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03/11/2022 | FRANCE | N°19/09314

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-1, 03 novembre 2022, 19/09314


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1



ARRÊT AU FOND

DU 03 NOVEMBRE 2022



N° 2022/ 316













N° RG 19/09314 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEM66







[P] [N]

SA HELVETIA ASSURANCES S.A.





C/



SARL HYERES ESPACE PLAISANCE

SAS MONACO MARINE FRANCE





















Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Rachel SARAGA-BROSSAT



Me

Laurence BOZZI



Me Joseph MAGNAN











Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de TOULON en date du 09 Mai 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 2016J00005.





APPELANTS



Monsieur [P] [N], né le 15 Septembre 1944 à [Localité 3], de national...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT AU FOND

DU 03 NOVEMBRE 2022

N° 2022/ 316

N° RG 19/09314 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEM66

[P] [N]

SA HELVETIA ASSURANCES S.A.

C/

SARL HYERES ESPACE PLAISANCE

SAS MONACO MARINE FRANCE

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Rachel SARAGA-BROSSAT

Me Laurence BOZZI

Me Joseph MAGNAN

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de TOULON en date du 09 Mai 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 2016J00005.

APPELANTS

Monsieur [P] [N], né le 15 Septembre 1944 à [Localité 3], de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Rachel SARAGA-BROSSAT de la SELARL SARAGA- BROSSAT RACHEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Olivier RAISON de la SELARL RAISON & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

SA HELVETIA ASSURANCES S.A., dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Me Rachel SARAGA-BROSSAT de la SELARL SARAGA- BROSSAT RACHEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Olivier RAISON de la SELARL RAISON & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEES

SARL HYERES ESPACE PLAISANCE, dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Laurence BOZZI, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Marion PAOLOZZI, avocat au barreau de MARSEILLE

SAS MONACO MARINE FRANCE, dont le siège social est [Adresse 5]

représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Hervé LAROQUE, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 19 Septembre 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Pierre CALLOCH, Président

Madame Marie-Christine BERQUET, Conseillère

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Novembre 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Novembre 2022,

Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et M. Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

M. [P] [N] a acquis, dans le cadre d'un contrat de location de longue durée, une vedette « Gemarege » de type Jeanneau Prestige, assurée auprès de la société Helvetia Assurances.

En 2014, M. [P] [N] a confié l'entretien courant du bateau à la société Hyères Espace Plaisance, laquelle a sous-traité la révision du moteur à la société Monaco Marine France.

Le 2 novembre 2014, à l'issue d'une sortie en mer, M. [P] [N] a constaté une absence de puissance du moteur bâbord ainsi qu'une légère fuite d'eau dans le compartiment machine. Deux jours plus tard la vedette était trouvée partiellement immergée.

Une expertise contradictoire a alors été établie en présence notamment de M. [M], expert de la société Helvetia Assurances, et de M. [B], expert de la société Hyères Espace Plaisance.

La société Helvetia Assurances a réglé la somme de 129.044,19 euros, sous déduction de la franchise restée à charge de M. [P] [N], à hauteur de 1.750 euros, selon quittance du 6 juillet 2015.

A la suite d'une mise en demeure restée infructueuse, M. [P] [N] et la société Helvetia Assurances ont assigné la société Hyères Espace Plaisance afin d'obtenir le paiement de ces sommes, outre 20.000 euros au titre du préjudice de jouissance, estimant que le chantier naval était à l'origine du sinistre.

La société Hyères Espace Plaisance a, pour sa part, appelé en la cause la société Monaco Marine France.

Par jugement en date du 9 mai 2019 le tribunal de commerce de Toulon a joint les instances et a :

-débouté M. [P] [N] et la société Helvetia Assurances de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

-condamné solidairement et à parts égales, M. [P] [N] et la société Helvetia Assurances à payer à la société Hyères Espace Plaisance la somme de 2.000 euros et à la société Monaco Marine France la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre aux dépens

-------------

Par acte du 12 juin 2019 M. [P] [N] et la société Helvetia Assurances ont interjeté appel du jugement.

