COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-5
ARRÊT AU FOND
DU 29 SEPTEMBRE 2022
lv
N° 2022/ 387
Rôle N° RG [Cadastre 1]/12909 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEXQJ
[J] [M]
[Z] [D] épouse [M]
C/
[K] [L] veuve [D]
[B] [D]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
SELAS LLC ET ASSOCIES
Me Juliette BOUZEREAU
Me Annabelle DEGRADO
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 20 Juin 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/04755.
APPELANTS
Monsieur [J] [M]
demeurant [Adresse 20]
représenté par Me Philippe CAMPOLO de la SELAS LLC ET ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Madame [Z] [D] épouse [M]
demeurant [Adresse 20]
représentée par Me Philippe CAMPOLO de la SELAS LLC ET ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
INTIMES
Madame [K] [L] veuve [D]
demeurant [Adresse 20]
représentée par Me Juliette BOUZEREAU, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Monsieur [B] [D]
demeurant [Adresse 20]
représenté par Me Annabelle DEGRADO, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Aline MEURISSE, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 21 Juin 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Laetitia VIGNON, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Sylvaine ARFINENGO, Président
Madame Hélène GIAMI, Conseiller
Madame Laetitia VIGNON, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Septembre 2022.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Septembre 2022,
Signé par Madame Sylvaine ARFINENGO, Président et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Par acte authentique du 8 février 1989, Mme [I] [Y] a donné à sa fille, Mme [K] [D], la nue-propriété des parcelles cadastrées section AS n° [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 5], [Cadastre 19], [Cadastre 11], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 17] p sises à [Localité 27].
Antérieurement, M. [J] [M] et Mme [Z] [D] épouse [M] avaient édifié une maison d'habitation sur les parcelles AS [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 13] en vertu d'un permis de construire accordée le 27 juin 1980 et moyennant l'autorisation donnée par Mme [I] [Y] le 3 décembre 1978. Cette maison a été aggrandie en 2007.
Par acte authentique du 21 avril 2016, Mme [K] [D] a donné à son fils, M. [B] [D] les parcelles AS [Cadastre 18], [Cadastre 4] à hauteur de 3 m², [Cadastre 8], [Cadastre 9] à hauteur de 164 m², [Cadastre 21] et 81.
Exposant résider et avoir occupé de façon interrompue depuis 37 ans les parcelles AS [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 12] et [Cadastre 13] à [Localité 27], M. [J] [M] et Mme [Z] [D] épouse [M] ont, par acte d'huissier en date du 8 juin 2017, fait assigner Mme [K] [L] veuve [D] et M. [D] devant le tribunal de grande instance de Draguignan, à l'effet notamment d'entendre:
- principalement, constater qu'ils ont acquis les parcelles susdites par prescription trentenaire,
- subsidiairement, constater qu'ils ont acquis la parcelle AS [Cadastre 13] par prescription trentenaire.
