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30/09/2022 | FRANCE | N°21/02562

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8, 30 septembre 2022, 21/02562


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8



ARRÊT AU FOND

DU 30 SEPTEMBRE 2022



N°2022/.



Rôle N° RG 21/02562 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BG7JP





Société LA PROTECTION TECHNIQUE





C/



[J] [T] veuve [I]

[H] [I]

[S] [I]

[C] [I]

[W] [I]



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR





Copie exécutoire délivrée

le :

à :



- Me Denis FERRE



- Me Eric BAGNOLI



- Me

Stéphane CECCALDI















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Pole social du Tribunal Judicaire de Toulon en date du 04 Février 2021,enregistré au répertoire général sous le n° 19/01292.





APPELANTE



Société LA PROTECTION TECHNIQUE, dem...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8

ARRÊT AU FOND

DU 30 SEPTEMBRE 2022

N°2022/.

Rôle N° RG 21/02562 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BG7JP

Société LA PROTECTION TECHNIQUE

C/

[J] [T] veuve [I]

[H] [I]

[S] [I]

[C] [I]

[W] [I]

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Denis FERRE

- Me Eric BAGNOLI

- Me Stéphane CECCALDI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du Tribunal Judicaire de Toulon en date du 04 Février 2021,enregistré au répertoire général sous le n° 19/01292.

APPELANTE

Société LA PROTECTION TECHNIQUE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Denis FERRE de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Emilie MELONI, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Madame [J] [T] veuve [I], demeurant [Adresse 2]

Monsieur [H] [I], demeurant [Adresse 2]

Madame [S] [I], demeurant [Adresse 2]

Madame [C] [I], demeurant [Adresse 2]

Madame [W] [I], demeurant [Adresse 2]

Tous représentés par Me Eric BAGNOLI, avocat au barreau de MARSEILLE

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAR, demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Stéphane CECCALDI, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Février 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Catherine BREUIL, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Mme Catherine BREUIL, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Séverine HOUSSARD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 mai 2022, décision prorogée au 30 Septembre 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Septembre 2022

Signé par Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre et Mme Séverine HOUSSARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [R] [I], employé en qualité de vérificateur de matériels de sécurité incendie depuis le 1er juillet 2016 par la société la Protection technique, a été victime le 23 mai 2018 d'un accident mortel du travail, pris en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie du Var.

Mme [J] [T], veuve [I], et ses enfants, M. [H] [I] (né le 09 février 1983) ainsi que mesdames [S], [C] et [W] [I] (nées respectivement les 12 mars 1988, 27 juin 1989 et 03 juillet 1998) ont saisi le 10 octobre 2018 le tribunal des affaires de sécurité sociale du Var d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société la Protection technique dans l'accident du travail de [R] [I].

Par jugement en date du 04 février 2021, le tribunal judiciaire de Toulon, pôle social, a:

* 'constaté' que l'accident du travail dont a été victime M. [R] [I] le 23 mai 2018 est imputable à la faute inexcusable de son employeur, la société la Protection technique,

* attribué à Mme [J] [T], veuve [I] une rente majorée à son maximum,

* débouté les ayants droit de [R] [I] de leur demande d'allocation forfaitaire,

* débouté les ayants droit de [R] [I] de leur demande au titre de l'action successorale en réparation des souffrances endurées,

* alloué au titre du préjudice moral subi par les ayants droit les sommes suivantes:

- à Mme [J] [T], veuve [I]: 40 000 euros,

- à M. [H] [I]: 20 000 euros,

- à Mme [S] [I]: 20 000 euros,

- à Mme [C] [I]: 20 000 euros,

- à Mme [W] [I]: 20 000 euros,

* dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Var devra verser à la succession et aux ayants droit les indemnisations ainsi fixées et disposera d'une action récursoire à l'encontre de la société la Protection technique,

* débouté les demandeurs de leur demande d'exécution provisoire,

* condamné la société la Protection technique à verser à la succession de [R] [I] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la société la Protection technique aux dépens.

