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06/10/2022 | FRANCE | N°19/13373

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 06 octobre 2022, 19/13373


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 06 OCTOBRE 2022

hg

N° 2022/ 391













Rôle N° RG 19/13373 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEYWU







[R] [F]

SARL [F] INGENIERIES & CONSEILS (AIC)





C/



Association CAP LARDIER EST

Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENC E COTE D'AZUR











Copie exécutoire délivrée

le :

à :



SE

LARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS [I]



Me François AUBERT



SCP BUVAT-TEBIEL











Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 16 Juillet 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/03563.





APP...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 06 OCTOBRE 2022

hg

N° 2022/ 391

Rôle N° RG 19/13373 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEYWU

[R] [F]

SARL [F] INGENIERIES & CONSEILS (AIC)

C/

Association CAP LARDIER EST

Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENC E COTE D'AZUR

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS [I]

Me François AUBERT

SCP BUVAT-TEBIEL

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 16 Juillet 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/03563.

APPELANTS

Monsieur [R] [F]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/014196 du 10/01/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

né le 25 Juin 1965 à [Localité 6] (45)

de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]

représenté par la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Rachid CHENIGUER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

SARL [F] INGENIERIES & CONSEILS (AIC) prise en la personne de son gérant en exercice, dont le siège social est [Adresse 2]

représentée par la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Rachid CHENIGUER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEES

Association Syndicale Libre CAP LARDIER EST dont le siège est [Adresse 1], poursuites et diligences de son président en exercice demeurant en cette qualité audit siège

représentée par Me François AUBERT, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL PROVENCE COTE D'AZUR, venant aux droits de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRIGOLE MUTUEL DU VAR, sis [Adresse 5], prise en la personne de son représentant légal en exercice y domicilié en cette qualité audit siège

représentée par Me Layla TEBIEL de la SCP BUVAT-TEBIEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Philippe BARBIER, avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 28 Juin 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame [T] [J], a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Sylvaine ARFINENGO, Président

Madame Hélène GIAMI, Conseiller

Madame Laetitia VIGNON, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Octobre 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Octobre 2022,

Signé par Madame Sylvaine ARFINENGO, Président et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE :

L'ASL Cap Lardier Est a pour objet la gestion des parties et équipements communs du lotissement Cap Lardier Est situé à la [Localité 3], qui existe depuis 1993.

A compter de 1994, [Z] [F] et sa société Agence immobilière de la côte d'azur ont reçu mandat de gestion pour aider le président de l'ASL, procéder aux encaissements de charges et aux paiements.

A partir de l'assemblée générale du 12 août 2000, la SARL [F] Ingénieries et Conseils, professionnelle de l'immobilier, dont le gérant est [R] [F], fils de [Z] [F], a été désignée pour gérer l'ASL moyennant rémunération.

Depuis l'origine, l'ASL employait un gardien, qui a pris sa retraite en 2013. II est alors apparu que, tandis que sur ses bulletins de salaire et les comptes de l'ASL étaient mentionnées les déclarations de charges sociales, celles-ci n'avaient jamais été réglées à l'ARRCO.

Durant l'été 2013, l'ASL a mis fin au mandat de gestionnaire de la société [F] Ingénieries et Conseils, alors que son mandat avait été prolongé jusqu'au 31 décembre 2013 lors de l'assemblée générale du 7 juillet 2013.

L'assemblée générale du 8 juillet 2014 a refusé de donner quitus à la SARL [F] Ingénieries et Conseils et à son gérant.

La régularisation de paiement des cotisations auprès de l'ARRCO pour le compte du gardien a été effectuée par l'ASL pour une somme totale de 43 567,10 € au titre des charges principales.

[R] [F] a, personnellement, remboursé la somme de 2 500 €.

Sur la saisine de l'ASL Cap Lardier Est, le juge des référés du tribunal de grande instance de Draguignan a, par ordonnance du 27 avril 2016, condamné in solidum [R] [F] et la SARL [F] Ingénieries et Conseils à lui payer la somme provisionnelle de 43 567,10 €.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans un arrêt du 22 juin 2017, a réduit la condamnation provisionnelle de [R] [F] et de la SARL [F] Ingénieries et Conseils à la somme de 18 023,55 €.