-------------

Par conclusions enregistrées le 17 février 2020, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [P] [N] et la société Helvetia Assurances (SA) font valoir que :

-la société Helvetia Assurances est légalement subrogée dans les droits de son assuré ; elle n'était pas tenue de se prévaloir d'une exclusion de garantie dès lors que la vétusté invoquée n'est pas la cause du dommage, et pas davantage l'attitude de M. [P] [N], qui n'a commis aucune faute intentionnelle ni défaut d'entretien ; les indemnités ont été versées à M. [P] [N] ainsi qu'au tiers réparateur pour le compte de l'assuré, en accord avec la société SGB Finances, propriétaire du bateau,

-subsidiairement, la société Helvetia Assurances bénéficie de la subrogation conventionnelle au regard de la quittance subrogative émise le 6 juillet 2015 et des versements (5) intervenus entre le 15 avril et le 31 juillet 2015 ; la société Helvetia Assurances était bien-fondée à verser les indemnités à M. [P] [N], crédit-preneur, dès lors que les conditions générales de la location prévoient que les réparations sont à la charge du locataire ; M. [P] [N] a souscrit seul le contrat d'assurance avec la société Helvetia Assurances ; il est le créancier de l'indemnité d'assurance, et non le propriétaire ; s'agissant de l'absence de concomitance entre la quittance et les paiements, la jurisprudence admet la subrogation pour des paiements faits antérieurement à l'émission de la quittance dès lors qu'ils ont été effectués au titre d'une créance globale dont ils sont les paiements partiels ; de même, M. [P] [N] a manifesté sa volonté claire, au moment de l'émission de la quittance, de subroger la société Helvetia Assurances dans tous ses droits à réception, même postérieure, des sommes dues,

-M. [P] [N] est également recevable en ses demandes puisqu'il a supporté le montant de la franchise prévue par le contrat d'assurance,

-sur le fond, l'origine des avaries subies par le navire se situe dans une voie d'eau provenant de la pompe de refroidissement du moteur bâbord ; la responsabilité de la société Hyères Espace Plaisance et de la société Monaco Marine France, auxquelles M. [P] [N] a confié la révision annuelle, est pleinement engagée s'agissant d'une obligation de résultat au visa de l'article L.5113-6 du code des transports ; la présomption de faute pesant sur le réparateur exonère les requérants de leur obligation de prouver une faute, contrairement à ce qui a été jugé ; en tout état de cause, les chantiers navals ont commis une faute dès lors qu'ils n'ont pas procédé au démontage complet de la pompe et à son contrôle, et se sont contentés de la désassembler ; leurs arguments en défense sont inopérants ,

-aucune preuve n'est établie d'une utilisation anormale du navire ; M. [P] [N] ne pouvait pas détecter l'usure des joints d'étanchéité puisqu'ils sont situés à l'intérieur de la pompe et que cette vérification relève d'un professionnel ; le tribunal de commerce ne s'est fondé que sur le rapport [B], qui n'est pas corroboré, et a retenu une exonération totale des chantiers navals alors même que dans l'hypothèse d'une faute de l'armateur il faudrait que celle-ci soit exclusive ; or en l'espèce, sans la défaillance de la pompe de refroidissement, qui a permis à l'eau de rentrer dans le compartiment moteur, le sinistre n'aurait pas eu lieu,

-s'agissant du quantum des demandes, le préjudice actuel et certain de la société Helvetia Assurances est de 129.044,19 euros ; celui de M. [P] [N] est composé de la franchise restée à charge ainsi que de son préjudice de jouissance en raison de l'immobilisation du bateau entre novembre 2014 et juillet 2015

Les appelants demandent ainsi à la cour de :

-infirmer le jugement dans son intégralité,

-condamner solidairement la société Hyères Espace Plaisance et la société Monaco Marine France à payer à la société Helvetia Assurances la somme de 129.044,19 euros toutes taxes comprises correspondant au montant des réparations qu'elle a indemnisé à son assuré,

-condamner la société Hyères Espace Plaisance et la société Monaco Marine France à payer à M. [P] [N] la somme de 21.750 euros toutes taxes comprises au titre de la franchise restée à charge ainsi qu'à son préjudice de jouissance,

-condamner la société Hyères Espace Plaisance et la société Monaco Marine France au paiement de la somme de 8.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens

---------------

Par conclusions enregistrées le 20 mai 2020, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Hyères Espace Plaisance (SARL) réplique que :

