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08/12/2022 | FRANCE | N°19/14754

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 08 décembre 2022, 19/14754


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 08 DECEMBRE 2022

hg

N°2022/500













Rôle N° RG 19/14754 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BE47S







[I] [T]

[F] [O] épouse [T]





C/



[H] [X]

[F] [K] épouse [X]





































Copie exécutoire délivrée le :

à :



Me Laurent CHOUETTE



l'ASSOCIATION CABINET GARBAIL AVOCATS ASSOCIES





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 15 Juillet 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 16/04421.





APPELANTS



Monsieur [I] [T]

demeurant [Adresse 3]



représenté par Me Laurent CHOUETTE...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 08 DECEMBRE 2022

hg

N°2022/500

Rôle N° RG 19/14754 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BE47S

[I] [T]

[F] [O] épouse [T]

C/

[H] [X]

[F] [K] épouse [X]

Copie exécutoire délivrée le :

à :

Me Laurent CHOUETTE

l'ASSOCIATION CABINET GARBAIL AVOCATS ASSOCIES

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 15 Juillet 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 16/04421.

APPELANTS

Monsieur [I] [T]

demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Laurent CHOUETTE, avocat au barreau de TOULON , plaidant

Madame [F] [O] épouse [T]

demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Laurent CHOUETTE, avocat au barreau de TOULON , plaidant

INTIMES

Monsieur [H] [X]

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Thierry GARBAIL de l'ASSOCIATION CABINET GARBAIL AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON substituée par Me Anaïs GUE, avocat au barreau de TOULON , plaidant

Madame [F] [K] épouse [X]

demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Thierry GARBAIL de l'ASSOCIATION CABINET GARBAIL AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON substituée par Me Anaïs GUE, avocat au barreau de TOULON, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Octobre 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Hélène GIAMI, Conseiller, et Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, chargés du rapport.

Madame Hélène GIAMI, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Hélène GIAMI, Conseiller, faisant fontion de Président de chambre

Madame Laetitia VIGNON, Conseiller

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 08 Décembre 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Décembre 2022.

Signé par Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, pour Madame Hélène GIAMI, Conseiller, faisant fontion de Président de chambre, empéchée et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE - MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Depuis le 29 juin 2001, [H] [X] et son épouse [F] [K] (les époux [X]) sont propriétaires d'un terrain de 442 m² situé [Adresse 3], cadastré section H n°[Cadastre 2], constituant le lot 20 du lotissement « Impérial Parc », sur lequel ils ont édifié une maison d'habitation en R+1, entre le 11 octobre 2001 et le 30 mai 2002.

[I] [T] et son épouse [F] [O] (les époux [T]), propriétaires du lot 19 de 405 m², contigu au sud et en amont de celui des époux [X], ont fait édifier leur maison en R+1, suivant permis de construire n°8306900YC147 délivré le 15 mars 2001, et achevée le 12 mars 2002, suivant décharge de la déclaration d'achèvement des travaux, donnée par la mairie de [Localité 4] à cette date.

Les époux [X] se plaignant du non-respect de la réglementation en terme d'ouvertures et d'altimétrie résultant de l'édification de l'ouvrage et de remblaiement, ont obtenu la désignation d'un expert judiciaire, par ordonnance du 19 octobre 2012 du président du tribunal de grande instance de Toulon.

L'expert, [U] [P], a déposé son rapport le 17 avril 2015.

Par acte d'huissier du 22 août 2016, les époux [X] ont fait assigner les époux [T] devant le tribunal de grande instance de Toulon en indemnisation de leurs préjudices, en sollicitant essentiellement, par leurs dernières conclusions, de :

-Condamner in solidum et sous astreinte les époux [T] à procéder au décaissement du remblai situé au confront de la parcelle [X] sur la largeur de 1,90 m visée à l'article 678 du code civil et sur une hauteur de 2,20 m,

-Condamner in solidum les époux [T] à leur payer les sommes de :

.108 000 € à titre d'indemnisation de leur trouble anormal de voisinage.

3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance y compris ceux du référé et de l'expertise judiciaire, avec distraction,

-Dire et juger qu'à défaut de règlement spontané des condamnations à intervenir et d'exécution forcée par un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier en application de l'article 10 du Décret du 8.03.2001 portant modification du Décret du 12.12.1996 sur le tarif des huissiers, sera supporté in solidum par les époux [T].

