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15/12/2022 | FRANCE | N°19/16226

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 15 décembre 2022, 19/16226


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 15 DECEMBRE 2022

hg

N°2022/ 512













Rôle N° RG 19/16226 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFBNX







[R] [U]

[P] [O] épouse [U]





C/



[I] [N]





































Copie exécutoire délivrée le :

à :



Me Claire BRUNA

>
Me Gaël FOMBELLE











Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE en date du 17 Mars 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 14/02261.





APPELANTS



Monsieur [R] [U]

né le 10 Mars 1981 à [Localité 13], demeurant [Adresse 2]



représenté par Me Claire BRUNA, avocat au...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 15 DECEMBRE 2022

hg

N°2022/ 512

Rôle N° RG 19/16226 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFBNX

[R] [U]

[P] [O] épouse [U]

C/

[I] [N]

Copie exécutoire délivrée le :

à :

Me Claire BRUNA

Me Gaël FOMBELLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE en date du 17 Mars 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 14/02261.

APPELANTS

Monsieur [R] [U]

né le 10 Mars 1981 à [Localité 13], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Claire BRUNA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Emmanuel HENRY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant

Madame [P] [O] épouse [U]

née le 07 Mars 1983 à [Localité 13], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Claire BRUNA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Emmanuel HENRY, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant

INTIME

Monsieur [I] [N]

né le 16 Juin 1953 à [Localité 11], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Gaël FOMBELLE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Octobre 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Hélène GIAMI, Conseiller, et Madame Patricia HOARAU, Conseiller, chargés du rapport.

Madame Hélène GIAMI, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Hélène GIAMI, Conseiller,faisant fonction de Président de chambre

Madame Laetitia VIGNON, Conseiller

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Décembre 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Décembre 2022.

Signé par Madame Laetitia VIGNON, Conseiller pour Madame Hélène GIAMI, Conseiller, faisant fontion de Président de chambre, empéchée et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

***

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES

[I] [N] a fait l'acquisition en 1981 d'une parcelle située [Adresse 1], cadastrée section [Cadastre 6], sur laquelle il a fait construire sa maison d'habitation ;

par acte du 23 octobre 1990 reçu par Me [Z], notaire, il a acquis de son voisin, [A] [C], propriétaire de la parcelle mitoyenne cadastrée [Cadastre 8], deux petites parcelles de terrain limitrophes, toutes en longueur, cadastrés [Cadastre 7] et [Cadastre 9] pour 29 m² au total;

un vieux chêne est planté en limite de propriété, sur la parcelle [Cadastre 9].

Les parties à l'acte du 23 octobre 1990 ont mentionné, au paragraphe consacré aux servitudes:

« Les parties précisent que sur le terrain vendu est implanté un chêne.

Le vendeur renonce dès à présent à tous les droits que lui réserve la loi relativement aux branches et aux racines de cet arbre (article 672 et 673 du code civil).

La volonté réciproque des parties est en effet de maintenir cet arbre dans son état naturel. Fonds intéressés n° 300 appartenant au vendeur, et parcelles [Cadastre 7], [Cadastre 9] et [Cadastre 6] appartenant à l'acquéreur comme il vient d'être dit »

Après le décès de [A] [C], la parcelle [Cadastre 8] a été vendue, avec d'autres parcelles, par ses héritiers à une SARL Le clos Julien en vue de la réalisation d'un lotissement.

Par acte notarié du 21 décembre 2010, [R] [U] et son épouse [P] [O] (les époux [U]) ont acquis un terrain à bâtir constituant le lot n°5 du lotissement « clos Julien » portant sur les parcelles cadastrées [Cadastre 10], [Cadastre 4] et [Cadastre 5], cette dernière étant issue de la parcelle [Cadastre 8], et le terrain ayant une superficie totale de 404 m².

En page 12 de l'acte, au paragraphe consacré aux servitudes, était rappelée celle créée par l'acte du 23 octobre 1990, publiée au bureau des hypothèques d'[Localité 3] le 16 novembre 1990, volume 90P n°72, telle que précédemment citée.

Les époux [U] ont obtenu un permis de construire par un arrêté du maire d'[Localité 12] du 9 décembre 2010 et les travaux de construction de leur maison ayant débuté en janvier 2011, ont été achevés le 1er avril 2014, sans contestation de leur conformité au permis de construire.