-les demandes de la société Helvetia Assurances doivent être rejetées en l'absence de preuve de sa qualité et de son intérêt pour agir ; celle-ci a omis d'opposer à son assuré une clause contractuelle impliquant une déchéance de garantie de même qu'une exclusion légale en raison de la vétusté inhérente à la chose louée et de la faute commise par l'assuré; par ailleurs, la société Helvetia Assurances ne peut se prévaloir de la subrogation conventionnelle en l'absence de quittance subrogative régularisée par le propriétaire et en l'absence de concomitance entre le paiement et la quittance subrogative,

-en tout état de cause, elle n'est pas à l'origine d'une faute ; seule la négligence de M. [P] [N] est la cause du dommage dès lors qu'il aurait dû contrôler l'usure des joints d'étanchéité de la pompe à eau de mer du moteur bâbord, et qu'après avoir constaté la présence d'eau dans le navire il n'a pas pris les mesures propres à limiter l'ampleur du dommage ; le tribunal de commerce a donc estimé à bon droit que la faute de M. [P] [N] était la cause exclusive du dommage,

-à titre subsidiaire, la société Helvetia Assurances ne justifie pas avoir réglé l'intégralité des sommes à M. [P] [N] et n'aurait pas dû, au regard des conclusions de l'expert, verser les montants réclamés sans déduire la vétusté ; M. [P] [N] ne démontre pas l'existence d'un préjudice de jouissance, tant dans son principe que dans son montant,

-la société Hyères Espace Plaisance est étrangère aux opérations de maintenance effectuées sur le moteur de l'embarcation puisqu'elle a fait appel précisément au réparateur agrée ; or la société Monaco Marine France n'a ni remplacé la pompe ni déposé celle-ci afin d'effectuer les contrôles annuels contrairement aux préconisations d'entretien, bien qu'elle affirme désormais l'avoir « désassemblée » ; la garantie de la société Monaco Marine France est dès lors due à son égard

L'intimée demande dès lors à la cour de :

A titre principal,

-déclarer irrecevables pour défaut de qualité et d'intérêt à agir les demandes indemnitaires formées par la société Helvetia Assurances à l'encontre de la société Hyères Espace Plaisance,

-débouter la société Helvetia Assurances de l'ensemble de ses prétentions dirigées contre la société Hyères Espace Plaisance,

-condamner tout succombant à lui verser la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-rejeter le surplus des prétentions adverses

A titre subsidiaire,

-juger que la subrogation dont se prévaut la société Helvetia Assurances ne saurait produire ses effets qu'à concurrence de la somme de 74.972,66 euros,

-appliquer au montant des indemnités allouées à M. [P] [N] et la société Helvetia Assurances une réduction de 80% en l'état des fautes commises par M. [P] [N],

-rejeter le surplus des prétentions

A titre infiniment subsidiaire,

-condamner la société Monaco Marine France à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre,

-condamner tout succombant à lui verser la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

-------------

Par conclusions enregistrées le 24 février 2020, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Monaco Marine France (SAS) réplique que :

-les demandes de la société Helvetia Assurances sont irrecevables ; l'assureur ne justifie pas de la subrogation légale dès lors que la police d'assurance prévoit des clauses d'exclusion formelles et de non prise en charge, qui n'ont pas été invoquées par la société Helvetia Assurances, et ce, alors que M. [P] [N] n'a pas respecté les règles de sécurité élémentaires ; le sinistre est la conséquence d'un défaut d'entretien et de surveillance de la part de l'armateur ainsi que d'une absence de mesure conservatoire ; son comportement relève de la faute intentionnelle ; la société Helvetia Assurances n'aurait pas dû prendre en charge le sinistre ; les indemnités auraient dû être versées à la société SGB Finances et non à M. [P] [N],

-la société Helvetia Assurances n'est pas davantage recevable à invoquer la subrogation conventionnelle : seul le propriétaire du bateau a la qualité de subrogeant et M. [P] [N] n'a pas pu subroger la société Helvetia Assurances dès lors qu'il n'a pas été bénéficiaire de l'ensemble des paiements ; la jurisprudence a admis que la quittance subrogative intervienne avant les paiements mais pas postérieurement,

-M. [P] [N] n'est pas recevable à agir, n'étant pas le propriétaire du bateau et ne justifiant d'aucun préjudice,

