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22/11/2022 | FRANCE | N°20/09244

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-3, 22 novembre 2022, 20/09244


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-3



ARRÊT AU FOND

DU 22 NOVEMBRE 2022



N° 2022/433









Rôle N° RG 20/09244 -

N° Portalis DBVB-V-B7E-BGKK6







[K] [I]





C/



PROCUREUR GENERAL

































Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Radost VELEVA-

REINAUD

Ministère public





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 30 Juin 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 20/00088.





APPELANT



Monsieur [K] [I]

né le 03 Septembre 1980 à [Localité 5] (TUNISIE) (99)

de nationalité Tunisienne,

demeurant [Adresse 1]



représenté par Me R...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-3

ARRÊT AU FOND

DU 22 NOVEMBRE 2022

N° 2022/433

Rôle N° RG 20/09244 -

N° Portalis DBVB-V-B7E-BGKK6

[K] [I]

C/

PROCUREUR GENERAL

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Radost VELEVA-

REINAUD

Ministère public

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 30 Juin 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 20/00088.

APPELANT

Monsieur [K] [I]

né le 03 Septembre 1980 à [Localité 5] (TUNISIE) (99)

de nationalité Tunisienne,

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Radost VELEVA-REINAUD substituée par Me Charles REINAUD, avocats au barreau d'AIX-EN-PROVENCE ; Me Myriam HOUAM, avocat au barreau de NICE

INTIME

Ministère public

PARTIE INTERVENANTE

Madame [X] [U] [B] épouse [I]

née le 12 juin 1989 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 2]

défaillante (signification à étude le 17/03/22)

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 11 Octobre 2022 en chambre du conseil. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Catherine VINDREAU, Présidente, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Catherine VINDREAU, Président

Monsieur Thierry SIDAINE, Conseiller

Mme Aurélie LE FALC'HER, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Anaïs DOMINGUEZ.

Ministère public :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée,

Comparant en la personne de M. VILLARDO, avocat général, entendu en ses réquisitions.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 22 Novembre 2022.

ARRÊT

Défaut,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Novembre 2022.

Signé par Madame Catherine VINDREAU, Présidente et Madame Anaïs DOMINGUEZ, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*-*-*-*-*

EXPOSE DU LITIGE

M. [K] [I] et Mme [X] [B] ont contracté mariage le 3 novembre 2018 par devant l'Officier d'Etat Civil de la commune de [Localité 6] (Alpes Maritimes).

Par acte délivré le 28 novembre 2019, M. le Procureur de la République de Nice a assigné les époux devant le Tribunal Judiciaire aux fins de voir annuler leur mariage.

Il faisait valoir que dans le cadre d'une enquête pénale menée sur l'éventuel caractère de complaisance de leur union suite à une demande de titre de séjour par l'époux, de nationalité tunisienne, Mme [X] [B] avait reconnu que le mariage n'avait été conclu que pour permettre au mari d'obtenir la régularisation de sa situation administrative en France.

Assignés en l'étude de l'huissier, aucun des époux n'a constitué avocat.

Par jugement réputé contradictoire en date du 30 juin 2020, la Première Vice-Présidente du Tribunal Judiciaire de Nice a :

- Dit que la juridiction française est internationalement compétente pour statuer

- Dit que la loi française est applicable au litige

- Annulé le mariage célébré le 3 novembre 2018 par devant l'Officier d'Etat Civil de la commune de [Localité 6]

- Ordonné la rectification des mentions relatives au mariage sur l'ensemble des actes d'état civil de chacune des parties, le cas échéant détenus par le Service Central de l'état civil français à [Localité 4]

- Dit que les dépens seraient supportés par Mme [X] [B] et M. [K] [I] à proportion de la moitié chacun, et en tant que de besoin condamné chacun d'eux à payer sa part

- Précisé que la décision ne serait susceptible d'exécution forcée qu'à compter de sa signification par huissier de justice par la partie la plus diligente.

