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22/11/2022 | FRANCE | N°19/19861

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-2, 22 novembre 2022, 19/19861


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-2



ARRÊT AU FOND

DU 22 NOVEMBRE 2022



N°2022/368











Rôle N° RG 19/19861 N° Portalis DBVB-V-B7D-

BFLOJ





[F] [R] épouse [T]



C/



PROCUREUR GENERAL

























Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Didier BESSADI



MINISTERE PUBLIC





Décision déféré

e à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 28 Novembre 2019



APPELANTE



Madame [F] [R] épouse [T]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2020/003898 du 21/08/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

née le 02 février 1986 à ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-2

ARRÊT AU FOND

DU 22 NOVEMBRE 2022

N°2022/368

Rôle N° RG 19/19861 N° Portalis DBVB-V-B7D-

BFLOJ

[F] [R] épouse [T]

C/

PROCUREUR GENERAL

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Didier BESSADI

MINISTERE PUBLIC

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 28 Novembre 2019

APPELANTE

Madame [F] [R] épouse [T]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2020/003898 du 21/08/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

née le 02 février 1986 à [Localité 3] (ALGERIE)

demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Didier BESSADI, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

PROCUREUR GENERAL

[Adresse 4]

comparant en la personne de M. Thierry VILLARDO, Avocat général

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 septembre 2022, en chambre du conseil, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président Rapporteur, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président

Madame Michèle CUTAJAR, Conseiller

Madame Hélène PERRET, Conseiller

Greffier présent lors des débats : Madame Jessica FREITAS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2022,

Signé par Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Président et Madame Jessica FREITAS greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Le 9 septembre 2014, le directeur des services de greffe judiciaire du service de la nationalité des Français nés et établis hors de France du tribunal d'instance de Paris a opposé à Mme [F] [R], née le 2 février 1986 à [Localité 3] (Algérie) un refus de délivrance de certificat de nationalité française au motif que celle-ci n'aurait pas produit les pièces justificatives sollicitées.

Par exploit d'huissier de justice en date du 9 mars 2018, Mme [F] [R] a assigné le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille devant ce tribunal aux fins de voir dire qu'elle est de nationalité francaise.

Par jugement du 28 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Marseille a débouté Mme [F] [R] de l'ensemble de ses demandes, et constaté son extranéité.

Par déclaration d'appel enregistrée au greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 28 décembre 2019, Mme [F] [R] a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 9 mars 2021, statuant sur incident, le conseiller de la mise en état a constaté que les formalités prévues par l'article 1043 du code de procédure civile ont été respectées par l'appelante.

Dans le dernier état de ses conclusions, enregistrées le 24 mars 2020, et auxquelles il est expressément fait renvoi pour un exposé plus ample de ses moyens et prétentions, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [F] [R] demande à la cour de:

- réformer dans son intégralité le jugement du 28 novembre 2019 du Tribunal de Grande Instance de Marseille,

- constater la nationalité française de Madame [F] [R], née le 2 février 1986 à [Localité 3] (Algérie), de Monsieur [D] [R] et de Madame [P] [R],

- ordonner la mention prévue par l'article 28 du Code civil,

- ordonner que soit délivré à Madame [F] [R] un certificat de nationalité française,

- condamner l'agent judiciaire du trésor à verser à Maître VENUSE-LAMIA, conseil de Mme [R], la somme de 2.000 € en application des articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, étant précisé que le conseil de la concluante s'engage naturellement, en contrepartie du recouvrement effectif de cette somme, à renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qu'il a accomplie,

- condamner l'agent judiciaire du trésor aux dépens, dont distraction au profit de Maître Mélodie VENUSE-LAMIA,

- rappeler que l'exécution provisoire de la décision à intervenir est de droit.

Dans le dernier état de ses conclusions, enregistrées le 3 juillet 2020, et auxquelles il est expressément fait renvoi pour un exposé plus ample de ses moyens et prétentions, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, le Ministère Public demande à la cour de :

- constater que Mme [F] [R], se disant née le 2 février 1986 à [Localité 3] (Algérie) n'est pas française,

- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 septembre 2022.

MOTIFS

Sur la régularité de la procédure

Aux termes de l'article 1043 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en delivre récépissé. En l'espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 1er avril 2020. La condition de l'article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. La procédure est donc régulière.

Sur la demande de délivrance d'un certificat de nationalité française

Aux termes de ses conclusions, Madame sollicite de la cour d'ordonner la délivrance d'un certificat de nationalité française.

Il convient de rappeler que la juridiction n'a pas le pouvoir d'ordonner la délivrance d'un tel certificat. En effet, l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 énonce que 'les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs'. Le décret du 16 fructidor an III défend aux tribunaux de connaître des actes d'administration et annule toutes procédures et jugements intervenus à cet égard. Or, le refus d'un certificat de nationalité française n'est pas une décision juridictionnelle, mais un acte administratif.

La demande de Mme [F] [R] tendant à voir ordonner la délivrance d'un certificat de nationalité française est donc irrecevable.

Dès lors, la cour statuera uniquement sur la demande formée par Mme [F] [R] de voir juger qu'elle est de nationalité francaise, étant précisé qu'à supposer cette demande accueillie, la délivrance d'un certificat de nationalité française serait alors de droit, par application des dispositions de l'article 29-5 du code civil.

Sur l'action déclaratoire de nationalité francaise

1. En droit

L'article 30 du code civil prévoit : ' La charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause.

Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants.'

En l'espèce, Mme [F] [R] n'est pas titulaire d'un certificat de nationalité française de sorte que la charge de la preuve lui incombe.