La société la Protection technique a relevé régulièrement appel, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées.

Par conclusions visées par le greffier le 23 février 2022, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la société la Protection technique sollicite l'infirmation du jugement entrepris hormis en ce qu'il a débouté les ayants droit de [R] [I] de leurs demandes d'allocation forfaitaire et au titre de l'action successorale en réparation des souffrances endurées et demande à la cour de:

* débouter les ayants droit de [R] [I] de l'ensemble de leurs demandes,

* condamner les consorts [I] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, elle lui demande de:

* débouter les ayants droit de [R] [I] de leurs demandes au titre des souffrances endurées et de l'allocation forfaitaire,

* réduire à 20 000 euros l'indemnisation du préjudice moral de Mme [J] [T], veuve [I] et à 11 000 euros l'indemnisation des préjudices moraux respectifs de M. [H] [I] et de Mesdames [S], [C] et [W] [I],

* réduire à 5 000 euros l'indemnisation des souffrances endurées,

* dire que la caisse primaire d'assurance maladie sera condamnée à faire l'avance des condamnations prononcées.

Par conclusions remises à la cour par voie électronique le 23 février 2022, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, Mme [J] [T], veuve [I], M. [H] [I] et mesdames [S], [C] et [W] [I] sollicitent l'infirmation du jugement entrepris sur l'allocation forfaitaire et les souffrances endurées de [R] [I], et sa confirmation sur le surplus.

Ils demandent à la cour de leur allouer:

* le bénéfice de l'allocation forfaitaire,

* la somme de 50 000 euros en réparation des souffrances endurées par leur auteur décédé,

* dire que ces sommes seront avancées par la caisse primaire d'assurance maladie du Var,

* condamner la société la Protection technique au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens

Par conclusions visées par le greffier le 23 février 2022, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la caisse primaire d'assurance maladie du Var indique s'en rapporter sur l'existence de la faute inexcusable reprochée à l'employeur et de:

* ramener à de plus justes proportions l'indemnisation des préjudices moraux de Mme [J] [T], veuve [I] et de ses enfants,

* confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les ayants droit de [R] [I] de leurs demandes d'allocation forfaitaire et d'indemnisation au titre de l'action successorale.

* dans l'hypothèse où la faute inexcusable serait retenue, dire que la société la Protection technique devra lui rembourser les sommes dont elle serait tenue de faire l'avance.

MOTIFS

Il résulte de l'article 954 du code de procédure civile que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Ne constituent pas une prétention les demandes de 'constater' ou de 'dire et juger'.

* sur la faute inexcusable:

Dans le cadre de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur destinée, notamment, à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, les dispositions des articles L.4121-1 et suivants et R.4121-1 et suivants du code du travail lui font obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

L'employeur a, en particulier, l'obligation d'éviter les risques et d'évaluer ceux qui ne peuvent pas l'être, de planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants. Il doit après cette évaluation établir et mettre à jour annuellement un document unique d'évaluation des risques comportant un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l'entreprise ou de l'établissement.

L'article R.4321-1 du code du travail fait spécifiquement obligation à l'employeur de mettre à la disposition des travailleurs les équipements de travail nécessaires, appropriés au travail à réaliser ou convenablement adaptés à cet effet, en vue de préserver leur santé et leur sécurité.

Le manquement son obligation de sécurité a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il suffit que la faute inexcusable de l'employeur soit une cause nécessaire de l'accident du travail pour engager sa responsabilité.

La faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité encourue en raison de sa faute inexcusable, seule la propre faute inexcusable commise par le salarié au sens des dispositions de l'article L.453-1 du code de la sécurité sociale, c'est à dire une faute d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison son auteur à un danger dont il aurait dû avoir connaissance, pouvant permettre une réduction de la rente.

