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06/10/2022 | FRANCE | N°21/00021

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-10, 06 octobre 2022, 21/00021


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

CHAMBRE DES EXPROPRIATIONS



ARRÊT AU FOND

DU 06 OCTOBRE 2022



N° 2022/ 0043











N° RG 21/00021 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BIASW







Etablissement Public COMMUNE DE [Localité 13]





C/



LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

S.A.S. TOTAL MARKETING FRANCE































Grosse délivrée :

à :
>-Me Alexandra BOISRAME

-Me Pierre OBER

-M.LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

le :





Décision déférée à la Cour :





Jugement du Juge de l'expropriation de TOULON en date du 22 Juillet 2021, enregistré au répertoire général sous le n° 21/00003.





APPELANTE



Etablissement Public COMMUN...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

CHAMBRE DES EXPROPRIATIONS

ARRÊT AU FOND

DU 06 OCTOBRE 2022

N° 2022/ 0043

N° RG 21/00021 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BIASW

Etablissement Public COMMUNE DE [Localité 13]

C/

LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

S.A.S. TOTAL MARKETING FRANCE

Grosse délivrée :

à :

-Me Alexandra BOISRAME

-Me Pierre OBER

-M.LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Juge de l'expropriation de TOULON en date du 22 Juillet 2021, enregistré au répertoire général sous le n° 21/00003.

APPELANTE

Etablissement Public COMMUNE DE [Localité 13] représenté par son Maire régulièrement habilité par délibération du 16 juillet 2020 demeurant en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 12]

représentée par Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et Me Michel GRAVE, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

S.A.S. TOTAL MARKETING FRANCE, demeurant [Adresse 7]

représentée par Me Pierre OBER, avocat au barreau de TOULON et Me Cédric JOBERT, avocat au barreau de PARIS

Monsieur LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT, demeurant [Adresse 11]

comparant en personne

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Septembre 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Agnès DENJOY, Président,désignée pour présider la Chambre des Expropriations, en qualité de titulaire, par ordonnance du Premier Président de la Cour d'Appel d'Aix en Provence et Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère.

Madame Agnès DENJOY, Présidente, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Greffier lors des débats : Mme Mélissa NAIR

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Octobre 2022.

Les avocats présents ont été entendus.

Le Commissaire du Gouvernement a été entendu en ses observations.

Après clôture des débats, la Cour a mis l'affaire en délibéré.

Puis les mêmes magistrats ont délibéré de l'affaire, conformément à la loi, hors la présence du Commissaire du Gouvernement et du greffier.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé publiquement le 06 Octobre 2022 et signé par Madame Agnès DENJOY, Président et Madame Mélissa NAIR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCEDURE :

La société Total Marketing France, propriétaire d'un terrain situé à [Adresse 14], cadastré section [Cadastre 10] à [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 8] à [Cadastre 9], [Cadastre 1] et [Cadastre 2] pour une superficie totale de 60 552 m², a conclu le 21 novembre 2018 une promesse de vente au profit d'une SAS Corniche du bois sacré.

Une déclaration d'intention d'aliéner a été déposée en mairie le 7 août 2020 au prix de 8 800 000 euros HT, soit 10 560 000 euros TTC.

Après avis de la DIE (anciennement service des Domaines), la commune de [Localité 13] a décidé d'exercer son droit de préemption au prix de 6 320 000 euros HT.

En l'absence d'accord amiable, la commune a saisi le juge de l'expropriation du Var en fixation du prix, le 26 janvier 2021.

L'affaire a été débattue devant le juge de l'expropriation le 28 juin 2021.

La société Total Marketing France a invoqué l'irrecevabilité des demandes de la commune au motif que cette dernière n'avait pas notifié dans le délai légal de trois mois le récépissé de consignation de 15 % de l'estimation faite par le directeur départemental des finances publiques, tel qu'imposé par les dispositions de l'article L.213 ' 4 ' 1 du code de l'urbanisme, ce qui rendait sa demande irrecevable.

La commune a répliqué que les dispositions susvisées instituaient une simple présomption et qu'elle justifiait avoir effectué la consignation prévue par la loi dans le délai imparti.

Le commissaire du gouvernement a conclu à une évaluation du bien à la somme de 6 135 000 euros HT sur la base de la méthode par comparaison.