-Débouter les époux [T] de leurs demandes.

-Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Par jugement du 15 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Toulon a statué en ces termes :

Vu le rapport d'expertise de [U] [P] en date du 17 avril 2015,

rejette l'exception de nullité formée par [I] [T] et [F] [O] épouse [T] au titre de l'assignation ;

rejette la demande de nullité formée par [I] [T] et [F] [O] épouse [T] au titre du rapport d'expertise judiciaire ;

condamne in solidum [I] [T] et [F] [O] épouse [T] à procéder au décaissement du remblai de leur parcelle lot 19 du lotissement « impérial parc » sise [Adresse 3], située au confront nord en limite de la parcelle de [H] [X] et [F] [K] épouse [X], sur une largeur de 1,90 mètre et sur une hauteur de 2,20 mètres, dans un délai de 6 mois à compter de la signification de la décision ;

dit que passé ce délai, faute pour [I] [T] et [F] [O] épouse [T] de procéder au retrait ordonné, ils seront in solidum tenus à une astreinte de 150 € par jour de retard ;

condamne in solidum [I] [T] et [F] [O] épouse [T] à verser à [H] [X] et [F] [K] épouse [X] la somme de 64 800 € en indemnisation du trouble anormal de voisinage ;

condamne in solidum [I] [T] et [F] [O] épouse [T] à payer à [H] [X] et [F] [K] épouse [X] la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

déboute [H] [X] et [F] [K] épouse [X] de la demande formée au titre de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 ;

condamne in solidum [I] [T] et [F] [O] épouse [T] aux dépens en ce compris les frais d'instance de référé et d'expertise judiciaire ;

dit que les dépens seront distraits, conformément à l'article 699 du code de procédure civile, au profit des avocats qui en ont fait la demande ;

rejette la demande d'exécution provisoire ;

rejette le surplus des demandes ;

Pour le premier juge :

-en remblayant devant leur maison, côté nord, jusqu'au mur séparant les deux parcelles, les époux [T] ont enfreint les dispositions relatives aux vues (article 678 du code civil )

-le trouble anormal de voisinage est caractérisé par le remblai, la hauteur de la construction, les ouvertures qui y sont pratiquées et le mur de soutènement en limite des fonds, (sans respect du permis de construire et des règles d'urbanisme)

-la perte de valeur de la maison [X] est évaluée à 15% au lieu des 25% demandés.

Par déclaration du 19 septembre 2019 les époux [T] ont fait appel de cette décision.

Aux termes de leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 18 mai 2020 auxquelles il convient de se référer pour un exposé détaillé des moyens et prétentions, [I] [T] et [F] [O] épouse [T] entendent voir:

infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

et, statuant à nouveau,

-dire et juger que l'action des époux [X] a été irrégulièrement introduite faute d'avoir justifié d'une quelconque tentative de résolution amiable préalable du conflit après dépôt du rapport de l'expert, par application de l'article 56 du code de procédure civile.

-ordonner en tant que de besoin une telle mesure,

subsidiairement,

-dire et juger que le rapport de l'expert [U] [P] est nul pour ne pas avoir respecté dans la conduite des opérations, y compris techniques et auditions de sachants, le principe du contradictoire, et à tout le moins qu'il est inopposable aux époux [T].

en tout état de cause,

-débouter les époux [X] de l'ensemble de leurs demandes comme étant

irrecevables et à tout le moins dénuées de fondement.

-condamner in solidum [H] [X] et [F] [K] épouse [X] à leur verser la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

-condamner in solidum [H] [X] et [F] [K] épouse [X] aux dépens distraits au profit de Me Laurent Chouette, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Ils font notamment valoir que :

-aucune certitude n'existe sur les cotes altimétriques du terrain naturel à la date du dépôt du permis de construire, ce que l'expert reconnaît dans son rapport,

-les plans d'origine de Monsieur [E] n'en comportaient pas,

-la déduction faite à partir de ces références altimétriques non sérieusement établies sur la hauteur illicite de sa construction n'est pas pertinente,

-l'absence de prise en compte du relevé altimétrique côté nord du terrain [X] empêche de vérifier si le rehaussement n'était pas le fait du lotisseur, et ne concernait pas les deux terrains,

