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30/09/2022 | FRANCE | N°18/16714

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-6, 30 septembre 2022, 18/16714


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6



ARRÊT AU FOND

DU 30 SEPTEMBRE 2022



N° 2022/ 300













Rôle N° RG 18/16714 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDHER







Association NATIONALE DE PREVENTION EN ACCOLOGIE ADDICTOLOGIE





C/



[N] [Y]

























Copie exécutoire délivrée

le : 30/09/2022

à :



Me Lise CORNILLIER, avocat au

barreau de PARIS



Me Olivier FERRI, avocat au barreau de TOULON

























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de TOULON en date du 14 Septembre 2018 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 15/789.





APPELA...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT AU FOND

DU 30 SEPTEMBRE 2022

N° 2022/ 300

Rôle N° RG 18/16714 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDHER

Association NATIONALE DE PREVENTION EN ACCOLOGIE ADDICTOLOGIE

C/

[N] [Y]

Copie exécutoire délivrée

le : 30/09/2022

à :

Me Lise CORNILLIER, avocat au barreau de PARIS

Me Olivier FERRI, avocat au barreau de TOULON

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de TOULON en date du 14 Septembre 2018 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 15/789.

APPELANTE

Association NATIONALE DE PREVENTION EN ACCOLOGIE ADDICTOLOGIE (ANPAA) , demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Lise CORNILLIER, avocat au barreau de PARIS substitué à l'audience par Me David BUSCHSENSCHUZ avocat au barreau de PARIS

INTIME

Monsieur [N] [Y], demeurant [Adresse 1] / FRANCE

représenté par Me Olivier FERRI, avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été appelée le 07 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Ange FIORITO, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des éléments du dossier dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Philippe SILVAN, Président de chambre

Monsieur Thierry CABALE, Conseiller

M. Ange FIORITO, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Juin 2022 puis prorogé au 1er Juillet 2022 et au 30 Septembre 2022.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Septembre 2022

Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

M.[Y], psychiatre, a été recruté par L'association Nationale De Prévention En Alcoologie Et Addictologie, (l'A.N.P.A.A), par contrat de travail à durée indéterminée du 5 septembre 2005 pour exercer au sein des services du centre d'alcoologie dépendant de l'A.N.P.A.A. 83.

L'A.N.P.A.A. est une association reconnue d'utilité publique implantée sur le territoire national qui emploie plus de 1'300 salariés et qui est financée par des fonds publics.

Par avenant du 1er février 2006, M.[Y] est devenu médecin coordinateur en complément de ses activités de consultant.

Par avenant du 2 septembre 2008, il a été mis fin à la mission de coordination.

Le 19 novembre 2008, M.[Y] a reçu de M. [Z], directeur de l'A.N.P.A.A. 83, un avertissement pour manquement au devoir de loyauté, qu'il a contesté par lettre du 9 décembre 2008.

Par courrier du 10 mars 2009, M.[Y] a fait l'objet d'une lettre de recadrage par le président départemental de l'A.N.P.A.A. 83, M. [C].

Par courrier du 2 novembre 2010, M.[Y] a demandé au directeur de l'A.N.P.A.A. 83, M. [Z], l'indemnisation des jours de congés trimestriels au regard de la convention collective de 1966'; son employeur a répondu négativement à sa demande par courrier du 16 novembre 2010.

M.[Y] a été convoqué le 27 septembre 2010 à entretien préalable qui s'est tenu 7 octobre 2010.

Il a été mis à pied pour une journée par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 octobre 2010 au motif qu'il aurait signé, entre 2007 et 2008, des attestations de stage qui ne relèveraient pas de ses prérogatives, dissimulant de plus lesdites attestations. M.[Y] a entrepris un recours gracieux par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 novembre 2010 auprès du directeur général de l'A.N.P.A.A., M. [X], aux fins d'annulation de la mise à pied.

M.[Y] a saisi le conseil de prud'hommes le 6 janvier 2011 pour paiement des indemnités compensatrices de congés payés, pour une somme de 17'488 euros bruts, et paiement de dommages et intérêts, pour une somme de 5'000 euros'; le 7 novembre 2011, suite à la demande de M.[Y], le retrait du rôle de l'affaire a été ordonné.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 avril 2012, M.[Y] a démissionné.