Par acte d'huissier signifié les 4 et 5 mai 2017, l'ASL Cap Lardier Est a fait assigner [R] [F], la SARL [F] Ingénieries et Conseils et la Caisse régionale de crédit agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur devant le tribunal de grande instance de Draguignan afin d'obtenir, avec exécution provisoire :

-la condamnation in solidum des premiers à lui payer la somme de 43 567,10 €, outre la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens ;

-que la décision soit déclarée commune et opposable à la Caisse régionale de crédit agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur et qu'il lui soit ordonné de verser les fonds qu'elle détient, soit la somme de 18 023,55 €.

Par jugement contradictoire du 16 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Draguignan a statué en ces termes:

« Condamne in solidum [R] [F] et la SARL [F] Ingénieries et Conseils à payer à l'ASL Cap Lardier Est la somme de 32 866,13 €, déduction faite de la somme de 2.500 € d'ores et déjà versée par [R] [F],

Déclare la décision commune et opposable à la Caisse régionale de crédit agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur,

Ordonne à la Caisse régionale de crédit agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur de verser les fonds qu'elle détient du chef de la SARL [F] Ingénieries et Conseils sur le compte courant n°43519944066,

Condamne in solidum [R] [F] et la SARL [F] Ingénieries et Conseils à payer à l'ASL Cap Lardier Est la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum [R] [F] et la SARL [F] Ingénieries et Conseils aux dépens,

Ordonne l'exécution provisoire,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires.»

Pour rendre cette décision, le premier juge a considéré que :

[R] [F] avait reconnu le détournement des cotisations dans son écrit du 30 décembre 2013,

-il ne justifiait pas d'une contrainte ou de violence exercée par Monsieur [L], président de l'ASL, à son encontre pour obtenir cet écrit,

-les articles 1325 et 1326 du code civil, dans leur version en vigueur, ne s'appliquaient pas en l'espèce, le premier car il ne concerne que les contrats synallagmatiques, et le second car la somme due n'était pas connue,

[R] [F] et sa société ne pouvaient être tenus que pour les sommes détournées à partir de leur mandat du 12 août 2000,

-leur complicité avec [Z] [F] n'étant pas démontrée, ils ne pouvaient être tenus des sommes antérieurement détournées.

[R] [F] et la société [F] Ingénieries et Conseils ont fait appel de ce jugement par déclaration du 14 août 2019.

Aux termes de leurs conclusions remises au greffe et notifiées le 21 août 2020 auxquelles il convient de se référer pour un exposé détaillé des moyens et prétentions, [R] [F] et la société [F] Ingénieries et Conseils entendent, au visa des articles 1315 et 1165 du code civil dans leur version applicable au présent litige,

L 241-8 et R 234-6 du code de la sécurité sociale :

-les déclarant recevables et bien fondés,

-infirmer le jugement en ce qu'il a :

-condamné in solidum [R] [F] et la société [F] Ingénieries et Conseils à payer à l'ASL Cap Lardier Est la somme de 32.866,13 €, déduction faite de la somme de 2.500 € d'ores et déjà versée par [R] [F],

-déclaré la décision commune et opposable à la Caisse régionale de crédit agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur,

-ordonné à la Caisse régionale de crédit agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur de verser les fonds qu'elle détient du chef de la société [F] Ingénieries et Conseils sur le compte courant n°43519944066,

-condamné in solidum [R] [F] et la société [F] Ingénieries et Conseils à la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

-débouté [R] [F] et la société [F] Ingénieries et Conseils de leurs

demandes tendant à :

-faire procéder au versement des fonds détenus sur le compte tiers de la société [F] Ingénieries et Conseils directement à l'ASL Cap Lardier Est,

- ordonner la restitution par l'ASL Cap Lardier Est à la société [F] Ingénieries et Conseils de la somme de 2 500 € qu'elle a versée sur ses fonds propres dans l'attente du déblocage du solde de son compte tiers.

- subsidiairement, un délai de 24 mois pour s'acquitter des sommes dues lesquelles seront assorties du taux d'intérêt légal.