Le 28 janvier 2011, [I] [N] avait fait constater par huissier de justice qu'un tractopelle avait commencé à creuser les fondations sur une profondeur d'environ 1 m et que des ramifications de racines étaient visibles à proximité du chêne, certaines de taille importante allant jusqu'à environ 4 à 5 centimètres de diamètre.

Par exploit du 4 février 2011, [I] [N] a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence en vue d'obtenir l'arrêt des travaux et, subsidiairement, l'instauration d'une mesure d'expertise, mais l'ensemble de ses demandes a été rejeté par une ordonnance du 1er mars 2011.

Par acte du 31 mars 2014, [I] [N] a alors fait assigner les époux [U] devant le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence en vue d'obtenir, sur le fondement des articles 544, 672, 673, 686 et suivants et 1382 du code civil, leur condamnation à démolir :

-les ouvrages violant la servitude constituée aux termes de l'acte du 23 octobre 1990 (immeuble et piscine) sur une périphérie de 8 m autour du tronc de l'arbre,

-un conduit de cheminée construit en appendice en violation du permis de construire,

-l'immeuble construit en violation d'une servitude de vue et d'ensoleillement

et l'allocation de dommages et intérêts compensatoires de ses divers chefs de préjudice.

Le tribunal, par jugement du 17 mars 2016, a notamment :

-déclaré la clause de servitude reproduite dans les deux actes de vente des parties valide,

-avant-dire droit, ordonné une expertise et désigné pour y procéder M. [H] avec notamment pour mission de :

délimiter l'assiette de la servitude ;

indiquer si les constructions de M. et Mme [U] empiètent sur l'assiette de la servitude si les travaux liés à la construction ont notamment conduit à la coupe et à l'arrachage des racines et/ou des branches ;

dire si en l'état des constructions de M. et Mme [U], l'arbre litigieux est « maintenu dans son état naturel » ;

dans la négative, définir la zone du terrain de M. et Mme [U] à remettre en état ou à démolir pour que l'arbre retrouve son assiette protégée par la servitude et donc, son état naturel ;

définir et chiffrer le cas échéant les préjudices subis et notamment les préjudices résultant de l'atteinte portée à l'intégrité de l'arbre et de la violation de la servitude ;

dire si le conduit de cheminée de nature à porter atteinte à l'intégrité de l'arbre litigieux ;

dire si la construction du conduit de cheminée peut induire un incendie du fait de la présence de l'arbre et s'il est nécessaire de le détruire ;

dire si le conduit de cheminée a été construit conformément au permis de construire ;

-rejeté la demande de [I] [N] relative à la zone d'aggravation de la servitude,

-débouté [I] [N] de sa demande relative à la servitude de vue et d'ensoleillement,

-sursis à statuer sur les autres demandes.

Par déclaration du 20 mai 2016, les époux [U] ont fait appel total de ce jugement.

Par arrêt de cette cour en date du 7 décembre 2017, l'affaire a été retirée du rôle à la demande des parties.

A la demande des époux [U], elle a été rétablie le 9 octobre 2019.

Les époux [U] demandent à la cour (conclusions déposées le 9 octobre 2019 par le RPVA) de :

Vu les articles 544 et s., 552, 637, 672 et s., 1221 et 1240 (art 1382 ancien) du code civil,

Vu le principe de proportionnalité,

Vu le jugement entrepris du 17 mars 2016,

-dire recevable et bien fondé l'appel interjeté par eux,

-réformer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la servitude valide et ordonné une expertise.

-le confirmer en ce qu'il a rejeté la demande de Monsieur [N] relative à la zone d'aggravation de la servitude et l'a débouté de sa demande relative à la servitude de vue et d'ensoleillement.

-dire et juger que la renonciation aux droits tirés des articles 672 et 673 du code civil ne constitue pas une servitude.

subsidiairement,

-constater que la servitude litigieuse emporte empiétement sur le fonds [U],

-dire et juger en conséquence nulle et de nul effet la servitude litigieuse et qu'il appartiendra à la partie la plus diligente de faire publier le jugement,

-dire et juger n'y avoir lieu à expertise,

très subsidiairement,

-dire et juger que la « servitude » initialement consentie sur la parcelle [Cadastre 8] ne concerne que la parcelle [Cadastre 5] dont celle-ci est issue et non les parcelles [Cadastre 10] & [Cadastre 4], issues de parcelles libres de toute servitude, sur lesquelles les concluants pourront librement et à tout moment exercer les droits tirés des articles 672 et 673 du code civil,

si une expertise devait être ordonnée,

-dire et juger que celle-ci sera limitée aux seules éventuelles infractions à l'engagement de ne pas faire appliquer les droits tirés des article 672 et 673 du code civil, ne pourra porter ni sur des chefs visant à transformer la nature de la servitude ou l'étendre sur une assiette autre que les parcelles issues de la parcelle [Cadastre 8], ni entraîner la démolition des ouvrages construits sur les parcelles [U],

