COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-9
ARRÊT AU FOND
DU 17 NOVEMBRE 2022
No 2022/750
Rôle No RG 21/01949 - No Portalis DBVB-V-B7F-BG5QE
[Adresse 9]
C/
[N] [H] épouse [C]
[W] [C]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me PLENOT
Me GRAVEREAUX
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge de l'exécution de GRASSE en date du 02 Février 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le no 19/04847.
APPELANTE
Commune GRASSE , demeurant [Adresse 11]
représentée par Me Luc PLENOT de la SELARL PLENOT-SUARES-ORLANDINI, avocat au barreau de NICE, substitué par Me LouisGADD, avocat au barreau de NICE, plaidant
INTIMES
Madame [N] [H] épouse [C]
DA notifiée le 07 Avril 2021.
née le [Date naissance 1] 1986 à [Localité 13], demeurant [Adresse 8]
représentée par Me Agnès GRAVEREAUX, avocat au barreau de GRASSE, plaidant
Monsieur [W] [C]
DA notifiée le 07 Avril 2021.
né le [Date naissance 2] 1986 à [Localité 10], demeurant [Adresse 8]
représenté par Me Agnès GRAVEREAUX, avocat au barreau de GRASSE, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 15 Septembre 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Agnès DENJOY, Présidente de Chambre, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Agnès DENJOY, Président
Madame Pascale POCHIC, Conseiller
Monsieur Dominique TATOUEIX, Magistrat honoraire
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Ingrid LAVALLEE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Novembre 2022.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Novembre 2022,
Signé par Madame Agnès DENJOY, Président et Madame Ingrid LAVALLEE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCEDURE :
Le 6 août 2015, la commune de [Localité 10] a fait assigner en référé M. et Mme [W] et [N] [C] née [H], propriétaires à Grasse de 2 parcelles [Cadastre 12] et [Cadastre 4] sises [Adresse 8], devant le président du tribunal de grande instance de Grasse aux fins de les voir condamner sous astreinte à retirer les embâcles et à remettre les berges du vallon en état sous le contrôle d'un géotechnicien.
En cours d'instance, un accord a été trouvé entre les parties et un protocole signé le 7 juin 2016.
Aux termes du protocole d'accord, les époux [C] se sont engagés à : « faire effectuer à leurs frais les travaux de remise en état du vallon. Les époux [C] prendront un bureau d'études pour effectuer les études nécessaires et demander les autorisations d'urbanisme utiles pour éviter que les matériaux et remblais ne continuent à descendre dans le lit du vallon. Les époux [C] se conformeront strictement aux travaux préconisés par ce bureau. L'étude doit être engagée dans les huit jours de la signature du protocole et les travaux devront être entrepris sans délai dès l'obtention des préconisations et autorisations nécessaires. »
Par ordonnance du 6 juin 2019 le protocole d'accord a reçu force exécutoire.
Le 22 octobre 2019, la commune a fait assigner les époux [C] devant le juge de l'exécution, invoquant le non-respect par ces derniers du protocole d'accord.
Par le jugement dont appel du 2 février 2021, le juge de l'exécution a :
- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par les époux [C],
- débouté la commune de ses demandes,
- condamné la commune à payer aux époux [C] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,
- rejeté toute autre demande.
Le juge de l'exécution a pour l'essentiel motivé sa décision par le fait que :
- le litige était circonscrit aux parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 5] appartenant aux époux [C] et ne portait pas sur les parcelles [Cadastre 4], [Cadastre 6] et [Cadastre 7] qui appartiennent à une SCI dénommée Tyrone dont M. [C] est le gérant, mais qui n'est pas partie au protocole d'accord litigieux.
- les époux [C] n'ont pu s'engager qu'à la réalisation de travaux concernant leur fonds.
- les époux [C] ont justifié avoir fait certains travaux au droit de leur terrain : création d'une rampe d'accès sur l'une des parcelles permettant l'entretien du vallon, étude hydraulique réalisée par une société Hydrosol Ingénierie le 18 avril 2018 établissant en substance que le vallon était bien entretenu au droit de leur propriété, constat d'huissier dressé le 24 février 2020 duquel il ressortait qu'au droit de la propriété [C], le vallon est bien nettoyé et n'est pas encombré d'obstacles quelconques empêchant le passage des eaux, tandis qu'en amont avant le tunnel le cours d'eau est rétréci et forme un goulot d'étranglement et qu'à cet endroit les berges sont sales et encombrées par de nombreux détritus.
Le jugement a été notifié à la commune de [Localité 10] le 4 février 2021.
La commune de [Localité 10] a interjeté appel de l'ensemble des dispositions de cette décision par déclaration au greffe de la cour du 9 février 2021.