Le 16 juin 2015, M.[Y] a saisi le conseil de prud'hommes pour solliciter la requalification de sa démission en licenciement nul ou illicite pour cause de harcèlement moral.

M.[Y] a sollicité la remise au rôle par courrier du 29 juillet 2015 de l'instance ayant fait l'objet d'un retrait le 7 novembre 2011.

M.[Y] a sollicité un sursis à statuer dans l'attente de la décision pénale à l'encontre de M. [Z]. Cette demande a été rejetée par jugement du conseil de prud'hommes du 22 mai 2017, jugement qui par ailleurs a joint les deux instances introduites par M.[Y].

Par jugement du 14 septembre 2018, le conseil de prud'hommes de Toulon a':

''considéré que la lettre du 30 avril 2012 constitue une prise d'acte de la rupture du contrat de travail';

''constaté que M.[Y] a été victime d'une situation de harcèlement moral au sein de l'A.N.P.A.A';

''considéré que la rupture du contrat de travail est imputable à l'A.N.P.A.A';

''condamné l'A.N.P.A.A à payer à M.[Y] les sommes suivantes avec intérêts à compter du 7 septembre 2015 avec capitalisation des intérêts de retard':

-'37'396,88 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement';

- 25'282,40 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre

- 2'528,24 euros de congés payés afférents.

''condamné l'A.N.P.A.A à payer à M.[Y] les sommes suivantes avec intérêts à compter du présent Jugement avec capitalisation des intérêts de retard':

-'14'365,26 euros au titre de l'indemnisation de la perte de jours de congés trimestriels conventionnels.

-'37'923,60 euros au titre de l'indemnisation de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.

''enjoint à l'A.N.P.A.A à remettre à M.[Y] des documents de rupture rectifiés';

''débouté M.[Y] de ses autres demandes';

''condamné l'A.N.P.A.A à payer à M.[Y] la somme de 2'000 euros qui lui sera allouée en application de l'article 700 du code de procédure civile';

''condamné l'A.N.P.A.A aux dépens.

Le jugement du conseil de prud'hommes de Toulon a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception à l'A.N.P.A.A le 25 septembre 2018 qui a interjeté appel par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 octobre 2018, reçue par le greffe le 22 octobre.

La clôture de l'instruction a été fixée au 18 mars 2022. L'affaire a'été plaidée à l'audience du 7 avril 2022'de la cour en sa formation de conseiller rapporteur'; l'arrêt a été mis en délibéré au 3 juin 2022.

L'A.N.P.A.A., suivant conclusions notifiées par courrier du 15 juillet 2019 recommandé avec accusé de réception, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, demande'de':

''infirmer le jugement du 14 septembre 2018'en toutes ses dispositions';

''juger que la lettre du 30 avril 2012 est une démission';

''débouter M.[Y] des demandes suivantes':

- 37'396,88 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 25'282,40 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 2'528,24 euros de congés payés afférents,

- 63'206 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse';

''limiter l'A.N.P.A.A. en cas de condamnation au versement de 5'460 euros de dommages et intérêts à M.[Y] en réparation du préjudice lié à l'absence de bénéfice des jours de congés annuels supplémentaires conventionnels au cours de la période du 1er juillet 2004 au 31 mars 2010';

En tout état de cause,

''débouter M.[Y] de ses autres demandes.

L'A.N.P.A.A. énonce notamment que la rupture unilatérale du contrat de travail est constitutive d'une démission. Elle précise que M.[Y] a saisi le conseil de prud'hommes trois ans après la lettre de démission par pure opportunité'; elle soutient qu'il n'y avait aucun manquement grave contemporain à la démission empêchant la poursuite des relations de travail et autorisant de requalifier la démission en prise d'acte.

Elle conteste les moyens développés par M.[Y] dans sa lettre de démission qui ne peuvent caractériser des manquements graves, à savoir':

- un acharnement procédurier'; elle explique que les faits sont anciens par rapport à la lettre de démission, en l'espèce un avertissement du 19 novembre 2008, un courrier de recadrage du 10 mars 2009 qui ne constitue pas une sanction disciplinaire, et une mise à pied du 14 octobre 2010, et qu'il s'agit d'évènements qui n'empêchaient pas la poursuite du contrat de travail';