-dire et juger n'y avoir lieu à lieu à étendre l'expertise concernant la cheminée, d'éventuelles vues droites ou oblique, les pertes de vues ou d'ensoleillement alléguées.

en tout état de cause,

-débouter Monsieur [N] de toutes ses demandes plus amples ou contraires,

-constater le caractère abusif et malveillant de la procédure intentée par Monsieur [N] et de ses demandes,

-le condamner reconventionnellement à leur verser la somme de 15 000 euros pour abus du droit d'ester en justice.

-le condamner à verser la somme de 6 850 euros, outre les entiers dépens, distraits au profit de Me Claire Bruna sur ses offres de droit.

[I] [N] demande à la cour dans ses conclusions déposées le 27 octobre 2022 par le RPVA, de :

Vu les articles 544, 672, 673, 686 et suivants, 701 et suivants, 1134, 1135, 1382 du code civil,

Vu l'article 568 du code de procédure civile,

Vu le jugement avant dire droit dont appel,

Vu les explications qui précèdent et l'ensemble des pièces produites aux débats.

I. sur la servitude relative a l'arbre :

- confirmer le jugement avant dire droit, en ce qu'il a déclaré la clause de servitude

reproduite dans les deux actes de vente des parties valide.

- réformer le jugement avant dire droit sur le surplus,

et en conséquence, usant de la faculté d'évocation prévue à l'article 568 du code de

procédure civile, :

à titre principal :

- dire et juger que les époux [U] ont violé la servitude relative à l'arbre, ses racines

et ses branches, en coupant des branches lors des travaux.

- dire et juger que la construction édifiée par les époux [U], constitue une violation de

la servitude relative à l'arbre, ses racines et ses branches.

- condamner solidairement les époux [U] d'avoir, à leurs frais, à remettre les lieux en l'état et en conséquence d'avoir à démolir les ouvrages violant la servitude (immeuble et piscine) sur une périphérie de 8 mètres autour du tronc de l'arbre ou à tout le moins sur telle portion définie par expert judiciaire, et ce sous astreinte de 300 € par jour de retard passé le délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir.

- dire et juger que la construction édifiée par les époux [U], constitue une violation de la servitude de vue et d'ensoleillement.

- condamner solidairement les époux [U] à payer à Monsieur [N] une indemnité de 10 000 € en réparation du préjudice moral subi en raison de sa volonté délibérée de porter atteinte à la servitude ; les époux [U] ayant poursuivi les constructions en violation des droits des tiers, en l'état de contestations opposées par Monsieur [N], et en conséquence à leurs risques et périls.

à titre très subsidiaire :

- désigner, avant dire droit tel expert judiciaire, spécialisé en arboriculture, avec la mission habituelle en la matière, et notamment de :

- convoquer les parties, prendre connaissance des titres des parties, se faire remettre tous documents utiles à sa mission et les analyser ;

- faire toutes les recherches nécessaires et se faire communiquer par les notaires et administrations concernées tous documents qui paraîtront utiles et les analyser ;

- accéder aux lieux litigieux, les décrire en dresser un plan détaillé et côté ;

- délimiter l'assiette de la servitude au jour où celle-ci aurait été violée par les travaux de construction ;

- indiquer si les constructions des époux [U] empiètent sur l'assiette de la servitude et si les travaux liés à sa construction ont notamment conduit à la coupe ou l'arrachage de racines et/ou des branches ;

- définir la zone du terrain des époux [U] à remettre en état ou à démolir pour que l'arbre retrouve entièrement son assiette protégée par la servitude.

- définir une zone d'aggravation permettant à l'arbre de s'épanouir dans le temps et sur laquelle ne pourra être édifiée aucune construction.

- définir et chiffrer tous les préjudices subis et notamment d'une part des préjudices résultant de l'atteinte portée à l'intégrité de l'arbre et d'autre part de la violation de la servitude.

- condamner solidairement les époux [U] à consigner les frais d'expertise, sous

astreinte de 200 € par jour de retard passé le délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, et réserver la liquidation de l'astreinte en tant que de besoin. très subsidiairement, laisser à la charge Monsieur [N], la consignation des frais d'expertise.