M. [K] [I] a formé appel de cette décision par déclaration au greffe de la Cour d'appel de céans en date du 28 septembre 2020.

Par conclusions notifiées le 28 septembre 2022, M. [K] [I] demande à la cour de :

- Juger que le loi et les juridictions françaises sont compétentes pour trancher le litige

- Juger le Ministère Public irrecevable ou à tout le moins mal fondé, en l'ensemble de ses demandes , fins et conclusions et l'en débouter

- Réformer le jugement du 30 juin 2020 en ce qu'il a annulé le mariage conclu entre Mme [X] [B] et lui-même.

Statuant à nouveau

- Juger de bonne foi le mariage conclu en date du 3 novembre 2018 par l'Officier d'Etat Civil de la commune de [Localité 6] entre M. [K] [I] et Mme [X] [B]

- Mettre les dépens d'instance et d'appel à la charge du Trésor Public

Subsidiairement

- Octroyer le bénéfice des effets du mariage putatif.

M. [K] [I] explique dans quelles circonstances il a rencontré sa future épouse, comment ils ont vécu en concubinage pendant 4 ans, puis ont décidé d'officialiser leur relation en se mariant.

Il affirme qu'il n'a jamais usé de quelconques man'uvres pour obtenir le consentement de Mme [X] [B].

Il précise qu'il n'était pas en situation irrégulière, bénéficiant de titres de séjours italiens et d'une carte d'identité italienne.

Il fait valoir que :

- Le contrat de bail établissant la vie commune du couple date de 2017.

- Un compte joint a été ouvert au nom des époux en décembre 2017, soit près d'un an avant le mariage

- Si le mariage a été célébré à [Localité 6], alors que le couple demeurait à [Localité 3], ceci s'explique par le fait que l'épouse ne voulait pas que sa famille soit informée qu'elle soit tombée amoureuse d'un étranger et qu'elle avait décidé de l'épouser

- Le jour du mariage, il avait invité tous ses amis

- Le couple a continué la vie commune après le mariage

- Mme [X] [B] recevait les courriers de sa compagnie d'assurance au domicile, et c'est lui qui réglait les indemnités, l'épouse n'ayant aucune ressource. Il subvenait à ses besoins

- Plusieurs témoins attestent de la vie commune du couple

- Si Mme [X] [B] a décidé de quitter le domicile conjugal, cela n'a rien à voir avec un mariage blanc. Elle a voulu se venger lorsqu'elle a appris l'infidélité de son mari.

Il critique la manière dont a été diligentée l'enquête pénale. Le tribunal correctionnel de Nice l'a relaxé des fins de la poursuite, relevant toutes les lacunes de l'enquête, et mettant en exergue les incohérences des accusations portées contre lui.

Il met en doute l'objectivité et l'impartialité des témoignages de :

- Mme [F] [C] sa maîtresse, qui a voulu se venger de ses infidélités

- Mme [M], sa belle-mère, qui affirme que sa fille vit avec elle depuis toujours, alors que Mme [X] [B] dit le contraire.

Il admet être un homme infidèle, mais sa frivolité ne saurait être un motif tendant à l'annulation du mariage.

Il invoque l'article 201 du Code Civil et demande si l'annulation devait être confirmée que le mariage soit déclaré putatif car il a toujours été de bonne foi, et son annulation ne doit pas être rétroactive.

Le jugement, la déclaration d'appel et les conclusions ont été signifiées à l'épouse le 17 mars 2022.

Par conclusions du 24 mars 2022, le Ministère Public demande à la cour de retenir la compétence des juridictions françaises et d'appliquer la loi française, conformément à l'article 202-1 du Code Civil.

Mme l'Avocate Générale affirme que les investigations ont permis d'établir le caractère de complaisance du mariage.

