La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/03/2023 | FRANCE | N°19/17025

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-1, 02 mars 2023, 19/17025


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1



ARRÊT AU FOND

DU 02 MARS 2023



N° 2023/ 34













Rôle N° RG 19/17025 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFDZM







[G] [T]





C/



Société KANE INTERNATIONAL LIMITED





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Romain CHERFILS

Me Cédric CABANES











r>


Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de TOULON en date du 09 Octobre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 2018J00339.





APPELANT



Monsieur [G] [T], demeurant [Adresse 1]



représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au bar...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT AU FOND

DU 02 MARS 2023

N° 2023/ 34

Rôle N° RG 19/17025 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFDZM

[G] [T]

C/

Société KANE INTERNATIONAL LIMITED

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Romain CHERFILS

Me Cédric CABANES

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de TOULON en date du 09 Octobre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 2018J00339.

APPELANT

Monsieur [G] [T], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Paul JOLY, avocat au barreau de GRASSE, plaidant

INTIMEE

Société KANE INTERNATIONAL LIMITED, dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Me Cédric CABANES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE assisté de Me Maryse PIPART de la SELARL ARTETMIS, avocat au barreau de CAMBRAI, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 16 Janvier 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

Mme Marie-Amélie VINCENT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière lors des débats : Madame Marie PARANQUE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Mars 2023.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Mars 2023,

Signé par Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre et Madame Valérie VIOLET, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Le 24 novembre 2014 M. [G] [T] a conclu avec la société Kane International Limited, société spécialisée dans la vente d'analyseurs de gaz de combustion, un contrat d'agent commercial s'étendant à dix départements du sud de la France.

Le 25 juin 2018 la société Kane International a notifié à M. [G] [T] la rupture de son contrat d'agent commercial en invoquant la faute grave commise par l'agent aux motifs qu'elle avait découvert qu'il était également salarié de la société Pack Service en qualité de chef d'agence.

M. [G] [T] a contesté cette rupture et le non-paiement des indemnités afférentes.

En l'absence d'accord entre les parties, M. [G] [T] a assigné la société Kane International le 14 août 2018 devant le tribunal de commerce de Toulon afin d'obtenir le paiement des sommes de 1.562,64 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnité compensatrice de préavis inexécuté, et 10.418 euros au titre de l'indemnité légale de cessation de mandat.

Par jugement en date du 9 octobre 2019 le tribunal de commerce de Toulon a :

-débouté M. [G] [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

-condamné M. [G] [T] au paiement de la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,

-débouté les parties du surplus de leurs demandes,

-rejeté la demande de prononcé de l'exécution provisoire

--------------

Par acte en date du 5 novembre 2019 M. [G] [T] a interjeté appel du jugement.

--------------

Par conclusions enregistrées le 4 février 2020, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [G] [T] fait valoir que :

-la société Kane International a usé d'un artifice visant à invoquer une faute grave de sa part pour ne pas avoir à régler les indemnités alors qu'en tant que profession indépendante, il a parfaitement la possibilité d'exercer d'autres activités et d'être salarié d'une autre société, et ce, d'autant que son contrat avec la société Kane International ne comportait aucun engagement d'exclusivité,

-alors qu'il était parvenu à implanter les produits de la société Kane International et avait réalisé un chiffre d'affaires de 122.964 euros en 2015, son chiffre d'affaires a ensuite fortement chuté en 2016 et 2017 du fait de l'inertie de la société Kane International et de l'inadaptation de sa politique commerciale ; en outre, la société n'a pas su donner les moyens à ses agents de reconquérir les parts de marché perdues ; ainsi, la société Kane International a manqué à son obligation de mettre son agent en mesure d'exécuter son mandat conformément à l'article L.134-4 du code de commerce ; le comportement du mandant peut excuser la faute grave de l'agent,

-seule l'attitude de la société Kane International et la baisse de sa rémunération l'ont conduit à rechercher une activité salariée, activité qui n'a été cumulée que du 4 mai au 25 juin 2018 ; il a toujours cumulé plusieurs contrats d'agents commerciaux, sans que cela n'amène de critiques de la part de la société Kane International ; en réalité, la rupture de son contrat procède d'une stratégie générale mise en place par le mandant afin de remplacer les agents commerciaux par des salariés en interne, ce qui explique la suppression des 7 agents présents en 2017 ; la rupture des relations contractuelles est donc exclusivement imputable à la société Kane International,

