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09/02/2023 | FRANCE | N°19/13653

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 09 février 2023, 19/13653


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 09 FEVRIER 2023

ph

N° 2023/ 79













N° RG 19/13653 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEZSB







SCI SCI BARBOSSI





C/



SARL [E] [T]



























Copie exécutoire délivrée

le :

à :



SELARL NIKITA SICHOV



Me Guillaume VIDAL



























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 26 Juillet 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/00504.



APPELANTE



SCI BARBOSSI dont le siège social est [Adresse 6], représentée par son gérant domicilié en cette qualité audit siège



repr...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 09 FEVRIER 2023

ph

N° 2023/ 79

N° RG 19/13653 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEZSB

SCI SCI BARBOSSI

C/

SARL [E] [T]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

SELARL NIKITA SICHOV

Me Guillaume VIDAL

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 26 Juillet 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/00504.

APPELANTE

SCI BARBOSSI dont le siège social est [Adresse 6], représentée par son gérant domicilié en cette qualité audit siège

représentée par Me Nikita SICHOV de la SELARL NIKITA SICHOV, avocat au barreau de GRASSE, assistée de Me Emmanuel VITAL DURAND de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Laure DUFOUR avocat au bareau de PARIS, plaidant

INTIMEE

SARL [E] [T], dont le siège social est [Adresse 16], agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice Madame [Y] [E] [T], domicilié ès qualités audit siège

représentée par Me Guillaume VIDAL, avocat au barreau de GRASSE, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Patricia HOARAU, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, faisant fonction de président de chambre

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Monsieur Olivier ABRAM,Vice Président placé

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Février 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Février 2023

Signé par Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, faisant fonction de président de chambre et Madame Danielle PANDOLFI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES

Par acte du 15 septembre 2009, la SCI Barbossi a acquis une propriété située [Adresse 12] à [Localité 18]. Cette propriété comprend un chemin utilisé par la société [E] [T] exploitant une activité de club d'équitation à l'enseigne de « Poney Club des [17] » sur la parcelle voisine cadastrée section BI n° [Cadastre 8], afin de franchir à gué, le cours d'eau dénommé Vallon de Vallauris.

La société [E] [T] a fait édifier de sa propre initiative en 2015, un pont bétonné recouvrant l'ouvrage existant.

La SCI Barbossi a fait assigner la société [E] [T] devant le tribunal de grande instance de Grasse le 30 janvier 2017 aux fins principalement, d'obtenir sa condamnation sous astreinte à détruire le pont et à la remise en l'état initial.

Par jugement du 26 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Grasse a :

- débouté la SCI Barbossi de sa demande de condamnation de la société [E] [T] à lui payer des dommages et intérêts,

- condamné la SCI Barbossi à reconstruire un ouvrage de franchissement du Vallon de Vallauris carrossable pour véhicule de fort tonnage, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à l'issue d'un délai de deux mois commençant à courir à compter de la signification du jugement,

- autorisé la société [E] [T], faute pour la SCI Barbossi de s'exécuter dans le délai ci-dessus, à construire l'ouvrage de remplacement à ses frais avancés,

- condamné la SCI Barbossi à payer à la société [E] [T] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SCI Barbossi aux dépens, distraits au profit de Me Guillaume Vidal,

- ordonné l'exécution provisoire.

Le tribunal a considéré :

- que la société [E] [T] affirme sans être contredite qu'elle dispose d'une servitude légale de passage pour cause d'enclave, le chemin litigieux étant le seul accès à la voie publique,

- que les parties s'accordent à reconnaître que l'ouvrage édifié sans autorisation par la société [E] [T] en 2015 a été détruit par cette dernière en septembre 2018, ne laissant subsister que la partie ancienne édifiée en 1976 pour permettre le passage à gué du Vallon,

- que la société [E] [T] qui soutient que les travaux réalisés en 2015 auraient revêtu un caractère urgent et indispensable en vertu du principe de précaution, ne produit aucun élément de nature à établir le mauvais état de l'ouvrage avant les travaux,

- que la SCI Barbossi ne démontre pas les dommages effectivement causés à sa propriété du fait du rehaussement du pont, ni que la société [E] [T] serait à l'origine des contrôles administratifs, que la partie basse préexistante est en tout état non conforme aux dispositions du code de l'environnement,