L'article 18 du code civil dispose qu'est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français. Ce texte reprend la règle fixée par l'article 23 1° de l'ancien code de la nationalité. L'article 20-1 du code civil précise que la filiation de l'enfant n'a d'effet sur la nationalité de celui-ci que si elle établie durant sa minorité.

L'article 32-1 du code civil prévoit que les Français de statut civil de droit commun domiciliés en Algérie à la date de l'annonce officielle des résultats du scrutin d'autodétermination conservent la nationalité française, quelle que soit leur situation au regard de la nationalité algérienne.

Il en résulte que, s'agissant des personnes nés en Algérie avant le 22 juillet 1962, il ne suffit pas d'établir la qualité de Français avant l'indépendance, mais également le bénéfice du statut civil dit de droit commun, par opposition au statut de droit local.

Pour établir une chaîne de filiation légitime et ininterrompue, il faut produire des actes d'état civil fiables au sens de l'article 47 du code civil.

L'article 47 du code civil dispose : ' tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité'.

Enfin, le fait que plusieurs membres de la famille proche de l'appelante aient pu bénéficier de certificats de nationalité française, dont son propre père, est sans incidence sur la preuve que doit apporter Mme [F] [R], un tel certificat ne pouvant bénéficier qu'à son titulaire, lequel peut ainsi revendiquer un renversement de la charge de la preuve.

2. En fait

Le tribunal de grande instance de Marseille a débouté Mme [F] [R] notamment au motif que l'acte de naissance de sa grand'mère paternelle, Mme [V] [S] [I] [W] mentionne une date de naissance pour sa propre mère, Mme [N] [E] au 24 mai 1910 alors que cette dernière serait née le 25 mai 1910.

Or, cette appréciation est erronée. La lecture attentive de l'acte de naissance de Mme [N] [E], daté du 25 mai 1910, mentionne en effet une naissance la veille, soit le 24 mai 1910.

Mme [F] [R] soutient bénéficier de la nationalité française en raison du statut civil de droit commun incontesté de son arrière-grand mère paternelle, Mme [N] [X] [S] [E], née le 24 mai 1910 à [Localité 2] (Nord), statut qui aurait ainsi été transmis à la fille de celle-ci, Mme [V] (et non [M]) [S] [I] [W] [H], née le 5 juillet 1932 à [Localité 5] (Nord, laquelle l'aurait à son tour transmis à son fils M. [D] [R], né le 13 janvier 1951 à [Localité 7] (Algérie), lui-même étant le père de l'appelante.

La chaîne de filiation revendiquée prend donc sa source dans le lien existant entre Mme [N] [X] [S] [E] et Mme [V] [S] [I] [W] [H].

Or, l'acte de naissance de cette dernière (pièce 13 de l'appelante) dressé le 7 juillet 1932 mentionne une naissance le 5 juillet 1932 de '[W] [H], présumé né en mil neuf cent un, à [Localité 6] (Algérie), manoeuvre, qui déclare la reconnaître, et de [N] [X] [S] [E] née à [Localité 2] (Nord) le vingt quatre mai mil neuf cent dix, ménagère, célibataire.'

En d'autres termes, au jour de la naissance de Mme [V] [W] [H], ses parents déclarés n'étaient pas mariés, et seule la reconnaissance la filiation paternelle est établie. Or, le père ne bénéficiait pas du statut civil de droit commun et ne pouvait donc le transmettre.

Par ailleurs, l'article 336 du code civil, alors applicable, prévoyait que 'la reconnaissance du père, sans l'indication et l'aveu de la mère, n'a d'effet qu'à l'égard du père'. En l'état du droit alors applicable la filiation naturelle à l'égard de la mère devait être établie par une reconnaissance explicite de celle-ci.

Mme [F] [R] n'apporte aucune preuve du mariage de ses arrière-grands-parents, et se borne à rédiger de sa main une attestation (pièce 11 de l'appelante), indiquant qu'ils se seraient mariés devant le Cadi, d'ailleurs sans autre indication de temps ou de lieu. Cependant, nul n'est admis à se constituer une preuve à lui-même. Cette attestation est donc sans aucune valeur probante.

Aucune preuve n'est rapportée par ailleurs de ce que Mme [N] [E] aurait jamais reconnu Mme [V] [W] [H].

C'est donc juste titre que le ministère public fait valoir que l'appelante ne justifie pas d'une filiation légalement établie de Mme [V] [W] [H] à l'égard de Mme [N] [E], et que, par conséquent, celle-ci n'a pu se voir transmettre le statut civil de droit commun. La chaîne de filiation revendiquée n'est dès lors pas démontrée.

L'appelante sera par conséquent déboutée de l'ensemble de ses demandes, et la décision frappée d'appel sera confirmée

Sur les demandes accessoires

Aux termes de l'artic1e 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par decision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Mme [F] [R], qui succombe, supportera la charge des dépens. Sa demande formée au titre des frais irrépétibles est dès lors mal fondée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe :

DIT la procédure regulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procedure civile,

JUGE irrecevable la demande tendant à voir ordonncr la délivrance d'un certificat de nationalité française

Déboute Mme [F] [R] de l'ensemble de ses demandes,

Confirme le jugement frappé d'appel,

JUGE que Mme [F] [R], née le 2 février 1986 à [Localité 3] (Algérie) n'est pas de nationalité française,

ORDONNE la mention prévue par l'article 28 du code civil,

CONDAMNE Mme [F] [R] aux depens,

DIT que Maître Mélodie VENUSE-LAMIA, avocate, pourra exercer à l'encontre de la partie condamnée aux dépens le droit prévu par l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 2-2
Numéro d'arrêt : 19/19861
Date de la décision : 22/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-22;19.19861 ?
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