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01/12/2022 | FRANCE | N°19/11075

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 01 décembre 2022, 19/11075


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 01 DECEMBRE 2022

hg

N° 2022/ 478













N° RG 19/11075 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BESJH







[D], [N] [K]





C/



[R] [G]



























Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Yves ROUSSARIE



Me Séverine PATRIZIO






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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 09 Mai 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 16/02660.



APPELANT



Monsieur [D], [N] [K]

demeurant [Adresse 5]



représenté par Me Yves ROUSSARIE, avocat au barreau de NICE





INTIME



Monsieur [R] [...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 01 DECEMBRE 2022

hg

N° 2022/ 478

N° RG 19/11075 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BESJH

[D], [N] [K]

C/

[R] [G]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Yves ROUSSARIE

Me Séverine PATRIZIO

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 09 Mai 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 16/02660.

APPELANT

Monsieur [D], [N] [K]

demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Yves ROUSSARIE, avocat au barreau de NICE

INTIME

Monsieur [R] [G]

demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Séverine PATRIZIO, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Hélène GIAMI, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Hélène GIAMI, Conseiller faisant fonction de Président de chambre

Madame Laetitia VIGNON, Conseiller

Madame Patricia HOARAU, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2022

Signé par Madame Laetitia VIGNON, Conseiller pour Madame Hélène GIAMI, Conseiller, faisant fontion de Président de chambre, empéchée et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE - MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Depuis le 1er septembre 2004, [D] [N] [K] est propriétaire avec son épouse, d'un bien immobilier bâti d'une maison sur trois niveaux, avec piscine et pool house, situé à [Adresse 8], cadastré section B n°[Cadastre 1] pour 34a 12ca et n°[Cadastre 2] pour 11a 48ca.

Jouxtant le nord-ouest de la parcelle de [D] [N] [K], [R] [G] est propriétaire d'un terrain situé à [Adresse 7], cadastrée section B n°[Cadastre 3], pour 10a 90ca.

Suite à sa demande du 23 octobre 2015, [R] [G] a obtenu un permis de construire pour une maison individuelle de 82 m².

[D] [N] [K] a formé un recours gracieux contre ce permis de construire qui a été rejeté par le maire d'[Localité 6], aux motifs que le permis de construire était conforme au plan local d'urbanisme.

Le tribunal administratif a, par ordonnance du 2 février 2018, rejeté les recours de [D] [N] [K] contre la décision du maire et contre le permis de construire.

Par acte d'huissier du 4 mai 2016 [D] [N] [K] avait fait assigner [R] [G] devant le tribunal de grande instance de Grasse afin de voir :

-constater l'existence d'un trouble anormal de voisinage causé par la construction en cours de réalisation sur le terrain de [R] [G] en raison notamment de la vue plongeante sur la maison en construction de [R] [G],

ordonner à [R] [G] de cesser tous travaux de construction de sa maison,

à titre subsidiaire :

-condamner [R] [G] à lui payer la somme de 500 000 € à titre de dommages-intérêts,

ordonner l'exécution provisoire,

-condamner [R] [G] à lui payer la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par jugement du 9 mai 2019, le tribunal de grande instance de Grasse a :

- débouté [D] [N] [K] de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté [R] [G] de sa demande de dommages et intérêts ;

- condamné [D] [N] [K] à payer à [R] [G] la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens.

Par déclaration du 9 juillet 2019 [D] [N] [K] a fait appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 5 novembre 2020 auxquelles il convient de se référer pour un exposé détaillé des moyens et prétentions, [D] [N] [K] sollicite:

-de le recevoir en son appel,

-d'infirmer totalement le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas retenu l'existence d'un trouble anormal de voisinage causé par la construction de la villa de [R] [G],

et statuant à nouveau :

-dire et juger que la construction de la villa de [R] [G] lui cause un trouble réel direct, manifeste et anormal de voisinage en raison de vues plongeantes sur sa maison et sa piscine lui enlevant ainsi totalement son intimité et son droit à une vie privée.

-dire et juger que son préjudice peut être évalué à la somme de 500 000 € correspondant la perte de valeur de sa villa suite à la construction de la villa de [R] [G].

-condamner [R] [G] à lui payer la somme de 500 000 € à titre de dommages-intérêts ,

-condamner [R] [G] à lui payer la somme de 5 000 € au titre de l'article 700.

-condamner [R] [G] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 27 juillet 2022, auxquelles il convient de se référer pour un exposé détaillé des moyens et prétentions, [R] [G] entend voir:

-confirmer la décision entreprise, sauf en ce qu'elle a rejeté sa demande de dommages et intérêts,

-condamner [D] [N] [K] à lui payer la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

-condamner [D] [N] [K] à lui payer la somme de 5 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, y compris les frais des constats dressés les 23 février 2018, 26 septembre 2019 et 3 octobre 2019, avec distraction dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 27 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'existence d'un trouble anormal de voisinage :

La demande de [D] [N] [K] est fondée sur le trouble anormal de voisinage qu'il indique subir à raison des constructions édifiées par [R] [G].