- qu'ainsi la faute de la société [E] [T] n'a pas de lien de causalité avec les frais exposés par la SCI Barbossi,

- que l'exécution d'un nouvel ouvrage est imposée en exécution de la mise en demeure par la DDTM, que partant l'édification d'un nouveau pont est totalement distincte de la catégorie des travaux rendus nécessaires pour l'usage et la conservation de la servitude au sens des articles 687 et 698 du code civil, que ces dispositions ne sont pas applicables lorsque les ouvrages sont devenus nécessaires à l'exercice de la servitude par le fait du propriétaire du fonds servant, qui en l'espèce doit mettre son ouvrage en conformité avec les dispositions du code de l'environnement,

- que le passage s'effectuant depuis plus de trente ans, la société [E] [T] a prescrit l'assiette et le mode de servitude de passage, soit la desserte complète de ses fonds dans des conditions propres à lui permettre son exploitation,

- que la SCI Barbossi n'est pas fondée à soutenir que ce mode de passage constituerait une aggravation de la servitude,

- qu'en considération de la solution adoptée, la demande d'expertise formée à titre subsidiaire est sans objet,

- que la société [E] [T] ne démontre pas que la SCI Barbossi a fait preuve de malice, mauvaise foi ou a été animée d'une intention de nuire.

La SCI Barbossi a relevé appel de ce jugement, le 22 août 2019.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 28 novembre 2022, la SCI Barbossi demande à la cour :

Vu les articles 544 et 1240 et suivants du code civil,

- d'infirmer le jugement rendu le 26 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Grasse en ses dispositions appelées,

- de condamner la société [E] [T] à indemniser le préjudice causé à la SCI Barbossi,

- de condamner, à ce titre, la société [E] [T] à lui payer la somme évaluée à ce jour à 47 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- de débouter la société [E] [T] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- de condamner la société [E] [T] à lui payer la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner la société [E] [T] aux entiers dépens de l'instance.

La SCI Barbossi fait essentiellement valoir :

- que le tribunal de grande instance de Grasse n'a pas tiré toutes les conséquences de ses constatations en considérant que la société [E] [T] a commis une faute en réalisant une surélévation non nécessaire de l'ouvrage, sans autorisation préalable ni du propriétaire du fonds ni de l'administration, qu'il est indéniable qu'elle en a subi des préjudices,

- que si elle en avait informée, elle aurait pu gérer la difficulté de façon proactive avec l'administration, au lieu de se trouver exposée à des sanctions administratives et pénales,

- que c'est bien le comportement de la société [E] [T] qui en surélevant le passage sans autorisation et en provoquant l'érosion des berges et la constitution d'embâcles sur le cours d'eau, a été à l'origine des mises en demeure à elle adressées et des contentieux qu'elle a dû initier pour se défendre,

- qu'elle ne prétend pas que l'ouvrage était en parfaite conformité réglementaire, bien qu'elle ne l'ait découvert qu'après la surélévation sans son autorisation,

- que la société [E] [T] ne s'est jamais plainte de l'état du passage auprès d'elle, que le constat du mauvais état du pont en ciment date de 1983 à une époque où elle n'était pas propriétaire,

- que la construction du pont a clairement changé la nature du passage provoquant l'érosion des berges et la constitution d'embâcles sur le cours d'eau, soit une aggravation de la servitude au préjudice du fonds servant lui appartenant,

- que le passage vers la propriété du poney-club a été réalisé en 1976 à l'initiative de la mairie de [Localité 18], soit bien avant l'entrée en vigueur de la loi sur l'eau de 1992,

- que ce n'est pas elle qui était à l'origine du contrôle de l'administration, mais que ces contrôles ont été diligentés à la suite des intempéries d'octobre 2015,

- que le préjudice doit être évalué ainsi : préjudice financier de 22 000 euros (soit 19 000 euros de frais juridiques et 3 000 euros de conseil technique), préjudice moral et d'image de 25 000 euros correspondant à l'atteinte à son droit de propriété, atteinte à son image du fait des arrêtés de mises en demeure adressés et à l'égard de la population à force d'être présentée comme un « investisseur immobilier propriétaire d'un veste domaine » qui ne souhaite pas « payer la mise aux normes de l'ouvrage »,

