COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-9
ARRÊT AU FOND
DU 17 NOVEMBRE 2022
No2022/735
Rôle No RG 21/13638 No Portalis DBVB-V-B7F-BIEEM
[X] [S]
C/
Association ADER
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Isabelle FICI
Me Charles TOLLINCHI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge de l'exécution de TARASCON en date du 10 Septembre 2021 enregistré au répertoire général sous le no 20/01909.
APPELANT
Monsieur [S] [X],
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Isabelle FICI de la SELARL LIBERAS FICI et ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Patrice IBANEZ de la SELARL IBANEZ ET ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
INTIMÉE
Association ADER
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège [Adresse 2]
représentée par Me Charles TOLLINCHI de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Emilie TRONCIN, avocat au barreau de MONTPELLIER
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Septembre 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Evelyne THOMASSIN, Président, et Madame Pascale POCHIC, Conseiller.
Madame Evelyne THOMASSIN, Président, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Evelyne THOMASSIN, Président
Madame Pascale POCHIC, Conseiller
Monsieur Ambroise CATTEAU, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Josiane BOMEA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Novembre 2022.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Novembre 2022.
Signé par Madame Evelyne THOMASSIN, Président et Mme Josiane BOMEA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Faits, procédure et prétentions des parties :
La cour d'appel d'Aix en Provence, le 29 mars 2018, a ordonné sous astreinte, à la suite de l'annulation de son permis de construire, la démolition par monsieur [S] [X] de la construction qu'il avait édifiée route de Boulbon à Tarascon dans le délai d'un an à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
L'arrêt a été signifié à monsieur [X] le 28 mai 2018 par remise à l'étude de l'huissier de justice, avec envoi de la lettre recommandée prévue à l'article 658 du code de procédure civile, dont l'accusé de réception est revenu signé avec la date du 4 juin 2018.
A la demande de l'association pour la défense de l'environnement rural (ci après désignée l'ADER), le juge de l'exécution de Tarascon, par une décision en date du 10 septembre 2021 a
- liquidé l'astreinte à la somme de 67 300 €,
- condamné monsieur [X] à payer cette somme,
- ordonné une nouvelle astreinte provisoire de 200 euros par jour de retard débutant 6 mois après la signification du jugement et pour une durée de 6 mois,
- a condamné monsieur [X] à payer une somme de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens.
La notification de la décision a été faite par le greffe du tribunal, selon lettre recommandée dont
monsieur [X] a accusé réception le 13 septembre 2021.
Elle lui a également été signifiée par acte d'huissier de justice, le 25 avril 2022.
Il en a fait appel par déclaration le 25 septembre 2021 à la cour.
Le 7 juin 2022, le président de cette chambre, saisi en incident, a dit n'y avoir lieu à radiation du dossier sur le fondement de l'article 524 du code de procédure civile, en raison de la proximité de l'audience de plaidoirie devant la cour et du commencement entrepris de la démolition de l'immeuble.
Ses moyens et prétentions étant exposés dans des conclusions en date du 12 novembre 2021, auxquelles il est renvoyé, monsieur [X] demande à la cour :
A titre principal,
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a liquidé l'astreinte fixée par la cour de céans le 29 mars 2018 à la somme de 67 300 euros, condamné monsieur [S] [X] à payer à l'ADER la somme de 67 300 euros, ordonné la fixation d'une nouvelle astreinte provisoire de 200 euros par jour de retard, condamné monsieur [S] [X] à payer à l'ADER la somme de 700 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et condamné monsieur [S] [X] aux dépens ;
- supprimer l'astreinte prononcée par la cour de céans, en application de l'article L. 131-4, alinéa 3, du Code des procédures civiles d'exécution ;
- débouter l'ADER de ses demandes de première instance,
A titre subsidiaire,
- réformer le jugement entrepris en ses dispositions,
- réduire le montant de l'astreinte prononcée et juger que celui-ci n'excéder pas la somme de 500€,
En tout état de cause,
- rejeter et débouter l'ADER de toutes demandes, fins et conclusions contraires aux présentes.