C'est au salarié ou à ses ayants droit qu'incombe la charge de la preuve de la faute inexcusable, et par voie de conséquence d'établir que l'accident du travail présente un lien avec une faute commise par l'employeur, dans le cadre de son obligation de sécurité.

L'appelante soutient que les circonstances de l'accident du travail sont indéterminées, motif pris que le rapport du BEA Mer les expose en faisant état de raisons inconnues à l'origine de la décharge de gaz, de la perte d'équilibre du second technicien et de la chute.

Elle allègue avoir mis à la disposition de ses salariés des équipements de travail appropriés, la goupille de sécurité étant présente sans avoir été mise pour des raisons inconnues.

Elle soutient également qu'elle ne pouvait avoir conscience du danger, la prestation de travail du salarié n'étant pas une opération de transport de l'extincteur.

Tout en concédant ne pas avoir mis à jour le document unique d'évaluation des risques dans les délais, elle souligne qu'il faisait référence lors de la manipulation des extincteurs sous pression aux risques d'explosion et de blessures et rappelait les actions à envisager ainsi que l'importance fondamentale de la goupille présente sur les extincteurs.

Elle soutient que l'absence de mise à jour des extincteurs ne présente pas de lien de causalité avec l'accident du travail et conteste l'absence de formation dispensée au salarié, soulignant que le fonctionnement de l'extincteur présent sur le bateau est identique à ceux présents sur des sites terrestres. Elle se prévaut de la qualification professionnelle de [R] [I] titulaire d'un CAP d'agent vérificateur d'appareils extincteurs obtenu en 2017, qui travaillait le jour de l'accident du travail en binôme avec un salarié expérimenté titulaire également du même CAP.

Les ayants droit de [R] [I] lui opposent l'absence de mesures prises pour préserver leur auteur du danger auquel il a été exposé dont l'employeur avait conscience.

Ils soutiennent qu'il résulte de la procédure pénale et du rapport de la Direccte que l'accident trouve son origine dans une absence de formation des salariés pour une intervention dans le domaine maritime et dans un défaut de mise à disposition des équipements de travail appropriés. Ils soulignent le caractère confiné et exigu de l'environnement dans lequel devait se dérouler l'intervention des salariés (cale d'un navire), difficile d'accès (trappe avec échelle), que le document unique d'évaluation des risques n'avait pas été mis à jour depuis le 25 mai 2011, et qu'il n'y a pas davantage eu de document unique d'évaluation des risques pour chaque établissement alors que la société en comporte trois hors de son siège social. Ils se prévalent également de l'arrêt de la chambre des appels correctionnels.

Il résulte de l'extrait Kbis de la société employeur qu'elle a pour activité notamment 'l'entretien installation matériel protection incendie'.

Eu égard à son secteur d'activité, elle a nécessairement conscience du risque lié à la manutention, aux fins de vérifications, d'extincteurs par ses salariés.

La déclaration d'accident du travail en date du 24 mai 2018, mentionne que celui-ci s'est produit sur le bateau 'Gria [Localité 4]', lors de la vérification des systèmes d'extinction, et l'enquête pénale a établi une intoxication au monoxyde de carbone au sein de ce yacht, lors de l'intervention de deux salariés, ayant causé leurs décès.

Le devis pour cette prestation de vérification, versé aux débats par la société, dont la teneur est également reprise en page 2 du rapport de la Direccte, porte sur le 'démontage, pesage, remontage et contrôle du bon fonctionnement commande manuelle'.

Il s'ensuit que les salariés devaient nécessairement déplacer cet extincteur de son support, peu important qu'ils n'aient pas eu à le transporter sur un autre site, ce déplacement impliquant des mesures préventives liées au risque ainsi induit, la bouteille de l'extincteur contenant du CO2, gaz dont l'employeur ne pouvait ignorer la toxicité.

Ainsi, la conscience du risque de l'employeur lié à la nature même de la tâche confiée à ses salariés ne peut être sérieusement discutée.