-faire supporter, en tout état de cause, leurs frais irrépétibles et les dépens par l'ASL Cap Lardier Est.

statuant à nouveau,

-débouter l'ASL Cap Lardier Est de l'intégralité de ses demandes à l'encontre des concluants,

-donner acte aux concluants de ce qu'ils ne s'opposent pas à ce que la cour ordonne

à la Caisse régionale de crédit agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur de verser à l'ASL Cap Lardier Est les fonds détenus sur le compte tiers de la société [F] Ingénieries et Conseils soit la somme de 18 023,55 €,

-ordonner la restitution par l'ASL Cap Lardier Est à la société [F] Ingénieries et Conseils de la somme de 2 500 € qu'elle a versée sur ses fonds propres dans l'attente du déblocage de son compte tiers.

à titre infiniment subsidiaire,

-accorder aux concluants un délai de 24 mois pour s'acquitter des sommes dues, lesquelles seront assorties du taux d'intérêt légal.

en tout état de cause,

-débouter l'ASL Cap Lardier Est de toutes ses demandes, fins et prétentions plus

amples ou contraires et de tout appel incident.

-débouter la Caisse régionale de crédit agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires et de tout appel incident.

-condamner l'ASL Cap Lardier Est à verser aux concluants la somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en remboursement des frais irrépétibles.

-la condamner aux entiers dépens, dont distraction au profit de la S.E.L.A.R.L.

Lexavoue Aix en Provence, représentée par Maître [H] [I], sur son

affirmation de droit.

Ils font valoir que :

- la force probante de l'écrit du 30 décembre 2013 est totalement inexistante dès lors :

- qu'il ne mentionne ni le nom, ni le prénom de Monsieur [F], ni la dénomination de la Société [F] Ingénieries et Conseils, ni aucun montant précis,

- qu'il fait référence à une période antérieure à celle de son mandat de gestion qui n'a

débuté qu'en 2000.

- qu'il n'est accrédité par aucun élément de preuve susceptible de démontrer que les fonds prétendument détournés ont été effectivement prélevés auprès des colotis ;

- la somme de 18 023,55 € correspond au montant estimatif des cotisations prélevées auprès des copropriétaires, cette somme étant détenue et bloquée sur un compte de tiers de la Société [F] Ingénieries et Conseils, depuis février 2010 par la Caisse régionale de crédit agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur ;

-ce blocage est intervenu lorsque la police d'assurance des concluants a été résiliée en suite des difficultés personnelles de Monsieur [F] ;

-l'ASL ne prouve pas que ses membres auraient versé les sommes réclamées à la société [F] Ingénieries et Conseils qui en serait débitrice ;

-la preuve d'un abus de confiance n'est pas rapportée ;

-l'ASL a d'ailleurs abandonné sa plainte au pénal ;

Aux termes de conclusions remises au greffe et notifiées le 21 janvier 2021, auxquelles il convient de se référer pour un exposé détaillé des moyens et prétentions, l'ASL Cap Lardier Est demande à la cour de:

-confirmer le jugement en ce qu'il a condamné [R] [F] et la société [F] Ingénieries et Conseils à indemniser l'ASL Cap Lardier Est du préjudice subi,

-réformer sur le surplus,

-dire et juger que [R] [F] et la société [F] Ingénieries et Conseils se sont livrés à un abus de confiance au préjudice de l'ASL Cap Lardier Est pour la période 2000 à 2013, soit la durée de leur mandat,

-dire et juger que [R] [F] et la société [F] Ingénieries et Conseils étaient complices des détournements de fonds opérés entre 1995 et 2000 correspondant aux cotisations vieillesses de Monsieur [M] impayées à défaut de déclaration auprès de l'ARCCO, alors qu'elles étaient appelées auprès des colotis en même temps que l'ensemble des charges, dès lors que [R] [F] et la société [F] Ingénieries et Conseils ne pouvaient ignorer cette situation et par ailleurs reconnue dans la lettre du 30 décembre 2013,

en conséquence,

-condamner in solidum [R] [F] et la société [F] Ingénieries et Conseils à payer l'ASL Cap Lardier Est la somme de 43 567,10 €,

-dire et juger que la somme de 2 500 € versée en cours de procédure par la SARL [F] Ingénieries et Conseils devra s'imputer par priorité sur les intérêts dus en vertu de l'ordonnance de référé de Monsieur le président du tribunal de grande instance du 27 avril 2016 et de l'arrêt de la cour d'appel du 22 juin 2017, conformément aux dispositions de l'article 1343-1 du code civil,

-dire la décision commune et opposable à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur,

