision de refus d'attribution de l'allocation de soutien familial.
Par jugement en date du 23 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Marseille ayant repris l'instance, a :
- déclaré recevables les demandes en indemnisation du requérant,
- condamné la caisse d'allocations familiales à lui verser la somme de 5.616 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier,
- rejeté le surplus des demandes,
- condamné la CAF des Alpes de Haute-Provence à régler les dépens.
Par déclaration au greffe de la cour expédiée le 21 décembre 2021, la caisse d'allocations familiales des Alpes de Haute-Provence a interjeté appel.
A l'audience du 2 février 2023, la caisse appelante reprend les conclusions n°2, communiquées à la partie adverse par RPVA le 12 janvier 2023. Elle demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [J] de sa demande en indemnisation de son préjudice moral,
- infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions,
- débouter M. [J] de l'ensemble de ses prétentions,
- le condamner à lui payer la somme de 2.000 euros à titre de frais irrépétibles,
- le condamner au paiement des dépens.
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que le requérant tente de contourner la règle de prescription de l'action en paiement de prestations de deux ans prévu à l'article L.553-2 du code de la sécurité sociale en sollicitant des dommages et intérêts sur le fondement de sa responsabilité délictuelle, mais que sa demande est vaine. Elle s'appuie sur l'article R.523-2 du même code pour démontrer que l'allocation de soutien familial n'a pas à être versée automatiquement par la caisse sans demande préalable de l'allocataire, de sorte qu'elle n'a pas commis de faute en ne versant pas cette allocation dès le 1er novembre 2010. Elle ajoute qu'il ne peut lui être reproché d'avoir cesser le paiement de prestation passé le délai de quatre mois prévu par l'article R.523-3 du code de la sécurité sociale comme l'indiquent les premiers juges, dans la mesure où l'allocation n'a jamais été versée entre 2010 et 2016. En outre, elle considère que le requérant ne justifie pas d'un préjudice financier dès lors qu'il est bénéficiaire du revenu de solidarité active et que cette prestation est subsidiaire, c'est-à-dire que s'il avait perçu l'allocation de soutien familial du fait de l'absence de contribution de la mère de sa fille à charge de moins de 20 ans, alors son montant aurait été déduit du revenu de solidarité active majoré pour enfant à charge qu'il a perçu. Enfin, elle fait valoir que le requérant ne justifie pas d'un quelconque préjudice moral.
L'allocataire intimé reprend les conclusions communiquées à la partie adverse par RPVA le 30 décembre 2022. Il demande à la cour de :
- confirmer le jugement,
- condamner la CAF des Alpes de Haute Provence à lui payer 5.616 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier mais également 1.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
- condamner la CAF des Alpes de Haute Provence à lui payer la somme de 1.500 euros à titre de frais irrépétibles, sous réserve pour son conseil de renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que c'est lorsqu'il s'est aperçu d'une hausse du montant de ses allocations à compter du mois de novembre 2016 et qu'il en a alerté la CAF, que celle-ci lui a indiqué qu'il avait droit à l'allocation de soutien familial. Sa situation de parent isolé avec enfant à charge de moins de 20 ans était inchangée depuis 2010, il considère que la caisse aurait dû lui adresser les formulaires CERFA correspondant depuis cette date. Il fait valoir que la caisse a reconnu un dysfonctionnement dans le traitement de son dossier quand il a déclaré sa séparation en novembre 2010, dans ses propres écritures de 1ère instance et qu'il aurait dû percevoir l'allocation de soutien familial pendant une durée minimum de 4 mois, la demande pouvant être formulée ultérieurement pour en bénéficier au-delà, de sorte que la caisse a commis une faute en ne lui versant pas l'allocation pendant quatre mois au mois entre novembre 2010 et novembre 2016. En outre, il fait valoir que la caisse ne justifie d'aucun élément démontrant que son évaluation des droits qu'il aurait dû percevoir est excessive. Il indique avoir un préjudice financier du fait de l'absence de perception de l'allocation de soutien familial, le bénéfice du revenu de solidarité active majoré étant sans incidence sur sont droit à l'ASF. Il fait ensuite valoir les 'conditions de ruptude de sa vacation' pour établir son préjudice moral.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé du litige.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article 1240 du code civil : 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'
Il résulte de ces dispositions que celui qui réclame l'indemnisation d'un préjudice doit rapporter la preuve d'une faute, celle d'un préjudice et celle d'un lien de causalité entre les deux.
En l'espèce, le requérant invoque une faute de la caisse qui ne lui a pas spontanément versé l'allocation de soutien familial dès le mois de novembre 2010 lorsqu'il l'a informée de sa situation de parent isolé avec enfant à charge de moins de 20 ans.
Le dernier alinéa de l'article L.523-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur du 1er juin 2009 au 1er janvier 2016 prévoit que l'allocation de soutien familial est ouverte de plein droit aux bénéficiaires du revenu de solidarité active, dont les ressources n'excèdent pas le montant forfaitaire majoré, qui assument la charge effective et permanente d'un ou plusieurs enfants dont le père ou la mère se soustrait ou se trouve hors d'état de faire face à ses obligations d'entretien ou au versement d'une pension alimentaire mise à sa charge par décision de justice.