Par jugement contradictoire en date du 20 juin 2019, le tribunal de grande instance de Draguignan a:
- rejeté les demandes présentées par M. [J] [M] et Mme [Z] [D] épouse [M] ,
- rejeté les demandes reconventionnelles de M. [B] [D],
- rejeté la demande tendant au bénéfice de l'exécution provisoire,
- condamné M. [J] [M] et Mme [Z] [D] épouse [M], in solidum, aux dépens de l'instance, qui ne comprendront pas les frais de constat du 12 mai 2016,
- condamné M. [J] [M] et Mme [Z] [D] épouse [M], in solidum, à verser à M. [B] [D] la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [J] [M] et Mme [Z] [D] épouse [M], in solidum, à verser à Mme [K] [L] veuve [D] la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration en date du 6 août 2019, M. [J] [M] et Mme [Z] [D] épouse [M] ont interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 6 avril 2022, M. [J] [M] et Mme [Z] [D] épouse [M] demandent à la cour, au visa des articles 2258, 2261, 2272 et 712 du code civil, de:
- réformer la décision rendue le 20 juin 2019 par le tribunal de grande instance de Draguignan en ce qu'il a:
* rejeté les demandes présentées par M. [J] [M] et Mme [Z] [D] épouse [M] ,
* condamné M. [J] [M] et Mme [Z] [D] épouse [M], in solidum, aux dépens de l'instance, qui ne comprendront pas les frais de constat du 12 mai 2016,
* condamné M. [J] [M] et Mme [Z] [D] épouse [M], in solidum, à verser à M. [B] [D] la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamné M. [J] [M] et Mme [Z] [D] épouse [M], in solidum, à verser à Mme [K] [L] veuve [D] la somme de 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
- dire et juger acquise la prescription décennale et à défaut trentenaire au profit de M. et Mme [M] de telle sorte qu'ils ont acquis les parcelles cadastrées section AS n° [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 13] ainsi que les immeubles bâtis sur cette parcelle, sises [Adresse 25],
- dire et juger nuls et non avenus les actes de donation et de vente intervenus entre 1979 jusqu'au jour du jugement à intervenir concernant les parcelles cadastrées section AS n° [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 13] ainsi que les immeubles bâtis sur cette parcelle, sises [Adresse 25],
A titre subsidiaire,
- dire et juger acquise la prescription décennale et à défaut trentenaire au profit de M. et Mme [M] de telle sorte qu'ils ont acquis la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 13] ainsi que les immeubles bâtis sur cette parcelle, sise [Adresse 25],
- dire et juger nuls et non avenus les actes de donation et de vente intervenus entre 1979 jusqu'au jour du jugement à intervenir concernant la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 13] ainsi que les immeubles bâtis sur cette parcelle, sise [Adresse 25],
A titre infiniment subsidiaire,
- dire et juger acquise la prescription décennale et à défaut trentenaire au profit de M. et Mme [M] de telle sorte qu'ils ont acquis les immeubles bâtis sur la parcelle cadastrée section AS n°[Cadastre 13], sise [Adresse 25],
- dire et juger nuls et non avenus les actes de donation et de vente intervenus entre 1979 jusqu'au jour du jugement à intervenir concernant les immeubles bâtis sur la parcelle cadastrée section AS n°[Cadastre 13], sise [Adresse 25],
En tout état de cause,
- débouter Mme [K] [L] veuve [D] de ses demandes,
- débouter M. [B] [D] de ses demandes,
- condamner tout succombant à verser à M. et Mme [M] la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,
- ordonner la publication du jugement au service de la publicité foncière de Draguignan,
Pour les besoins de la publicité foncière, il est précisé que:
1) la désignation du bien, objet de la présente, est la suivante:
Sur la commune de [Adresse 20], lieu-dit Tuordam, des parcelles cadastrées section AS:
* n° [Cadastre 3] pour 8 ares 65 centiares,
* n ° [Cadastre 4] pour 3 centiares,
* n ° [Cadastre 8] pour 60 centiares,
* n° [Cadastre 9] pour 4 ares 10 centiares,
* n° [Cadastre 13] pour 6 ares 15 centiares,
2) l'état civil des parties est le suivant:
* M. [J] [M] né le 20 avril 1951 à [Localité 27] , de nationalité française,
* Mme [Z] [D] épouse [M], née le 3 octobre 1953 à [Localité 24], de nationalité française,
demeurant tous les deux, [Adresse 20]).