-ordonner à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur de verser les fonds qu'elle détient du chef de la SARL [F] Ingénieries et Conseils sur le compte de gestion immobilière soit la somme de 18 023,55 €,

-débouter Monsieur [F] de sa demande de restitution de la somme de 2 500 €,

-condamner in solidum [R] [F] et SARL [F] Ingénieries et Conseils à payer à l'ASL Cap Lardier Est la somme de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître François Aubert par application de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour elle :

[R] [F] est tenu personnellement de la somme détournée, s'agissant d'un abus de confiance reconnu par son courrier du 30 décembre 2013 ;

-la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur détient des fonds du chef de la société [F] Ingénieries et Conseils, qui lui appartiennent, et qu'elle ne peut continuer à bloquer ;

- la somme de 43 567,10 € a été détournée entre 1995 et 2013 ;

[R] [F] et SARL [F] Ingénieries et Conseils ne pouvaient ignorer que la situation préexistait à leur mandat, et la lettre du 30 décembre 2013 fait d'ailleurs référence à cette période ;

-l'abus de confiance est caractérisé à leur encontre ;

-aucune déclaration n'a été faite à l'ARCCO, mais des appels de fonds ont été faits auprès des colotis, et de prétendues cotisations ont été mentionnées sur les bulletins de paie et dans les bilans ;

-les articles 1325 et 1326 du code civil, dans leur version en vigueur, n'ont pas lieu de s'appliquer en l'espèce, s'agissant d'un abus de confiance et de responsabilités délictuelles ;

-ses demandes sont fondées sur les articles 314-1 du code pénal et 1147 du code civil pour la société [F] Ingénieries et Conseils, et sur les articles 1382 et 1383 du code civil pour [R] [F] ;

-les sommes ayant été mentionnées dans les bilans ont nécessairement été appelées auprès des colotis ;

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 18 mars 2020, auxquelles il convient de se référer pour un exposé détaillé des moyens et prétentions, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur (ensuite dénommée CRCAM) demande à la cour de :

-réformer incidemment le jugement dont appel en rejetant toutes demandes de prélèvement partiel ou total de la somme figurant au crédit du compte de gestion immobilière n° 43519944325 ouvert dans les livres de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur au nom de la société [F] Ingénieries et Conseils, faute de justification de l'accord du garant financier concerné par les sommes figurant au crédit dudit compte en déboutant l'ASL Cap Lardier Est des fins de son appel incident.

-condamner in solidum [R] [F], la société [F] Ingénieries et Conseils et l'ASL Cap Lardier Est à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur par application de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 4 000 € outre dépens dont distraction au profit de la SCP cabinet Buvat-Tebiel, avocat, sur son affirmation de droit.

Pour elle :

-compte tenu de la réglementation applicable (loi du 2 janvier 1970 et décret du 20 juillet 1972), elle ne peut débloquer les fonds sur le compte de gestion immobilière de la société [F] Ingénieries et Conseils qu'avec l'accord du garant financier du professionnel de l'immobilier, du fait de la cessation de la garantie ;

-ce compte est insaisissable, car il ne fait pas partie du patrimoine de la société [F] Ingénieries et Conseils ;

-la cour ne peut ordonner le versement sollicité.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 juin 2022.

MOTIFS DE LA DECISION:

Sur la demande en paiement de l'ASL Cap Lardier Est :

L'ASL sollicite la condamnation in solidum de [R] [F] et de la SARL [F] Ingénieries et Conseils à lui payer à la somme de 43 567,10 €, sous déduction de la somme de 2 500 € déjà versée qui devra s'imputer par priorité sur les intérêts dus en vertu de l'ordonnance de référé du 27 avril 2016 et de l'arrêt de la cour d'appel du 22 juin 2017, conformément aux dispositions de l'article 1343-1 du code civil.

Elle prétend que tous deux ont commis un abus de confiance en détournant le montant des cotisations appelées pour la retraite du gardien, salarié de l'ASL, et fonde ses demandes sur les articles 314-1 du code pénal, 1147 du code civil pour la société [F] Ingénieries et Conseils, et 1382 et 1383 du code civil pour [R] [F].

Il est certain que si la juridiction civile ne peut juger de la réalité d'un abus de confiance dont l'appréciation relève des juridictions pénales, elle peut retenir les responsabilités invoquées à l'égard des deux appelants au titre de leurs fautes contractuelle ou délictuelle s'il est établi qu'ensemble, ils ont reçu le paiement des cotisations sans les reverser à l'organisme de retraite.