Par jugement du 22 juillet 2021, le juge de l'expropriation a :

- déclaré la demande de la commune irrecevable en application des dispositions de l'article L.213 ' 4 ' 1 du code de l'urbanisme,

- rejeté la demande d'indemnité présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile par la société Total Marketing France,

- condamné la commune aux dépens.

Ce jugement a été signifié à la commune de [Localité 13] à la requête de la société Total Marketing France par acte d'huissier délivré à personne habilitée le 16 août 2021.

La commune a interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe le 26 août 2021.

La commune de [Localité 13] a déposé son mémoire d'appelante au greffe de la cour le 26 novembre 2021.

Ce mémoire a été notifié à la société Total Marketing France le 30 novembre 2021 et au commissaire du gouvernement le même jour

Le commissaire du gouvernement a adressé son mémoire au greffe le 10 décembre 2021; ce dernier a été notifié à la commune le 14 janvier 2022 et à la société Total Marketing France le même jour.

La société Total Marketing France a déposé son mémoire en réplique le 1er mars 2022. Il a été notifié à la commune et au commissaire du gouvernement le 7 mars 2022.

PRETENTIONS DES PARTIES :

L'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, de la déclarer recevable en ses demandes, de fixer la valeur totale des biens préemptés à la somme de 4 098 000 euros, et de condamner la société Total Marketing France à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

La commune déclare que la consignation a été effectuée le 23 avril 2021, qu'elle en justifie et que les droits du préempté sont donc préservés.

Elle soulève à titre subsidiaire le défaut de conformité des dispositions de l'article L.213-4-1 du code de l'urbanisme à l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme dont il résulte que toute personne a droit à un recours effectif et que les règles procédurales de droit interne ne sauraient porter atteinte à l'accès à un tribunal au point que ce droit serait atteint dans sa substance même.

Elle se réfère à différentes décisions rendues tant par la Cour de justice européenne que par la Cour de cassation qui tendent à faire admettre qu'une erreur résultant de dispositions purement formelles ne peut être sanctionnée par l'irrecevabilité du recours.

Sur le fond, elle indique que le terrain objet du litige se situe dans une zone à vocation principale d'habitat, de commerces de services et d'activités sans nuisances ; que différentes servitudes grèvent le terrain ; que seuls 34 550 m² d'emprise sont constructibles, lesquels ne peuvent recevoir que 21 300 m² de surface hors 'uvre nette dont 19 000 m² à destination d'habitat collectif dont 30 % de logements sociaux, 1500 m² de logements et 800 m² d'habitat individuel.

Par ailleurs, elle se réfère aux termes de la déclaration d'intention d'aliéner qui fait état de ce que «l'immeuble est vendu pour une destination conforme à celle indiquée dans le cadre de la cessation des activités notifiées à la préfecture, à savoir industrielle».

Elle estime que son offre tient compte de cette particularité, ce qui explique que les termes de référence concernent des parcelles situées en zone d'activité économique.

Elle ajoute que les terrains sont pollués ce qui réduit encore leur valeur.

La société Total Marketing France demande à la cour de :

- à titre principal confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la commune irrecevable en sa demande de fixation du prix du bien préempté,

- débouter la commune de [Localité 13] de l'ensemble de ses demandes,

- à titre subsidiaire, fixer à la somme de 12 200 000 euros HT le prix d'acquisition du terrain, taxes et impôts liés à la cession à la charge de l'acquéreur,

- en tout état de cause, condamner la commune à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le commissaire du gouvernement conclut de la manière suivante :

- fixer l'indemnité de dépossession à la somme de 6 135 000 euros HT.

Le commissaire du gouvernement indique que :

- la date de référence doit être fixée au 15 décembre 2019 qui est la date de la dernière révision du PLU de la commune affectant la zone concernée,

- le bien se situe en zone UB : Zone dense à vocation principale d'habitat de commerce de services et d'activités sans nuisances comportent un emplacement réservé numéro 236 qui est concerné par l'obligation de réalisation de 30 % de logements sociaux,

- le PLU a supprimé l'emplacement réservé n° 222 qui impactait le bien.

Il décrit le terrain en litige comme étant un terrain collinaire supportant pour partie d'anciennes installations et bâtiments.