Le rapport enquête du BEA Mer mentionne que les deux techniciens de la société sont descendus dans le compartiment des moteurs avec une caisse vers 15 heures 15 et que vers 15 heures 25, le marin présent sur le pont a entendu le bruit d'une décharge de gaz sous haute pression, qu'arrivé à l'accès au compartiment des moteurs, il a vu un des techniciens debout entre les moteurs, son collègue assis sur le parquet plus sur l'arrière, tous deux vomissant du sang et semblant sans réaction, la bouteille de CO2 étant à l'horizontale sur le parquet et se déchargeant, que les deux techniciens ne répondant pas, il est descendu quelques secondes dans le compartiment en se protégeant la bouche et le nez de son tee-shirt, mais étant victime à son tour de vertiges, il est remonté respirer sur le pont.

Ce rapport établit ainsi qu'il suit la genèse de l'accident:

'1- chute de la bouteille de CO2 et/ou d'un technicien (accident A1),

2- la forte concentration en CO2 du compartiment des moteurs et l'asphyxie des deux techniciens (accident A2)".

Il retient:

* d'une part, une absence de connaissance réelle de la réglementation et des normes applicables ou non-applicables à bord des navires de plaisance et l'absence de supervision technique de ces opérations. Les 'spécificités 'marine' ne faisaient pas l'objet d'un mode opératoire adapté aux navires de plaisance' et n'étaient pas traitées par le document unique d'évaluation des risques professionnels,

* d'autre part que:

- le mode opératoire consistant à préparer et sécuriser la bouteille de CO2 pour sa manutention n'a pas été respecté:

.la goupille (ou fixation de transport) placée dans son logement n'a pas été immobilisée par un plomb,

. la sortie gaz vers le tuyau flexible d'alimentation du circuit n'a pas été obturée par un bouchon (écrou de fermeture sur la notice constructeur),

. la collerette de transport (identique à celles utilisées sur les bouteilles de gaz domestique) n'a pas été vissée sur le dessus de la bouteille pour faciliter la manutention,

- les techniciens ne disposaient pas, dans leur outillage, des pièces nécessaires (bouchon et collerette de transport.

Il précise que la reconstitution de l'accident effectuée au siège de la société a permis de constater que la goupille (ou fixation de transport) sort de son logement lorsqu'elle n'est pas sécurisée par un plomb et que la bouteille est inclinée.

Ce rapport conclut que:

- les deux techniciens victimes de l'accident exerçaient une activité marginale au sein de l'entreprise,

- il n'y avait pas de mode opératoire validé par les dirigeants de l'entreprise pour les interventions à risques à bord des navires de plaisance,

- la manutention de la bouteille de CO2 a été entreprise alors qu'elle n'était pas sécurisée,

- l'absence de moyen de levage et l'ergonomie du compartiment des moteurs constituaient un risque supplémentaire pour les deux opérateurs.

Le rapport de la Direccte précise que le système d'extinction d'incendie fixe que les salariés devaient vérifier se trouvait dans la salle des machines située à l'arrière du bateau, accessible par une petite trappe et une échelle droite et qu'il était constitué par une bouteille de 20 litres de CO2 munie d'une vanne spécifique contrôlée à partir du pont supérieur et d'un système de diffusion.

Il est établi par les constatations de l'inspecteur du travail que la bouteille de CO2 d'une masse d'environ 54 kilogrammes ne comportait aucun dispositif d'aide à sa préhension et que sa partie la moins solide, à savoir sa vanne d'ouverture, n'était pas protégée.