-subsidiairement, elle n'a commis aucune faute : la pompe a bien été désassemblée du moteur mais au cours de cette inspection, le technicien n'a constaté aucune présence d'eau de mer ni aucune trace de corrosion sur le témoin de la pompe de sorte qu'elle n'avait aucun raison de procéder au remplacement de la pompe ; le sinistre est intervenu 10 mois et demi après l'intervention de la société Monaco Marine France sur la pompe de refroidissement et 7 mois après la remise à l'eau et passé 84 heures de navigation ; l'intervention de la société Monaco Marine France ne peut pas être la cause de l'avarie ; la société Helvetia Assurances et M. [P] [N] ne peuvent invoquer une obligation de résultat au titre des vices cachés dès lors que la panne relève de l'usure normale ; la société Hyères Espace Plaisance, en charge de l'entretien, n'a pas signalé que la pompe n'avait pas été changée et n'a pas demandé non plus son changement préventif ; elle n'était débitrice d'aucune obligation de conseil à l'égard de M. [P] [N] avec lequel elle n'avait aucun lien ; la dégradation du joint de la pompe bâbord est intervenue postérieurement à l'intervention de la société Monaco Marine France,

-l'armateur a commis des manquements qui sont à l'origine du sinistre : l'expert [B] a noté que la fuite était un événement qui intervenait progressivement et qui ne pouvait passer inaperçu aux yeux de l'utilisateur ; en outre, M. [P] [N] a omis de fermer les vannes d'entrée d'eau des moteurs avant de quitter le bateau et ne peut dès lors se prévaloir de sa propre turpitude,

-à titre infiniment subsidiaire, s'agissant du quantum, il y a lieu de retenir le coefficient de vétusté, les clauses du contrat d'assurance n'étant pas opposables aux tiers et de rejeter la demande au titre du préjudice de jouissance ; enfin, en l'état des fautes de M. [P] [N], il y a lieu d'opérer un partage de responsabilité de façon à ce que M. [P] [N] et son assureur conservent au minimum 80% du préjudice allégué

Ainsi, l'intimée demande à la cour de :

-déclarer l'action de la société Helvetia Assurances et de M. [P] [N] irrecevable pour défaut de qualité et d'intérêt à agir,

-débouter M. [P] [N], la société Helvetia Assurances et la société Hyères Espace Plaisance de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions à son encontre,

-condamner M. [P] [N], la société Helvetia Assurances et la société Hyères Espace Plaisance à lui payer la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel

Subsidiairement, dans l'hypothèse de la recevabilité des actions de M. [P] [N] et de la société Helvetia Assurances,

-mettre hors de cause la société Monaco Marine France et confirmer le jugement rendu,

-débouter M. [P] [N], la société Helvetia Assurances et la société Hyères Espace Plaisance de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions à son encontre,

-condamner M. [P] [N], la société Helvetia Assurances et la société Hyères Espace Plaisance à lui payer la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction

-------------

Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 1er septembre 2022 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 19 septembre 2022.

A cette date, l'affaire a été retenue et mise en délibéré au 03 novembre 2022.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de rappeler que les mentions insérées au dispositif des conclusions tendant à voir « constater » « donner acte » ou « dire et juger » ne constituent pas des prétentions mais des moyens et seront dès lors examinées comme tels.

Sur la recevabilité des demandes de la société Helvetia Assurances :

En application des articles L.121-12 et L.172-29 du code des assurances, l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance acquiert, à concurrence de son paiement, tous les droits de l'assuré nés des dommages qui ont donné lieu à garantie.

Par ailleurs, aux termes de l'article 1249 code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, la subrogation dans les droits du créancier au profit d'une tierce personne qui paye, est ou conventionnelle ou légale.

Ainsi, l'assureur qui a payé l'indemnité contractuellement due à son assuré est légalement subrogé dans les droits de ce dernier.

A défaut, la subrogation conventionnelle de l'assureur dans les droits de l'assuré résulte de la volonté expresse de ce dernier, manifestée concomitamment ou antérieurement au paiement reçu de l'assureur au visa des articles 1250 et 1252 du code civil.

En l'espèce, il apparaît que la société Helvetia Assurances a versé la somme de 129.044,19 euros à titre d'indemnité à la suite du sinistre intervenu le 2 novembre 2014, M. [P] [N] conservant à sa charge le montant de la franchise à hauteur de 1.750 euros.