- renvoyer le cas échéant l'affaire à une date ultérieure pour qu'il soit statué après dépôt du rapport d'expertise judiciaire.

à titre infiniment subsidiaire, si la cour estimait ne pas y avoir lieu d'ordonner la démolition, ou par impossible de retenir une violation de la servitude, il conviendrait dans tous les cas de :

- condamner solidairement les époux [U] à payer à Monsieur [N] une indemnité de 60 000 € en réparation des préjudices subis.

II. Sur le conduit de cheminée édifié en violation du permis de construire :

- ordonner la démolition du conduit de cheminée construit en appendice, en violation du permis de construire, et ce sous astreinte de 300 € par jour de retard passé le délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir.

III. sur la violation de la servitude de vue et d'ensoleillement :

- dire et juger que la construction édifiée par les époux [U], constitue une violation de la servitude de vue et d'ensoleillement.

- condamner solidairement les époux [U] d'avoir, à leurs frais, à remettre les lieux en l'état et en conséquence d'avoir à démolir l'immeuble construit, ou à tout le moins sur telle portion définie par expert judiciaire, et ce sous astreinte de 300€ par jour de retard passé le délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir.

- très subsidiairement, condamner solidairement les époux [U] à lui payer une indemnité de 60 000 € en réparation des troubles de jouissance relatifs à la servitude de vue et d'ensoleillement.

IV. sur les frais irrépétibles et les dépens en ce compris les frais de constats par huissier de justice :

- condamner solidairement les époux [U] à lui payer la somme de 6 850 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel, en ce compris les frais de constats d'huissier de justice établis par la SCP Ferrandino Mayor le 11 août 2010, le 12 août 2010 et le 28 janvier 2011.

L'ordonnance de clôture est en date du 27 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION:

Sur l'étendue de la saisine de la cour :

Le jugement n'est pas critiqué en ce qu'il rejette la demande de [I] [N] relative à la zone d'aggravation de la servitude.

En application de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties.

Il résulte de l'examen des dispositifs des conclusions des parties qu'ils comportent des demandes exprimées sous la forme de « constater », « dire et juger », qui constituent des rappels de moyens et non des prétentions.

Dès lors, la cour n'est pas saisie de prétentions de ces chefs.

Sur l'existence d'une servitude :

L'acte du 23 octobre 1990 mentionne, au paragraphe consacré aux servitudes:

« Les parties précisent que sur le terrain vendu est implanté un chêne.

Le vendeur renonce dès à présent à tous les droits que lui réserve la loi relativement aux branches et aux racines de cet arbre (article 672 et 673 du code civil).

La volonté réciproque des parties est en effet de maintenir cet arbre dans son état naturel. Fonds intéressés n° 300 appartenant au vendeur, et parcelles [Cadastre 7], [Cadastre 9] et [Cadastre 6] appartenant à l'acquéreur comme il vient d'être dit »

Les époux [U] prétendent en premier lieu que la renonciation aux droits tirés des articles 672 et 673 du code civil ne constitue pas une servitude.

Aux termes de l'article 686 du code civil, « il est permis aux propriétaires d'établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n'aient d'ailleurs rien de contraire à l'ordre public.

L'usage et l'étendue des servitudes ainsi établies se règlent par le titre qui les constitue... »

La rédaction de la clause dans l'acte du 23 octobre 1990 doit s'analyser comme une servitude en ce qu'elle vise les fonds concernés, a été publiée au bureau des hypothèques d'[Localité 3] le 16 novembre 1990, volume 90P n°72, puis mentionnée dans l'acte d'acquisition des époux [U], qui se trouvent ainsi tenus par l'engagement de leur auteur, pris en sa qualité de propriétaire du fonds 300, à « renoncer à tous les droits que leur réserve la loi relativement aux branches et aux racines de cet arbre (article 672 et 673 du code civil) ».

Ledit engagement ayant été pris selon la commune volonté des parties de « maintenir l'arbre dans son état naturel » ne se limitait pas à une obligation personnelle, mais concernait bien les propriétaires successifs des terrains concernés.

En cela, ils ont bien créé une servitude interdisant aux propriétaires du fonds 300 de se prévaloir des droits tirés des articles 672 et 673 du code civil.

Les époux [U] prétendent en second lieu, et à titre subsidiaire, que la servitude litigieuse emporte empiétement sur leur fonds, ce qui la rend nulle et de nul effet.