Elle fait état des éléments probants suivants :

- L'épouse a reconnu que ce mariage n'avait été conclu que pour permettre à M. [K] [I] dont le récépissé de demande de carte de séjour arrivait à son terme le 4 novembre 2019, de régulariser sa situation sur le territoire français. Il avait été convenu que les époux divorceraient à l'obtention du titre de séjour. Elle précisait n'avoir entretenu aucune relation intime ou amoureuse avec son époux, et n'avoir contracté cette union sans autre intention que de l'aider à régulariser sa situation.

- L'union a été célébrée à l'insu de la famille de l'épouse, et en particulier de sa mère.

- Mme [F] [C] était entendue le 26 août 2019, déclarait entretenir une relation amoureuse avec M. [K] [I] depuis 4 ans, et être au courant du mariage blanc célébré le 3 novembre 2018. Elle avait accepté dans un premier temps la situation mais avait appris que M. [K] [I] entretenait des relations avec d'autres femmes. Elle avait réalisé que leur relation ne pouvait être sincère.

- Lors de la confrontation entre les deux époux, Mme [X] [B] maintenait ses déclarations. La visite de l'appartement de sa mère permettait de constater que l'épouse était logée dans une chambre où n'était retrouvé aucun effet personnel du mari.

- Mme [X] [B] n'a pas relevé appel du jugement.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 11 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision entreprise et aux dernières écritures de l'appelant et aux conclusions du Ministère Public, conformément à l'article 455 du Code de Procédure Civile.

Sur la recevabilité de l'appel

La recevabilité de l'appel n'est pas contestée. Aucun élément n'est fourni à la Cour lui permettant de relever d'office la fin de non-recevoir tirée de l'inobservation du délai de recours. L'appel sera déclaré recevable.

Sur la compétence et la loi applicable

En présence d'un élément d'extranéité, M. [K] [I] étant de nationalité tunisienne, il résulte de l'article 3 du Code Civil, 13 du Code de Procédure Civile, et des principes du droit international privé, que le juge français doit d'office, et sous réserve du respect du principe de la contradiction, mettre en application la règle de conflit de lois pour les droits indisponibles.

En application de l'article 3a) du règlement CE 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, dit Bruxelles II bis, la présente juridiction est compétente pour connaître de l'action aux fins de l'annulation du mariage, compte tenu de la résidence sur le sol français (ressort du Tribunal de Nice) de chacun des deux époux à la date de l'assignation.

L'article 202-1 du Code Civil, les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont réglées, pour chacun des époux, par sa loi personnelle. Quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l'article 146 et du premier alinéa de l'article 180. Cette seconde disposition, introduite par la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, a pour effet d'écarter l'application de la loi étrangère, devenant une loi de police applicable à toutes les situations dont les juridictions françaises ont à connaître.

Au fond

Aux termes de l'article 146 du Code Civil, il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement.

L'article 180 alinéa 1 du même code complète la disposition précédente en édictant que le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux, ou de l'un d'eux, ne peut être attaqué que par les époux, ou par celui des deux dont le consentement n'a pas été libre, ou par le ministère public.

La notion de consentement au mariage a une acception large en droit français : elle implique non seulement que la volonté soit libre, c'est-à-dire que les facultés mentales des époux ne soient pas altérées au moment du mariage, ou que l'un et/ou l'autre des époux ne soient pas soumis à une contrainte, y compris la crainte révérencielle envers un ascendant, mais également que soit présente l'intention matrimoniale, c'est-à-dire que l'un ou les deux époux n'aient pas poursuivi un but contraire à l'essence même du mariage.

Ainsi par la loi du 4 août 2014, l'intention matrimoniale a été élevée au nombre des principes constituant l'ordre international français.

En l'espèce, le Ministère Public a assigné M. [K] [I] pour avoir contracté un mariage dans le seul but d'obtenir un titre de séjour sur le territoire français, sans intention de créer une famille et d'en assumer les charges.

