COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-3
ARRÊT AU FOND
DU 15 DECEMBRE 2022
N° 2022/290
N° RG 19/14818 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BE5FB
Société EUROVIA PROVENCE ALPES COTED'AZUR
C/
[O] [K]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Isabelle FICI
Me Paul GUEDJ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 11 Juillet 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 16/05500.
APPELANTE
SAS EUROVIA PROVENCE ALPES COTED'AZUR, anciennement EUROVIA MEDITERRANEE, RCS d'Aix-en-Provence sous le N°307191015, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Isabelle FICI de la SELARL LIBERAS FICI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
assistée par Me Ahmed-Cherif HAMDI de la SELAS FAURE - HAMDI GOMEZ & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant
INTIME
Monsieur [O] [K]
né le 26 Décembre 1946 à [Localité 9], demeurant Lieu dit [Localité 8] - [Adresse 7]
représenté par Me Paul DAVAL de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté par Me Alexandre ZAGO de la SELAS LAWTEC - SOCIÉTÉ D'AVOCATS, avocat au barreau de NICE substitué par Me Valentine TORDO, avocat au barreau de NICE, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 28 Octobre 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Mme Florence TANGUY, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Présidente
Mme Béatrice MARS, Conseillère
Mme Florence TANGUY, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Caroline BURON.
Directrice des services de greffe judiciaires lors du prononcé : Madame Aurélie MAUREL
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Décembre 2022.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Décembre 2022,
Signé par Madame Béatrice MARS, pour la Présidente empêchée et Madame Aurélie MAUREL, directrice des services de greffe judiciaires auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
M. [O] [K], propriétaire d'une parcelle cadastrée section CM n° [Cadastre 2] sise à [Localité 10], [Adresse 6], se plaignant que les travaux de démolition et de reconstruction d'un bâtiment sur les parcelles contiguës cadastrées section CM n° [Cadastre 3] à [Cadastre 4] et CM n° [Cadastre 5] auraient causé des désordres à son bien immobilier, a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Grasse d'une demande d'expertise à laquelle il a été fait droit par ordonnance de référé du 21 octobre 2013. M. [Z] a été désigné en qualité d'expert et a été, ultérieurement, remplacé par M. [G].
En lecture du rapport déposé le 11 juin 2015, M. [K] a assigné devant le tribunal de grande instance de Grasse la société Eurovia Méditerranée (la société Eurovia), chargée du lot démolition et VRD du chantier, en indemnisation de ses préjudices sur le fondement de l'article 1382 du code civil et de la théorie des troubles de voisinage.
Par jugement du 11 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Grasse a':
-condamné la société Eurovia Provence Alpes Côte d'Azur à payer à M. [O] [K], au titre des troubles anormaux de voisinage causés, la somme de 43 361,43 euros pour les réparations à effectuer, outre la somme de 2 000 euros pour le trouble de jouissance durant les travaux de reprise';
-condamné la société Eurovia Provence Alpes Côte d'Azur à payer à M. [O] [K] la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile';
-condamné la société Eurovia Provence Alpes Côte d'Azur au paiement des entiers dépens en ce compris le coût de l'expertise judiciaire';
-ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration du 20 septembre 2019, la société Eurovia a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions remises au greffe le 15 mars 2022, et auxquelles il y a lieu de se référer, elle demande à la cour :
-vu les articles 9 et 16 du code de procédure civile,
-vu la théorie jurisprudentielle du trouble anormal de voisinage,
-d'infirmer et réformer le jugement dont appel au titre des points suivants et en ce qu'il :
*a condamné la société Eurovia Provence Alpes Côte d'Azur à payer à M. [O] [K], au titre des troubles anormaux de voisinage causés, la somme de 43 361,43 euros pour les réparations à effectuer, outre la somme de 2 000 euros pour le trouble de jouissance durant les travaux de reprise,