La société Helvetia Assurances produit également aux débats le bulletin d'adhésion à l'assurance signé le 10 avril 2012 par M. [P] [N] ainsi que son avenant daté du 23 décembre 2013.

L'assureur produit en outre l'expertise établie par son expert M. [M], aux termes de laquelle il évalue le montant des réparations à la somme de 136.403,34 euros toutes taxes comprises, et relève que l'avarie n'aurait pas eu lieu si les joints Cyclam et les roulements de la pompe Cummins avaient été remplacés en mars 2014 comme recommandé par le motoriste à l'occasion de l'intervention effectuée par la société Monaco Marine France.

Par ailleurs, la société SGB, propriétaire-bailleur du navire, a donné son accord à l'assureur par correspondance du 2 avril 2015 afin que les indemnités soient versées directement entre les mains de M. [P] [N] ou du réparateur. En tout état de cause, le contrat d'assurance a été souscrit par M. [P] [N] lui-même, et il ressort des termes des articles 14 et 17 du contrat de location avec option d'achat que le locataire est tenu de prendre à sa charge tous les frais nécessités par les réparations du navire. La société Helvetia Assurances était donc bien-fondée à verser à son assuré les indemnités dues au titre de la remise en état du bateau ou directement au bénéfice du réparateur désigné.

En conséquence, les règlements effectués au profit de M. [P] [N] à hauteur de 74.972,66 euros et du réparateur EuroVoiles à hauteur de 54.071,53 euros pour le compte de l'assuré, soit un total de 129.044,19 euros, constituent un paiement obligé en exécution de la police d'assurances.

Pour le surplus, les moyens tirés de la vétusté du navire et de la faute commise par M. [P] [N] relèvent du débat au fond, étant rappelé qu'il n'appartient pas à l'assureur de préjuger des responsabilités éventuelles de chaque partie, et qu'en l'espèce, la société Helvetia Assurances disposait d'éléments suffisants pour évaluer le montant des dommages et établir un lien de causalité avec l'intervention des société Hyères Espace Plaisance et Monaco Marine France sur le bateau.

Dès lors, la société Helvetia Assurances justifie être légalement subrogée dans les droits de

M. [P] [N] à hauteur de la somme de 129.044,19 euros, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les conditions d'une subrogation conventionnelle.

Sur la recevabilité des demandes de M. [P] [N] :

M. [P] [N] justifie également d'un intérêt et d'une qualité pour agir dès lors qu'il a conservé à sa charge le montant de la franchise.

Par ailleurs, il résulte de l'expertise effectuée par M. [M] que celui-ci n'a pas intégré le préjudice de jouissance dont se prévaut M. [P] [N] indépendamment de l'appréciation au fond qui en sera faite. Or, le préjudice de jouissance n'a pu être subi que par l'utilisateur du bateau, en l'espèce M. [P] [N], et non la société SGB, bailleur et propriétaire jusqu'à la levée éventuelle de l'option d'achat.

Sur les manquements des sociétés Hyères Espace Plaisance et Monaco Marine France :

Aux termes de l'article L.5113-6 du code des transports, l'entreprise qui a procédé à la réparation d'un navire est garante des vices cachés résultant de son travail dans les conditions définies par les articles L.5113-4 et L.5113-5.

Il a été jugé à cet égard que l'obligation qui pèse sur le réparateur est une obligation de résultat.

Cette obligation emporte ainsi à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la prestation fournie et le dommage invoqué. Il s'ensuit qu'il appartient au débiteur de l'obligation à réparation, en l'espèce le chantier naval, de démontrer qu'il a été empêché de satisfaire à son obligation par une cause étrangère, et notamment la faute éventuelle de l'armateur.

Au cas particulier, M. [P] [N] a confié à la société Hyères Espace Plaisance l'entretien annuel du bateau, laquelle a sous-traité la révision des moteurs à la société Monaco Marine France selon factures d'interventions de cette dernière des 14 mars 2014 et 10 avril 2014 en exécution d'un devis daté du 30 décembre 2013.