Aux termes de l'article 544 du code civil, «la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.»

La limite à ce droit est que nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage, et qu'à défaut, il en devra réparation, même en l'absence de faute.

L'anormalité du trouble doit s'apprécier au regard des circonstances locales, et doit présenter un caractère grave et répété, dépassant les inconvénients normaux de voisinage, sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute de son auteur.

Il appartient à celui qui invoque le trouble anormal de voisinage d'en rapporter la preuve.

[D] [N] [K] se plaint des vues plongeantes sur sa maison et sa piscine lui enlevant ainsi totalement son intimité et son droit à une vie privée

Pour établir ces préjudices, il se réfère, comme en première instance, aux deux procès-verbaux de constats qu'il a fait établir par Maître [T] le 13 février 2016 et par Maître [B] le 14 mars 2018.

Le premier de ces constats, produit en photocopie avec des photographies en noir et blanc, mentionne que :

« côté Nord-ouest, un chantier est en cours sur le fonds voisin, de la terre a été récemment retournée, la zone a été défrichée laissant un large espace sans végétation.

Le fonds voisin dispose d'une vue directe sur la piscine, ses abords, la terrasse de la maison ainsi qu'une bonne partie du jardin ».

[D] [N] [K] a indiqué à l'huissier que sa maison était louée l'été, et que cette perte d'intimité était de nature à générer une perte locative, ainsi qu'une perte de la valeur vénale de la maison.

Le second de ces constats, produit en original avec des photographies en couleur, mentionne :

« Depuis la terrasse, côté est de la villa, nous apercevons le chantier qui aura une vue directe sur ladite terrasse.

De la piscine et du pool house, la future villa aura une vue directe » ;

En rez-de-jardin, côté Sud de la terrasse, nous avons une vue partielle sur les ouvertures de la future villa.

En rez-de-chaussée, de l'intérieur de la villa, à partir du coin repas exposée Sud, nous apercevons les ouvertures de la construction.

Au premier étage, la chambre à coucher donne sur un balcon exposé Sud, avec vue sur la future villa, la salle de bains a une fenêtre donnant sur le chantier. »

Force est de relever que ces deux constats sont très insuffisants à démontrer la réalité de vues plongeantes sur la maison [K] et sa piscine qui seraient de nature à le priver de toute intimité et du droit à une vie privée.

En effet, aucune indication des distances entre la maison construite et les espaces de vie de la propriété [K], n'est fournie dans ces constats, et la simple présence d'une autre habitation visible ou ayant des vues sur le fonds voisin ne saurait caractériser la privation de toute intimité et du droit à une vie privée.

La construction réalisée, comme la propriété [K], sont situées en zone UC du plan local d'urbanisme correspondant aux extensions pavillonnaires récentes, ce qui permettait à [D] [N] [K] de s'attendre à ce qu'une construction soit réalisée sur le terrain limitrophe au sien, aucune anormalité ne pouvant découler de la transformation d'un espace végétal en espace habitable.

Le fait qu'un espace boisé important soit situé à proximité de leurs parcelles ne rend pas anormales les constructions réalisées en zone constructible.

Concernant la prétendue privation d'intimité et du droit à une vie privée, il ressort du plan de masse joint à la demande de permis de construire de [R] [G] que la distance entre :

-les deux angles les plus proches des deux habitations sont séparés de plus de 18 mètres,

-l'habitation construite est à plus de 33 mètres de la piscine du fonds [K].

Si la réponse du maire d'[Localité 6] au recours gracieux de [D] [N] [K] mentionne que l'orientation de « la construction peut être légèrement décalée pour diminuer le vis-à-vis », elle mentionne également que « la construction terminée sera masquée par de nombreuses plantations d'arbres qui la rendra invisible à chaque point de vue des terrains avoisinants.

A cet égard, [R] [G] a également fait réaliser des constats d'huissier.

Celui dressé par Maître [Z] le 23 février 2018, mentionne :

« l'édification (sur son terrain) du gros oeuvre, hors toiture, d'une maison de plain-pied d'une surface approximative de 80 m² ; sur la façade est en cours de réalisation un parement en pierres... dans un environnement comportant de très nombreuses constructions... La propriété [K] se trouve à l'oblique de la construction du requérant, à une distance d'une vingtaine de mètres... la façade Est, Sud-est de la construction, côté propriété [K], la seule ouverture de la bâtisse est constituée par la porte d'accès, laquelle selon les déclarations du requérant, sera garnie d'une porte pleine... côté Est, Sud-est, la villa [K] est à peine visible à travers un rideau d'arbres séparant les deux propriétés, étant précisé que la végétation, à cette période, n'est pas la plus dense... Depuis l'intérieur de la construction de Monsieur [G], la villa [K] n'est pas visible, il n'est possible que d'apercevoir le toit du poolhouse et deux parasols équipant l'espace piscine [K]... Depuis l'angle Est, Sud-est de la terrasse [G], la propriété [K] se trouve largement masquée par la végétation ...