En effet, dans le cas de la SARL [F] Ingénieries et Conseils, son mandat lui imposait d'affecter les sommes reçues à la destination prévue par son mandant, L'ASL.

[R] [F], en sa qualité de gérant de la SARL, devait veiller à cela, et sa responsabilité délictuelle peut être retenue en cas de faute en lien avec le préjudice subi par l'ASL.

Il ressort des pièces produites aux débats que :

Par lettre du 30 décembre 2013, [R] [F] a indiqué « avoir depuis mon entrée en fonction omis volontairement de déclarer et payer à l'ARCCO les sommes ou cotisations tant salariale que patronale, tout en les faisant apparaître lors de l'établissement des fiches de salaires que dans les bilans de l'ASL Cap Lardier Est ' je m'engage expressément à tout mettre en 'uvre afin d'assurer le remboursement des sommes détournées et faire face à toutes pénalités ou intérêts qui seraient réclamés par l'ARCCO tant sur mon patrimoine professionnel que sur mon patrimoine personnel ».

Sachant que la SARL [F] Ingénieries et Conseils est entrée en fonction le 12 août 2000, cette reconnaissance de détournement de fonds porterait sur toute la période où elle a été mandatée et qui a pris fin au cours de l'été 2013, lorsque l'ASL a mis fin au mandat qui avait été confié à cette société.

[R] [F] avait prétendu en première instance avoir signé ce document sous la contrainte du président de l'ASL, dans une période où il connaissait des difficultés personnelles et financières importantes, mais il indique dans ses conclusions devant la cour qu'il n'entend plus évoquer les conditions d'obtention de ce document rédigé sous contrainte à un moment de grave épisode dépressif, alors qu'il se retrouvait, ainsi que sa société, sans domicile fixe.

Aucune autre pièce qu'un certificat médical du 30 avril 2014 faisant état d'une échographie du mollet droit, ou des attestations d'élection de domicile à la mairie de [Localité 7] à compter du 23 mai 2013 ou au CCAS de Grimaud à compter du 31 octobre 2017 n'étant produite, il sera considéré que le courrier précité a été rédigé dans des conditions normales, et non sous contrainte ou en état de vulnérabilité.

Les appelants font également valoir que cet écrit est dépourvu de toute force probante dès lors :

- qu'il ne mentionne ni le nom, ni le prénom de Monsieur [F], ni la dénomination de la Société [F] Ingénieries et Conseils, ni aucun montant précis,

- qu'il fait référence à une période antérieure à celle de son mandat de gestion qui n'a

débuté qu'en 2000,

- qu'il n'est accrédité par aucun élément de preuve susceptible de démontrer que les fonds prétendument détournés ont été effectivement prélevés auprès des colotis.

S'il est exact que cet écrit ne permet pas de savoir quel est le montant des cotisations détournées, en revanche, son auteur [R] [F] est parfaitement identifiable et non remis en question puisque l'intéressé indique l'avoir rédigé à une période difficile de sa vie, de même que la société dont il est gérant puisqu'il indique :

« Suite à notre réunion de ce jour avec Messieurs [V] et [L] préalable à ma démission de la gestion de la résidence Cap Lardier et votée lors de la dernière assemblée générale de l'ASL, ai reconnu à l'occasion de la reddition des comptes... »

Si ce courrier fait référence à une période antérieure à celle du mandat de gestion en indiquant « ne pouvoir justifier d'aucune explication de 1995 à 2000 où les cotisations ARCCO semblent ne pas avoir été versées alors que mon père assurait la gestion », cela ne prive en rien de force probante les déclarations relatives aux années où la SARL [F] Ingénieries et Conseils était mandataire de l'ASL.

Comme cela a été jugé en première instance, [R] [F] et la SARL [F] Ingénieries et Conseils ne peuvent être condamnés à payer à l'ASL les sommes qui auraient été détournées par un tiers, en l'occurrence le père de [R] [F], sur la période antérieure à leur mandat, et cela même s'ils ne pouvaient ignorer que la situation préexistait à leur mandat, comme le soutient l'ASL, sans cependant agir sur un autre fondement que le détournement de fonds qui ne peut leur être imputé, s'il a été commis par un tiers.