Il s'est fondé pour ce faire sur les résultats d'une enquête menée par le service de la police des airs et des frontières à la requête de Monsieur le Préfet des Alpes Maritimes qui demandait qu'il soit procédé à des investigations approfondies afin d'évaluer la réalité d'une communauté de vie entre M. [K] [I] et Mme [X] [B], le premier ayant sollicité un titre de séjour en qualité de conjoint de français.

Au cours de cette enquête, ont été entendues trois personnes.

- La mère de l'épouse, qui a affirmé que sa fille vivait à son domicile depuis 15 ans, sans quasiment découcher, et qui avait été tenue dans l'ignorance du mariage de sa fille. Mme [T] [M] a soutenu qu'elle ne connaissait pas M. [K] [I].

- Mme [F] [C], qui entretenait une relation amoureuse avec M. [K] [I] depuis le mois de mai 2019, mais le connaissait depuis 4 ans. Elle savait qu'il était marié avec Mme [X] [B] et affirmait au sujet de cette union : "il s'agit clairement d'un mariage arrangé pour que M. [K] [I] puisse avoir les papiers de la France". Elle n'avait eu aucun scrupule de s'engager dans une relation intime avec un homme marié, car il ne vivait pas avec son épouse que "c'était seulement pour les papiers".

Le témoin rajoutait que si elle s'était présentée à la police, c'est parce qu'elle s'était disputée avec M. [K] [I] car elle avait découvert qu'il entretenait d'autres relations féminines. Elle rajoutait qu'il profitait d'elle, sachant qu'elle allait recevoir les indemnités d'un accident de la route dont elle avait été victime.

- Mme [X] [B] qui reconnaissait d'emblée qu'il s'agissait d'un mariage blanc, et que le couple devait divorcer sitôt que M. [K] [I] obtiendrait un titre de séjour pour 10 ans. Elle expliquait qu'elle avait agi ainsi parce qu'elle était faible moralement et dépressive. Elle ne niait pas avoir vécu sous le même toit que M. [K] [I] à deux adresses différentes à compter de septembre 2018 où elle s'était fâchée avec sa mère, jusqu'au début de l'année 2019. Il s'agissait d'une simple cohabitation, il n'y avait aucune relation intime ou amoureuse entre eux, qui se connaissaient depuis 2014. Elle maintenait ses accusations au cours d'une confrontation avec l'intéressé.

M. [K] [I] et Mme [X] [B] ont été convoqués à l'audience du Tribunal Correctionnel de Nice du 31 mars 2020, sur le fondement de l'article L623-1 du CESEDA alors en vigueur, pour avoir contracté mariage aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour.

Dans son audience du 22 juin 2021, le tribunal correctionnel de Nice a relaxé les deux prévenus des chefs de la poursuite, sans motiver sa décision. Le Ministère Public n'a pas interjeté appel.

Dans ces conditions, malgré les éléments recueillis au cours de l'enquête, parfaitement analysés par le premier juge, et l'extrême brièveté de la vie commune, il n'y a pas lieu d'annuler le mariage contracté par M. [K] [I] et Mme [X] [B] le 3 novembre 2018 par devant l'Officier d'Etat Civil de la commune de [Localité 6].

Les dépens

Ils seront mis à la charge du Trésor Public.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, après débats en chambre du conseil,

Reçoit l'appel,

Dit les juridictions françaises compétentes pour connaître du présent litige et la loi française applicable,

Infirme la décision entreprise,

Et statuant à nouveau,

Dit n'y avoir lieu à annuler le mariage contracté par M. [K] [I] et Mme [X] [B] le 3 novembre 2018 par devant l'Officier d'Etat Civil de la commune de [Localité 6] (acte de mariage n° 67),

Dit que la présente décision devra être notifiée par le Ministère Public à Mme [X] [B], demeurant [Adresse 2],

Dit que les dépens seront à la charge du Trésor Public.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 2-3
Numéro d'arrêt : 20/09244
Date de la décision : 22/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-22;20.09244 ?
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