Totalement déconcerté par la condamnation à démolir, il a du chercher un nouveau terrain pour installer son domicile, aux alentours du siège de son exploitation agricole. La Safer n'a pu lui trouver de parcelle. Pour sa famille, il avait pu obtenir un permis précaire de deux ans à compter du 14 novembre 2019. Le coût des travaux de démolition était conséquent, de l'ordre de 93 000 euros TTC. Le permis de construire précaire s'est basé sur l'absence de solution alternative au logement d'une famille de 4 personnes, l'absence de sites disponibles, la perte du logement, ce qui constitue des causes étrangères, auquel il s'est heurté pour exécuter la démolition. Exploitant agricole, il a un lourd endettement pour la construction d'une maison vouée à la démolition, l'acquisition du foncier et la construction d'un nouveau logement. En 2021, le gel lui a fait perdre la moitié de sa récolte.
Par conclusions de procédure en date du 31 août 2022, monsieur [X] sollicite la révocation de l'ordonnance de clôture et que soient admises aux débats de nouvelles pièces communiquées ce jour là.
Ses moyens et prétentions étant exposés dans des conclusions en date 9 décembre 2021 auxquelles il est renvoyé, l'ADER demande à la cour de :
- Confirmer le jugement du 10 septembre 2021 sur le principe de la liquidation de l'astreinte sans suppression ni minoration et la fixation d'une nouvelle astreinte provisoire dans les 6 mois de la signification du jugement outre l'article 700 du code de procédure civile - Liquider l'astreinte provisoire ordonnée par l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence en date du 29 mars 2018, à la somme de 97 300 € sauf à parfaire ;
- Condamner en conséquence monsieur [S] [X] au paiement de 97 300 € à L'A.D.E.R,
A titre subsidaire,
- Liquider l'astreinte provisoire ordonnée le 29 mars 2018, à la somme de 78 400 € sauf à parfaire;
- Condamner en conséquence monsieur [S] [X] au paiement de 78 400 € à L'A.D.E.R,
En toute hypothèse,
- Ordonner une astreinte définitive de 200 € par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
- Débouter monsieur [S] [X] de toutes ses demandes ;
- Condamner monsieur [S] [X] au paiement de la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et aux dépens.
Monsieur [X] ne peut invoquer une cause étrangère, si ce n'est son refus de démolir la construction illégale. Le permis de construire précaire qu'il a obtenu et qu'il invoque bénéficie à la SCEA du Mas neuf et non à lui, ce qui ne le dispense pas de démolir la construction après les arrêts rendus par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation dans cette affaire. Un tel permis est un acte administratif inexistant, sur un permis de construire annulé.
Monsieur [X] ne justifie pas de son comportement pour exécuter la décision de démolition, au contraire, il a cherché à s'y soustraire. L'astreinte a commencé à courir le 29 mai 2019, 973 jours se sont écoulés sans exécution au 31 décembre 2021. Et même si l'on diffère le calcul à l'arrêt de la Cour de cassation, le 7 novembre 2019, l'astreinte doit être calculée sur 784 jours.
Par conclusions de procédure en date du 10 août 2022, elle demande à la cour de :
- révoquer l'ordonnance de clôture,
- admettre aux débats ses nouvelles pièces,
- joindre les dépens de l'incident à ceux du fond.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 juin 2022.
MOTIVATION DE LA DÉCISION :
Sur le report de l'ordonnance de clôture :
A l'audience avant l'ouverture des débats, à la demande des parties, l'ordonnance de clôture a été révoquée afin qu'un débat complet et contradictoire s'instaure sur le litige, en permettant à la cour d'appel de statuer en prenant connaissance des dernières écritures des parties, tandis qu'elles estimaient toutes deux que le dossier était en état et qu'aucune d'elles ne voulait conclure à nouveau. La procédure a été clôturée par voie de mention au dossier le jour de l'audience, ce dont les parties ont été avisées verbalement sur le champ.