- les méthodes de travail imposées'; M.[Y] a reproché à tort un manquement au secret professionnel de la part de l'employeur parce que ce dernier désignait des référents des patients qui n'étaient pas des médecins et que le directeur départemental pouvait consulter les dossiers. Il s'est également plaint de devoir exécuter des tâches administratives et de secrétariat l'empêchant d'exercer ses fonctions de médecin'; l'A.N.P.A.A. soutient que ces tâches étaient propres aux fonctions de M.[Y]';

- le non-respect réservé aux fonctions de représentation du personnel, l'A.N.P.A.A. précisant que cela ne concernait pas individuellement M.[Y] car on reprochait à l'employeur une non-consultation de délégués du personnel dans le cadre d'un plan de retrait d'amiante';

- le harcèlement moral'; l'A.N.P.A.A. fait état en la matière une fois de plus de l'opportunisme de M.[Y]. Elle énonce qu'il y avait simplement des tensions entre les médecins habitués à exercer à titre libéral et le directeur, M. [Z], soumis à des contraintes organisationnelles importantes. Elle expose que M.[Y] se fonde notamment sur un jugement correctionnel du 28 octobre 2016 mettant en cause M. [Z] mais précise que cette décision n'est pas définitive, M. [Z] ayant interjeté appel. Par ailleurs, elle ajoute que ce dernier n'a pas été licencié pour des pratiques harcelantes, le conseil de prud'hommes de Toulon par décision du 22 avril 2016 ayant jugé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur la demande de paiement, pour une somme d'un montant de 17'488 euros, des congés payés conventionnels supplémentaires dits «'congés trimestriels'»,'sollicitée par M.[Y], l'A.N.P.A.A. précise que celui-ci a été rémunéré quand il a travaillé pendant les périodes où il aurait pu bénéficier des congés trimestriels, et que lui accorder le paiement des congés reviendrait à le payer deux fois. Elle explique que M.[Y] ne peut demander à ce titre que des dommages et intérêts mais qu'il lui appartient de justifier d'un préjudice et de démontrer en quoi une journée de congé supplémentaire perdue devrait être indemnisée à hauteur de la rémunération d'une journée de travail, démonstration que M.[Y] ne fait pas, rappelant que M.[Y] n'a pas perdu le bénéfice de son salaire pendant ces périodes. L'ANPAA expose avoir réglé amiablement le litige relatif aux congés supplémentaires de manière collective, mis en place un système d'indemnisation après concertation avec les partenaires sociaux, et ainsi avoir proposé à M.[Y] la somme de 5'460 euros à titre de dommages et intérêts, sur la base forfaitaire de 65 euros par jour de congé trimestriel perdu pour un temps plein, proposition refusée par M.[Y], contrairement à la grande majorité des salariés.

M.[Y], suivant conclusions notifiées par RPVA le 30 janvier 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, demande'de':

''confirmer le jugement du 14 septembre 2018'en ce qu'il a':

- considéré que la lettre du 30 avril 2012 constitue une prise d'acte de la rupture du contrat de travail';

- constaté qu'il avait été victime d'une situation de harcèlement moral au sein de l'A.N.P.A.A';

- considéré que la rupture du contrat de travail est imputable à l'A.N.P.A.A';

- condamné l'A.N.P.A. Aà lui payer les sommes suivantes avec intérêts à compter du 7 septembre 2015 avec capitalisation des intérêts de retard':

- 37'396,88 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 25'282,40 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 2'528,24 euros de congés payés afférents,

- 37'923,60 euros au titre de l'indemnisation de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur,

''enjoint à l'A.N.P.A.A à remettre à M.[Y] des documents de rupture rectifiés';

- condamné l'A.N.P.A.A à lui payer la somme de 2'000 euros qui lui sera allouée en application de l'article 700 du code de procédure civile';

- condamné l'A.N.P.A.A aux dépens';

''infirmer le jugement du 14 septembre 2018'en ce qu'il a':

- limité à la somme de 14'365,26 euros l'indemnisation au titre de la perte de jours de congés trimestriels conventionnels';

- l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts en conséquence de la nullité de la rupture,

- l'a débouté de sa demande d'annulation de la mise à pied du 14 octobre 2010,

- l'a débouté de sa demande formulée au titre de la résistance abusive,

Et statuant, dans les limites de cet appel incident et y ajoutant,

''débouter l'A.N.P.A.A de ses demandes';