- que le jugement n'est pas compatible avec les prescriptions imposées par la DDTM des Alpes-Maritimes et de l'arrêté du 22 octobre 2022 qui vise « sous la maîtrise d'ouvrage de la SARL [E] [T] et sa gérante en exercice »,

- que la satisfaction de cette demande conduirait à une aggravation de la servitude de passage existant, laquelle consiste exclusivement à ce que le passage puisse être emprunté en voiture ou à pied par les utilisateurs du poney-club et non par des véhicules de fort tonnage,

- que le financement du nouvel ouvrage ne peut lui incomber à elle seule, en application des articles 697 et 698 du code civil, qu'en l'espèce c'est pour la seule commodité de la société [E] [T] et pour celle des autres voisins propriétaires des parcelles enclavées, que la servitude de passage doit être modifiée,

- que contrairement à ce qu'il est soutenu par la société [E] [T], le fait qu'elle demande la réformation du jugement ne signifie pas qu'elle renonce à demander la restitution de la somme de 34 902 euros versée à la société [E] [T] au titre de la reconstruction du passage, conformément à ce qui est prévu dans le protocole signé le 31 octobre 2019 conclu « sans préjudice et sous réserve de l'issue de la procédure d'appel ».

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 4 décembre 2022, la société [E] [T] demande à la cour :

Vu les articles 14, 15 et 16 du code de procédure civile,

- de révoquer l'ordonnance de clôture prononcée le 29 novembre 2022,

- d'accueillir les présentes écritures et les pièces communiquées conjointement,

A titre subsidiaire, si la cour jugeait ne pas devoir révoquer la clôture,

- de rejeter les conclusions et pièces de la SCI Barbossi notifiées le 28 novembre 2022,

Vu les dispositions des articles 544, 637, 685, 701 et 1240 du code civil,

- de débouter purement et simplement la SCI Barbossi de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- de confirmer le jugement en ce que le tribunal a jugé que la SCI Barbossi était tenue de reconstruire un ouvrage de franchissement du vallon de Vallauris carrossable pour les véhicules de fort tonnage,

Vu l'évolution du litige,

Vu l'article 565 du code de procédure civile,

- de condamner la SCI Barbossi à lui payer la somme de 34 902 euros représentant le coût des travaux de construction d'un nouvel ouvrage de franchissement du vallon de Vallauris exposés par elle selon facture de l'entreprise Roman du 19 août 2019,

- de juger que la SCI Barbossi a exécuté par équivalent la reconstruction de l'ouvrage en réglant la facture de l'entreprise Roman du 19 août 2019 dans le cadre du protocole du 30 octobre 2019 relatif à l'exécution du jugement du tribunal de grande instance de Grasse du 16 juillet 2019,

- de juger que la somme de de 34 902 euros réglée par la SCI Barbossi dans le cadre du protocole lui demeurera définitivement acquise,

Réformant partiellement le jugement dont appel et statuant à nouveau :

- de condamner la SCI Barbossi à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- de condamner la SCI Barbossi à lui verser la somme de 9 112 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en première instance,

Y ajoutant,

- de constater que le pont a été reconstruit par elle et achevé au mois d'août 2019,

- de condamner la SCI Barbossi à lui verser à la société [E] [T] la somme de 2 340 euros correspondant aux frais des études hydrologiques préalables à la reconstruction d'un ouvrage de remplacement,

En tout état de cause,

- de condamner la SCI Barbossi à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en appel et aux entiers dépens de l'instance d'appel qui seront distraits au profit de Me Guillaume Vidal, avocat, aux offres de droit.