Sur la liquidation de l'astreinte prononcée le 29 mars 2018 :
L'article L131-4 du code des procédures civiles d'exécution dispose que le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter. L'astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie, s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.
L'arrêt en date du 29 mars 2018 a motivé sa décision sur le fait que la construction litigieuse a été édifiée à l'intérieur du site de la Montagnette, inscrit comme monument naturel ou site dont la conservation ou la préservation présente, sur le plan artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général. Il a écarté que la démolition constitue une atteinte disproportionnée au droit de propriété ou au droit au domicile, en raison du caractère esthétique remarquable de ce lieu, de taille réduite et soumis à la pression immobilière au détriment de la préservation esthétique de la zone et l'évidence d'un risque d'illégalité du permis de construire dans cette zone protégée alors que déjà en 2007, un précédent permis avait été retiré.
Il revient à monsieur [X] pour échapper à la liquidation de l'astreinte, d'établir ce qu'il invoque, une impossibilité d'exécuter la décision judiciaire. Il avance à ce titre la difficulté à se reloger avec sa famille, ce pourquoi il a obtenu bien sûr à sa demande, un permis de construire précaire et un différé de deux années des autorités municipales. Mais il ne justifie pas de recherches riétérées de relogement pour sa famille, l'obtention du permis de construire précaire étant insuffisante à démontrer que les difficultés à se reloger étaient tellement importantes qu'elles équivalaient à une impossibilité d'exécution aboutissant à la cause étrangère.
Au contraire, le dossier révèle que monsieur [X] dans une démarche certes, humainement admissible, a tenté de différer l'exécution de la démolition, dans l'espoir "pragmatique", selon ses écritures, de sauver la construction au cas où la Cour de cassation aurait invalidé l'arrêt de la cour d'appel. Mais tel n'a pas été le cas et en présence d'une décision déjà exécutoire, l'arrêt de la Cour de cassation, le 7 novembre 2019, a retenu que la démolition était la seule mesure permettant de réparer le préjudice causé à l'environnement et qu'elle était proportionnée au respect des droits de l'homme. Cette décision de la Cour suprême a été rendue il y a maintenant trois ans, sans aucune exécution avant le début de l'année 2022, elle a démenti toute issue favorable attendue par monsieur [X].
Il ressort cependant des procès verbaux établis par huissier de justice le 2, 4 et 9 août 2022 que la démolition totale de l'immeuble a été à ce jour réalisée, ce qui peut s'observer au fur et à mesure de l'avancement des travaux, sur les clichés photographiques annexés par l'officier ministériel. L'exécution désormais acquise conduit la cour à confirmer la liquidation de l'astreinte décidée par le premier juge au 1er avril 2021et à supprimer pour l'avenir, l'astreinte provisoire, qui n'a plus de raison d'être du fait de cette exécution.
Afin de respecter le principe du double degré de juridiction, la cour estime ne pas devoir actualiser la liquidation d'astreinte.
Il est inéquitable de laisser à la charge de l'ADER les frais irrépétibles engagés dans l'instance, une somme de 1 000 euros lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La partie perdante supporte les dépens, ils seront à la charge de monsieur [X] qui succombe en ses prétentions.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant par décision contradictoire, mise à disposition au greffe,
ORDONNE le report des effets de l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries,
CONFIRME la décision déférée sauf en ce qui concerne la fixation d'une astreinte provisoire majorée,
Statuant à nouveau du chef infirmé,
DIT n'y avoir lieu à fixation d'une astreinte provisoire majorée de 200 euros par jour,
Y ajoutant,
SUPPRIME pour l'avenir, l'astreinte qui avait été fixée par la cour d'appel d'Aix en Provence le 29 mars 2018,
CONDAMNE monsieur [S] [X] à payer à l'ADER la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE monsieur [S] [X] aux dépens d'appel qui comprendront ceux d'incident.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE