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06/10/2022 | FRANCE | N°19/13522

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 06 octobre 2022, 19/13522


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 06 OCTOBRE 2022

LV

N° 2022/ 393













Rôle N° RG 19/13522 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEZFU







[A] [Y] [X] épouse [R]

[W] [R]

[D] [R]





C/



[G] [C] veuve [U]

SCI CABANA





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



SELARL LLC & ASSOCIES - BUREAU DE

LA VALETTE DU VAR



SELARL GARRY ET ASSOCIES







Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 22 Juillet 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/01016.





APPELANTS



Madame [A] [Y] [X] épouse [R]

demeurant [Adresse 2]



représe...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 06 OCTOBRE 2022

LV

N° 2022/ 393

Rôle N° RG 19/13522 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEZFU

[A] [Y] [X] épouse [R]

[W] [R]

[D] [R]

C/

[G] [C] veuve [U]

SCI CABANA

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

SELARL LLC & ASSOCIES - BUREAU DE LA VALETTE DU VAR

SELARL GARRY ET ASSOCIES

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 22 Juillet 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/01016.

APPELANTS

Madame [A] [Y] [X] épouse [R]

demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Ségolène TULOUP de la SELARL LLC & ASSOCIES - BUREAU DE LA VALETTE DU VAR, avocat au barreau de TOULON , plaidant

Monsieur [W] [R]

demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Ségolène TULOUP de la SELARL LLC & ASSOCIES - BUREAU DE LA VALETTE DU VAR, avocat au barreau de TOULON , plaidant

Madame [D] [R]

demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Ségolène TULOUP de la SELARL LLC & ASSOCIES - BUREAU DE LA VALETTE DU VAR, avocat au barreau de TOULON , plaidant

INTIMEES

Madame [G] [C] veuve [U]

demeurant [Adresse 8]/FRANCE

représentée par Me Jean-Michel GARRY de la SELARL GARRY ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON , plaidant

Société CABANA, dont le siège social est [Adresse 3], pris en la personne de son représentant légal en exercice

représentée par Me Jean-Michel GARRY de la SELARL GARRY ET ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON , plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 28 Juin 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame [N] [O], a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Sylvaine ARFINENGO, Président

Madame Hélène GIAMI, Conseiller

Madame Laetitia VIGNON, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Octobre 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Octobre 2022,

Signé par Madame Sylvaine ARFINENGO, Président et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Par acte de vente du 15 novembre 1990 reçu par Me [P], notaire à Carqueiranne, M. [H] [R] a cédé à la SCI SIMCAR, diverses parcelles de terre situées sur la commune de Carqueiranne, cadastrées section AB [Cadastre 7], [Cadastre 7], [Cadastre 6], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 9] et [Cadastre 4], avec constitution d'une servitude de passage grevant la parcelle AB [Cadastre 7], au profit de la parcelle AB [Cadastre 5].

Suivant donation en date des 17 et 18 juillet 2000, les consorts [R] sont devenus propriétaires de deux parcelles de terrain dont la parcelle AB [Cadastre 5], sur laquelle sont édifiées à l'Est, une construction à usage d'auberge dénommée Lou Pétoulet et à l'Ouest, une petite construction à usage d'habitation.

Par acte authentique en date du 17 janvier 2003, la SCI CABANA a acquis de la SCI SIMCAR la parcelle cadastrée AB [Cadastre 1] ( anciennement AB [Cadastre 7]).

Un litige est né entre les parties suite à la construction par la SCI CABANA, en vertu d'un permis de construire du 3 avril 2007 et d'un permis modificatif du 2 août 2013, d'une maison individuelle et de l'empiètement de cette construction sur l'assiette de la servitude de passage.

Les consorts [R] ont obtenu, par ordonnance de référé en date du 6 février 2015, la désignation de M. [L] en qualité d'expert judiciaire.

Celui-ci a déposé son rapport définitif le 11 avril 2016.

Par actes d'huissier en date des 7 et 9 février 2017, Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R] ont fait assigner la SCI CABANA et Mme [G] [C] veuve [U] devant le tribunal de grande instance de Toulon aux fins d'obtenir:

- la démolition de l'ouvrage empiétant sur la servitude de passage,

- la remise en état des lieux,

- la démolition de la construction autorisée sur le fondement des troubles anormaux de voisinage et l'indemnisation des préjudices en résultant, à savoir la perte de vue, d'ensoleillement et d'agrément entraînant la dépréciation de leur bien.

Par jugement contradictoire en date du 22 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Toulon a:

- débouté Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R] de l'ensemble des demandes principales formées au titre de l'empiètement et du trouble anormal de voisinage,

- rejeté la demande indemnitaire formée par Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R] sur le fondement du trouble anormal du voisinage,

- débouté la SCI CABANA et Mme [G] [C] veuve [U] de leur demande de démolition,

- rejeté les demandes formées par Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R], Mme [D] [R], la SCI CABANA et Mme [G] [C] veuve [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R] d'une part et la SCI CABANA et Mme [G] [C] veuve [U] d'autre part, aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- rejeté le surplus des demandes.

Par déclaration en date du 20 août 2019, Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R] ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 2 mai 2022, Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R] demandent à la cour, au visa de l'article 544 et 701 du code civil, de:

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Toulon le 22 juillet 2019 en ce qu'il a:

* débouté Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R] de l'ensemble des demandes principales formées au titre de l'empiètement et du trouble anormal de voisinage,

* rejeté la demande indemnitaire formée par Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R] sur le fondement du trouble anormal du voisinage,

* rejeté les demandes formées par Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R], au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R] aux dépens en partie,

Statuant à nouveau,

- sur les empiètements:

* dire et juger que la construction et le jardin appartenant à la SCI CABANA et à Mme [U] empiètent respectivement de 28 m² et de 26 m² sur la servitude de passage grevant la parcelle cadastrée AB n° [Cadastre 5] appartenant aux consorts [R],

* ordonner à la SCI CABANA et à Mme [U] de remettre en état les lieux et d'avoir à procéder à la démolition complète de l'ouvrage litigieux, et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,

* condamner solidairement la SCI CABANA et Mme [U] à payer aux consorts [R] la somme de 15.000 € en réparation du préjudice subi durant le temps de l'empiètement et jusqu'à la date de la décision à intervenir, outre 150 € par mois à parfaire au jour de l'achèvement des travaux de démolition,

- sur les troubles anormaux de voisinage:

* constatant que la construction CABANA [U] est à l'origine de troubles anormaux de voisinage, lesquels imposent une perte de vue, une perte d'ensoleillement et un préjudice d'agrément au fonds [R],

* ordonner à la SCI CABANAet Mme [U] d'avoir à remettre en état les lieux et à démolir l'ouvrage litigieux, et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,

* condamner solidairement la SCI CABANA et Mme [U] à payer aux consorts [R] la somme de 50.000 € au titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice de jouissance,

Subsidiairement, dans l'hypothèse où la démolition au titre de la réparation du trouble anormal de voisinage ne serait pas ordonnée,

* condamner solidairement la SCI CABANA et Mme [U] à payer aux consorts [R] la somme de 80.000 € au titre de dommages et intérêts, en réparation des préjudices de jouissance et de perte de valeur du fonds qui en découle,

En tout état de cause,

- débouter la SCI CABANA et Mme [U] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner solidairement la SCI CABANA et Mme [U] à payer aux consorts [R] la somme de 7.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, tant au titre de la première instance que de l'appel.

Sur la question de l'empiètement, ils considèrent, qu'à l'examen des actes des parties et des obligations réciproques qui pouvaient en découler pour leurs fonds respectifs, la volonté définitive des parties a été d'établir une servitude de passage à l'assiette la plus large en ce comprise l'aire commune, comme cela était représenté sur le plan du géomètre, sous la seule précision que la dénomination d'aire commune était remplacée par la notion de passage et intégrée à l'assiette de la servitude litigieuse. Ils estiment par ailleurs que la SCI CABANA avait nécessairement connaissance, lors de son acquisition de la parcelle AB [Cadastre 1], de la servitude de passage grevant son fonds et qu'il ressort clairement des conclusions de l'expert que la construction édifiée par la SCI CABANA empiète sur l'assiette de la servitude de passage grevant son fonds.

Ils font grief au tribunal d'avoir cependant rejeté leurs demandes au motif qu'ils se fondaient uniquement sur les dispositions de l'article 544 du code civil et que la construction litigieuse, si elle empiétait sur la servitude de passage, elle demeurait néanmoins dans les limites de la parcelle appartenant à la SCI CABANA alors qu'il entrait parfaitement dans les prérogatives du tribunal de donner leur exacte qualification aux faits et aux actes litigieux, en application des articles 4 et 12 du code de procédure civile. Ils soulignent qu'en tout état de cause, le fondement est rectifié en cause d'appel, sans que cela ne modifie l'objet de leurs prétentions et que puisse leur être opposé de former, pour la première devant la cour, une demande nouvelle. Ils précisent ainsi que l'objet du litige reste le même puisqu'il vise à sanctionner l'atteinte portée par les ouvrages édifiés par les intimés aux droits réels immobiliers que les parties tiennent de leurs titres, que les demandes sont donc identiques même si leur fondement juridique est différent.

Ils rappellent que toute altération de l'usage de la servitude suppose la remise en état pure et simple aux frais de celui qui en est l'origine, que dans ces conditions, la démolition des ouvrages qui y portent atteinte est la sanction naturelle, en ce qu'il s'agit de la seule sanction qui permet de reconstituer exactement l'assiette de la servitude. Ils relatent qu'en l'espèce l'empiètement concerne une emprise de plus de 50 m²( 26 m² + 28 m²) et que les dispositions de l'article L 480-13 du code de l'urbanisme ne sauraient faire échec à la violation constatée d'un droit réel immobilier consacré par le droit civil.

Sur le trouble anormal de voisinage, ils se prévalent des constats d'huissier ainsi que des constatations de l'expert judiciaire qui ont mis en évidence:

- une perte de vue:

* avant l'édification de la construction de la SCI CABANA, ils bénéficiaient d'une vue non seulement dégagée et qui donnait en sus sur la mer,

* la vue sur la mer est un atout essentiel pour un fonds, d'une part pour ses occupants qui bénéficient au quotidien de l'agrément d'une vue privilégiée et d'autre part, en cas de revente du bien, la vue mer étant un élément objectif de valorisation,

* la construction de la SCI CABANA lui a fermé tout son espace et toute la vue dont elle disposait au Sud et à l'Est de son fonds,

* il y a bien un trouble majeur et anormal de voisinage à imposer à son voisin dont l'immeuble est tout proche, un mur aveugle de 3 m de haut et de 15 m de long au Sud ainsi que 7,83 m de long vers l'Est sur ces deux angles limites de son fonds,

- la perte d'agrément:

* il existe une sensation d'enferment créée par la proximité des murs de la construction de la partie adverse qui est parfaitement décrite par l'expert judiciaire,

* ceci est d'autant plus préjudiciable qu'il est établi qu'ils jouissaient auparavant d'une vue largement dégagée sur leur environnement,

* leur espace se trouve désormais limité au Sud et au Sud Est par un mur imposant et massif,

- la perte d'ensoleillement:

* il existe une privation effectivement d'ensoleillement qui a été constatée par l'expert,

* ainsi, entre décembre et fin janvier, la terrasse se trouve privée de tout ensoleillement.

Ils font valoir que le respect des dispositions légales, conventionnelles ou réglementaires n'exclut pas l'existence de troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage, de sorte que la régularité d'une construction ne permet pas à un propriétaire de s'exonérer de sa responsabilité pour trouble de voisinage.