Mais contrairement à ce qu'ils prétendent, cette servitude ne les prive pas de tous leurs droits de propriétaires sur leur fonds, dès lors qu'ils conservent le droit d'occuper le lieu situé au dessus des racines et au dessous des branches de l'arbre.

Aucune nullité de la servitude constituée ne peut être déduite de ce qu'elle les priverait de tout droit sur leur fonds.

C'est à juste titre, en troisième lieu que les époux [U] précisent que la servitude consentie emportant renonciation à se prévaloir des articles 672 et 673 ne grève que la parcelle [Cadastre 8], et par conséquent que la parcelle [Cadastre 5] qui en est issue, à l'exclusion des parcelles [Cadastre 10] et [Cadastre 4], qui ne proviennent pas de la division de la parcelle [Cadastre 8].

Sur les conséquences de la servitude :

Prétendant à la violation de cette servitude, [I] [N] sollicite la condamnation des époux [U] à remettre les lieux en l'état et en conséquence, à démolir les ouvrages violant la servitude (immeuble et piscine) sur une périphérie de 8 mètres autour du tronc de l'arbre ou à tout le moins sur telle portion définie par expert judiciaire.

Pour établir l'atteinte portée à la servitude et le danger en résultant pour l'arbre, [I] [N] produit aux débats :

-le procès-verbal établi par huissier de justice le 28 janvier 2011, à sa demande, constatant la présence d'un tractopelle sur le site et d'une tranchée à environ 3 m de la clôture, parallèle à celle-ci, faisant apparaître des ramifications de racines, certaines allant jusqu'à environ 4 à 5 centimètres de diamètre, et relevant qu'un ensemble de buissons longent le clôturage entre la zone du chêne et la zone d'excavation réalisée,

-des photographies du chêne (pièces 12, 14, 29 à 33 et 37) prises par ses soins,

-des attestations rédigées en 2011, de :

-[D] [G] suivant lequel des branches du chêne de Monsieur [N], celles à hauteur d'homme, ont été sectionnées, alors que j'ai connu ces branches nombreuses, vigoureuses majestueuses, à cette hauteur ;

-[K] [F], suivant lequel les branches du chêne de Monsieur [N] qui descendaient sur le terrain voisin à environ deux mètres du sol ont été coupées pour permettre la construction ;

-[Y] [X], suivant lequel, depuis la construction récente, certaines branches (du chêne de Monsieur [N]) ont disparu ;

-[V] [M], suivant lequel pour faciliter les travaux et implanter le corps du bâtiment, les branches du chêne protégé ont été sectionnées ;

-[S] [E] attestant en 2015 que la trace des coupes nettes de certaines branches du chêne est visible en cette saison où les feuilles sont tombées.

S'il ressort de ces éléments la preuve suffisante que des branches de l'arbre protégé ont été coupées en 2011, rien ne permet d'établir que les constructions édifiées soient implantées de telle manière qu'elles empêchent l'épanouissement de l'arbre, et que seule leur démolition permettrait de le maintenir dans son état naturel, cette sanction ne paraissant pas appropriée à faire cesser la violation de la servitude instituée.

Il convient de rejeter la demande de [I] [N] tendant à voir condamner solidairement les époux [U] à remettre les lieux en l'état et en conséquence, à démolir les ouvrages violant la servitude (immeuble et piscine) sur une périphérie de 8 mètres autour du tronc de l'arbre.

Par ailleurs, plus de dix ans sont passés depuis les coupes et constructions dénoncées et l'arbre est toujours en place, les photographies et documentations générales produites étant totalement insuffisantes à établir qu'il dépérit en l'absence de tout examen particulier dudit arbre par un professionnel.

Il n'est justifié d'aucun préjudice moral affectant [I] [N] qui découlerait de la taille de branches de l'arbre en contravention avec la servitude, dès lors que l'existence de l'arbre n'est pas compromise.

Sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral sera donc rejetée.

Sur la demande subsidiaire d'expertise :

La désignation d'un expert n'étant pas destinée à suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve, il n'y a pas lieu de recourir à une telle mesure, qui au surplus n'est demandée qu'à titre subsidiaire après plus de dix ans de procédure, le jugement étant infirmé en ce qu'il a accueilli cette demande.

Sur la demande de démolition du conduit de cheminée :

Faisant valoir qu'une cheminée a été construite en violation du permis de construire, et que les fumées qui s'en dégagent peuvent avoir des conséquences sur la santé du chêne, [I] [N] en sollicite la démolition.

Il lui appartient d'établir la réalité de l'infraction au permis de construire et le préjudice qui en découle pour lui dans les conditions prévues par l'article 1382 devenu 1240 du code civil.