Depuis la partie médiane de la terrasse [G], le pool-house et une partie de la plage de la piscine sont visibles, étant précisé qu'au surplomb de l'espace piscine [K] est construite une grosse villa... La partie médiane de la terrasse [G] ne permet qu'une vue oblique sur la villa [K] empêchant de distinguer l'intérieur de l'habitation ».

Celui dressé par Maître [Z] le 26 septembre 2019 mentionne :

« la construction est achevée et le requérant occupe les lieux.

Depuis le bas de sa propriété, sa maison est désormais grandement masquée par la végétation plantée.

La façade Est, Sud-est de la construction, côté propriété [K], comprenant une seule ouverture est désormais munie d'une porte pleine.

Depuis la façade Sud-est, la vue sur la propriété [K] est toujours masquée par un rideau d'arbres.

Depuis l'intérieur de la construction [G], les canisses posées sur le garde corps de la terrasse diminuent encore la vue sur la villa [K], le toit de son poolhouse et ses deux parasols n'étant plus visibles.

Depuis l'angle Sud-est et depuis la partie médiane de la terrasse [G], la vue sur la propriété [K] est encore diminuée par la densité accrue de la végétation ... »

Des photographies comparatives du 23 février 2018 et actuelle sont jointes au procès-verbal et l'huissier précise que la propriété [K] est encore moins visible que lors de sa première intervention, et que la vue sur cette propriété reste une vue oblique dans un environnement très construit.

L'ensemble de ces constats et pièces permet de considérer que la construction dénoncée, qui se limite à un niveau sur 82 m², crée une gêne par rapport à la situation antérieure en ce qu'elle est visible et permet quelques vues sur le fonds [K], mais comme relevé par le premier juge cette gêne ne présente aucunement un caractère anormal dans ce secteur d'extensions pavillonnaires récentes, où des permis de construire sont accordés sur des parcelles de 1 090 m², et alors que les vues dénoncées résultent en grande partie de la configuration des terrains, celui de [R] [G] surplombant celui de [D] [N] [K], selon les propres déclarations de ce dernier.

Deux attestations sont produites par [D] [N] [K] émanant de [I] [E] et [J] [U], qui déclarent avoir connu la maison [K] pour l'avoir eu en vente avant la réalisation de la construction voisine, et qu'alors, sa valeur était comprise entre 1,6 et 1,8 million d'euros, tandis que désormais, compte tenu de cette nouvelle construction, elle ne vaudrait plus que 1 250 000 million d'euros ou aurait perdu 25 à 30% de sa valeur.

En l'absence de toute précision sur les circonstances et les dates de mise en vente de la maison [K], et de toute garantie sur la diminution de sa valeur, il ne peut être porté aucun crédit à la perte de valeur alléguée, et ce d'autant moins que la qualité de professionnels de l'immobilier des auteurs des attestations n'est aucunement garantie.

Pour l'ensemble de ces motifs, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a écarté le trouble anormal de voisinage allégué par [D] [N] [K], et de rejeter sa demande en paiement de 500 000 € de dommages-intérêts.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :

Le droit d'agir en justice, y compris en appel, ne dégénère en abus que si une légèreté blâmable, une intention de nuire, de la mauvaise foi ou une erreur grossière équipollente au dol, est caractérisée.

En l'espèce, bien que [D] [N] [K] succombe à l'instance, une telle intention malveillante n'est pas caractérisée.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette prétention.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

[D] [N] [K], succombant en appel, sera condamné aux dépens qui ne peuvent comprendre les frais de constat d'huissier dressés les 23 février 2018, 26 septembre 2019 et 3 octobre 2019 qui n'en font pas partie au regard des dispositions de l'article 695 du code de procédure civile.

Il sera également condamné à payer 5 000 € à [R] [G] en application de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Vu les articles 696 à 700 du code de procédure civile,

Condamne [D] [N] [K] aux dépens, avec distraction pour ceux d'appel dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile, à l'exclusion des frais de constats d'huissier des 23 février 2018, 26 septembre 2019 et 3 octobre 2019,

Condamne [D] [N] [K] à payer 5 000 € à [R] [G] en application de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'appel.

LE GREFFIER POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 19/11075
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;19.11075 ?
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