La SCI CABANA et Mme [G] [C] veuve [U], suivant leurs dernières conclusions signifiées le 22 avril 2020, demandent à la cour de:

Vu le permis de construire,

Vu le jugement rendu par le tribunal administratif de Toulon le 22 janvier 2010,

Vu l'article 564 du code de procédure civile,

- déclarer irrecevables les demandes formées par les consorts [R] au visa de l'article 701 du code civil, comme étant de nouvelles prétentions au sens de l'article 564 du code de procédure civile,

-confirmer le jugement rendu le 22 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Toulon en ce qu'il a débouté les consorts [R] de l'ensemble des demandes principales formées au titre de l'empiètement et du trouble anormal de voisinage et rejeté la demande indemnitaire formée par les consorts [R] sur le fondement du trouble anormal du voisinage,

Statuant de nouveau,

- dire et juger que la construction de la SCI CABANA a été réalisée dans le parfait respect du permis de construire qui lui a été accordé,

- dire et juger qu'il n'existe aucun empiètement sur la servitude de passage,

- dire et juger que les consorts [R] ne subissent aucune trouble anormal de voisinage,

- débouter les consorts [R] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire, si la cour estimait qu'il existe un empiètement,

- dire et juger qu'il provient des jardinières mises en place par les consorts [R],

- dire et juger que la remise en état des lieux ne pourra alors concerner que cet empiètement et en conséquence condamner les consorts [R] à retirer les jardinières au droit de la terrasse, ces éléments empiétant sur la parcelle de la SCI CABANA,

En tout état de cause,

- condamner les consorts [R] à payer solidairement la somme de 7.500 € à la SCI CABANA au visa de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens.

Sur l'assiette de la servitude, elles formulent les observations suivantes:

- l'analyse de l'expert concernant l'empiètement de la construction sur une aire commune procède d'une erreur chronologique,

- l'expert fait référence à une servitude conventionnelle d'aire commune constituée par l'acte du 15 novembre 1990 établi par Me [P] et Me [K], notaires, alors qu'elle a été expressément supprimée dans l'acte,

- le plan joint à l'acte n'est pas pertinent car il fait état de la situation antérieure,

- dans l'acte il est uniquement fait référence à une servitude de passage et réciproquement à une servitude de canalisation mais nullement à cette aire commune,

- il suffit de se reporter à l'avant-contrat du 14 novembre 1989 établi par les parties avec le concours de Me [P] et à la suite duquel va être établi l'acte du 15 novembre 1990, qui est parfaitement explicite sur ce point,

- la servitude de passage longe la terrasse du restaurant et l'aire commune n'est pas mentionnée dans l'acte du 15 novembre 1990, la suppression de cette dernière était une des conditions déterminantes de la réalisation de l'acquisition par la SCI SIMCAR,

- il ressort de l'expédition de l'acte de 1990 avec une photocopie du plan annexé qu'en pointillés, au lieu et place de l'aire commune qui n'avait plus raison d'exister, un pointillé vertical qui matérialise des 5 mètres, à savoir la servitude de passage de 5 mètres de large créée à partir du droit de la terrasse du restaurant,

- si cette aire commune avait été maintenue au titre des servitudes, elle aurait été expressément mentionnée dans l'acte,

- aucune construction empiétant sur une servitude n'a donc été édifiée.

En tout état de cause, elles soutiennent qu'à la lecture des conclusions d'appelants, les consorts [R] forment de nouvelles demandes, et ce au visa de l'article 701 du code civil, en prétendant désormais que l'empiètement qu'ils invoquent leur cause une atteinte à l'usage de la servitude, ce qui n'était pas le cas en première instance, qu'évoquer une telle atteinte au sens de l'article 701 du code civil, constitue une prétention nouvelle que soumettent les consorts [R] à la cour, pour ne l'avoir jamais évoquée devant le tribunal de grande instance de Toulon et qu'il s'agit de demandes nouvelles qui sont parfaitement irrecevables au visa de l'article 564 du code de procédure civile.

Elles contestent tout trouble anormal de voisinage résultant de la construction que la SCI CABANA a fait édifier:

- ladite construction est parfaitement conforme aux règles d'urbanisme,

- la jurisprudence ne consacre aucun droit à la vue, que le principal grief est finalement d'avoir construit sur un terrain qui pendant 25 ans était pratiquement resté à la disposition des consorts [R] bien que sorti de leur patrimoine du fait de la vente réalisée par leur grand-mère,

- la SCI CABANA a simplement exercé son droit à construire, un tel exercice n'étant pas constitutif d'un trouble anormal de voisinage, d'autant que la parcelle qu'elle a acquise avait vocation à faire l'objet d'une construction, conformément au permis de construire et au jugement rendu par le tribunal administratif de Toulon en 2010,

- il existe d'autant moins de droit acquis à une vue mer que la villa des appelants ne donnait pas directement sur le front de mer mais sur une route puis d'autres maisons et partiellement une vue mer,

- la perte d'ensoleillement ne concerne qu'un temps restreint et porte sur une surface limitée, de sorte qu'il ne s'agit pas d'un trouble anormal.

Elles considèrent qu'en toute hypothèse, même en présence d'un empiètement ou d'un trouble anormal de voisinage, la démolition de l'ouvrage ne peut être ordonnée, que les conditions de l'article L 480-13 du code de l'urbanisme ne sont pas remplies, en ce que la juridiction administrative n'a pas annulé le permis de construire, de sorte que seule la question d'une éventuelle indemnisation peut être évoquée.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 14 juin 2022.

MOTIFS

Sur la démolition au titre de l'empiètement de la construction de la SCI CABANA sur l'assiette de la servitude de passage

La SCI CABANA et Mme [G] [U] opposent en premier lieu l'irrecevabilité des demandes formées à ce titre par les appelants sur le fondement de l'article 701 du code civil comme étant nouvelles en cause d'appel.

En vertu de l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

En l'espèce, si effectivement les consorts [R] avaient fondées leurs demandes devant le premier juge exclusivement sur l'article 544 du code civil, sans viser l'article 701 du même code, il n'en demeure pas moins que l'objet de litige est le même, à savoir la sanction de l'atteinte qui aurait été portée par les ouvrages édifiés par les intimés aux droits réels immobiliers que les parties tiennent de leurs titres, seul le fondement juridique étant différent.

Les demandes présentées à ce titre par les consorts [R] en cause d'appel sont donc parfaitement recevables.

Conformément à l'article 701 du code civil, le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage ou à le rendre plus incommode. Ainsi il ne peut changer l'état des lieux, ni transporter l'exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée. Mais cependant, si cette assignation primitive était devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle l'empêchait d'y faire des réparations avantageuses, il pourrait offrir au propriétaire de l'autre fonds un endroit aussi commode pour l'exercice de ses droits et celui-ci ne pourrait pas le refuser.

S'appuyant sur les conclusions de l'expert [L], les consorts [R] soutiennent que la construction et le jardin aménagé par la SCI CABANA sur son fonds cadastré AB n° [Cadastre 1] empiètent respectivement de 28 m² et de 26 m² sur l'assiette de la servitude bénéficiant au fonds cadastrée AB n° [Cadastre 5] et leur appartenant.

La SCI CABANA et Mme [U] contestent pour leur part tout empiètement des ouvrages litigieux sur l'assiette de la servitude, faisant grief à l'expert judiciaire d'y inclure la partie à l'Est dénommé ' aire commune' , pourtant expressément supprimée dans l'acte constitutif de servitude.

Par acte authentique en date du 15 novembre 1990, M. [H] [R] a cédé à la SCI SIMCAR diverses parcelles dont la parcelle cadastrée section AB n° [Cadastre 7] ( devenue AB n° [Cadastre 1]).

Il est stipulé aux termes de cet acte que ' La société acquéreur ( la SCI SIMCAR) consent à M. [R] une servitude de passage la plus étendue sur la parcelle cadastrée section AB n° [Cadastre 7] présentement acquise au profit du surplus de la propriété [R],

Fonds servant: parcelle cadastrée AB n° [Cadastre 7],

Fonds dominant: parcelle cadastrée section AB n° [Cadastre 5] '

Il a été rajouté en marge de cette clause la mention manuscrite suivante, avec la signature des parties , ' sur l'assiette des tènements telle qu'elle figure sur le plan ci -annexé et sur la surface dénommée ' aire commune ' sur ledit plan '.