Les experts [M] et [B] s'accordent pour dire que la voie d'eau ayant provoqué l'envahissement du compartiment le 2 novembre 2014 provenait d'un défaut d'étanchéité de l'axe de pompe à eau du moteur bâbord, dont les roulements étaient hors service et dont les joints d'étanchéité avaient disparu.

L'expert [M] note également qu'à l'examen du livret d'entretien de la pompe Cummins il en ressort que toutes les 100 heures ou une fois par an, le démontage et l'inspection de la pompe d'eau de mer ainsi que le remplacement des pièces usées devaient être effectuées, ce à quoi ni la société Hyères Espace Plaisance ni la société Monaco Marine France ne justifient avoir procédé.

Aux dires du mécanicien entendu par l'expert, la pompe a été « désassemblée » pour changer le rotor mais pas démontée.

Par ailleurs, l'usure normale invoquée par la société Monaco Marine France depuis son intervention sur le moteur en mars et avril 2014 (dates de facturation) ne correspond pas aux préconisations du livret d'entretien de la pompe dès lors qu'en tout état de cause, ni cette société ni la société Hyères Espace Plaisance, en charge de l'entretien du bateau depuis 2012, ne justifient d'un précédent démontage de la pompe pour vérifications, seule circonstance qui les aurait dispensées d'y procéder à nouveau en mars et avril 2014, étant relevé que la société Monaco Marine France a été mandatée en sa qualité de spécialiste de ce type de motorisation.

Dès lors, nonobstant l'obligation de résultat pesant sur la société Hyères Espace Plaisance et la société Monaco Marine France et les présomptions en découlant, M. [P] [N] établit la faute ainsi que le lien de causalité existant entre le défaut d'entretien et de réparation de la pompe litigieuse et la voie d'eau survenue le 2 novembre 2014.

Au demeurant, la société Hyères Espace Plaisance et la société Monaco Marine France ne démontrent pas que la faute de M. [P] [N] est la cause exclusive de la voie d'eau. Il ne peut être exigé de M. [P] [N], dont il n'est pas établi qu'il est un professionnel de la navigation, une vigilance particulière s'agissant des joints d'étanchéité et des roulements et ce, alors même que les entreprises chargées précisément de l'entretien du navire n'ont pas elles-mêmes détecté la fuite et que l'expert [B] note que ce type de dégradation est lent et progressif, ce dont il peut être déduit que le phénomène était également visible pour des intervenants professionnels.

En revanche, il résulte également du rapport d'expertise de M. [M] qu'en dépit de la voie d'eau constatée par M. [P] [N] celui-ci a quitté le navire sans fermer les vannes d'entrée d'eau des moteurs de sorte que « du dimanche soir au mardi, l'eau de mer siphonnée s'est écoulée de la pompe de refroidissement du moteur bâbord et a rempli les cales et les aménagements. La pompe de cale a vraisemblablement fonctionné jusqu'à ce qu'elle se mette en avarie ».

Pour autant, si cette faute a contribué à l'aggravation du dommage, comme l'ont noté les premiers juges, elle ne peut être considérée comme la cause exclusive et génératrice de l'inexécution par les chantiers navals de leur obligation d'entretien et de réparation.

En conséquence, en l'absence de faute exclusive exonératoire de responsabilité de la part de M. [P] [N], la société Helvetia Assurances et son assuré sont bien-fondés à solliciter la réparation de leur préjudice, sous réserve de la limitation tenant à la négligence fautive de M. [P] [N] dans les mesures destinées à éviter la progression de la voie d'eau et les conséquences dommageables qui en ont résulté.

Au regard des éléments communiqués il y a donc lieu de juger que M. [P] [N] et son assureurs conserveront à leur charge 50 % des dommages évalués ci-dessous.

Le jugement sera dès lors infirmé de ce chef.

Sur les indemnités :

Le propre de la responsabilité est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le préjudice et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit. Pour autant, cette réparation doit se faire sans perte ni profit pour aucune des parties.

En l'espèce, la société Helvetia Assurances a retenu un montant d'indemnité à hauteur de 130.794,19 euros (129.044,19 euros après déduction de la franchise) correspondant à l'évaluation faite toutes taxes comprises, sans coefficient de vétusté.

En appliquant le coefficient de vétusté, les experts ont évalué le préjudice à la somme toutes taxes comprises de 109.640,59 euros (91.367,16 euros hors taxes).