Les dispositions règlementaires précisent les conditions d'attribution de l'allocation.
L'article R.523-1 du code de la sécurité sociale précise qu'est regardé comme remplissant cette condition, tout enfant dont, depuis au moins deux mois, l'un des parents se soustrait ou se trouve hors d'état de faire face à son obligation d'entretien ou au versement de la pension alimentaire mise à sa charge par décision de justice.
L'article R.523-2 du code de la sécurité sociale prévoit que l'allocation de soutien familial doit faire l'objet d'une demande adressée à l'organisme ou service compétent pour le versement des prestations familiales au requérant et que cette demande, dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale, doit être accompagnée des justifications nécessaires à l'établissement du droit à la prestation.
Or, il est justifié grâce aux pièces versées aux débats par la caisse, que M. [J] a formulé une demande de revenu de solidarité active auprès de la CAF des Alpes de Haute-Provence le 6 juillet 2009, a ensuite déclaré n'être plus en couple dans sa déclaration trimestrielle pour le revenu de solidarité active du 9 janvier 2010, et a encore informé la caisse de son changement de situation familiale dans sa déclaration de situation pour les prestations familiales et les aides au logement du 24 janvier 2011, en indiquant qu'il avait rompu sa vie en concubinage depuis le 1er novembre 2010 et avoir deux enfants à charge nés les 25 novembre 1990 et 7 février 1997.
Mais il n'est pas justifié par M. [J] qu'il a effectivement présenté une demande d'allocation de soutien familiale à la suite de son changement de situation familiale conformément aux dispositions de l'article R.523-2 du code de la sécurité sociale, ni qu'il a accompagné cette demande des pièces utiles pour justifier de ce que la mère des enfants dont il avait la charge à compter du 1er novembre 2010 s'était soustraite ou était hors d'état de faire face à son obligation d'entretien ou au versement d'une pension alimentaire, pendant au moins deux mois, conformément à l'article R.523-1 du code de la sécurité sociale.
Il s'en suit qu'aucune faute consistant dans l'absence de versement spontané de l'allocation par la caisse à M. [J] ne saurait être retenue.
En outre, l'article R.523-3, dans sa version en vigueur du 10 décembre 2011 au 1er avril 2016 prévoit que :
'lorsque l'un des parents manque à son obligation d'entretien, l'organisme débiteur des prestations familiales procède au contrôle de la situation du parent débiteur.
Le contrôle a pour objet de vérifier que le parent débiteur est solvable et a un domicile connu. Si l'une ou l'autre de ces conditions n'est pas remplie, il est alors regardé par l'organisme comme étant hors d'état de faire face à son obligation d'entretien. Le versement de l'allocation de soutien familial à l'autre parent se poursuit alors au-delà de la quatrième mensualité.
Si, en revanche, le parent débiteur remplit les conditions de solvabilité et de domicile mentionnées à l'alinéa précédent, les mensualités suivant celle du quatrième mois ne sont versées au parent qui pourvoit à l'entretien de l'enfant par l'organisme débiteur que si une décision de justice devenue exécutoire a fixé en faveur de ce parent le montant de l'obligation d'entretien, ou si ce dernier a engagé une action en justice à l'encontre du parent défaillant en vue de la fixation de cette obligation.'
Il résulte de ces dispositions, que lorsque la caisse verse une allocation de soutien familial, elle doit procéder au contrôle de la situation du parent manquant à son obligation d'entretien dans le délai de quatre mois aux fins de vérifier s'il est effectivement insolvable ou non. Si le parent débiteur est insolvable alors l'attribution de l'allocation se poursuit au delà de la quatrième mensualité, mais si le parent débiteur est solvable et a un domicile connu, alors la poursuite du versement de l'allocation est conditionnée par l'engagement, par le parent créancier, d'une action en justice pour faire fixer le montant de la pension alimentaire.
En aucun cas, ces dispositions ne prévoient l'attribution automatique de l'allocation de soutien familial pendant une durée minimale de quatre mois comme l'indique le requérant dans ses conclusions en cause d'appel.
Il s'en suit que la faute de la caisse consistant dans l'absence de versement de l'allocation de soutien familial entre novembre 2010 et novembre 2016 n'est pas démontrée.
A défaut de preuve d'une faute de la caisse, sa responsabilité délictuelle ne saurait être retenue.
Le jugement qui a condamné la CAF à verser des dommages et intérêts à M. [J] sera infirmé.
M. [J] succombant à l'instance, sera condamné à payer les dépens de l'appel en vertu de l'article 696 du code de procédure civile.
L'équité commande de débouter la CAF de sa demande en frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par décision contradictoire
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déboute M. [J] de l'ensemble de ses prétentions,
Déboute la CAF des Alpes de Haute Provence de sa demande en frais irrépétibles,
Condamne M. [J] au paiement des dépens de l'appel.
Le Greffier La Présidente