''condamner l'A.N.P.A.A à lui payer la somme de 17'488 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés outre intérêts de droit depuis l'exigibilité respective desdites indemnités compensatrices de congés payés, et capitalisation annuelle de ces intérêts, laquelle est de droit lorsqu'elle est judiciairement demandée';

''condamner l'A.N.P.A.A à lui payer la somme de 63'206 euros de dommages et intérêts en conséquence de la nullité de la rupture, ou pour le moins de son caractère injustifié';

''prononcer l'annulation de la mise à pied du 14 octobre 2010';

''condamner l'A.N.P.A.A à lui payer la somme de 74'793,96 euros au titre de l'indemnité spéciale de rupture pour licenciement';

''condamner l'A.N.P.A.A à lui payer la somme de 5'000 euros pour résistance abusive';

''condamner l'A.N.P.A.A à lui payer la somme de 5'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre condamnation aux entiers dépens.

M.[Y] sollicite la requalification de la démission en rupture imputable à l'employeur au visa des articles L 1237-1, L 1154-1, L 1152-1, L 1152-3 à L 1152-5 du code du travail.

Il dénonce un harcèlement moral dont il a été victime et se réfère à un jugement du tribunal correctionnel de Toulon du 28 octobre 2016 ayant condamné M. [Z], directeur de l'antenne du Var de l'A.N.P.A.A., pour des faits de harcèlement moral commis dans le cadre de la relation de travail entre le 4 juillet 2010 jusqu'au 4 juillet 2013 à son encontre, à un an de prison avec sursis, décision confirmée par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 23 octobre 2018. Il précise que la Cour de cassation par décision du 13 novembre 2018 a cassé l'arrêt du 23 octobre 2018 mais qu'un nouvel arrêt en date du 26 mai 2021 a été rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence condamnant M. [Z] à un an de prison avec sursis probatoire. M.[Y] fait état de nombreuses alertes s'agissant du harcèlement moral auprès de l' A.N.P.A.A. qui a cependant clairement couvert son directeur.

Il expose qu'il n'a pas réellement entendu démissionner mais a été contraint de mettre un terme à son contrat de travail en raison d'une situation imputable à son employeur qui ne lui permettait plus de continuer à exécuter son contrat de travail. M.[Y] énonce notamment que la lettre de démission est fondée sur différents manquements imputables à l'employeur':

''une surenchère procédurière, caractérisée par l'avertissement du 19 novembre 2008, le courrier de «'recadrage'» du 10 mars 2009, et la mise à pied du 14 octobre 2010';

''un cadre de travail contraire à un exercice de la médecine conforme à la déontologie y attachée, M. [Z] ayant violé le secret médical en consultant les dossiers et les informations des patients en arguant d''«'un secret partagé'» et en imposant des référents qui n'étaient pas médecins pour le suivi des dossiers des patients, tant sur le plan clinique qu'administratif,

''le fait que des tâches de secrétariat lui ont été imposées';

''le non-respect des fonctions de représentation du personnel, dont il faisait partie, ceux-ci n'ayant pas été consultés dans le cadre d'un plan de retrait d'amiante.

M.[Y] énonce que M. [Z] a été licencié pour faute, la réalité de ses arguments étant ainsi démontrée'; il précise cependant que le conseil de prud'hommes, par jugement du 26 avril 2016, a annulé le licenciement, l'A.N.P.A.A ayant interjeté appel.

M.[Y] expose que la démission doit être requalifiée en rupture imputable à l'employeur. Il réclame à ce titre la somme de 63'206 euros de dommages et intérêts en conséquence de la nullité de la rupture, ou pour le moins de son caractère injustifié, égale à 10 mois de salaire, la somme de 74'793,96 euros au titre de l'indemnité spéciale de rupture pour licenciement'et celle de 5'000 euros pour résistance abusive.

M.[Y] réclame l'application de l'article 6 de la convention collective du 15 mars 1966 qui prévoit des congés payés supplémentaires, dits trimestriels, au cours de chacun des 3 trimestres qui ne comprennent pas le congé annuel, bénéfice confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 janvier 2010. Il expose que l'article 6 est effectif depuis le 1er juillet 2004, date d'application de la convention collective du 15 mars 1966 mais que l'employeur ne l'a appliqué qu'à compter du second trimestre 2010. Il sollicite une somme globale de 17'488 euros brut, considérant qu'il a été embauché le 5 septembre 2005, pour 6 jours de congés supplémentaires par trimestre, pour les années 2005 à 2010.