Le plan dont il s'agit intitulé ' plan de division- propriété [R] & SIMCAR ' dressé le 30 octobre 1990 par le cabinet de géomètre-experts AJALBERT- [S] représente clairement d'une part la parcelle AB [Cadastre 5], fonds dominant, et d'autre part la parcelle AB [Cadastre 7] ( devenue [Cadastre 1]), fonds servant, qui englobe en rouge à l'Est une surface dénommée ' aire commune'.

Il ressort de ce plan que l'assiette de la servitude de passage bénéficiant au fonds AB [Cadastre 5] inclut la partie à l'Est de la parcelle AB [Cadastre 7] indiquée comme ' aire de retournement'.

L'avant -contrat établi entre les parties le 14 novembre 1989 ne peut être utilement évoqué pour établir la volonté des parties qui est clairement constaté par acte authentique comprenant en annexe le plan auquel il se réfère, lequel est postérieur, publié et opposable à tous.

Les intimées ne peuvent soutenir que le plan joint à l'acte n'est pas pertinent en ce qu'il fait état d'une situation antérieure, qui a été modifiée par l'avant contrat du 14 novembre 1989 alors que:

- le plan litigieux a été dressé le 30 octobre 1990, soit au contraire près d'un an après la signature de l'avant- contrat,

- les parties, dans l'acte du 15 novembre 1990 ont pris soin d'apposer la mention manuscrite suivante pour déterminer l'assiette de la servitude de passage ainsi instituée ' sur l'assiette des

tènements telle qu'elle figure sur le plan ci -annexé et sur la surface dénommée ' aire commune' sur ledit plan ', de sorte le plan joint à l'acte est bien celui qui correspond à la volonté définitive des parties qui est d'établir une servitude de passage à l'assiette la plus large, en ce compris l'aire commune, ainsi que représentée au plan du géomètre, la dénomination d'aire commune étant remplacée par la notion de passage et intégrée à l'assiette de la servitude litigieuse.

Au demeurant, l'expert [L], en réponse à un dire du conseil des intimées, a examiné le plan annexé à l'avant-contrat prévoyant de remplacer l'aire commune par une servitude de passage d'une largeur de 6 mètres longeant la partie Ouest de la parcelle ARNEODO et en a conclut que ' L'assiette de cette servitude est hachurée sur le plan annexé à l'avant-contrat. Or nous constatons que cette assiette correspond à une bande de terrain de 6 mètres posititonnée sur la partie Ouest de l'aire commune. Donc si l'on considérait que l'assiette de la servitude prévue à l'avant-contrat est encore opposable aux parties, l'empiètement sur la servitude de la villa de la SCI CABANA serait rigoureusement identique à celui que nous avons constaté (...)'

Il s'ensuit que le passage d'une largeur de 5 mètres dessiné sur les plans du permis de construire modificatif accordé à la SCI CABANA ne correspond pas aux termes de l'acte du 15 novembre 1990.

En outre, comme l'a retenu à juste titre le premier juge, il ressort de l'acte authentique du 17 janvier 2003 par lequel la SCI CABANA a acquis de la SCI SIMCAR la parcelle AB [Cadastre 1] ( anciennement [Cadastre 7]) qu'il est fait mention de ' diverses servitudes pouvant affecter le terrain vendu résultant de quatre actes reçus par Me [P], notaire, trois en date du 15 novembre 1990 (...) Copie de ces actes a été remise à l'acquéreur ', établissant que la SCI CABANA a eu parfaitement connaissance de la servitude de passage grevant son fonds mais également de son assiette.

Les plans dressés par le géomètre [S] le 6 mai 2013 en vue du dépôt de permis de construire modificatif ne représente pas cette servitude de passage d'une largeur de 5 mètres telle que revendiquée par les intimées, ladite servitude ayant été manifestement rajoutée sur les plans du permis.