*n'a pas dit et jugé que M. [K] ne rapporte pas la preuve des faits nécessaires au succès de ses prétentions et, notamment, d'un lien de causalité direct et certain entre le trouble anormal de voisinage allégué et les travaux effectivement réalisés par la société Eurovia Provence Alpes Côte d'Azur,
*n'a pas dit et jugé que M. [K] n'est pas fondé à rechercher la société Eurovia Provence Alpes Côte d'Azur du fait de son sous-traitant et, ce, quel que soit le fondement envisagé,
*n'a pas condamné M. [K] à verser à la société Eurovia Provence Alpes Côte d'Azur la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre entiers dépens,
*a condamné la société Eurovia Provence Alpes Côte d'Azur à payer à M. [O] [K] la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
*a condamné la société Eurovia Provence Alpes Côte d'Azur au paiement des entiers dépens, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire,
*a ordonné l'exécution provisoire,
-et statuant à nouveau :
-de juger que le premier juge ne s'est pas conformé au principe du contradictoire, notamment en rejetant les arguments et demandes de la société Eurovia au fondement d'une prétendue absence de production aux débats de pièces visées au bordereau de la concluante et même du demandeur, alors qu'il lui incombait d'inviter préalablement les parties à s'expliquer sur l'absence au dossier d'une pièce qui figurait au bordereau annexé aux dernières conclusions,
-d'infirmer la décision dont appel de ce premier chef,
-de juger que M. [K] ne rapporte pas la preuve des faits nécessaires au succès de ses prétentions,
-de juger que M. [K] ne rapporte pas la preuve dont la charge lui incombe d'un trouble anormal de voisinage imputable à la société Eurovia Provence Alpes Côte d'Azur et pas davantage du reste d'une faute, comme relevé par le premier juge,
-de juger que M. [K] ne rapporte pas la preuve dont la charge lui incombe d'un lien de causalité direct et certain entre le trouble anormal de voisinage par lui allégué et les travaux effectivement réalisés par la société Eurovia Provence Alpes Côte d'Azur et pas davantage du reste avec la faute qu'il alléguait également en première instance,
-de juger que M. [K] n'est pas fondé à rechercher la société Eurovia Provence Alpes Côte d'Azur du fait de son sous-traitant et, ce, quel que soit le fondement par lui envisagé,
-de juger qu'il incombe à M. [K], en tout état de cause, de rechercher la responsabilité du seul voisin occasionnel éventuellement responsable d'un trouble, à savoir la société sous-traitante de la société Eurovia Paca, cette dernière n'étant pas responsable du fait litigieux qui aurait occasionné un trouble anormal de voisinage,
-de juger que M. [K] sollicite notamment la somme de 37 512,11 euros, alors qu'il indique lui-même que les travaux intérieurs ont été réalisés et qu'il ne vise aucunement ceux-ci alors même que c'est bien le montant total du devis qui est sollicité,
-de juger qu'il incombe au demandeur de justifier, dans le détail, des montants qu'il sollicite et que celui-ci sollicite des sommes ne participant pas de ses préjudices réparables et maintient une demande globale, alors qu'il n'incombe pas à la concluante et pas davantage encore aux juridictions de se substituer à lui dans l'établissement d'une prétention recevable et fondée,
-de juger qu'il n'est pas démontré par M. [K] que les fissures ayant affecté les génoises aient fait obstacle, ou même diminué, l'usage même du bien, outre que l'expert judiciaire n'a aucunement indiqué que les travaux dureraient de nombreux mois,
-en conséquence et en tout état de cause,
-de débouter purement et simplement M. [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et de réformer la décision dont appel en toutes ses dispositions critiquées dans le cadre du présent appel,
-de condamner M. [K] à verser à la concluante la somme de 5 000 euros (montant que celui-ci sollicitait en première instance) au fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre entiers dépens de première instance,
-de condamner le même à verser à la concluante la somme de 3 000 euros au fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, outre entiers dépens d'appel.
-de rejeter toutes demandes, fins et conclusions contraires aux présentes écritures.