MOTIVATION

Sur la démission

M.[Y] expose que sa démission n'exprime pas sa volonté réelle et qu'en réalité il a été poussé à la démission, suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 30 avril 2012, en raison d'une situation imputable à son employeur qui ne lui permettait plus de continuer à exécuter son contrat de travail. M.[Y] se réfère dans sa lettre de démission à des manquements graves de la part de l'A.N.P.A.A., rappelés ci-dessus dans l'exposé des moyens. Il fait état d'un vécu de harcèlement moral qui reprend les griefs formulés dans la lettre de licenciement.

Sans qu'il soit besoin d'examiner le détail des différents manquements reprochés par M.[Y] à son employeur, la cour constate que M. [Z], directeur de l'A.N.P.A.A. 83, a été définitivement condamné pour des faits de harcèlement moral au préjudice de M.[Y], reprenant les griefs évoqués dans le cadre du présent litige, par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 26 mai 2021, faits commis entre le 4 juillet 2010 et le 4 juillet 2013. La période de prévention inclut la date de la lettre de démission, soit le 30 avril 2012.

M.[Y] fait état de nombreuses alertes auprès de l'A.N.P.A.A. qui n'a pas réagi, produisant notamment les attestations de trois anciens salariés de l'association (pièces n° 53 à 55). La cour constaté que l'A.N.P.A.A., dans ses conclusions notifiées le 15 juillet 2019, ne se désolidarise pas de M. [Z], ni ne conteste sa responsabilité en tant qu'employeur en raison de la condamnation de son directeur, M. [Z], mais développe un unique moyen relatif au fait que le jugement pénal n'est pas définitif, ce qui était effectivement le cas à la date de ses conclusions, antérieures à l'arrêt précité, mais plus dans le cadre de la présente procédure.

Par ailleurs, l'A.N.P.A.A., pour apporter la contradiction aux arguments de M.[Y], s'appuie sur le jugement du conseil de prud'hommes de Toulon du 22 avril 2016, antérieur à l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 26 mai 2021, qui a annulé le licenciement pour faute de M. [Z], l'A.N.P.A.A. précisant qu'il n'avait pas été licencié pour des pratiques harcelantes'; elle a cependant interjeté appel. Le jugement par ailleurs énonce que M. [Z] a été licencié pour des griefs relatifs à ses méthodes de management mais déclare le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison notamment de l'imprécision des faits.

Quoi qu'il en soit, cette décision est bien évidemment sans effet sur l'arrêt du 26 mai 2021.

Il est ainsi acquis pour la cour que M.[Y] a rédigé sa lettre de démission durant une période où il était victime de harcèlement moral. La lettre de démission ne peut par conséquent refléter sa volonté libre et non équivoque de quitter l'entreprise. La cour considère que l'état de harcèlement moral a grandement influé sur la démission de M.[Y], celle-ci pouvant être considérée comme une échappatoire à une situation imputable à l'employeur qui a empêché la poursuite de la relation de travail'; par ailleurs, l'employeur a manqué à son obligation de protection du salarié dans le cadre de la relation de travail conformément aux dispositions de l'article L 1152-1 du code de travail.

La cour considère que la démission doit s'analyser en une rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur par prise d'acte.

Sur les demandes en paiement de M.[Y]

M.[Y] réclame sur le fondement de la requalification':

''la somme de 63'206 euros de dommages et intérêts en conséquence de la nullité de la rupture, ou pour le moins de son caractère injustifié, égale à 10 mois de salaire,

''la somme de 74'793,96 euros au titre de l'indemnité spéciale de rupture pour licenciement,

''la somme de 5'000 euros pour résistance abusive.

Compte tenu de l'ancienneté de M.[Y] et de sa rémunération, soit 6'320,60'€ bruts mensuels, le préjudice qu'il a subi au titre de la nullité de la rupture de son contrat de travail sera indemnisé en lui allouant la somme de 60'000'€ à titre de dommages et intérêts.

La demande de M.[Y] de voir condamner l'A.N.P.A.A à lui payer une somme de 74'793,96'€ au titre de l'indemnité spéciale de rupture de licenciement tend à la réparation du même préjudice que l'indemnité précitée. Elle sera en conséquence rejetée.