-leur permis de construire modificatif a bien été accepté tacitement,

-leur condamnation au décaissement de leur parcelle en confront nord de la parcelle [X], sur une largeur de 1,90 mètre et sur une hauteur de 2,20 mètres, n'est aucunement justifiée, sur la base de ce que le rehaussement serait susceptible de créer une vue droite directe, étant précisé que leur construction était achevée avant celle de leurs voisins,

-il n'est justifié d'aucun trouble anormal de voisinage, ni par la création de vues, ni du fait du mur de soutènement qui préexistait à la construction des époux [X],

-leurs travaux étaient achevés depuis près de dix ans, sur la base d'un permis de construire qui n'avait pas été contesté, lorsque les demandes ont été formées en limite de prescription,

-le terrain du lotissement est en pente, les villas sont rapprochées, rien ne démontre que les vues dont se plaignent les époux [X] ne soient pas le fait de la configuration des lieux,

-le montant alloué pour un préjudice non démontré est calculé sur une base proposée par l'expert, de manière totalement injustifiée.

Aux termes de leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 16 mars 2020, auxquelles il convient de se référer pour un exposé détaillé des moyens et prétentions, les époux [X] entendent voir:

-confirmer la décision entreprise, sauf en ce que :

elle a condamné in solidum les époux [T] à leur verser la somme de

64 800 € en indemnisation du trouble anormal de voisinage,

elle a rejeté le surplus des demandes,

-y ajoutant

-condamner in solidum les époux [T] à leur payer :

la somme de 108 000 € à titre d'indemnisation pour trouble anormal de voisinage,

la somme de 4 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, y compris les frais de référé et d'expertise judiciaire, avec distraction dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile.

Pour eux :

-l'action est régulièrement introduite en dépit de justificatif dans l'assignation des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige,

-aucune cause de nullité du rapport d'expertise n'est caractérisée,

-leur propriété est surplombée d'un véritable donjon, à raison de la construction réalisée sur une parcelle rehaussée, avec un remblai très important en limite des deux fonds, qui crée une vue illicite sur le leur,

-ce remblai n'est pas encore suffisant pour atteindre la porte d'entrée située 1,60 m au-dessus,

- leur demande de suppression de la partie du remblai situé à moins de 1,90 m de leur fonds, est donc fondée,

-même après cette suppression, il subsistera un trouble anormal de voisinage par la plate-forme créée en surplomb,

-le jugement est parfaitement motivé pour apprécier l'existence du trouble anormal de voisinage,

-l'emploi du mot « susceptible » par l'expert à propos de la création d'une vue, ne suffit pas à douter de sa certitude,

-aucun élément produit par les époux [T], hormis leurs affirmations ne permet de contester les relevés altimétriques utilisés.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 4 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le défaut de tentative de résolution amiable préalable du conflit :

L'assignation délivrée par les époux [X] est en date du 22 août 2016.

Par application de l'article 56 du code de procédure civile, dans sa version en vigueur du 01 avril 2015 au 01 janvier 2020,

« l'assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice :

1° L'indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;

2° L'objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit ;

3° L'indication des modalités de comparution devant la juridiction et la précision que, faute pour le défendeur de comparaître, il s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire ;

4° Le cas échéant, les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier.

Elle comprend en outre l'indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée. Ces pièces sont énumérées sur un bordereau qui lui est annexé.

Sauf justification d'un motif légitime tenant à l'urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu'elle intéresse l'ordre public, l'assignation précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.

Elle vaut conclusions. »

Par ailleurs l'article 127, dans sa version en vigueur du 01 avril 2015 au 01 janvier 2020 précise :

« S'il n'est pas justifié, lors de l'introduction de l'instance et conformément aux dispositions des articles 56 et 58, des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige, le juge peut proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation. »

La lecture combinée de ces dispositions permet d'en déduire que le défaut des mentions relatives à la résolution amiable préalable du conflit n'entraîne ni la nullité de l'assignation, (ce qui était demandé en première instance) ni l'irrecevabilité des prétentions, (ce qui est demandé en appel dans le corps des conclusions) alors qu'une telle mesure peut être envisagée devant le juge.

A cet égard, en l'espèce, alors que le litige est engagé entre voisins propriétaires de leurs biens depuis plus de dix ans au sujet d'une construction édifiée à la suite d'un permis de construire obtenu en 2000, le recours à une mesure de tentative de résolution amiable préalable du conflit apparaît particulièrement inadapté et vain, les demandeurs à cette mesure exposant d'ailleurs que les intimés n'avaient jamais tenté la moindre conciliation tout en persévérant en leur demande indemnitaire conséquente, et eux-mêmes ne s'étant pas présentés à l'expertise amiable réalisée par Eurexo Hebert, diligentée dans le cadre de l'assurance « protection juridique » des époux [X].

C'est à juste titre que le premier juge a rejeté cette demande.

Sur la nullité du rapport d'expertise :

Il est reproché à l'expert désigné, [U] [P], architecte DPLG, de ne pas avoir respecté le principe du contradictoire à l'occasion de son recours à un sapiteur géomètre expert, le cabinet TDB, qui lui-même s'est renseigné auprès de Monsieur [E], géomètre d'origine du lotissement.

Il ressort de l'expertise que les parties ont été informées par leurs conseils du recours au cabinet TDB de géomètres experts, en qualité de sapiteur pour procéder à des relevés altimétriques, et de la date de son intervention, sans cependant que les parties n'aient été convoquées à cette occasion, et que ce sapiteur a consulté un autre professionnel de sa branche, sans respect du contradictoire.

Ce manquement s'analyse en un vice de forme n'entraînant la nullité de l'expertise que s'il y a eu atteinte aux intérêts des parties.

Or, dans la mesure où ces relevés ont été communiqués aux parties avant le dépôt du rapport, et qu'elles ont pu en discuter et les contester par voie de « dires », et à l'occasion d'un second accedit en présence du sapiteur ayant remis son rapport et invité à s'exprimer à cette occasion, il ne résulte aucun grief de l'absence de convocation pour le déroulement des opérations de relevés, quand bien même l'une des parties expose qu'avec ses propres compétences techniques, (professionnel du bâtiment) elle aurait pu intervenir auprès des géomètres qui ont emporté la conviction de l'expert.

Non seulement, les observations sur les relevés ont pu être faites dans le cadre d'un dire, mais le débat se prolonge devant les juridictions.

La réalité d'un grief n'est pas caractérisée, et c'est à juste titre que le premier juge a rejeté la demande d'annulation de l'expertise.

Il n'est invoqué ou justifié d'aucune cause permettant de déclarer ce rapport inopposable aux époux [T].

Pour le reste, il conviendra d'apprécier sa pertinence sur le fond, notamment quant au respect des prescriptions du permis de construire ou quant à l'existence d'un trouble anormal de voisinage, le juge n'étant aucunement tenu par l'avis de l'expert qui n'aurait pas dû être missionné sur l'existence d'un tel trouble, qui ne relève pas de sa compétence technique, mais de celle du juge.

Sur l'existence d'un trouble anormal de voisinage subi par les époux [X] :

Le premier juge a alloué 64 800 € au lieu de 108 000 € demandés en indemnisation du trouble anormal de voisinage.

La demande des époux [X] est fondée sur le trouble anormal de voisinage qu'ils indiquent subir à raison des constructions édifiées par les époux [T].

Aux termes de l'article 544 du code civil, «la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.»

La limite à ce droit est que nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage, et qu'à défaut, il en devra réparation, même en l'absence de faute.

L'anormalité du trouble doit s'apprécier au regard des circonstances locales, et doit présenter un caractère grave et/ou répété, dépassant les inconvénients normaux de voisinage, sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute de son auteur, ce qui est différent si l'action est menée sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

Il appartient à celui qui invoque le trouble anormal de voisinage d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, les époux [X] se plaignent d'une part, de la construction de la maison elle-même et du mur de soutènement qui sont terminés depuis 2002, et d'autre part, du remblai situé en limite de propriété qui semble toujours en cours de finition puisqu'il ne permet pas d'accéder au porche de la façade nord de la propriété [T], (encore à 1,60 m au-dessus selon l'expert en page 48 du rapport) en ce que le tout a été bâti à une hauteur supérieure à ce qui était autorisé et a créé de la sorte des vues très rapprochées ou illicites chez eux.

Les propriétés respectives des parties ont des superficies de 442 m² ([X]) et 405 m² ([T]), ce qui rend nécessairement proche le voisinage, les permis de construire accordés pour les habitations portant sur des SHON de 128 m² ([X]) et 163 m² ([T]).

Le seul fait de n'avoir agi en justice qu'en 2012, près de dix ans après la construction permet de douter que le trouble invoqué puisse être considéré comme anormal.