Il précise que le reste du terrain est recouvert d'une végétation plus ou moins dense constituée d'espèces méditerranéennes. Une partie du terrain est en espace boisé classé, une autre partie supporte une servitude d'utilité publique liée à l'existence d'une ancienne activité de stockage d'hydrocarbures qui limite fortement les possibilités d'exploitation du site, une partie du terrain est polluée et est recouverte de dalles en béton, assises des anciennes citernes de stockage d'hydrocarbures.

Le site est orienté face au nord avec vue sur la rade de [Localité 15].

Le commissaire du gouvernement estime que le terrain litigieux est un terrain à bâtir car constructible et desservi suffisamment par la voirie et les réseaux.

Il fait observer que le coût de dépollution du site n'est pas produit.

Sur la base de nombreux termes de comparaison, il estime sa valeur médiane à 226 euros le m² pour sa partie constructible et à 10 euros le m² pour ses parties inconstructibles.

Il évalue la totalité du terrain à 6 135 000 euros HT mais souligne que cette évaluation ne tient pas compte du surcoût lié à la dépollution du site.

Il se réfère également la méthode de la valorisation par la charge foncière, applicable pour les terrains à bâtir ou à aménager, selon laquelle la valeur du terrain peut-être fixée à 5 825 000 euros sur la base de 245 euros le m² de surface de plancher constructible.

Il se réfère enfin à la méthode du compte à rebours promoteur, selon laquelle le terrain doit être évalué à 6 365 000 euros HT mais qu'il écarte, au motif, essentiellement, que cette méthode pour être retenue aurait nécessité des éléments chiffrés relatifs aux constructions à réaliser qui sont manquants et que cette méthode ne peut donc être employée qu'à titre de recoupement.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la recevabilité du recours formé par la commune devant le juge de l'expropriation du Var :

Selon l'article R.213-4-1 du code de l'urbanisme, en cas de recours, le titulaire du droit de préemption doit avoir notifié à la juridiction et au propriétaire le récépissé de consignation d'un montant égal à 15 % de l'évaluation du bien par le directeur départemental des finances publiques dans le délai de trois mois à compter de la saisine de la juridiction.

A défaut de notification du récépissé de consignation dans ce délai, le titulaire du droit de préemption est réputé avoir renoncé à son exercice.

En l'espèce, le juge de l'expropriation a été saisi le 27 janvier 2021 et tant le juge de l'expropriation que le propriétaire n'ont reçu notification du récépissé de consignation que le 7 mai 2021, soit après l'expiration du délai de trois mois à compter de la saisine de la juridiction.

La commune est ainsi présumée avoir renoncé à son droit de préemption et son recours est irrecevable.

La commune invoque pour échapper à cette sanction la sévérité excessive de cette disposition légale au regard du droit à un recours effectif tel que prévu en application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Toutefois, le droit de propriété est lui-même un droit constitutionnel protégé par le protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme et le droit de préemption constitue une atteinte exorbitante au droit de propriété.

Dans la continuité de cette constatation, il doit être observé que le propriétaire d'un bien qui est confronté à la décision d'une collectivité d'exercer son droit de préemption est tenu, dans cette hypothèse, d'attendre de nombreux mois ou années la décision de justice qui le fixera sur ses possibilités de vendre son bien, ce qui constitue également une atteinte particulièrement importante à son droit de propriété.

Il est donc légitime d'encadrer l'exercice du recours judiciaire bénéficiant à la collectivité titulaire du droit exorbitant de contrecarrer le projet d'un propriétaire immobilier de vendre son bien.

Dans cette perspective, la loi française a prévu que le propriétaire et la juridiction devaient se voir notifier le récépissé de consignation dans les trois mois de la saisine de la juridiction.

Le droit à un recours effectif n'est pas obéré par cette disposition : le fait de devoir justifier dans les trois mois de la saisine de la juridiction de la consignation de 15 % de l'évaluation du bien par le DDFP ne constitue pas une contrainte excessive.

Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande de la commune tendant à voir écarter l'application de l'article L.213 ' 4 '1 du code de l'urbanisme pour non-conformité de cette disposition à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Le jugement qui a déclaré le recours irrecevable doit être confirmé.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement contradictoirement,

Confirme le jugement déféré,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la commune de [Localité 13] à verser à la société Total Marketing France la somme de 3 000 euros et la déboute de sa propre demande à ce titre

Condamne la commune de [Localité 13] aux dépens de l'instance d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-10
Numéro d'arrêt : 21/00021
Date de la décision : 06/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-06;21.00021 ?
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