Conformément à l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

La partie discussion des conclusions de M.[Y] ne comprend aucun moyen à l'appui de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive. Dès lors, faute d'être soutenue par une argumentation à laquelle la cour doit répondre, une telle prétention sera rejetée.

Sur les congés payés conventionnels supplémentaires dits «'congés trimestriels'»

Par arrêt du 7 mars 2012, la Cour de cassation, constatant que l'A.N.P.A.A, dont les relations de travail étaient régies par un accord d'entreprise du 15 mars 1966, avait conclu le 26 mars 2003 un accord d'entreprise dit de transfert, agréé par arrêté ministériel du 23 juin 2003, faisant application à son personnel non médecin de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, que cet accord avait prévu une grille de correspondance permettant d'effectuer le reclassement des salariés selon leur poste dans les emplois prévus aux annexes 2 à 6 de cette convention collective susvisée, que chacune de ces annexes comportait un article 6 prévoyant que les personnels concernés avaient droit au bénéfice de congés payés annuels supplémentaires, dits trimestriels, au cours de chacun des trois trimestres qui ne comprenaient pas le congé annuel, qu'en visant les annexes 2 à 6 dans le cadre d'une substitution globale d'un accord collectif à un autre, les partenaires sociaux, qui n'avaient pas fait mention de l'annexe 10, avaient écarté une application volontaire de cette annexe et entendu appliquer aux salariés concernés les annexes 2 à 6, a retenu que l'A.N.P.A.A avaient entendu appliquer aux salariés concernés ces annexes 2 à 6.

Il n'est pas contesté que, sur la période de temps non-couverte par la prescription, M.[Y] bénéficie d'un solde de 84 jours de congés payés trimestriels.

Il est de principe que le salarié ne peut prétendre à une indemnisation au titre des congés conventionnels non pris que s'il établit qu'il n'a pas été en mesure de poser ses congés du fait de l'employeur.

Il en ressort que le salarié ne peut prétendre au paiement des congés conventionnels non pris du fait de l'employeur selon les modalités de calcul de l'indemnité compensatrice de préavis prévues par les articles L.'3141-24 à L.'3141-27 du code du travail. En l'état des éléments soumis à l'appréciation de la cour, le préjudice subi de ce chef par M.[Y] sera justement indemnisé en lui allouant la somme de 5'460'€ à titre de dommages-intérêts.

Sur la mise à pied du 14 octobre 2010

Il ressort de la lecture de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 26 mai 2021 que cette mise à pied faisait partie du comportement harcelant de M. [Z]. Il sera donc fait droit à la demande d'annulation.

Sur les demandes accessoires

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La partie qui succombe supportera la charge des dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, Statuant publiquement et par jugement contradictoire,'après en avoir délibéré conformément à la loi,

DIT L'association Nationale De Prévention En Alcoologie Et Addictologie recevable en son appel';

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Toulon le 14 septembre 2018 en ce qu'il a':

''condamné L'association Nationale De Prévention En Alcoologie Et Addictologie à payer à M.[Y] les sommes suivantes':

- 14'365,26 euros au titre de l'indemnisation de la perte de jours de congés trimestriels conventionnels,

-'37'923,60 euros au titre de l'indemnisation de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur';

''débouté M.[Y] de sa demande d'annulation de la mise à pied du 14 octobre 2010';

Statuant à nouveau,

CONDAMNE L'association Nationale De Prévention En Alcoologie Et Addictologie à payer à M.[Y] la somme de 60'000 euros de dommages et intérêts au titre de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur';

CONDAMNE L'association Nationale De Prévention En Alcoologie Et Addictologie à payer à M.[Y] la somme de 5'460 euros au titre des congés trimestriels conventionnels';

DIT que cette somme portera intérêts de droit depuis l'exigibilité respective desdites indemnités compensatrices de congés payés, avec capitalisation annuelle de ces intérêts';

ANNULE la mise à pied du 14 octobre 2010';

CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Toulon le 14 septembre 2018 pour le surplus';

CONDAMNE L'association Nationale De Prévention En Alcoologie Et Addictologie à payer à M.[Y] la somme de 3'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile'et la condamner à payer les entiers dépens.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-6
Numéro d'arrêt : 18/16714
Date de la décision : 30/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-30;18.16714 ?
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