[R] [F] et la SARL [F] Ingénieries et Conseils demandent à la cour de leur donner acte qu'ils ne s'opposent pas à ce que la Caisse régionale de crédit agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur soit condamnée à verser à l'ASL les fonds détenus par elle à hauteur de 18 023,55 € sur le compte tiers de la SARL.

Ils ne contestent donc pas devoir à l'ASL cette somme de 18 023,55 €.

En revanche, ils contestent devoir à l'ASL l'intégralité des cotisations impayées s'élevant à la somme de 43 567,10 € pour la période de 1995 à 2013, et ne reconnaissent devoir que le montant des appels de provisions auxquels il a été procédé de 2000 à 2012, indiquant qu'en 2013, ils n'ont pas effectué cet appel de provision, compte tenu de l'interruption de leur mandat.

Suivant leur décompte de 2000 à 2013 (leur pièce 8)  :

- le total des cotisations dues à partir de leur prise de fonction le 12 août 2000 s'élève à 36 497,46 €,

- le total des sommes recouvrées par eux à titre provisionnel de 2000 à 2013 se limite à 23 877,78 €.

La somme due par l'ASL au titre des cotisations retraite impayées de 2000 à 2013 s'élève effectivement à 36 497,46 €.

Dès lors que [R] [F] et la SARL [F] Ingénieries et Conseils reconnaissent avoir perçu 23 877,78 € à titre provisionnel pour le paiement de ces cotisations qu'ils n'ont pas payées, ils doivent au minimum être condamnés au remboursement de cette somme.

Pour le surplus qui s'élève à 12 619,68 € (36 497,46 € - 23 877,78 €), il appartient à l'ASL d'établir que cette somme avait été payée par les colotis sans avoir été reversée à l'organisme de retraite.

A cette fin, elle se prévaut d'un courrier daté du 10 décembre 2010 adressé par [R] [F] pour la SARL [F] Ingénieries et Conseils à Monsieur et Madame [L] pour obtenir le paiement de la régularisation des charges au titre des trois années 2007-2008-2009, ce dont elle déduit que les régularisations des cotisations de retraite étaient faites.

Si ce courrier qui procède à une régularisation du déficit de chacun des trois bilans n'évoque pas la régularisation spécifique des cotisations retraite, il fait néanmoins ressortir que les provisions étaient ensuite « régularisées ».

Les bulletins de salaire de Monsieur [M] (pièces 29 à 32 de l'ASL) portent notamment la mention des cotisations patronales au titre de la vieillesse, pour des montants supérieurs non seulement aux provisions appelées, mais également aux cotisations dues.

Enfin, les « bilans » dont se prévaut l'ASL mentionnent au titre de la retraite de Monsieur [M] des sommes de montants également supérieurs aux provisions appelées, mais également aux cotisations dues.

Dans la mesure où il est avéré et reconnu par [R] [F] que les sommes perçues au titre des cotisations tant salariale que patronale, et mentionnées dans les fiches de salaires et les bilans, n'ont pas été reversées à l'organisme social de vieillesse, le montant du détournement opéré ne peut être limité aux seuls appels provisionnels sur la base des récapitulatifs des dépenses et recettes de l'ASL qui ont été établis par les auteurs mêmes du détournement.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné in solidum [R] [F] et la SARL [F] Ingénieries et Conseils à payer à l'ASL Cap Lardier Est la somme de 32 866,13 €, sous déduction des 2 500 € déjà réglés en cours de procédure, qui s'imputeront par priorité sur les intérêts dus en vertu de l'ordonnance de référé du 27 avril 2016 et de l'arrêt de la cour d'appel du 22 juin 2017, conformément aux dispositions de l'article 1343-1 du code civil.

[R] [F] et la SARL [F] Ingénieries et Conseils seront déboutés de leur demande de restitution de la somme de 2 500 €.

Sur la demande de l'ASL Cap Lardier Est tendant à voir ordonner à la CRCAM de verser les fonds qu'elle détient du chef de la SARL [F] Ingénieries et Conseils :

Alors que les parties sont d'accord pour la remise de 18 023,55 € à l'ASL, la CRCAM s'oppose à cette demande de prélèvement de la somme figurant au crédit du compte de gestion immobilière n° 43519944325 ouvert dans ses livres au nom de la SARL [F] Ingénieries et Conseils, faute de justification de l'accord du garant financier concerné par les sommes figurant au crédit dudit compte en déboutant l'ASL Cap Lardier Est des fins de son appel incident.