Ce rapport de l'inspection du travail retient les circonstances favorisantes suivantes:

* les victimes n'ont pas vissé d'écrou de fermeture sur la sortie de la vanne après avoir déposé le raccord souple, mais précise qu'elles n'en avaient pas, cet équipement n'ayant pas été fourni par l'employeur alors que les article R.4121-1 à R..4121-4 du code du travail relatifs au document unique d'évaluation des risques font obligation à l'employeur de consigner dans ce document les mesures de prévention, l'usage de cet écrou n'est pas prévu,

* les victimes n'ont certainement pas plombé la goupille de sécurité devant introduire le fonctionnement de la vanne commandant l'ouverture de la bouteille,

* les victimes n'ont pas vissé de collerette de transport sur la bouteille se privant ainsi d'un dispositif de préhension fiable et d'une protection de la vanne contre les chocs,

* dans un milieu exigu et confiné, l'activité exercée n'a pas permis de déposer la bouteille de son logement par les deux salariés intervenant de concert, et le positionnement de l'échelle d'accès fixée perpendiculairement à l'allée a pu compliquer le retrait instantané des victimes.

Les rapports du BEA Mer et de la Direccte concordent dans leurs constatations et l'analyse des causes de l'accident du travail.

Il ne peut donc être considéré que les circonstances de l'accident du travail sont indéterminées dés lors qu'il est ainsi établi que l'accident du travail est dû au monoxyde de carbone initialement contenu dans la bouteille de l'extincteur, que les salariés devaient vérifier, qui s'en est échappé après qu'ils l'aient déplacée de son support pour procéder à leurs opérations.

Le document unique d'évaluation des risques versé aux débats par l'appelante (établi sur 6 pages non numérotées) est des plus succinct. L'évaluation des risques s'agissant de l'unité de travail dite 'atelier/magasin', en ce qui concerne les extincteurs est limitée à l'explosion et ne prévoit comme seul moyen de prévention que l'utilisation systématique de la cage prévue à cet effet.

Il n'est pas contesté que ce document daté du 25 février 2011 n'a pas été mis à jour alors que l'accident du travail est survenu sept ans plus tard.

Il en résulte une absence d'évaluation des risques liés à l'exposition au monoxyde de carbone lors d'opérations relevant de l'activité de l'entreprise, à savoir la vérification d'extincteurs, laquelle s'effectue nécessairement chez ses clients et le rapport du BEA Mer met en exergue que les risques plus spécifiques inhérents aux vérifications d'extincteurs dans les navires de plaisance n'ont pas été évalués par l'employeur.

La cour relève néanmoins que l'arrêt de la chambre des appels correctionnel fait état (page 12) d'un document manifestement plus complet soumis à son appréciation que celui versé aux débats dans le cadre du présent litige par l'appelante, en retenant que 'le document unique d'évaluation des risques professionnels prévoyait la manipulation d'extincteurs sous pression, la mise en place d'une goupille, mais aussi lors de la dépose de l'appareil de mettre en place la goupille avec un fil de scellé, de visser un bouchon de laiton à conduit de décharge (percé) (autrement obligatoire en cas de transport)'.

Par cet arrêt en date du 04 octobre 2021, infirmant à cet égard le jugement du tribunal correctionnel de Nice en date du 30 novembre 2020, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a déclaré la société la Protection technique coupable du délit d'homicide involontaire par personne morale dans le cadre du travail, commis pour son compte par M. [D] [L], titulaire d'une délégation de pouvoir, le 23 mai 2018 à Menton, par manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ayant causé la mort de [R] [I] et de [F] [Y].

Cette décision, dont il n'est pas indiqué qu'elle aurait fait l'objet d'un pourvoi, a autorité de chose jugée tant à l'égard de l'appelante condamnée qu'à l'égard des ayants droit qui étaient parties civiles, en ce qu'elle reconnaît le lien entre un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et le décès du salarié.

Il résulte de cet arrêt que les poursuites retenaient comme éléments constitutifs de ce manquement les faits suivants:

' * en ne formalisant pas de mode opératoire lié à la vérification d'extincteur par pesée de bouteille dans le document unique d'évaluation des risques et en s'abstenant de procéder à la mise à jour annuelle du dit document malgré le développement de cette activité de vérification d'extincteurs sur navire par pesée de bouteille,

* en ne fournissant pas à ses employés d'écrou de fermeture de la vanne assorti de son joint d'étanchéité, ni de collerette de manutention en méconnaissance de l'article R.4321-1 du code du travail'.

Dans sa motivation, l'arrêt de la chambre des appels correctionnels retient que l'absence de fourniture de l'écrou de fermeture constitue une faute en lien direct avec le décès des deux salariés, le bouchon situé à la sortie de la vanne aurait pu éviter que le gaz carbonique ne sorte aussi rapidement de la bouteille, laissant le temps à la victime de sortir ou à tout le moins d'être extraite avec une chance de survie, mais considère que l'absence de mise à jour annuelle du document unique d'évaluation des risques, qui est établie, ne constitue pas un manquement à l'origine de l'accident du travail ou présentant un lien avec lui.

Dés lors que l'accident du travail est la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, alors qu'il ne peut ne pas avoir conscience du risque auquel son salarié est exposé, sa faute inexcusable en résulte, peu important que cette faute ne soit pas la cause exclusive.

Le jugement entrepris doit donc être confirmé nonobstant la maladresse de formulation du dispositif en ce qu'il a en réalité jugé (et non constaté) que l'accident du travail en date du 23 mai 2018 dont a été victime [R] [I] est dû à la faute inexcusable de son employeur la société la Protection technique.

* sur les conséquences de la faute inexcusable:

Lorsque l'accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit, en application des dispositions des articles L.452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, à une rente majorée et à une indemnisation complémentaire de ses préjudices, et depuis la décision du Conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, à une réparation de son (leur) préjudice(s) au-delà des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale.

En cas d'accident suivi de mort, le montant de la majoration est fixé sans que le total des rentes et majorations servies à l'ensemble des ayants droit puisse dépasser le montant du salaire annuel et les ayants droit de la victime, peuvent, depuis la décision précitée n°2010-8 du Conseil constitutionnel demander en application de l'article L.452-3 du même code à l'employeur réparation de leur préjudice moral.

Il résulte de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale que la caisse primaire d'assurance maladie dispose d'une action récursoire contre l'employeur dont la faute inexcusable est reconnue dans l'accident du travail ou la maladie professionnelle du salarié, pour les sommes dont elle a été amenée à faire l'avance au titre de la réparation des préjudices ainsi qu'au titre de la majoration de la rente.

- sur les souffrances endurées par [R] [I]:

Les premiers juges ont débouté les consorts [I] de leur demande de réparation de ce préjudice au titre de l'action successorale motif pris qu'étant déjà décédé à la date de la déclaration d'accident du travail leur auteur ne pouvait pas y prétendre.

Les ayants droit de [R] [I] soutiennent que les souffrances endurées par leur auteur décédé par asphyxie sont considérables. L'employeur ainsi que la caisse s'opposent à ce chef de demande en se prévalant de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale.

Les dispositions de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, eu égard à la décision du Conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, ne sont pas exclusives de l'indemnisation des souffrances endurées, ni en cas de décès très rapide des souffrances psychiques liées à la conscience par la victime de la gravité de son état et du caractère inéluctable de son décès (lesquelles ne sont pas indemnisées par le livre IV du code de la sécurité sociale).

En l'espèce, il résulte du témoignage du marin présent sur le bateau de plaisance qu'il s'est écoulé un laps de temps très court entre la descente des deux techniciens dans le compartiment des moteurs (vers 15 heures 15) et le fait accidentel (vers 15 heures 25) heure à laquelle ce témoin a alors entendu le bruit d'une décharge de gaz sous haute pression, et un laps de temps non quantifié, mais très court, entre ce bruit et son arrivée à l'accès au compartiment des moteurs.

La description qu'il donne de la scène accidentelle à ce moment là conduit la cour à considérer que les deux victimes de l'accident du travail n'étaient plus conscientes puisqu'elles n'ont pas répondu à ses sollicitations.

Il résulte de la procédure pénale et des constatations effectuées que ces deux victimes ont eu des vomissements liés à l'intoxication.