Suivant dernières conclusions notifiées le 7 avril 2021, la commune de [Localité 10] demande à la cour de réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes et condamnée à une indemnité de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles, et de :
- ordonner aux époux [C] de procéder à la remise en état des lieux sous le contrôle d'un géotechnicien,
- condamner les époux [C] à exécuter les travaux préconisés par un technicien (BET) sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir et ce jusqu'à remise à la commune d'un rapport établi par ce bureau d'études validant les travaux exécutés,
- condamner les époux [C] à lui payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
La commune de [Localité 10] fait valoir à l'appui de son appel :
- qu'elle dispose d'un titre exécutoire conformément à l'article L 111 – 3, 1o du CPCE
- qu'elle est fondée à obtenir la condamnation des époux [C] à enlever les matériaux et remblais déposés dans le cours d'eau et sous le pont ainsi qu'à procéder à la consolidation des rives sous le contrôle d'un géotechnicien et sous astreinte.
Elle conteste la motivation du jugement en ce qu'il a retenu que les parcelles [Cadastre 4], [Cadastre 6] et [Cadastre 7] n'appartenaient pas aux époux [C] mais à la SCI Tyrone, estimant que le maire, en charge d'assurer la sécurité publique, ne peut s'arrêter aux titres de propriété.
Elle estime qu'en tout état de cause, les époux [C] n'ont pas respecté leurs engagements aux termes du protocole d'accord. La commune précise que les époux [C] n'ont pas demandé d'autorisation de construire et n'ont entrepris aucuns travaux de sécurisation des berges.
Elle expose que les époux [C] ont déposé une déclaration préalable de travaux de consolidation des berges du vallon au moyen d'un enrochement mais elle rappelle que « le plan local d'urbanisme interdit tous travaux, installations, constructions et affouillement des terres à moins de 15 m de l'axe des vallons » et que « les enrochements sont interdits »
La commune précise à cet égard qu'elle a demandé à M. [C] de prouver par une étude spécifique que les travaux en question étaient strictement nécessaires à l'entretien du vallon, lié au plan de prévention du risque inondation, et que faute pour Monsieur [C] d'avoir complété son dossier, sa déclaration préalable de travaux a été classée sans suite.
Elle invoque les dispositions de l'article L215- 14 du code de l'environnement qui oblige les riverains « à un entretien régulier du cours d'eau. L'entretien régulier a pour objet de maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre, de permettre l'écoulement naturel des eaux et de contribuer à son bon état écologique ou, le cas échéant, à son bon potentiel écologique, notamment par enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives. Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article. »
Suivant dernières conclusions déposées le 19 avril 2021, Monsieur [W] [C] et son épouse Mme [N] [H] épouse [C] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la commune de [Localité 10] de ses demandes et l'a condamnée à leur verser la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 ainsi qu'aux dépens,
- l'infirmer en ce qu'il a jugé n'y avoir lieu de qualifier le vallon des Basses Moulières et en ce qu'il n'a pas statué sur les frais des constats d'huissier qu'ils ont été contraints de faire dresser pour assurer leur défense,
Statuant à nouveau sur ces points,
- juger que le vallon des Basses Moulières n'est pas un cours d'eau non domanial,
- condamner la commune de [Localité 10] à leur rembourser les frais des constats d'huissier du 16 septembre 2015 soit 270,36 euros, du 20 février 2020 soit 549,20 euros et condamner la commune à leur payer à chacun la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance d'appel,
- dire que si l'exécution forcée doit être confiée à un huissier de justice, le montant des sommes retenues par l'huissier en application de l'article 12 du décret 2016-230 du 26 février 2016 sera supporté par la commune en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les époux [C] font valoir en substance que :
- contrairement à ce que soutient la commune à l'origine de la procédure qu'elle a engagée à leur égard, le vallon des basses Moulières qui traverse leur propriété n'est pas un cours d'eau non domanial et les articles L.215 et suivants du code de l'environnement ne s'appliquent pas.
- nonobstant l'absence d'obligation d'entretien, ils ont néanmoins fait face à leurs charges (sic) en procédant au désencombrement du vallon sur leur propriété. Ils estiment que les désordres avaient été réparés dès le mois de septembre 2015 et que par la suite, ils ont fait réaliser les études demandées par la mairie à leurs frais pour réaliser les travaux nécessaires en vue d'éviter tout risque de débordement.
Ils exposent qu'il résulte d'un rapport hydraulique réalisé le 18 avril 2018 que les risques de débordement se situent en amont et en aval du vallon en dehors de leur propriété.
Ils soutiennent que la commune a été déboutée de ses demandes en l'absence de démonstration d'un non-respect par eux des termes du protocole d'accord.
Ils ajoutent que les aménagements sollicités par la commune sont sans fondement et qu'ils ne supportent aucune obligation légale de remise en état du vallon en l'absence de caractérisation de l'existence d'un cours d'eau non domanial.
Ils se réfèrent à l'article L.215 - 7 -1 du code de l'environnement qui définit la notion de cours d'eau.
Ils reconnaissent que les riverains ont une obligation d'entretien et de curage des cours d'eau non domaniaux mais qu'il appartient au juge du fond de caractériser la nature juridique d'un écoulement d'eau, la notion de cours d'eau étant attachée à la permanence du lit, à l'origine naturelle de l'écoulement et à un débit suffisant.