Par conclusions remises au greffe le 22 juillet 2022, et auxquelles il y a lieu de se référer, M. [K] demande à la cour :
-vu l'article 1240 du code civil (anciennement 1382 du code civil),
-de rejeter l'appel de la société Eurovia Provence Alpes Côte d'Azur,
-de confirmer le jugement de première instance dans toutes ses dispositions,
-de condamner la société Eurovia Provence Alpes Côte d'Azur au paiement d'une somme de 5 000 euros au profit de M. [K] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 septembre 2022.
Motifs':
L'expert a constaté les désordres suivants':
*tous les angles de la villa sont fissurés,
*la façade Est est la moins affectée,
*la façade Nord comporte des désordres de fissures de maçonnerie, une génoise gravement dégradée,
*la façade Ouest comporte des fissures horizontales au niveau du plancher haut du rez-de-chaussée, la génoise est affectée,
*la façade Sud comporte de larges éclats d'enduits, des fissures d'angle, une génoise largement fissurée, les chéneaux sont dégradés,
*à l'intérieur de l'habitation, certains désordres sont signalés, cuisine côté gauche': fissure en plafond, une seconde fissure au plafond au centre, une troisième fissure au droit de la hotte, traces d'infiltration dans un placard dans l'une des chambres.
Il conclut que la cause des désordres est mécanique': lors des travaux de compactage réalisés par les entreprises, les vibrations provoquées à proximité immédiate se sont propagées et ont affecté l'habitation de M. [K].
La société Eurovia conteste l'existence d'un lien de causalité entre les travaux qu'elle a réalisés et les dommages à l'immeuble de M. [K] aux motifs que':
-l'immeuble de M. [K] présentait un état de vétusté,
-le siège des désordres se situe essentiellement dans les génoises,
-les dates des travaux de compactage et de l'apparition des dommages ne coïncident pas,
-d'autres travaux auraient été réalisés par d'autres entreprises, notamment les fondations,
-M. [K] aurait ressenti des vibrations à l'époque de ces travaux effectués par des tiers,
-elle n'a pas utilisé un compacteur très puissant,
-elle a sous-traité les travaux litigieux.
M. [K] agit contre la société Eurovia chargée du lot démolition/VRD sur le fondement de la faute et du trouble anormal de voisinage.
Il ressort du contrat du 10 septembre 2012 que la société Eurovia a sous-traité les travaux de démolition et terrassement à la Société travaux constructions matériaux. Or, le fait pour l'entrepreneur principal d'avoir sous-traité l'exécution des travaux ne suppose pas qu'il ait conservé la responsabilité du chantier ainsi que sa direction et son contrôle.
Il appartient donc à M. [K] de rapporter la preuve d'une faute de l'entrepreneur principal.
Cependant, l'intimé n'établit pas':
-que l'entrepreneur principal avait à répondre des actes de son sous-traitant en l'absence de preuve qu'il avait une quelconque autorité sur lui,
-que l'entrepreneur principal ait commis une quelconque faute dans le choix d'un sous-traitant incompétent.
Par ailleurs, le lien d'imputabilité ou de causalité entre l'activité de l'entrepreneur principal dont la responsabilité est recherchée et le trouble subi n'est pas caractérisé.
L'entrepreneur principal, qui n'est pas l'auteur du trouble invoqué, puisqu'il n'a pas réalisé les travaux, n'est pas non plus responsable envers les tiers des dommages causés par son sous-traitant dont il n'est pas le commettant.
Ainsi, l'action de M. [K] dirigée contre la société Eurovia ne peut prospérer ni sur le fondement de la faute ni sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.
Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions.
Par ces motifs':
Statuant publiquement et contradictoirement
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions';
Statuant à nouveau';
Déboute M. [O] [K] de toutes ses demandes';
Condamne M. [O] [K] à payer à la société Eurovia la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';
Condamne M. [O] [K] aux dépens de première instance qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire et aux dépens d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés contre lui conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA DIRECTRICE DES SERVICES P/O LA PRÉSIDENTE
DE GREFFE JUDICIAIRES