La société [E] [T] soutient en substance :

- que quand bien même Mme [T], laquelle, est âgée de 84 ans, n'a pas respecté les modalités de mise en 'uvre des travaux (demande préalable à la DDTM et autorisation du propriétaire du fonds), elle n'a agi qu'en application du principe de précaution dans le seul but d'assurer la sécurité du passage,

- qu'au vu de l'état de dégradation de l'ouvrage, il y avait urgence à entreprendre des travaux sur ce passage du Vallon pour remplacer cet ouvrage défectueux et non conforme, qu'en ne faisant rien, la SCI Barbossi ne permettait plus l'usage normal de la servitude,

- que la demande d'indemnisation de la SCI Barbossi est exorbitante et sans fondement, pour le club hippique, lequel n'a aucunement les moyens de la payer, qu'elle a manifestement pour but de provoquer la faillite du club hippique, qui vit uniquement grâce la passion de ses dirigeants et de ses cent quatre-vingts adhérents,

- que c'est la SCI Barbossi, contrairement à ce qu'elle soutient, qui a été à l'origine des contrôles et procédures dont elle se plaint et dont elle lui demande, aujourd'hui, réparation avec une parfaite mauvaise foi,

- que de plus, ce constat d'infraction est également et avant tout celui de la non-conformité de la partie ancienne du pont, soit la partie inférieure, qui est exclusivement la propriété de la SCI Barbossi, qu'en effet, cet ouvrage était un barrage en travers du cours du ruisseau qui en contrariait l'écoulement naturel, comme cela résulte du rapport de la DDTM,

- que les frais dont il est demandé remboursement ne sont pas nécessités par la surélévation pratiquée par Mme [T] mais par l'existence du « passage à gué» d'origine, dont la démolition, requise par l'administration auprès de la SCI Barbossi, qui a été mise en demeure à cet effet et non elle-même, nécessitait le dépôt d'un « Dossier Loi sur l'Eau », que ces frais sont donc des prestations de conseil relatives à son ouvrage d'origine non conforme, à son existence et à sa démolition, laquelle était inéluctable, qu'il y ait eu surélévation ou pas,

- que la SCI Barbossi est seule à l'origine du prétendu préjudice d'image à l'égard de l'administration puisqu'elle s'est opposée devant le tribunal administratif à l'injonction de la préfecture, ce qui n'a effectivement pas dû contribuer à améliorer ses relations,

- que le club hippique est installé depuis 1975 sur les parcelles BI n°[Cadastre 8] et [Cadastre 13], de sorte que le chemin et le mode d'exercice de la servitude sont prescrits depuis plus de trente ans, comme le prévoit l'article 685 du code civil, notamment, au bénéfice de cette activité, qu'il n'y a donc eu aucune aggravation de servitude et la demande d'indemnisation de la SCI Barbossi à ce titre n'est donc pas fondée,

- qu'il n'y a aucun motif de mettre la construction de cet ouvrage à sa charge, que les articles 697 et 698 du code civil, qui prescrivent : « Celui auquel est due une servitude a droit de faire tous les ouvrages nécessaires pour en user et pour la conserver. ['] Ces ouvrages sont à ses frais, et non à ceux du propriétaire du fonds assujetti, à moins que le titre d'établissement de la servitude ne dise le contraire », ne concernent pas l'hypothèse totalement distincte d'une atteinte à une servitude et à des ouvrages existants par le propriétaire, qui est celle de l'article 701,

- qu'en l'espèce, il s'agit de rétablir l'exercice d'une servitude qui a été interrompue par la démolition par le propriétaire du fonds servant, de l'ouvrage existant, qu'elle n'est aucunement à l'origine d'une aggravation de servitude, au demeurant inexistante,

- que le comportement de la SCI Barbossi dénote une volonté non équivoque de lui nuire, en la dénonçant comme ayant prétendument causé un danger, par la surélévation qu'elle a fait édifier, que c'est au contraire elle-même qui a subi un préjudice moral et d'image à l'égard des autorités préfectorales et de police, causé par les accusations de l'appelante,

- que la condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance est loin de couvrir les frais effectivement exposés par elle.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 29 novembre 2022.

L'ordonnance de clôture a été révoquée avec l'accord des parties pour permettre de recevoir les conclusions déposées et notifiées le 4 décembre 2022 et une nouvelle clôture est intervenue le 12 décembre 2022, avant l'ouverture des débats.

L'arrêt sera contradictoire puisque toutes les parties sont représentées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'étendue de la saisine de la cour

Aux termes de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Il est constaté que le dispositif des conclusions de la société [E] [T] comporte des demandes de « constater » et « juger » qui ne constituent pas des prétentions, mais des moyens, si bien que la cour n'en est pas saisie.

L'ordonnance de clôture ayant été révoquée et refixée avant l'ouverture des débats, la demande à ce titre n'a plus d'objet.

Il est constaté que le litige a évolué en ce sens que la reconstruction du pont est intervenue, seule restant à examiner le responsable de la prise en charge de cette reconstruction et les demandes de dommages et intérêts respectives.

Sur la prise en charge de la reconstruction de l'ouvrage de franchissement du Vallon de Vallauris

Aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Il ressort du rapport de manquement administratif du 3 juillet 2017, établi sur information et sollicitation de la SCI Barbossi par courrier 12 octobre 2016 et de la SARL [E] [T] par courrier du 25 janvier 2017, que le pont litigieux, constitue le seul accès aux parcelles enclavées en rive droite du Vallon de Vallauris, appartenant et exploitées par la SCI Barbossi, la SARL [E] [T], le comité central d'entreprise Thalès Alenya Space, Mmes [R] et [N] [W].

Le rédacteur du rapport conclut ainsi :

- que la partie ancienne du pont a été réalisée avant la loi sur l'eau et que la surélévation a été réalisée par la société [E] [T] sans déclaration ou autorisation.

- que le pont ne bénéficiait pas de la déclaration d'antériorité pour les ouvrages réalisés antérieurement au 4 janvier 1992 et/ou entre cette date et le 31 décembre 2006 tel que le prévoit l'article L. 214-6 du code de l'environnement,

- que cet ouvrage présente un danger et un inconvénient grave pour les intérêts mentionnés à l'article L. 211-1, à savoir un obstacle écologique à la continuité écologique au sein du bassin hydrographique du Riou de l'Argentière, dans sa forme initiale ou sa forme surélevée.

L'article L. 214-6 du code de l'environnement vise « l'exploitant ou à défaut le propriétaire ».

C'est sur cette base, que le préfet des Alpes-Maritimes a rédigé l'arrêté n° 2017-141 du 10 août 2017 visant la société [E] [T], la SCI Barbossi, le comité central d'entreprise Thalès Space et Mmes [R] et [N] [W], les mettant en demeure de régulariser la situation en déposant auprès du service chargé de la police de l'eau de la direction départementale des territoires et de la mer des Alpes-Maritimes.

La SCI Barbossi a déposé une requête en annulation contre cet arrêté devant le tribunal administratif de Nice et le président du tribunal administratif a par ordonnance du 28 avril 2021, dit qu'il n'y avait pas lieu de statuer au constat que le préfet a pris la décision, le 9 septembre 2019, de lever la mesure de mise en demeure contestée, par suite de la régularisation de la situation.

Les parties qui ne discutent pas l'état d'enclavement du fonds de la société [E] [T], dont le seul accès à sa propriété est le chemin passant par le pont qui enjambe le Vallon de Vallauris, s'opposent sur les dispositions applicables, l'une se prévalant des articles des articles 697 et 698 du code civil et l'autre de l'article 701 du même code.

Il est précisé qu'au jour où le premier juge a statué, la surélévation du pont a été supprimée et ne subsistait plus que le pont d'origine, frappé aussi d'une mise en demeure de régularisation, dans un délai qui a été prorogé, par arrêté préfectoral du 22 octobre 2018, au 30 juin 2019, aux motifs que l'activité de la société [E] [T] est totalement et directement dépendante de la servitude de passage grevant les fonds de la SCI Barbossi.

Aux termes des articles 697 et 698 du code civil, celui auquel est due une servitude a droit de faire tous les ouvrages nécessaires pour en user et pour la conserver. Ces ouvrages sont à ses frais, et non à ceux du propriétaire du fonds assujetti, à moins que le titre d'établissement de la servitude ne dise le contraire.

L'article 701 du code civil prévoit que le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage, ou à le rendre plus incommode, qu'il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée.

En l'espèce, aucune servitude conventionnelle n'est invoquée par les parties, l'acte de vente du 15 septembre 2009 au profit de la SCI Barbossi dont seules quelques pages sont produites, comportant la mention suivante : « Le vendeur déclare également qu'un passage figurant sur le plan demeuré ci-joint et annexé aux présentes en pointillé et sous teinte jaune est emprunté en voiture ou à pied par les utilisateurs du Poney Club situé sur le terrain limitrophe. »

Le titre de propriété de la société [E] [T] n'est pas versé aux débats, mais est produit un acte de vente daté du 9 mai 1989 au profit de M. [X] [E] [T] et Mme [M] [H] son épouse, respectivement maître de manège et directrice de poney club, de la parcelle anciennement cadastrée section D n° [Cadastre 7] actuellement section BI n° [Cadastre 8].