-il est donc bien-fondé à solliciter le paiement d'une indemnité de rupture calculée sur la base des commissions brutes perçues au cours des trois dernières années du mandat et équivalente à deux ans de commissions, outre une indemnité de préavis non exécuté

Ainsi, l'appelant demande à la cour de :

-réformer le jugement en toutes ses dispositions,

-condamner la société Kane International aux indemnités suivantes outre intérêts de droit à compter de l'assignation :

-1.562,64 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnité compensatrice de préavis inexécuté,

-10.418 euros au titre de l'indemnité légale de cessation de mandat

-condamner la société Kane International à lui payer la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens, dont distraction

-------------

Par conclusions enregistrées le 17 avril 2020, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Kane International Limited réplique que :

-M. [G] [T] invoque les difficultés commerciales de la société Kane International pour justifier son attitude, or, il ne démontre nullement ces difficultés ; la baisse du chiffre d'affaires ne résulte que d'un marché insuffisamment travaillé par les agents commerciaux et par le manque de motivation et d'investissement de M. [G] [T], tel que cela résulte de certains échanges,

-M. [G] [T] a sciemment dissimulé son poste de cadre salarié dans une entreprise, poste qui suppose une présence et une activité exclusive pour un employeur, rendant impossible l'activité de démarchage et de prospection propres à l'activité d'agent commercial ; le désintérêt invoqué par M. [G] [T] de la part de la société Kane International n'est pas démontré et celui-ci ne justifie pas avoir alerté la société en ce sens ni avoir répondu aux demandes du directeur commercial concernant les besoins des agents ; elle a développé de nouveaux produits, contrairement aux affirmations de M. [G] [T], et le chiffre d'affaires de 2015 s'explique essentiellement par la nécessité de s'équiper en détecteurs de fumée ; tous les postes d'agents commerciaux n'ont pas été supprimés et ceux qui l'ont été en raison d'une baisse de leur activité ont été remplacés par des salariés commerciaux ; le désintérêt de M. [G] [T] pour l'exécution du contrat et la baisse du chiffre d'affaires portent atteinte à la finalité du mandat d'intérêt commun et constituent une faute grave justifiant la rupture du contrat et l'absence d'indemnités

La société intimée demande à la cour de :

-confirmer le jugement rendu et débouter M. [G] [T] de l'ensemble de ses demandes,

-condamner M. [G] [T] à lui payer la somme de 4.000 euros

--------------

Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 12 décembre 2022 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 16 janvier 2023.

A cette date, l'affaire a été retenue et mise en délibéré au 2 mars 2023.

MOTIFS

Sur les indemnités de fin de contrat :

Conformément à l'article L.134-4 du code de commerce les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties.

Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.

L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.

En outre, aux termes des articles L134-12 et L134-13 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

Par exception, cette indemnité n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.

En l'espèce, au visa de l'article L.134-4 susvisé M. [G] [T] a manqué de loyauté en dissimulant à son mandant le contrat de travail conclu le 4 mai 2018 avec la société Pack Services, contrat qui n'est pas produit aux débats mais n'est pas contesté par l'intéressé.

Ce manque de loyauté, ajouté à la circonstance que l'embauche de M. [G] [T] en qualité de salarié, chef d'agence, a pu générer auprès de la société Kane International une suspicion légitime quant à ses capacités à poursuivre sa collaboration en qualité d'agent commercial, justifie la rupture de la relation contractuelle entre les parties.

Pour autant, seule la faute grave est de nature à priver l'agent de l'indemnité de fin de contrat, laquelle s'entend de celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel.

Il n'est pas contesté qu'aucune clause contractuelle, et pas davantage le statut d'agent commercial, ne font obstacle à ce que l'agent exerce par ailleurs un emploi salarié, pour autant que cet emploi ne s'exerce pas dans une société concurrente.

Au demeurant, M. [G] [T] établit qu'il a cumulé, et ce, dès avant le contrat signé le 24 novembre 2014 avec la société Kane International, divers contrats d'agent commercial, sans que cela ne nuise à son activité au regard notamment du chiffre d'affaires généré en 2015, en dépit du cumul des cartes.