Il ressort des constatations de l'expert que la construction édifiée sur la parcelle AB [Cadastre 1] par la SCI CABANA empiète sur la servitude conventionnelle concédée sur l'ancienne parcelle AB [Cadastre 7] au profit de la parcelle AB [Cadastre 5], aux termes de l'acte authentique du 15 novembre 1990.

L'emprise en empiètement sur la servitude de la villa est de 28 m² et le jardin clos attenant à cette construction empiète également de 26 m² sur la servitude.

Conformément à l'article 701 du code civil, toute altération de l'usage de la servitude suppose la remise en état pure et simple aux frais de celui qui en est l'origine.

La démolition des ouvrages qui empiètent sur l'assiette de la servitude de passage est en conséquence encourue, sans que les parties intimées ne puissent se prévaloir des dispositions de l'article L 480-13 du code de l'urbanisme, qui n'est pas applicable à l'atteinte portée par des ouvrages aux droits réels immobiliers que les parties tiennent de leurs titres de propriété.

Il convient en conséquence de condamner la SCI CABANA à démolir les aménagements réalisés sur l'emprise de la servitude de passage, soit partie de la construction pour 28 m², correspondant au garage et à une terrasse couverte, et le jardin clos pour 26 m², dans un délai de neuf mois à compter de la signification du présent arrêt et, passé ce délai, sous astreinte de 100 € par jour de retard pendant trois mois.

Les consorts [R] ont nécessairement subi un préjudice de jouissance découlant de l'empiètement des ouvrages sur l'assiette de leur servitude de passage, d'autant que ledit empiètement concerne une emprise de plus de 50 m² ( 28m2+26m²), justifiant qu'il leur soit alloué une somme de 8.000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur les demandes des consorts [R] au titre du trouble anormal de voisinage

Le droit d'un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibée par la loi ou les règlements, est limité par l'obligation qu'il a de ne pas causer à la propriété d'autrui aucun dommage excédant les inconvénients anormaux de voisinage.

Il s'agit d'une cause de responsabilité objective et il appartient à la partie qui s'en prévaut de rapporter la preuve qu'elle subit, indépendamment de toute faute de son voisin, un trouble, qui par son caractère excessif lié notamment à son intensité, sa durée ou à sa répétitivité, excède les inconvénients ordinaires.

La responsabilité sur ce fondement peut être engagée même si les dispositions légale ont été respectées et que les actes accomplis par le voisin ont été autorisés par l'administration.

Le dommage doit être évalué in concreto en fonction de l'environnement spécifique des nuisances invoquées. Il faut ainsi désigner par dommage anormal celui que les voisins n'ont pas l'habitude de subir dans telle région et à telle époque.

En l'espèce, les consorts [R] allèguent d'inconvénients résultant de la villa érigée par la SCI CABANA, qui se caractérisent par une perte de vue, d'ensoleillement et d'agrément entraînant une dépréciation de leur bien.

Au regard des constatations du rapport d'expertise judiciaire, des plans établis par les géomètres et l'architecte mandatés par la SCI CABANA pour son projet de construction ainsi que des photographies qui sont produites, les parcelles litigieuses sont implantées dans une zone résidentielle entourée d'habitations.

Contrairement aux affirmations des appelants, la vue depuis leur terrasse ne donnait pas directement sur le front de mer mais sur une route puis au-delà de la route sur les toits d'autres maisons, des arbres et partiellement sur la mer.

Comme l'a retenu à juste titre le premier juge, il n'existe pas de droit acquis à une vue mer, d'autant qu'en l'occurrence la villa des consorts [R] se situe dans un quartier résidentiel d'une commune du Var située dans une zone très urbanisée, entre [Localité 13] et [Localité 12], de sorte que la perte d'une vue mer, partielle et lointaine, n'est pas constitutif d'un trouble anormal de voisinage.