La servitude dont bénéficie la société [E] [T] est donc une servitude légale pour cause d'enclave, relevant de l'article 682 du code civil aux termes duquel « Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner. »

L'article 685 du même code énonce que : « L'assiette et le mode de servitude de passage pour cause d'enclave sont déterminés par trente ans d'usage continu. L'action en indemnité, dans le cas prévu par l'article 682, est prescriptible, et le passage peut être continué, quoique l'action en indemnité ne soit plus recevable. »

Il n'est pas discutable que l'exploitation d'un poney-club accueillant du public, a pour conséquence nécessaire, le passage de toutes sortes de véhicules dont des véhicules de fort tonnage, si bien que l'argument de la SCI Barbossi, selon lequel la servitude serait limitée à un passage « en voiture ou à pied » et aurait été aggravée, ne peut prospérer.

Il est établi que c'est après la surélévation du pont par la société [E] [T] sans autorisation administrative ni du propriétaire de la parcelle BI n° [Cadastre 3], qu'il est apparu que le pont, tant dans sa version initiale que dans sa version surélevée, n'était pas conforme aux règles imposées par le code de l'environnement, alors qu'il constitue un accès nécessaire à plusieurs propriétés situées sur la rive droite du Vallon de Vallauris, dont des parcelles appartenant à la SCI Barbossi.

Etaient ainsi mises en évidence à la fois, une faute de la SCI Barbossi propriétaire de la parcelle sur laquelle est implanté le pont, dans la mesure où elle ne s'est pas mise en conformité avec l'évolution des prescriptions légales, mais aussi une faute de la société [E] [T], qui a surélevé le pont sans se conformer aux prescriptions légales.

En revanche, la société [E] [T] échoue à démontrer que la SCI Barbossi a par son comportement, été à l'origine de la diminution de l'usage de la servitude de passage par le pont litigieux, alors qu'il ressort des factures produites qu'elle a pris l'initiative d'entreprendre des travaux du pont en avril 2015 sans justifier au préalable, de la nécessité de tels travaux ni de l'interpellation de la SCI Barbossi sur cette nécessité, le procès-verbal de constat d'huissier daté du 7 novembre 1983, étant manifestement inopérant compte tenu de son ancienneté.

Il y a donc lieu de faire application des articles 697 et 698 du code civil, en tenant compte du fait qu'il ressort à la fois du rapport de manquement administratif du 3 juillet 2017 et du procès-verbal de constat du 14 mai 2019, nonobstant les affirmations de la SCI Barbossi selon lesquelles l'accès à ses parcelles cadastrées section BI n° [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 9], [Cadastre 10] et [Cadastre 11] sont inexploitées et se ferait non par le pont, mais par le lit du cours d'eau à maints endroits, sans en fournir la moindre preuve sauf une photographie en pièce n° 11.

En conséquence, il convient de partager les frais de reconstruction de l'ouvrage de franchissement du Vallon de Vallauris par moitié entre la SCI Barbossi et la société [E] [T].

Aux termes du « protocole d'exécution du jugement du tribunal de grande instance de Grasse du 26 juillet 2019 » daté du 30 octobre 2019, homologué le 19 décembre 2019 par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Grasse, il a été convenu ce qui suit :

- la société [E] [T] émettra à l'attention de la SCI Barbossi une facture d'un montant de 34 902 euros TTC (29 085 euros HT) correspondant à l'indemnisation des frais engagés par la société [E] [T] pour les travaux de construction d'un nouvel ouvrage de franchissement du Vallon de Vallauris,

- sans préjudice et sous réserve de l'issue de la procédure pendante devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la SCI Barbossi adressera au conseil de la société [E] [T], dans les quinze jours de la réception de la facture émise, deux chèques à l'ordre de la CARPA, l'un d'un montant de 34 902 euros, l'autre de 2 513 euros en paiement mise à la charge de la SCI Barbossi au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des droits de plaidoirie.