En revanche, l'embauche en qualité de salarié est de nature à porter atteinte à la finalité commune du mandat et à rendre impossible le maintien du lien contractuel lorsqu'elle se traduit par une incapacité de l'agent commercial à accomplir sa mission essentielle de prospection des clients, de diffusion des produits, ainsi que par une carence dans la couverture des salons et événements permettant au mandant d'assurer une visibilité commerciale des produits dont l'agent commercial assure la promotion.

Au cas particulier, il apparaît que, sauf à énoncer un postulat de base au titre de l'incompatibilité entre les fonctions d'agent commercial et les fonctions de salarié, la société Kane International, sur laquelle pèse la charge de la preuve de la faute grave, ne démontre pas que M. [G] [T] a été dans l'impossibilité d'assumer sa mission d'agent commercial du fait de son embauche le 4 mai 2018, soit quelques semaines avant la notification de la rupture du contrat d'agent commercial.

Cette circonstance, cumulée à un désintérêt manifeste et généralisé de M. [G] [T], aurait été de nature à corroborer la gravité des manquements pouvant lui être opposés afin de le priver de son droit à indemnité.

Néanmoins, la société Kane International n'établit par aucune pièce qu'elle aurait mis en garde M. [G] [T], personnellement, sur son manque d'implication avant la rupture du contrat d'agent commercial, étant rappelé que la seule baisse du chiffre d'affaires effectué par l'agent n'est pas constitutive en soi d'une faute grave.

Si M. [G] [T], interrogé sur l'avenir de la société Kane, reconnaît le 15 mai 2018 qu'il a « pris du recul par rapport à la situation » et que « c'est une carte qui demande de l'investissement en temps et en argent, et qui à ce jour rapporte peu lorsque l'on est agent », il ressort également des mails émanant de M. [D] [I], directeur commercial, que le marché français connaît en 2018 une baisse des ventes de 5%, et que celui-ci en appelle à l'implication de l'ensemble des agents commerciaux auxquels il demande « une forte motivation » (mail du 16 février 2018), sans pointer particulièrement le manque d'investissement de M. [G] [T].

M. [R] [X], responsable commercial du Nord, souligne lui-même, le 2 mai 2018, après le départ de M. [I], l'intérêt de « redévelopper l'activité » mais reconnaît « peut-être que pour certains la carte Kane n'a plus beaucoup d'intérêt, et je peux le comprendre...(..) j'aimerais savoir qui est prêt à repartir en guerre pour regagner des parts de marché (..) ».

En réponse, M. [G] [T] demande une réunion avec la direction anglaise afin d'être « rassuré » et d'avoir des éléments sur « la politique de la société » avant de « repartir au feu » (mail du 15 mai 2018).

Ainsi, au regard des échanges de mails, ces éléments traduisent une baisse du chiffre des ventes en France, dont les causes peuvent s'expliquer par des facteurs combinés, tant par la conjoncture économique, que par le marché concurrentiel ou encore par le manque de motivation des agents commerciaux dans leur ensemble.

Cependant, ils ne permettent pas d'imputer à M. [G] [T] en particulier une inertie manifeste dans ses fonctions, inertie qui aurait trouvé son point d'orgue dans le choix de se faire embaucher en qualité de salarié au sein d'une autre société.

En conséquence, il y a lieu d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner la société Kane International Limited au paiement des sommes suivantes, le quantum et les modalités de calcul n'ayant pas été contestés :

-1.562,64 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnité compensatrice de préavis inexécuté,

-10.418 euros au titre de l'indemnité légale de cessation de mandat

et ce, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation délivrée le 14 août 2018.

Sur les frais et dépens :

La société Kane International Limited, partie succombante, conservera la charge des dépens de première instance et d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Elle sera également tenue de payer à M. [G] [T] la somme totale de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 octobre 2019 par le tribunal de commerce de Toulon,

Statuant à nouveau,

Condamne la société Kane International Limited à payer à M. [G] [T] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation délivrée le 14 août 2018 :

-1.562,64 euros toutes taxes comprises au titre de l'indemnité compensatrice de préavis inexécuté,

-10.418 euros au titre de l'indemnité légale de cessation de mandat

Condamne la société Kane International Limited aux entiers dépens de première instance et d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société Kane International Limited à payer à M. [G] [T] la somme totale de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 3-1
Numéro d'arrêt : 19/17025
Date de la décision : 02/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-02;19.17025 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award