En effet, l'anormalité du trouble est de nature à le rendre insupportable, au point que l'action est engagée rapidement dans un tel cas.

A propos des vues qui auraient été créées à partir des deux fenêtres du premier étage de la façade nord, l'expert précise, en page 49, que :

- « la façade nord de la maison [T] est implantée à 3,40 m de la limite de propriété,

-le fenestron, (à propos duquel il n'est pas justifié de l'obtention d'un permis de construire modificatif), compte tenu de sa hauteur par rapport à l'escalier, ne peut générer de vue droite classique. Cette ouverture a essentiellement pour fonction (outre de participer à l'équilibre architectural de la façade) de fournir un éclairage naturel à la cage d'escalier. Il est impossible, sauf à poser un marchepied en équilibre très instable (et de façon très dangereuse) sur les marches, de regarder à l'extérieur depuis ce châssis. »

Quant à la vue résultant du fenestron symétrique en façade nord, plus à l'est, aucun élément ne permet d'apprécier la vue qui en résulte, sur quelle partie du fonds voisin elle donne, et surtout ce qu'elle a d'anormal quand bien même la construction aurait été édifiée à une hauteur supérieure à ce qui était prévu.

Il résulte de ces éléments, d'une part, qu'aucune infraction à l'article 678 du code civil n'est caractérisée, et d'autre part, qu'aucune vue créant un trouble anormal de voisinage ne résulte des ouvertures de la façade nord.

En admettant que le terrain ait été remblayé comme l'indique l'expert au terme de son rapport (en page 52) et que la construction ait été calée plus haut de 2,20 m environ par rapport à ce qui est dessiné sur les façades du permis de construire et que la construction atteigne 8,06 m de haut au lieu des 7 m autorisés, il convient de relever que la responsabilité des époux [T] n'est pas recherchée sur le fondement de l'article 1240 du code civil, mais uniquement sur le trouble anormal de voisinage.

Considérer près de dix ans après le remblaiement critiqué et la construction de la maison, que son implantation et sa conception même seraient à l'origine d'un trouble anormal de voisinage, ne peut prospérer, le temps mis à se prévaloir du trouble excluant la réalité de celui-ci, alors même qu'il n'est pas justifié du trouble lui-même, qui résulterait de vues créées sur le fonds [X].

Concernant le remblai situé au nord de la parcelle [T] jusqu'en en limite de la parcelle [X], (photographie en page 28 du rapport d'expertise) il n'est actuellement pas aménagé ni terminé, en sorte que, situé derrière le mur de soutènement, il n'est pas visible depuis le fonds [X], et ne crée ni n'aggrave de vue sur le fond voisin, dès lors qu'il permet seulement un passage à pied, ce qui serait différent, si une fois les travaux terminés, il était aménagé de telle manière qu'il permettrait, à partir d'un lieu de vie, de créer ou d'aggraver les vues chez les voisins, ou de commettre une infraction à la distance minimale des 3 mètres prévue par les règles d'urbanisme, pour construire à proximité d'un autre fonds.

Pour l'ensemble de ces motifs, le trouble anormal de voisinage n'étant pas caractérisé, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné les époux [T] à procéder à des travaux et à payer 64 800 € aux époux [X], et de rejeter les prétentions des époux [X].

PAR CES MOTIFS :

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité formée par les époux [T] au titre de l'assignation et a rejeté leur demande de nullité du rapport, d'expertise judiciaire ;

Statuant à nouveau pour le surplus,

Rejette les prétentions des époux [X] tendant à la condamnation des époux [T] à procéder à des travaux de décaissement du remblai situé au nord de leur parcelle, et à leur payer des dommages et intérêts pour trouble anormal de voisinage ;

Y ajoutant,

Rejette la demande des époux [T] tendant à voir dire et juger que l'action des époux [X] a été irrégulièrement introduite faute d'avoir justifié d'une quelconque tentative de résolution amiable préalable du conflit après dépôt du rapport de l'expert, par application de l'article 56 du code de procédure civile,

Vu les articles 696 à 700 du code de procédure civile,

Condamne les époux [X] aux dépens, avec distraction pour ceux d'appel, dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile, et à payer la somme de 4 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, au total pour la procédure de première instance et d'appel.

Le greffier Le conseiller pour le président empêché


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 19/14754
Date de la décision : 08/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-08;19.14754 ?
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