A titre principal, ils invoquent la prescription acquisitive des parcelles AS n° [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 13] en faisant valoir que:
- sur leur bonne foi et le délai de prescription acquisitive abrégée:
* Mme [Z] [D] et sa famille se sont vus autoriser par Mme [Y], le droit de ' bâtir une maison pour y demeurer'' et ce, dès le 3 décembre 1978,
* il ne s'agit donc pas d'un simple droit d'usage puisqu'ils se sont vus attribuer une propriété sur laquelle ils ont pu bâtir une demeure par le biais d'une demande de permis de construire autorisée le 27 juin 1980 et en retirer l'usus, le fructus ainsi que l'abusus,
- Mme [Y] a d'ailleurs indiqué dans l'acte que ' cette maison doit être la propriété de Mme [Z] [D]' , ce qui vaut transfert de propriété et donc titre,
* ils se sont toujours acquittés de la taxe foncière et pouvaient ainsi légitimement se croire et agir en qualité de propriétaires desdites parcelles,
* leur bonne foi est caractérisée et ils peuvent se prévaloir du délai de prescription abrégée, dès lors qu'ils occupent la propriété litigieuse de façon ininterrompue depuis 37 ans,
* l'argument des donations ne peut remettre en question le délai de prescription acquisitive, en ce que la première donation a été enregistrée le 8 février 1989, alors qu'aucune contestation n'a été émise de la part de Mme [K] veuve [D] dans le délai de 10 ans qui a suivi et que la seconde donation est intervenue en 2016, soit 27 ans après la première,
* depuis 1999, ils peuvent se prévaloir d'être propriétaires des parcelles querellées,
- en tout état de cause, les conditions de la prescription trentenaire sont remplies:
* ils ont obtenu un permis de construire en 1980 et édifié une maison sur les parcelles en cause, les occupant et y résidant de façon ininterrompue ainsi depuis 37 ans,
* ils produisent de nombreux témoignages en ce sens, outre les factures et achats de matériaux relatifs à la construction et l'aménagement de leur habitation entre 1981 et 2016,
* ils ont toujours réglé les taxes locales afférentes à cette maison, les factures d'eau, d'électricité et de téléphone,
* Mme [K] [D] et Mme [I] [Y] n'ont jamais cherché à récupérer le bien, ni à diligenter une action en paiement ou indemnité d'occupation, ni payé une quelconque taxe sur les parcelles AS [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 13],
* une fiche de propriété atteste qu'ils en sont bien propriétaires et notamment de la parcelle AS [Cadastre 13],
* ils se sont toujours comportés comme les propriétaires exclusifs des parcelles revendiquées et ce malgré les actes de successions intervenus postérieurement, lesquels devront être déclarés nuls puisque les parcelles étaient leur propriété et ne pouvaient faire l'objet d'un transfert de propriété.
Ils considèrent que:
- le changement de propriétaire n'affecte en rien le délai de prescription acquisitive qui a commencé à courir le 14 septembre 1979 à la date de la demande du permis de construire,
- la prescription acquisitive est également opposable à M. [B] [D] qui n'est devenu propriétaire d'une partie des parcelles litigieuses qu'en 2016, soit 36 ans après le début de la possession revendiquée, étant rappelé que la prescription trentenaire prévaut sur le titre,
- l'autorisation de construire sur une parcelle ne peut être qualifiée de commodat, le principe même du commodat étant le prêt à usage d'un bien devant être restitué après s'en être servi, ce qui n'est absolument pas le cas en l'espèce.
A titre subsidiaire, ils indiquent être fondés à invoquer:
- la prescription acquisitive de la parcelle n° [Cadastre 13] sur laquelle est implantée la maison qu'ils ont construite,
- à tout le moins, la prescription acquisitive de l'immeuble bâti sur la parcelle n° [Cadastre 13].
Ils s'opposent enfin aux demandes reconventionnelles adverses et notamment celles de M. [B] [D]:
- la destruction de la partie de leur propriété d'une superficie de [Cadastre 1] m² qui empièterait sur la parcelle n° [Cadastre 9] alors qu'aucun bornage n'a été réalisé pour délimiter les parcelles AS n° [Cadastre 9] et [Cadastre 13],
- aucun élément ne permet d'établir que la clôture dont la dépose est réclamée a été installée par eux,
- la demande de retrait du poulailler et du cabanon ne peut qu'être rejetée, la situation géographique de l'implantation de ces ouvrages n'étant pas déterminée.