Or, les époux [U] établissent avoir déposé une déclaration préalable de travaux pour la pose « d'un conduit de cheminée (40x40) régularisation dépassement de toiture de 60 cms » le 27 juillet 2016 pour laquelle ils ont obtenu le 14 août 2017 une attestation d'achèvement et de conformité des travaux.

La preuve d'une 'infraction au permis de construire n'est donc pas démontrée.

Par ailleurs, les photographies produites par [I] [N] n'établissent aucunement la réalité d'un danger causé par cette cheminée.

Cette demande doit être rejetée, le jugement étant infirmé en ce qu'il a missionné l'expert sur ce point.

Sur la demande de démolition de l'immeuble construit, ou à tout le moins sur

telle portion définie par expert judiciaire :

Sur la seule base du permis de construire délivré aux époux [U] et de photographies prises par ses soins, [I] [N] entend obtenir la démolition « de l'immeuble construit » aux motifs d'une violation de la servitude de vue et d'ensoleillement ou d'un trouble anormal de voisinage.

Rien ne permet d'établir que des vues aient été créées en infraction aux règles posées par les articles 678 et 679 du code civil.

Il ne justifie pas du bénéfice d'une quelconque servitude de vue et d'ensoleillement.

Par ailleurs, le trouble anormal de voisinage découle des règles posées par les articles 544 et 651 du code civil, suivant lesquelles «la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.» et « la loi assujettit les propriétaires à différentes obligations l'un à l'égard de l'autre, indépendamment de toute convention. »

La limite au droit de propriété est que nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage, et qu'à défaut, il en devra réparation, même en l'absence de faute.

L'anormalité du trouble doit s'apprécier au regard des circonstances locales, et doit présenter un caractère grave et répété, dépassant les inconvénients normaux de voisinage, sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute de son auteur.

Il appartient à celui qui invoque le trouble anormal de voisinage d'en rapporter le preuve.

Or, pas plus qu'en première instance, [I] [N] ne rapporte la preuve que la construction édifiée par ses voisins dans les conditions prévues par les règles d'urbanisme ayant permis la création d'un lotissement au sud de sa parcelle, lui cause un préjudice dépassant les inconvénients normaux de voisinage quant à une perte d'ensoleillement ou de vue.

Le jugement ayant rejeté cette demande sera donc confirmé, [I] [N] étant débouté à la fois de sa demande de démolition de l'immeuble construit, ou à tout le moins sur telle portion définie par expert judiciaire, et de sa demande indemnitaire de 60 000 €.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :

Le droit d'agir en justice ne dégénère en abus que si une légèreté blâmable, une intention de nuire, de la mauvaise foi ou une erreur grossière équipollente au dol, est caractérisée.

En l'espèce, alors même que les demandes de démolition sont totalement infondées, l'action engagée par [I] [N] est liée à la nature de la servitude dont il bénéficie alors qu'elle lui était contestée et qui nécessitait quelques précisions.

Il n'y a pas lieu de le condamner à des dommages et intérêts pour procédure abusive.

Cette demande sera rejetée.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Succombant en ses prétentions, [I] [N] sera condamné aux dépens, ainsi qu'à payer la somme de 6 850 € aux époux [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

-déclaré la clause de servitude reproduite dans les deux actes de vente des parties valide,

-débouté [I] [N] de sa demande relative à la servitude de vue et d'ensoleillement,

Pour le surplus, l'infirme et statuant à nouveau,

Rejette la demande de [I] [N] tendant à voir condamner solidairement les époux [U] à remettre les lieux en l'état et en conséquence, à démolir les ouvrages violant la servitude (immeuble et piscine) sur une périphérie de 8 mètres autour du tronc de l'arbre,

Rejette sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

Rejette sa demande subsidiaire d'expertise,

Rejette sa demande de démolition de l'immeuble construit, ou à tout le moins sur telle portion définie par expert judiciaire,

Rejette sa demande indemnitaire de 60 000 €,

Rejette sa demande de démolition du conduit de cheminée,

Rejette la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive des époux [U],

Vu les articles 696 à 700 du code de procédure civile,

Condamne [I] [N] aux dépens, avec distraction pour ceux d'appel dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile, et à payer 6 850 euros aux époux [U] en application de l'article 700 du code de procédure civile, au total pour la procédure de première instance et d'appel.

Le greffier Pour le président empêché


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 19/16226
Date de la décision : 15/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-15;19.16226 ?
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