Il est établi que la société Helvetia Assurances ne peut opposer à son assuré une évaluation des dommages tenant compte de la vétusté au regard de l'avenant daté du 23 décembre 2013 prévoyant une clause optionnelle dite « zéro vétusté ». En outre, l'évaluation du préjudice doit tenir compte du coût du remplacement des éléments endommagés, coût qui correspond à celui facturé à la victime, sans coefficient de vétusté, sauf à lui faire supporter partie du coût des réparations du dommage.

Ainsi, sur la base d'une évaluation des dommages à hauteur de la somme de 130.794,19 euros il y a lieu de juger que la société Hyères Espace Plaisance, cocontractante de M. [P] [N], sera tenue de régler la somme de 64.522,09 euros à la société Helvetia Assurances (129.044,19 euros/2), et la somme de 875 euros à M. [P] [N] au titre du montant de la franchise restée à charge (1.750 euros/2).

La société Monaco Marine France sera en outre tenue de garantir la société Hyères Espace Plaisance à hauteur de la somme totale de 65.397,09 euros.

Enfin, le préjudice tiré de l'impossibilité d'utiliser la bateau, a minima pendant le temps des réparations, sera limité à la somme de 1.500 euros considérant qu'au vu des paiements effectués en faveur de la société EuroVoiles, dont le dernier est daté du 31 juillet 2015, la privation a concerné la période du 2 novembre 2014 au mois de juillet 2015, dont partie concerne la période d'hivernage du bateau. En outre, il est établi que M. [P] [N] a contribué à l'aggravation des dommages et de fait, à la privation de jouissance du bateau eu égard aux réparations rendues nécessaires par l'envahissement des cales et des aménagements.

Ainsi, la société Hyères Espace Plaisance sera tenue de payer à M. [P] [N] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts en sus, et sera garantie par la société Monaco Marine France à hauteur de ce montant.

Le jugement sera dès lors infirmé de ce chef également.

Sur les frais et dépens :

Au regard des motifs adoptés il y a lieu de dire que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens de première instance.

En revanche, la société Helvetia Assurances et M. [P] [N] ayant été contraints d'engager des frais irrépétibles afin de faire valoir leurs droits en cause d'appel, il y a lieu de condamner la société Hyères Espace Plaisance et la société Monaco Marine France à leur payer chacune la somme de 2.000 euros, soit la somme totale de 4.000 euros revenant à la société Helvetia Assurances et son assuré ensemble au titre des frais irrépétibles de l'appel.

La société Hyères Espace Plaisance et la société Monaco Marine France conserveront en outre la charge des dépens de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement rendu le 9 mai 2019 par le tribunal de commerce de Toulon,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit recevables les actions engagées par la société Helvetia Assurances et son assuré M. [P] [N],

Condamne la société Hyères Espace Plaisance à payer à la société Helvetia Assurances la somme de 64.522,09 euros en réparation du préjudice,

Dit que la société Monaco Marine France sera tenue de garantir la société Hyères Espace Plaisance à hauteur de la somme de 64.522,09 euros,

Condamne la société Hyères Espace Plaisance à payer à M. [P] [N] la somme de 875 euros au titre de la franchise restée à charge,

Dit que la société Monaco Marine France sera tenue de garantir la société Hyères Espace Plaisance à hauteur de la somme de 875 euros,

Condamne la société Hyères Espace Plaisance à payer à M. [P] [N] la somme de 1.500 euros en indemnisation de son préjudice de jouissance,

Dit que la société Monaco Marine France sera tenue de garantir la société Hyères Espace Plaisance à hauteur de la somme de 1.500 euros,

Déboute la société Helvetia Assurances et M. [P] [N] du surplus de leurs demandes en l'état du partage de responsabilité retenu,

Dit que chaque partie conservera la charge de ses frais et dépens de première instance,

Condamne la société Hyères Espace Plaisance et la société Monaco Marine France aux dépens de la procédure d'appel, recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société Hyères Espace Plaisance à payer à la société Helvetia Assurances et M. [P] [N] ensemble la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'appel,

Condamne la société Monaco Marine France à payer à la société Helvetia Assurances et M. [P] [N] ensemble la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'appel.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 3-1
Numéro d'arrêt : 19/09314
Date de la décision : 03/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-03;19.09314 ?
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