M. [B] [D], suivant ses dernières conclusions signifiées le 17 décembre 2019, demande à la cour de:
Vu l'article 2261 du Code civil,
Vu l'article 894 du Code civil,
Vu l'article 943 du Code civil,
- constater qu'une donation des parcelles AS n° [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16] sises [Adresse 25] est intervenue le 8 février 1989 au profit de Mme [K] [L] veuve [D],
- constater qu'une donation des parcelles AS n°[Cadastre 6],[Cadastre 18], [Cadastre 4],[Cadastre 8], [Cadastre 10] et WP [Cadastre 21], [Adresse 23] est intervenue le [Cadastre 3] Avril 2016 au profit de Monsieur [B] [D],
- dire et juger qu'il ne s'est pas écoulé 30 ans entre les donations successives des parcelles précitées,
- dire et juger que Mme [Z] [M] et M. [J] [M] ne justifient pas d'un juste titre,
- dire et juger que Mme [Z] [M] et M. [J] [M] ne peuvent se prévaloir d'une prescription abrégée,
- dire et juger que Mme [Z] [M] et M. [J] [M] ne peuvent justifier d'une
prescription publique, non équivoque paisible et non violente,
En conséquence,
- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Draguignan en ce qu'il a débouté les époux [M] de leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner les époux [M] à payer aux époux [D] la somme de 2.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les époux [M] aux entiers dépens,
La cour statuant de nouveau,
- réformer le jugement du tribunal de grande instance de Draguignan en ce qu'il a débouté M. [D] de sa demande relative à la suppression de l'empiètement,
- condamner M. [J] [M] et son épouse Mme [Z] [D] épouse [M] à détruire la partie de leur propriété constituant un empiètement de [Cadastre 1] m2 sur la parcelle cadastrée section AS numéro [Cadastre 9] propriété de Monsieur [B] [D] et de son épouse [F] [D], et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir,
- condamner M. [J] [M] et son épouse Mme [Z] [D] épouse [M] d'avoir à retirer le cabanon, et le poulailler édifiés ainsi que la clôture électrifiée sur les parcelles propriétés de M. et Mme [B] [D],
- ordonner l'interdiction de stationnement sur les parcelles propriété de M. [B] [D] et Mme [F] [D] des véhicules et engins propriétés de M. [J] [M] et de son épouse [Z] [D] épouse [M]:
* le véhicule MITSUBISHI BE 972 CO
* le fourgon de marque RENAUT BC 968 DH
* la mini pelle de marque KUBOTA
* le véhicule RENAULT TALISMAN DY C42 GM
- condamner M. [J] [M] au paiement de la somme de 100 € par infraction constatée soit le stationnement non autorisé de véhicules propriété de M. [J] [M] ou de son épouse [Z] [M] née [D], ou de tout véhicule dont ils ont la garde,
- condamner solidairement Mme [Z] [M] née [D] et M. [J] [M] à payer à M. [B] [D] la somme de 15.000 € à valoir sur ses préjudices et ce notamment au regard de l'ancienneté de la situation,
- condamner solidairement Mme [Z] [M] née [D] et M. [J] [M] à payer à M. [B] [D] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens lesquels incluent le coût du constat de Me [S] du 12 mai 2016.
Il sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté les appelants de l'ensemble de leurs demandes aux motifs que:
- sur le changement de propriétaire des parcelles:
* entre le 3 décembre 1978, date de l'autorisation de construire accordée par Mme [Y], et la date d'introduction de la procédure, les propriétaires des parcelles litigieuses ont changé à deux reprises,
* la première donation est intervenue le 8 février 1989 au profit de Mme [K] [D] soit 9 ans après le début de la prétendue possession des parcelles revendiquées par les appelants,
* la prescription n'a donc pas pu commencer à courir avant le 8 février 1989 et une seconde donation est intervenue en 2016 à son profit,
* la condition essentielle de la donation entre vifs est le dépouillement et celle-ci ne peut intervenir que si le bien dont la personne est dépouillée est présent dans son patrimoine, étant relevé que les deux donation n'ont jamais été contestées,
* le transfert de propriété des parcelles en cause est la preuve formelle et incontestable que les appelants n'ont jamais été propriétaires et n'ont pas pu l'être, compte tenu des donations successives, la possession alléguée étant nécessairement équivoque,
* l'interruption de la possession des époux [M] est incontestable en contemplation des actes de donations successifs,
* les appelants ne sont pas de bonne foi, en ce qu'ils avaient une parfaite connaissance des donations et de la volonté de la légataire, ce qui fait obstacle à la prescription acquisitive,
* il n'a jamais été question pour Mme [Y] de faire donation des parcelles sinon elle n'aurait pas indiqué dans son courrier qu'elle accordait à sa petite fille un droit d'usage aux fins d'y faire construire une maison,
- sur la transfert de propriété des parcelles:
* il a reçu par donation les parcelles cadastrées section AS n° [Cadastre 18], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et WP n° [Cadastre 21] et [Cadastre 22],
* il a acquis, le 28 juillet 2015, la parcelle AS n° [Cadastre 6] et le 2 mars 2017, la parcelle AS [Cadastre 9]
* un bornage contradictoire de la parcelle AS [Cadastre 9] est intervenu de sorte que son droit de propriété est incontestable et que les limites de propriété sont définitives.
Sur le caractère paisible, public et non équivoque de la possession, il formule les observations suivantes:
- sur l'absence de caractère publique de la possession:
* seule Mme [Z] [D] épouse [M] a bénéficié de l'autorisation de construire et son mari n'a jamais justifié d'une telle autorisation,
* le point de départ ne peut être fixé en 1980 en ce qu'il n'est pas démontré que la maison ait été édifiée en 1980, seule une déclaration d'achèvement des travaux pour 2011 ainsi qu'un certificat de conformité daté du 18 mars 2014 étant versés aux débats, de sorte qu'aucune prescription trentenaire n'est acquise,
* il ne peut y avoir de prescription abrégée en l'absence de juste titre, l'acte du 3 décembre 1978 n'étant pas un acte authentique et ne vise d'ailleurs qu'une maison et non le tènement qui n'est pas identifié, sans référence cadastrale de sorte qu'il n'est donc ni régulier, ni translatif, le titre devant correspondre strictement au bien dont l'acquisition est demandée,
* les éléments communiqués par les appelants pour attester avoir toujours occupé les parcelles et s'être comportés en propriétaires ne sont pas probants,
- sur l'absence de caractère paisible de la possession:
* les propriétaires ont dénoncé l'atteinte commise par M. [M] à leur droit de propriété, en ce que celui-ci a empiété, notamment M. [W], propriétaire d'une partie de la parcelle AS [Cadastre 9] jusqu'au 28 juillet 2015 et Mme [K] [D], qui a fait établir un constat d'huissier le 5 août 2013,
- il justifie avoir acquis de M. [W] et son épouse, les parcelles cadastrées AS n° [Cadastre 6] et [Cadastre 9], de sorte qu'il est l'unique propriétaire de ces parcelles,
- sur le caractère équivoque de la possession:
* les attestations produites ne sont pas probantes en ce que les parcelles concernées ne sont pas identifiées,
* il n'est pas établi que les appelants entretiennent les parcelles litigieuses.
Il insiste sur ses demandes reconventionnelles qui ont été rejetées par le premier juge:
- cessation de l'empiètement réalisé sur la parcelle cadastrée AS n° [Cadastre 9], qui est parfaitement démontré, l'existence des limites séparatives ne posant aucune difficulté,
- la remise en état de ses parcelles par le retrait du cabanon, du poulailler et de la clôture que les appelants ont installé sur les parcelles lui appartenant,
- l'interdiction d'y faire stationner des véhicules.