Par conséquent pendant la durée de leur asphyxie, elles ont eu une certaine conscience permettant de ressentir un état de souffrance, même s'il a été de très courte durée.

Ces éléments conduisent la cour à retenir au titre de ce préjudice les souffrances endurées pendant la période de l'asphyxie ainsi que la conscience brève de l'issue fatale, justifiant de fixer l'indemnisation des souffrances endurées à 15 000 euros que les ayants droit de [R] [I] sont fondés, en leurs qualités d'héritiers, à solliciter au titre de l'action successorale.

- sur l'allocation forfaitaire:

L'article L.452-3 du code de la sécurité sociale dispose qu'indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

En cas d'accident suivi de mort, les ayants droit de la victime mentionnés aux articles L. 434-7 et suivants ainsi que les ascendants et descendants qui n'ont pas droit à une rente en vertu des dits articles, peuvent demander à l'employeur réparation du préjudice moral devant la juridiction précitée.

Il s'ensuit que l'indemnité forfaitaire prévue par ces dispositions est subordonnée à un taux d'incapacité permanente partielle de 100%, reconnu à la victime de l'accident du travail, ce qui implique que la caisse se soit prononcée à cet égard après avoir fixé une date de consolidation.

En l'espèce, [R] [I] étant décédé dans les instants qui ont suivi le fait accidentel et les lésions subies étant létales, il ne pouvait prétendre à l'allocation forfaitaire.

Ses ayants droit doivent, ainsi que retenu par les premiers juges, être déboutés de ce chef de demande.

- sur l'indemnisation des préjudices des ayants droit de [R] [I]:

La cour n'est pas saisie d'une demande quelconque de réformation ou d'infirmation du jugement entrepris concernant la majoration de la rente du conjoint survivant.

Compte tenu des éléments soumis à son appréciation, de la durée du mariage des époux [I] qui s'étaient mariés le 29 mai 1981, de la justification que les enfants du couple, tous majeurs, étaient domiciliés au domicile parental à la date de l'accident, la cour confirme l'indemnisation du préjudice moral de sa veuve faite par les premiers juges, et par réformation fixe à 25 000 euros l'indemnisation des préjudices moraux subis par chacun des enfants.

Le présent arrêt doit être déclaré commun à la caisse primaire d'assurance maladie du Var qui fera l'avance de la rente majorée du conjoint survivant ainsi que des indemnités allouées et pourra en récupérer directement et immédiatement le montant auprès de la société la Protection technique, en application des dispositions des articles L.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale.

Succombant en son appel, la société la Protection technique doit être condamnée aux dépens et ne peut utilement solliciter une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il serait par contre inéquitable de laisser à la charge des consorts [I] les frais qu'ils ont été contraints d'exposer pour leur défense en cause d'appel ce qui justifie de leur allouer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

- Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les ayants droit de [R] [I] de leur demande au titre de l'action successorale en réparation des souffrances endurées et sur le montant des indemnisations allouées à M. [H] [I] ainsi qu'à mesdames [S], [C] et [W] [I] en réparation de leurs préjudices moraux,

- Le confirme en ses autres dispositions,

Statuant à nouveau des chefs réformés et y ajoutant,

- Fixe à 15 000 euros l'indemnisation des souffrances endurées par [R] [I],

- Fixe à 25 000 euros l'indemnisation des préjudices moraux subis respectivement par M. [H] [I], Mme [S] [I], Mme [C] [I] et Mme [W] [I],

- Dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Var devra faire l'avance de ces indemnisations et pourra en récupérer immédiatement et directement le montant auprès de la société la Protection technique,

- Déboute la société la Protection technique de l'ensemble de ses demandes,

- Condamne la société la Protection technique à payer à Mme [J] [T], veuve [I], M. [H] [I], mesdames [S], [C] et [W] [I] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la société la Protection technique aux dépens.

Le GreffierLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8
Numéro d'arrêt : 21/02562
Date de la décision : 30/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-30;21.02562 ?
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