S'agissant des frais d'études hydrologiques préalables à la reconstruction d'un ouvrage de remplacement, d'un montant de 2 340 euros, ils sont justifés par une facture émise par la société Elma conseil, le 25 mai 2018 et sont distincts des frais d'études de l'entreprise Roman dans sa facture d'un montant total de 34 902 euros.

En considération de ces éléments, il convient de condamner la SCI Barbossi à régler à la société [E] [T] la somme de 18 621 euros au titre des frais de reconstruction de l'ouvrage de franchissement du Vallon de Vallauris comprenant les frais d'études hydrologiques préalables.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la SCI Barbossi à reconstruire un ouvrage de franchissement du Vallon de Vallauris carrossable pour véhicule de fort tonnage, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à l'issue d'un délai de deux mois commençant à courir à compter de la signification du jugement.

Sur les demandes de dommages et intérêts

Selon les dispositions de l'article 1240 du code civil tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, ce qui suppose la triple démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux.

La SCI Barbossi allègue un préjudice de 47 000 euros ainsi décomposé :

- préjudice financier de 22 000 euros (soit 19 000 euros de frais juridiques et 3 000 euros de conseil technique),

- préjudice moral et d'image de 25 000 euros correspondant à l'atteinte à son droit de propriété, atteinte à son image du fait des arrêtés de mises en demeure adressés et à l'égard de la population à force d'être présentée comme un « investisseur immobilier propriétaire d'un veste domaine » qui ne souhaite pas « payer la mise aux normes de l'ouvrage ».

S'il ressort des développements ci-dessus que la société [E] [T] a commis une faute en procédant à la surélévation du pont, il est également établi que la SCI Barbossi était également fautive en ce qu'elle ne s'est pas mise en conformité avec les nouvelles prescriptions légales en matière d'environnement, ce qu'elle a discuté en poursuivant la nullité de l'arrêté préfectoral dirigé contre elle. Dès lors le préjudice financier invoqué est sans lien avec la faute commise par la société [E] [T], alors qu'il résulte encore du rapport de manquement administratif que c'est elle, qui en premier lieu a saisi l'administration par courrier du 12 octobre 2016.

Quant au préjudice moral et d'image, l'article de journal ne fait que retracer les faits et la position respective de chacune des parties, sans caractériser une faute de la société [E] [T] dans la présentation de ceux-ci.

S'agissant de la société [E] [T] qui réclame la somme de 5 000 euros en arguant que le comportement de la SCI Barbossi dénote une volonté non équivoque de lui nuire, en la dénonçant comme ayant prétendument causé un danger, par la surélévation qu'elle a fait édifier, que c'est au contraire elle-même qui a subi un préjudice moral et d'image à l'égard des autorités préfectorales et de police, causé par les accusations de l'appelante.

Au regard de la solution du litige, il n'est pas démontré une intention de nuire de la SCI Barbossi à l'égard de la société [E] [T].

En conséquence, les deux parties seront déboutées de leur demande de dommages et intérêts respectives et le jugement appelé, confirmé sur ces points.

Sur les demandes accessoires

En application des articles 696 à 700 du code de procédure civile et au regard de la solution du litige, il convient de faire masse des dépens et de les mettre à la charge des parties à hauteur de moitié chacune.

Les parties seront déboutées de leur demande respective au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il :

- a condamné la SCI Barbossi à reconstruire un ouvrage de franchissement du Vallon de Vallauris carrossable pour véhicule de fort tonnage, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à l'issue d'un délai de deux mois commençant à courir à compter de la signification du jugement,

- a condamné la SCI Barbossi aux dépens et aux frais irrépétibles ;

Le confirme sur le surplus ;

Statuant à nouveau,

Condamne la SCI Barbossi à verser à la société [E] [T] la somme de 18 621 euros (dix-huit mille six cent vingt et un euros) au titre des frais de reconstruction de l'ouvrage de franchissement du Vallon de Vallauris comprenant les frais d'études hydrologiques préalables ;

Fait masse des dépens et dit qu'ils seront partagés par moitié entre la SCI Barbossi et la société [E] [T] ;

Déboute la SCI Barbossi et la société [E] [T] de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 19/13653
Date de la décision : 09/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-09;19.13653 ?
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