Mme [K] [L] veuve [D], par ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 8 janvier 2020, demande à la cour de:
- constater que les parcelles, objets de la revendication, font l'objet d'un prêt,
- dire et juger qu'un prêt à usage ne permet pas de prescrire pour l'utilisateur du bien,
- constater que constater que les consorts [D]-[M] sont de mauvaise foi,
- débouter les consorts [D]-[M] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- les condamner au paiement de la somme de 3.000 € à titre de dommages et intérêts, outre 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient qu'aucune prescription acquisitive ne peut être invoquée pour une possession contractuellement qualifiée de droit d'usage:
- les appelants ont construit sur des parcelles appartenant à un tiers, à savoir la grand-mère de Mme [Z] [M],
- la construction a été autorisée sur le terrain d'autrui sans transmettre la propriété du terrain,
- l'autorisation donnée par Mme [Y] est d'interprétation stricte et ne peut accorder plus de droits que ce qu'elle a décidé d'accorder à sa petite-fille, à savoir l'utilisation des parcelles en
cause par cette dernière afin d'y bâtir une maison pour y demeurer avec sa famille, aucun transfert de droit n'étant prévu,
- c'est dans ce contexte que des donation ont été faites et consenties dans des conditions qui ne peuvent être remises en cause,
- il ne peut y avoir de confusion entre:
* d'une part, le fait que Mme [Y] ait autorisé sa petite fille à se servir des parcelles pour obtenir un permis de construire,
* d'autre part, le fait que les parcelles appartenant à Mme [Y] faisaient partie d'un ensemble immobilier toujours utilisé par cette dernière qui habitait elle aussi le même hameau,
- Mme [Y] a accordé un simple droit d'usage qui ne permet pas de prescrire et c'est dans ce conteste, que la donation partage en date du 8 février1989 est intervenue,
- les parcelles revendiquées lui appartiennent et elles les utilisent comme l'ensemble des terrains situés à proximité de son domicile,
- Mme [Z] [M] ne peut revendiquer la propriété des parcelles en cause mais uniquement demander la restitution de la valeur de l'immeuble qu'elle a fait édifier.
Elle ajoute qu'il ne peut y avoir de prescription pour le détenteur de mauvaise foi, ce qui est le cas en l'espèce, au regard de la correspondance de Mme [Y] dépourvue de toute ambiguïté, cette dernière ayant consenti un prêt à usage qui n'emporte pas de transfert de propriété au profit de l'emprunteur, qui sait qu'il utilise la chose d'autrui.
Elle précise que les appelants n'ont pas pu prescrire la parcelle n°[Cadastre 3] qui constitue sa maison d'habitation dans laquelle elle vit depuis toujours.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 7 juin 2022.
MOTIFS
Sur les demandes principales des époux [M]
M. et Mme [M], à titre principal, soutiennent être propriétaires des parcelles cadastrées section AS n° [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 13] situées sur la commune de [Localité 27] par prescription acquisitive abrégée et, à défaut trentenaire.
Sur la prescription acquisitive abrégée
En application de l'article 2272 alinéa 2 du code civil, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans.
Il convient de rappeler que l'exigence d'un titre réel implique que l'acte invoqué concerne exactement dans sa totalité le bien que le possesseur a entre ses mains et qu'il entend prescrire.
En l'espèce, les appelants invoquent la prescription abrégée en se fondant sur un courrier du 3 décembre 2018 de Mme [I] [Y] ainsi libellé ' Je soussignée [Y] [I] (....) autorise ma petite-fille [Z] (...) [D] épouse [M] à bâtir une maison pour y demeurer avec sa famille, sur la propriété dite ' [Adresse 26]' que je possède sur la commune de [Localité 27] (...) Propriété que j'ai recueillie dans la succession de mon père [Y] [X]. Je ne participerai en aucune façon à l'édification de cette maison, ma petite-fille en faisant personnellement tous les frais et démarches qu'elle nécessitera. Par conséquent cette maison doit être la propriété d'[Z] [D].'
Comme l'a relevé à juste titre le premier juge, ce document, qui n'est pas un acte authentique, ne vise que la maison et non pas le tènement, lequel n'est pas identifié de manière précise, en l'absence de mention d'une quelconque référence cadastrale et il ne peut constituer un juste titre au sens de l'article 2272 alinéa du code civil.
Sur la prescription trentenaire
Aux termes de l'article 2272 alinéa 1 du code civil, le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans.
L'article 2261 du code civil précise que pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.
Les appelants prétendent avoir possédé les parcelles AS [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 13] depuis plus de trente ans, produisant, à l'appui de leurs prétentions, quatre attestations:
- M. [U] [G] qui certifie que M. [M] [J] entretient les parcelles AS [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8] et [Cadastre 9] depuis 1979,
- M. [O] [H] et M. [N] [R] qui indiquent avoir vu M. [M] [J] entretenir la parcelle n° [Cadastre 9] depuis 1979,
- Mme [P] [A] relatant que depuis 1978 les parents de son amie [T] entretenaient la parcelle située devant chez eux, numérotée AS [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et avoir toujours joué sur ce terrain.
Ces attestations sont insuffisantes pour établir suffisamment la possession alléguée:
- aucun des témoignages ne fait état de la parcelle AS [Cadastre 13] sur laquelle a pourtant été édifiée la maison des époux [M],
- il est mentionné une parcelle AS n° [Cadastre 7] qui n'est pourtant pas revendiquée,
- M. [O] et M. [N] n'invoquent que la parcelle AS n° [Cadastre 9],
- les termes employés sont particulièrement imprécis, en ce qu'ils font référence uniquement à un entretien des parcelles par M. [M], ce qui reste très vague.
De surcroît, la cour observe que les appelants ne peuvent pas prétendre avoir prescrit la parcelle AS n° [Cadastre 3] sur laquelle est bâtie la maison d'habitation de Mme [K] [L] que cette dernière occupe depuis toujours.
Les photographies qui sont produites ne sont pas datées et ne permettent de déterminer à quoi elles se rapportent.
Les factures portant sur l'achat de matériaux relatifs à la construction et l'aménagement de leur maison entre 1981 et 2016 ne démontrent rien en ce qu'il ressort clairement du courrier du 3 décembre 2018 qu'elle autorisait sa petite-fille à bâtir une maison sur des parcelles lui appartenant, à charge pour celle-ci d'en assumer tous les frais.
Les pièces relatives à la taxe locale d'équipement font état certes état des parcelles AS n° [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 13] mais ne concernent qu'une période limitée ( 1980, 1981, 1983 et 1985).
Les autres pièces communiquées relatives aux taxes locales ne mentionnent pas le numéro des parcelles mais uniquement l'adresse de M. [M].
En outre, il est constant que:
- par acte du 8 février 1989, Mme [I] [Y] a fait donation à sa fille, Mme [K] [L] veuve [D] des parcelles AS n° [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15] et [Cadastre 16] sises [Adresse 25],
- par acte du [Cadastre 3] avril 2016 la donation des parcelles AS n°[Cadastre 6],[Cadastre 18], [Cadastre 4],[Cadastre 8], [Cadastre 10] et WP [Cadastre 21], [Adresse 23] est intervenue au profit de Monsieur [B] [D].
Ces donations n'ont jamais été contestées et le transfert successif, à deux reprises, de propriété des parcelles, objets du litige, met en évidence que les époux [M] n'ont jamais été propriétaires de ces parcelles et qu'à tout le moins, leur possession à ce titre est nécessairement équivoque.
Le moyen tiré de la prescription acquisitive trentenaire des parcelles AS [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 13] sera donc écarté.
Sur les demandes subsidiaires
A titre subsidiaire, les époux [M] soutiennent avoir par prescription acquisitive décennale et, à défaut trentenaire, la propriété de la parcelle AS n° [Cadastre 13] sur laquelle ils ont construit leur maison d'habitation.
Au regard des développements qui précèdent, ils n'ont pas de juste titre leur permettant de se prévaloir de la prescription abrégée de 10 ans.
Sur la prescription trentenaire, les appelants soutiennent que leur possession de la parcelle n° [Cadastre 13] ne peut être utilement contestée dès lors que leur maison a été édifiée sur cette parcelle depuis plus de trente ans.
En vertu de l'article 2266 du code civil, ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque s de temps de ce soit. Ainsi le locataire, le dépositaire, l'usufruitier et tous autres qui détiennent précairement que le bien ou le droit de propriétaire ne peuvent prescrire.
Outre le fait que les attestations produisent ne visent aucunement la parcelle AS n° [Cadastre 13], il n'en demeure pas moins qu'ils ont pu prendre possession de cette parcelle compte tenu de l'autorisation qui leur a été donnée de Mme [Y] d'y construire une maison. Ils n'ont donc pas pris possession de ladite parcelle à titre de propriétaire puisque les termes du courrier du 3 décembre 2018 mettent clairement en évidence qu'ils bénéficiaient d'une autorisation de la part du propriétaire du fonds mais sans transfert de la propriété des parcelles. Ils n'ont pas pu se méprendre sur une telle situation et ne peuvent utilement soutenir avoir eu la croyance d'être propriétaires de la parcelle supportant leur maison. En outre, ce courrier mentionnait qu'une fois la maison construite, elle serait la propriété de Mme [Z] [M], autorisation qui ne mentionne que le bâtiment mais non le fonds et qui ne vise pas M. [J] [M].