La SARL [F] Ingénieries et Conseils est titulaire de trois comptes à la CRCAM :

-un compte courant n°43519944066, débiteur de 858,59 € au 13 janvier 2020,

-un compte de gestion immobilière n°43519944325, créditeur de 18 023,55 € au 12 juin 2013,

-un compte de gestion immobilière n°43646225281, dont le solde est nul.

La CRCAM justifie de ce que la SARL Segap a résilié la garantie financière accordée à la SARL [F] Ingénieries et Conseils au titre de son activité « gestion immobilière » visée par la loi du 2 janvier 1970 et lui a demandé par courrier du 8 février 2010 de faire application des articles 48 et 70 du décret d'application du 20 juillet 1972 de la loi du 2 janvier 1970 sur le compte de gestion immobilière n°43519944325.

La CRCAM invoque l'article 58 du décret d'application du 20 juillet 1972 qui prévoit :

« Dès la notification de la cessation de la garantie à l'établissement de crédit qui tient le compte, il ne peut être procédé à des retraits qu'avec l'accord du garant.

Si le titulaire du compte refuse d'effectuer un retrait, la désignation d'un administrateur provisoire peut être demandée au président du tribunal de grande instance statuant en référé.

En cas de changement de garantie financière, les fonds provenant des opérations en cours au moment de la cessation de la garantie antérieure ne peuvent être transférés à un autre compte de même nature ou un compte spécial à rubriques prévu ci-après, suivant le cas, que s'ils sont pris en charge au titre de la nouvelle garantie. »

Or, en l'espèce, l'ASL a obtenu de la SARL Segap un courrier daté du 14 octobre 2020 par lequel elle indique n'avoir aucune objection au déblocage des fonds détenus par la CRCAM pour le compte de la SARL [F] Ingénieries et Conseils en lui rappelant que les garanties souscrites par son intermédiaire ont été résiliées le 8 février 2010.

Par ailleurs, la CRCAM qui invoque la réception de plusieurs avis à tiers détenteur n'en justifie pas.

Eu égard à l'accord obtenu de la SARL Segap pour le déblocage des fonds, et alors que n'est pas établie la concurrence de plusieurs créanciers de la SARL [F] Ingénieries et Conseils sur les fonds bloqués depuis plus de dix ans, il sera fait droit à la demande conjointe des autres parties de condamner la CRCAM à verser à l'ASL la somme de 18 023,55 € figurant au crédit du compte de gestion immobilière n°43519944325, qu'elle détient pour le compte de la SARL [F] Ingénieries et Conseils.

Sur les délais de paiement:

Des délais de paiement peuvent être accordés aux débiteurs sur le fondement de l'article 1343-5 du code civil, compte tenu de leur situation et en considération des besoins du créancier.

En l'espèce, la dette est très ancienne, le détournement de fonds a été reconnu, et seul [R] [F] justifie de sa situation de précarité, par la production d' attestations d'élection de domicile à la mairie de [Localité 7] à compter du 23 mai 2013 ou au CCAS de Grimaud à compter du 31 octobre 2017, et de ses avis de non imposition en l'absence de tout revenu déclaré de 2016 à 2018.

Cette situation est insuffisante à fonder la demande de délais de paiement présentée par les deux débiteurs, qui sera rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la CRCAM à verser à l'ASL Cap Lardier Est la somme de 18 023,55 € figurant au crédit du compte de gestion immobilière n°43519944325, qu'elle détient pour le compte de la SARL [F] Ingénieries et Conseils,

Précise que cette somme viendra en déduction des 32 866,13 € dus par [R] [F] et la SARL [F] Ingénieries et Conseils à l'ASL Cap Lardier Est,

Vu les articles 696 à 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum [R] [F] et la SARL [F] Ingénieries et Conseils à payer à l'ASL Cap Lardier Est la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'appel,

Condamne in solidum [R] [F] et la SARL [F] Ingénieries et Conseils aux dépens d'appel, avec distraction dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile.

Rejette la demande d'indemnité de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuelle Provence Côte d'Azur au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 19/13373
Date de la décision : 06/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-06;19.13373 ?
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