L'incidence de la construction de la SCI CABANA sur l'ensoleillement au pied de la façade Sud de la villa [R] n'est, selon les conclusions de M. [L], ' perceptible qu'entre mi-novembre et mi-janvier, soit aux premières heures du matin lorsque le soleil est orientée au Sud Est, soit en fin d'après-midi lorsque le soleil est au Sud Ouest (..) Pour les autres mois de l'année la perte d'ensoleillement n'est pas significative. Globalement la perte d'ensoleillement générée par la nouvelle construction est donc assez faible. Son incidence thermique et sur l'éclairage naturel de la villa est nulle.'

Ces constatations, non contredites par les consorts [R], suffisent à écarter tout caractère excessif pouvant résulter de la très relative perte d'ensoleillement comme conséquence de la villa édifiée par la SCI CABANA.

Les appelants déplorent enfin une perte d'agrément consistant en 'une sensation d'enfermement' créée par la proximité d'un mur aveugle de 3 m de haut et de 15 m de long au Sud et 7,83 m de long vers l'Est.

Si effectivement, les photographies attestent de la proximité d'un mur blanc sans ouvertures donnant en partie sur la terrasse de la propriété [R]. Or, d'une part, cet ouvrage jouxte uniquement sur deux côtés les limites de leur parcelle, limitant ainsi nécessairement l'impression d'enfermement et d'autre part, la présence de ce mur ne les empêche nullement de jouir de leur terrasse et n'offre aucune vue depuis le fonds de la SCI CABANA, préservant ainsi leur intimité.

C'est à juste titre que le tribunal a considéré que la présence de ce mur ne peut être qualifié d'anormal compte tenu du caractère urbain et résidentiel des lieux.

En conséquence, les consorts [R] échouent à caractériser l'existence d'un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage et lié à la construction voisine.

Leurs demandes de démolition de la villa édifiée par la SCI CABANA et d'indemnisation du préjudice résultant du trouble anormal du voisinage seront rejetées.

Par voie de conséquence, leur demande subsidiaire de dommages et intérêts, dans le cas où la démolition ne serait pas ordonnée, sur le même fondement, ne sera pas accueillie.

Sur la demande reconventionnelle des parties intimées

Ces dernières sollicitent la condamnation les consorts [R] à retirer les jardinières au droit de la terrasse aux motifs que ces éléments empiétent sur la parcelle de la SCI CABANA.

Cette affirmation ne repose que sur de simples photographies qui ne permettent pas de démontrer que les ouvrages litigieux, bien que situés à proximité immédiate de la parcelle acquise par la SCI CABANA empiètent pour autant sur son fonds.

La SCI CABANA et Mme [G] [U] seront déboutée de ce chef de demande.

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Vu l'article 696 du code de procédure civile,

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Déclare recevables en cause d'appel les demandes formées par Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R] au titre de l'empiètement sur le fondement de l'article 701 du code civil,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Toulon en ce qu'il a:

- débouté Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R] de leurs demandes en démolition et indemnitaires sur le fondement du trouble anormal de voisinage,

- débouté la SCI CABANA et Mme [G] [U] de retrait des jardinières au droit de la terrasse de Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R],

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Dit que la construction et le jardin appartenant à la SCI CABANA empiètent respectivement de 28 m² et de 26 m² sur la servitude de passage grevant la parcelle cadastrée AB n° [Cadastre 1] ( anciennement AB n° [Cadastre 7]) au profit de la parcelle cadastrée AB n° [Cadastre 5] appartenant à Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R],

Condamne la SCI CABANA à démolir les aménagements réalisés sur l'emprise de la servitude de passage, soit partie de la construction pour 28 m², correspondant au garage et à une terrasse couverte, et le jardin clos pour 26 m², dans un délai de neuf mois à compter de la signification du présent arrêt et, passé ce délai, sous astreinte de 100 € par jour de retard pendant trois mois.

Condamne la SCI CABANA à payer à Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R] la somme de 8.000 € au titre de leur préjudice de jouissance,

Condamne la SCI CABANA à payer à Mme [A] [X] épouse [R], M. [W] [R] et Mme [D] [R] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SCI CABANA aux dépens de première instance et de la procédure d'appel.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 19/13522
Date de la décision : 06/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-06;19.13522 ?
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