Il s'ensuit que leur possession à titre de propriétaires de ladite parcelle est nécessairement équivoque.
Ils n'ont pas donc pas acquis par la prescription la propriété de la parcelle AS n° [Cadastre 13] et seront également déboutés de ce chef de demande.
A titre infiniment subsidiaire et en cause d'appel, ils demandent de dire et juger acquise à leur profit par prescription la propriété des immeubles bâtis sur la parcelle AS n° [Cadastre 13].
Il n'est pas contesté au regard des termes de l'acte du 3 décembre 2018 que Mme [Y] donnait l'autorisation à sa petite-fille d'édifier une construction sur les parcelles appartenant, que cette maison pour y demeurer avec sa famille doit ' être la propriété d'[Z] [D]'
Il n'est pas contesté que cette maison a été édifiée en 1980, que les époux [M] l'occupent depuis cette date de manière continue, paisible et ininterrompue et en ont donc acquis la propriété.
En revanche, n'étant propriétaires que de l'immeuble mais pas du fonds, leur demande tendant à dire et juger nuls et non avenus les actes de donation depuis 1979 ne peut qu'entrer en voie de rejet.
Sur les demandes reconventionnelles de M. [B] [D]
M. [B] [D] dénonce un empiètement de l'extension de leur propriété édifiée par les appelants en 2007 sur sa parcelle AS N° [Cadastre 9], en communiquant plusieurs constats d'huissier.
Toutefois, comme l'a relevé à juste titre le premier juge, il n'existe pas de bornage contradictoire entre les parcelles concernées AS [Cadastre 9] et AS [Cadastre 13], de sorte que la position de la limite de propriété n'est pas établie.
En outre, le plan de bornage auquel fait référence M. [B] [D] n'est signé par aucune partie et il n'est pas établi qu'il a été réalisé au contradictoire du propriétaire de la parcelle AS [Cadastre 13].
Il n'est donc pas démontré que l'extension réalisée par les appelants de leur maison en 2007 empièterait sur la parcelle AS n° [Cadastre 9], propriété de M. [B] [D].
La demande tendant à la cessation de l'empiètement ne sera pas accueillie.
Il en est de même s'agissant des demandes d'enlèvement du cabanon et du poulailler, la situation géographique de ces ouvrages n'étant pas précisée, de même que la clôture électrique dont il n'est pas justifié qu'elle aurait été installée à l'initiative des appelants.
Enfin, il n'est pas établi que des véhicules appartenant aux époux [M] stationnent sur la parcelle WP [Cadastre 21], propriété de M. [B] [D], le constat d'huissier de Me [S] du 12 mai 2016 fait état certes état de véhicules stationnés sur ladite parcelle sans qu'ils soient identifiés, les plaques d'immatriculation étant illisibles.
Par voie de conséquence, la demande de dommages et intérêts présentée par M. [B] [D] en réparation des préjudices résultant des agissements susvisés ne peut qu'entrer en voie de rejet.
Mme [K] [L] veuve [D] ne justifiant pas de la part des appelants d'une erreur grossière équipollente au dol, ni de l'existence d'une volonté de nuire, elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Draguignan en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Dit que Mme [Z] [M] née [D] et M. [J] [M] sont propriétaires des immeubles bâtis sur la parcelle cadastrée AS n° [Cadastre 13] sise [Adresse 25],
Déboute M. [B] [D] de son appel incident,
Déboute Mme [K] [L] veuve [D] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Condamne Mme [Z] [M] née [D] et M. [J] [M] à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, les sommes de:
- 2.500 € à M. [B] [D],
- 2.500 € à Mme [K] [L] veuve [D],
Condamne Mme [Z] [M] née [D] et M. [J] [M] aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier Le président