En l'espèce, ils estiment qu'aucune des caractéristiques de la définition d'un cours d'eau n'est constituée : ils se réfèrent au constat d'huissier du 24 février 2020 faisant ressortir que le lit de passage d'un cours d'eau intermittent était ce jour-là à sec et qu'il n'y avait aucune trace de vie ; que par ailleurs, la commune ne démontre pas l'existence d'une source ou d'une nappe alimentant le cours d'eau tel qu'invoqué.
Ils affirment par ailleurs qu'ils ont effectué de nombreux travaux consistant en l'enlèvement des embâcles et déblais.
Il contestent la portée du rapport effectué par la société Fondasol qui concerne les parcelles [Cadastre 4] et [Cadastre 6] alors qu'ils sont propriétaires des parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 5].
Ils estiment que les obligations des riverains ne vont pas jusqu'à les obliger à reconstruire des remblais avec pose de gabions et que de tels travaux ne sont d'ailleurs pas énumérés dans le protocole de 2016.
MOTIFS DE LA DECISION :
Selon protocole d'accord transactionnel ayant force exécutoire sans qu'il y ait lieu de déterminer si c'est un cours d'eau qui longe la propriété des époux [C], ces derniers se sont engagés envers la commune en contrepartie du désistement de cette dernière de l'instance engagée par elle devant le tribunal de grande instance de Grasse, à effectuer à leurs frais « les travaux de remise en état du vallon ».
Cet engagement est explicité au début du protocole transactionnel en ce que :
- les services de la ville ont constaté l'encombrement des rives du cours d'eau privé, au droit des parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 5] dont sont propriétaire les époux [C], par des pierres et des matériaux de chantier qui gênent l'écoulement des eaux, créant des embâcles en aval au point de mettre en danger la sécurité des personnes et des biens.
- la commune se réfère aux deux études qu'elle a fait réaliser par la société Fondasol qui démontrent «qu'en aval de la propriété [C] le vallon est obstrué par les matériaux de construction ».
Les époux [C] se sont engagés aux termes de ce protocole à :
- confier à un bureau d'études les études nécessaires à la réalisation des travaux
- demander les autorisations d'urbanisme préalables.
Les travaux doivent avoir pour effet d'éviter que les matériaux et remblais ne continuent à descendre dans le lit du vallon.
Il est précisé que l'étude doit être engagée dans les huit jours de la signature du protocole et les travaux entrepris sans délai dès l'obtention des préconisations et autorisations nécessaires.
En l'espèce :
Comme l'a retenu le juge de l'exécution, les époux [C] ne se sont engagés aux termes du protocole d'accord qu'à réaliser des travaux sur le fonds dont ils sont propriétaires et non sur le fonds dont est propriétaire une SCI dénommée Tyrone quand bien même ils seraient gérants ou associés au sein de cette SCI.
Le litige est circonscrit aux parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 5] dont les époux [C] sont propriétaires.
Cela étant, les époux [C] ont fait réaliser une étude hydrogéologique du secteur qui ne répond pas aux exigences du protocole d'accord.
En effet ce qui était demandé et ce à quoi les époux [C] se sont engagés, consiste en une étude technique visant à définir précisément les futurs travaux destinés à éviter que les matériaux et remblais ne continuent à descendre dans le lit du vallon, ainsi que le précise le protocole.
L'étude hydrogéologique produite par les époux [C] n'est pas une étude d'exécution définissant les futurs travaux.
Il incombait aux époux [C] de désigner un bureau d'études techniques chargé de définir les travaux permettant d'aboutir au résultat convenu aux termes du protocole à savoir éviter que les matériaux et remblais ne continuent à descendre dans le lit du vallon.
Ce bureau d'études devait utilement définir les travaux dans le respect du PLU qui interdit tous travaux, installations, constructions et affouillement des terres à moins de 15 m de l'axe des vallons et interdit en principe les enrochements.
Il incombera aux époux [C] de déposer une demande d'autorisation de travaux ou une déclaration de travaux selon le cas, correspondant aux préconisations du bureau d'études.
Par conséquent, le jugement déféré doit être infirmé en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, il y a lieu d'assortir d'une astreinte la mise à exécution du protocole d'accord conclu entre les parties sans qu'il y ait lieu de préciser, puisque cela ne figure pas au protocole, que les époux [C] sont tenus de faire réaliser l'étude technique par un géotechnicien ni que ce dernier devra remettre à la commune un rapport validant les travaux exécutés.
Le surplus des demandes des parties sera rejeté.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que les époux [C] sont tenus en vertu du protocole d'accord :- de réaliser au droit de leur propriété au niveau du vallon située entre les parcelles [Cadastre 3] et [Cadastre 5] des travaux ayant pour effet d'éviter que les matériaux et remblais ne continuent à descendre dans le lit du vallon
- de confier à cet effet à un bureau d'études technique les études d'exécution nécessaires comportant une préconisation précise quant aux travaux à exécuter
- de demander une autorisation d'urbanisme ou de faire une déclaration de travaux compatible avec le PLU de la commune et dans le respect des préconisations du bureau d'études techniques auquel ils se seront adressés.
Assortit ces prescriptions, qui résultent du protocole d'accord du 7 juin 2016, d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de la signification du présent arrêt,
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes des parties,
Condamne M. et Mme [C] aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE