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22/09/2022 | FRANCE | N°19/03811

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-1, 22 septembre 2022, 19/03811


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1



ARRÊT AU FOND

DU 22 SEPTEMBRE 2022



N° 2022/



JONCTION







RG 19/04629 joint à

RG 19/03811 -

N° Portalis DBVB-V-B7D-BD45M







[Y] [L]

SAS PRENIUM METTOYAGE





C/



[C] [H]

S.A.R.L. NET ET CLEAN

E.U.R.L. GROUPE ATP



[F] [S]











Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Alain CURTI



Me M

aud DAVAL-GUEDJ















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de NICE en date du 21 Février 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 2018F00266.





APPELANTS



Monsieur [Y] [L]

né le 31 Août 1970 à [Localité 8], de nationalité Français...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT AU FOND

DU 22 SEPTEMBRE 2022

N° 2022/

JONCTION

RG 19/04629 joint à

RG 19/03811 -

N° Portalis DBVB-V-B7D-BD45M

[Y] [L]

SAS PRENIUM METTOYAGE

C/

[C] [H]

S.A.R.L. NET ET CLEAN

E.U.R.L. GROUPE ATP

[F] [S]

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Alain CURTI

Me Maud DAVAL-GUEDJ

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de NICE en date du 21 Février 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 2018F00266.

APPELANTS

Monsieur [Y] [L]

né le 31 Août 1970 à [Localité 8], de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Alain CURTI, avocat au barreau de NICE

SAS PREMIUM NETTOYAGE, dont le siège social est sis [Adresse 5]

représentée par Me Alain CURTI, avocat au barreau de NICE

INTIMES

Monsieur [C] [H], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Stéphanie ROQUEFORT, avocat au barreau de NICE, plaidant

S.A.R.L. NET ET CLEAN, dont le siège social est sis [Adresse 6]

représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Stéphanie ROQUEFORT, avocat au barreau de NICE, plaidant

E.U.R.L. GROUPE ATP, dont le siège social est sis [Adresse 7]

représenté par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Stéphanie ROQUEFORT, avocat au barreau de NICE, plaidant

PARTIE INTERVENANTE

Maître [F] [S] de la SELARL [S] & Associés, demeurant [Adresse 3] agissant en sa qualité de mandataire judiciaire de la SAS PREMIUM NETTOYAGE désigné à ces fonctions selon jugement du Tribunal de Commerce de NICE du 12 mars 2020

représenté par Me Alain CURTI, avocat au barreau de NICE

Intervenant Volontaire

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 13 Juin 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Pierre CALLOCH, Président

Madame Marie-Christine BERQUET, Conseillère

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2022,

Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et M. Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La société Net and Clean, spécialisée dans le nettoyage de bâtiments et le nettoyage industriel, alors dirigée par M. [Y] [L], a fait l'objet d'un plan de cession le 28 juin 2017 au profit de la société Groupe ATP, à l'issue d'une procédure de redressement judiciaire ouverte le 9 février 2017 par le Tribunal de Commerce de NICE.

M. [Y] [L] était par ailleurs à la tête d'une autre société, la société Premium Nettoyage, créée en 2014 et également spécialisée dans le secteur du nettoyage.

Parallèlement au plan de cession, une clause de non-concurrence a été mise à la charge de M. [Y] [L] par le repreneur, la société Groupe ATP, dirigée par M. [C] [H].

Le 23 avril 2018, la nouvelle société Net and Clean, l'Eurl Groupe ATP et M. [C] [H], reprochant à M. [Y] [L] et à la société Premium Nettoyage des actes de concurrence déloyale et la violation de la clause de non-concurrence, ont assigné ces derniers devant le Tribunal de Commerce de NICE en réparation des préjudices subis.

Par jugement en date du 21 février 2019 le Tribunal de Commerce de NICE s'est déclaré compétent et a :

- condamné la société Premium Nettoyage et M. [Y] [L] in solidum à payer à la société Net and Clean la somme de 24.426,66 euros au titre du manque-à-gagner,

- débouté de leur demande la société Net and Clean, l'Eurl Groupe ATP et M. [C] [H] au titre de la marge nette liée à la diminution significative du chiffre d'affaires,

- débouté la société Net and Clean, l'Eurl Groupe ATP et M. [C] [H] de leur demande de réparation au titre de l'atteinte à l'image,

- débouté la société Net and Clean, l'Eurl Groupe ATP et M. [C] [H] de leur demande de réparation du préjudice moral,

- débouté la société Net and Clean, l'Eurl Groupe ATP et M. [C] [H] de leurs autres demandes, fins et conclusions,

- débouté la société Premium Nettoyage et M. [Y] [L] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la société Premium Nettoyage et M. [Y] [L] in solidum à payer à la société Net and Clean la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre aux dépens

-------------

Par déclaration en date du 6 mars 2019 M. [Y] [L] et la société Premium Nettoyage ont interjeté appel. Le dossier a été enregistré sous le numéro de répertoire 19/03811.

Le 20 mars 2019 M. [C] [H], la société Net and Clean et le Groupe ATP ont également interjeté appel. Le dossier a été enregistré sous le numéro de répertoire 19/04629.

--------------

Par jugement en date du 12 mars 2020 le Tribunal de Commerce de NICE a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Premium Nettoyage.

Le 14 août 2020, la société Net and Clean, la société Groupe ATP et M. [C] [H] ont déclaré leurs créances auprès du mandataire judiciaire.

---------------

Par conclusions enregistrées le 19 novembre 2020, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [Y] [L] et la société Premium Nettoyage font valoir que :

- la société Net and Clean, la société ATP et M. [C] [H] ne peuvent leur reprocher des agissements antérieurs au 28 juin 2017, date du jugement autorisant la cession,

- au titre des agissements postérieurs : M. [Y] [L] a cessé ses fonctions de gérant de la société Premium Nettoyage au moment de la cession de la société Net and Clean ; le plan de cession ne prévoit aucune cession de contrat ni de clients et ne prévoit pas l'acquisition d'un chiffre d'affaires déterminé,

- l'engagement de non-concurrence ne concerne que la société Groupe ATP et non la société Net and Clean, alors même que la société ATP n'exploite pas de clientèle,

- la convention de non-concurrence n'interdit pas la concurrence sauf si elle est déloyale ; aucun élément n'établit de concurrence commise directement par M. [Y] [L],

- la convention doit être annulée dès lors que M. [Y] [L] n'a reçu aucune contrepartie à son engagement,

- la société Premium Nettoyage n'a aucun lien contractuel avec la société Net and Clean et n'est liée par aucune clause de non-concurrence ; le seul liant unissant les deux sociétés est Mme [A], secrétaire, et ce partage de salariée s'est fait d'un commun accord et n'a abouti à aucun acte de concurrence déloyale ; la société Premium Nettoyage a été créée en 2014, soit bien avant la procédure collective,

- la société Net and Clean, le groupe ATP et M. [C] [H] ne démontrent aucune perte de chiffre d'affaires, ni transfert de client ni préjudice,

- M. [C] [H], qui n'exerce aucune activité commerciale à titre personnel, ne justifie d'aucune qualité à agir

Ainsi, M. [Y] [L] et la société Premium Nettoyage demandent à la Cour de réformer le jugement en ce qu'il les a condamnés à payer à la société Net and Clean la somme de 24.426,66 euros au titre du manque-à-gagner, la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les a déboutés de leurs demandes, fins et conclusions, et de :

- juger que M. [C] [H] n'a pas qualité à agir ni contre M. [Y] [L] ni contre la société Premium Nettoyage,

- condamner la société Net and Clean, l'Eurl Groupe ATP et M. [C] [H] in solidum au paiement de la somme de 15.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait de l'action abusive,

- condamner la société Net and Clean, l'Eurl Groupe ATP et M. [C] [H] in solidum au paiement de la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens

Pour le surplus, M. [Y] [L] et la société Premium Nettoyage sollicitent la confirmation du jugement.

--------------

Par conclusions enregistrées le 17 septembre 2020, Maître [F] [S] (Selarl [S] et associés), agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Premium Nettoyage désigné à ces fonctions par jugement du Tribunal de Commerce de NICE du 12 mars 2020, demande à la Cour de lui donner acte de son intervention volontaire et de lui donner acte qu'il s'en rapporte à justice sur le bien-fondé de la demande de réformation présentée par la société Premium Nettoyage et M. [Y] [L].

---------------

Par conclusions enregistrées le 23 novembre 2020, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société Net and Clean, l'Eurl Groupe ATP et M. [C] [H] font valoir que :

- la confusion entre la société Premium Nettoyage et la société Net and Clean, alors gérées par M. [Y] [L], a débuté dès la période d'observation à l'égard de divers clients (Nexity, Dalbera, Briconice) et a entraîné le détournement de plusieurs clients,

- la signature du plan de cession a donné lieu à la rédaction d'un engagement de non-concurrence par lequel M. [Y] [L] s'est engagé à ne pas concurrencer le cessionnaire, la société Groupe ATP, dirigée par M. [C] [H], ou la société substituée ; or, M. [Y] [L] a procédé, directement et indirectement, à divers agissements au préjudice de la société nouvelle Net and Clean en utilisant l'adresse électronique professionnelle dédiée de la société Net and Clean, en poursuivant des liens contractuels avec ICF Habitat, le Cabinet RIG, le cabinet Dalbera, notamment par le biais de Mme [T] [A], dont le contrat de travail avait été transféré à la société nouvelle Net and Clean,

- la violation de la clause de non-concurrence par M. [Y] [L] est caractérisée ainsi que l'existence d'actes de concurrence déloyale de la part de celui-ci et de la société Premium Nettoyage ; ces faits sont corroborés par les constatations effectuées par voie d'huissier le 13 octobre 2017 et le 22 novembre 2017,

- le préjudice de la société Net and Clean au titre de la perte de marge, du manque-à-gagner et de l'atteinte au crédit est établi,

- la société Groupe ATP a également subi une atteinte à son crédit et M. [C] [H] un préjudice moral

Ainsi, la société Net and Clean, l'Eurl Groupe ATP et M. [C] [H] demandent à la Cour de réformer le jugement en ce qu'il a :

- débouté la société Net and Clean de sa demande de réparation à hauteur de 90.000 euros au titre de la perte de marge sur les deux exercices suivant la cession,

- limité la réparation du préjudice de la société Net and Clean au titre du manque-à-gagner à la somme de 24.426,66 euros,

- débouté la société Net and Clean et le Groupe ATP de leur demande de réparation de préjudice résultant de l'atteinte à leur crédit pour les sommes respectivement de 20.000 et 10.000 euros,

- débouté M. [C] [H] de sa demande de réparation de son préjudice moral à hauteur de 20.000 euros,

- limité le montant de l'article 700 du code de procédure civile

Et statuant à nouveau, de :

- condamner solidairement M. [Y] [L] et la société Premium Nettoyage à payer les sommes suivantes à la société Net and Clean :

- 90.000 euros au titre de la perte de marge,

- 39.690 euros au titre du manque-à-gagner en raison de la rétention de devis,

- 20.000 euros au titre de l'atteinte à son crédit

- condamner solidairement M. [Y] [L] et la société Premium Nettoyage au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'atteinte au crédit de la société Groupe ATP,

- condamner solidairement M. [Y] [L] et la société Premium Nettoyage au paiement de la somme de 20.000 euros au titre du préjudice moral subi par M. [C] [H],

- condamner solidairement M. [Y] [L] et la société Premium Nettoyage au paiement de la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens, dont distraction,

- fixer au passif de la procédure de la société Premium Nettoyage les sommes qui seront mises à sa charge au titre des condamnations résultant de la présente instance.

--------------

Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 16 mai 2022 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 13 juin 2022.

A cette date, l'affaire a été retenue et mise en délibéré au 22 septembre 2022.

MOTIFS

Sur la jonction :

En application des articles 367 et 368 du code de procédure civile il y a lieu d'ordonner la jonction des procédures enrôlées sous les n°19/03811 et 19/04629 dès lors qu'elles présentent un lien de connexité tel qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice de les juger ensemble.

Sur les manquements reprochés à M. [Y] [L] et à la société Premium Nettoyage :

Aux termes de l'article 1240 du code civil tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Par ailleurs, il résulte de l'article 1241 du code civil que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

A cet égard, la concurrence existant entre deux sociétés, spécialisées dans un secteur de marché similaire, ne constitue pas en soi un acte fautif en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie.

En revanche, est fautive la concurrence qui s'accompagne d'actes ou de man'uvres déloyales ayant pour effet de désorganiser ou déstabiliser une entreprise concurrente, voire de neutraliser son activité.

Sur les actes commis avant le plan de cession

En l'espèce, M. [C] [H], nouveau gérant de la société Net and Clean et le groupe ATP, font grief en premier lieu à M. [Y] [L] d'avoir manqué de loyauté dans le cadre de la procédure collective ouverte à l'égard de la société Net and Clean en entretenant une confusion avec la société Premium Nettoyage, autre société dont il était également gérant et spécialisée dans le même secteur du nettoyage, confusion conduisant au détournement de clients.

L'examen des pièces produites atteste qu'en dépit d'une assignation en ouverture de redressement judiciaire initiée par l'Urssaf dès le 18 novembre 2016 et le redressement judiciaire prononcée par le Tribunal de Commerce de Nice le 9 février 2017, M. [Y] [L] a transféré au nom de la société Premium Nettoyage des devis qui avaient été préalablement établis via l'adresse électronique de la société Net and Clean, et de fait au nom de cette société, détournant ainsi une partie de la clientèle de la société Net and Clean et ce, alors qu'il ne pouvait ignorer les difficultés rencontrées par cette société.

Ces circonstances, telles que détaillées par le Tribunal de Commerce, sont avérées pour les clients Nexity et le cabinet Dalbera et ont conduit à l'apport de contrats pour un montant total de 24.426,66 euros au profit de la société Premium Nettoyage entre le 9 février 2017, date du redressement judiciaire, et le 28 juin 2017, date du plan de cession.

Ces circonstances sont en outre corroborées par d'autres devis établis initialement par la société Net and Clean et transférés ensuite au nom de la société Premium Nettoyage, tel que cela ressort des devis établis les 6 janvier 2017 (au nom de la société Net and Clean) et 10 février 2017 (au nom de la société Premium Nettoyage) pour la même résidence ([Adresse 4]) et selon des termes en tous points identiques.

M. [C] [H] et la société Net and Clean se prévalent de ces faits pour invoquer le non-respect de l'engagement de non-concurrence. Néanmoins, compte-tenu de la date des contrats, ces éléments relèvent de la période antérieure au plan de cession, nonobstant le fait que le suivi de ces contrats a pu générer ensuite des échanges avec M. [Y] [L].

Si M. [C] [H] et le groupe ATP n'étaient pas encore désignés en qualité de repreneurs de la société Net and Clean, il n'en demeure pas moins que M. [Y] [L] a profité de façon déloyale de la confusion créée par sa qualité de gérant des deux sociétés afin de détourner au profit de la société Premium Nettoyage des contrats revenant à la société Net and Clean.

Cette man'uvre a nécessairement appauvri délibérément la société Net and Clean, alors que celle-ci était d'ores et déjà en cessation de paiement au vu de l'assignation délivrée par l'Urssaf le 18 novembre 2016. Ce préjudice a été supporté par le nouveau gérant M. [C] [H] ainsi que par la société nouvelle Net and Clean et le groupe ATP, cessionnaire, étant rappelé que le plan de cession prévoit expressément que la cession porte également sur les éléments incorporels en ce compris la clientèle (page 6 du jugement du Tribunal de Commerce de NICE).

Au demeurant, M. [Y] [L], par courrier du 6 décembre 2016 adressé à la [Adresse 9] à [Localité 8], ne se cachait pas de vouloir transférer les contrats passés au nom de la société Net and Clean au profit de la société Premium Nettoyage créée en 2014 sous couvert « de réduire les cotisations RSI ».

La gestion parallèle de deux sociétés spécialisées dans le même domaine d'activité ne constitue pas en soi un acte déloyal. Pour autant, la man'uvre consistant à profiter de la création d'une société similaire pour créer une confusion dans l'esprit des clients, par l'intermédiaire de leur représentant légal, et détourner partie des contrats de prestations de service, constitue une pratique répréhensible, de surcroît au détriment d'une société en difficultés financières et objet d'une procédure de redressement.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement de ce chef.

Sur les actes commis postérieurement au plan de cession

En second lieu, M. [C] [H], le groupe ATP et la société Net and Clean font grief à M. [Y] [L] et à la société Premium Nettoyage de n'avoir pas respecté l'engagement de non-concurrence signé entre les parties et d'être à l'origine d'actes de concurrence déloyale postérieurement au plan de cession arrêté par le Tribunal de Commerce le 28 juin 2017.

A titre liminaire, il convient de rappeler qu'une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.

Or, au cas particulier, l'engagement de non-concurrence a été négocié entre deux commerçants, à l'exclusion de tout rapport de subordination, de sorte que les conditions relatives à la validité de la clause contenue au contrat de travail, et notamment l'absence de versement d'une contrepartie financière, ne sont pas applicables.

En l'espèce, l'engagement de non-concurrence (non daté) autorisait M. [Y] [L] à « poursuivre directement ou indirectement une activité concurrente par ailleurs dans la limite des droits et obligations d'une concurrence normale, sans accomplir le moindre acte de concurrence déloyale. », reprenant ainsi les principes généraux de la concurrence, tels que rappelés ci-dessus.

Néanmoins, celui-ci avait en outre pour interdiction d'avoir tout lien contractuel ou autre « directement ou indirectement avec les clients figurant sur la liste ci-annexée, clients de la société Net and Clean au jour de la cession » et ce, pour une durée de 5 ans sur tout le territoire des Alpes-Maritimes.

A cet égard, il convient de relever que la société Net and Clean et le groupe ATP n'ont pas communiqué la liste des clients définis comme étant ceux de la société Net and Clean au jour de la cession et correspondant au renvoi fait par l'engagement de non-concurrence.

Pour autant, il ressort de la liste des devis établis au nom de la société Net and Clean avant la date du plan de cession, ainsi que de la liste des contrats figurant dans le tableau de bord de facturation certifié conforme par M. [Y] [L], que cette société était en lien d'affaires avec divers clients (ICF Habitat, Copropriété Villeneuve, Cabinet Abecassis, Docteur [U], Cabinet Dalbera et autres) et qu'en dépit de l'engagement de non-concurrence, des échanges de mails postérieurs au 28 juin 2017 ont été relevés entre M. [Y] [L] et certains de ces clients et ce, alors que celui-ci n'était plus le gérant de la société Net and Clean en l'état de la cession intervenue.

En outre, il ressort du constat établi par huissier de justice le 13 octobre 2017 que M. [Y] [L] a continué à utiliser l'adresse électronique dédiée à son activité professionnelle avant la cession de la société Net and Clean, et est ainsi resté en contact avec divers clients par le biais de cette boite de messagerie gérée par Mme [T] [A], assistante de gestion, dont il n'est pas contesté qu'elle travaillait à la fois pour la société Premium Nettoyage et pour la société Net and Clean, et qui traitait le courrier électronique au nom de M. [Y] [L].

En l'absence de liste précise de « clients » visés par l'engagement de non-concurrence, l'interprétation de la notion de clients, s'agissant de contrats de prestations de nettoyage conclus avec diverses copropriétés, apparaît légitime.

Ceci étant, la liste des contrats produite aux débats atteste que les syndics n'ont pas été inclus comme des clients en tant que tels, mais qu'une liste précise des copropriétés concernées avec le nom du syndic représentant le syndicat des copropriétaires a été établie. Il peut ainsi en être déduit que M. [Y] [L] et la société Premium Nettoyage ne s'interdisaient pas de contracter de nouveaux engagements avec des syndics identiques, pour autant qu'il s'agisse de copropriétés nouvelles.

Néanmoins, les courriels annexés au constat d'huissier de justice traduisent la persistance des pratiques observées avant le plan de cession et le détournement de certains contrats dévolus à la société Net and Clean au profit de la société Premium Nettoyage. Ainsi, le 6 juillet 2017 Mme [A] écrivait au cabinet Dalbera (Mme [E]) en ces termes : « les devis du 111 rue de France merci de les mettre de côté. Monsieur [Y] [L] préfère les faire au nom de Premium Nettoyage sans changement de prix ».

Il apparaît ainsi que M. [Y] [L] a usé de la confusion entretenue entre les deux sociétés qu'il possédait, notamment par le biais de l'adresse électronique restée en fonctionnement et de ses liens avec Mme [A], pour entretenir une concurrence déloyale à l'encontre de la nouvelle société Net and Clean, en dépit de ses engagements.

Au surplus, M. [Y] [L] ne pouvait ignorer la déloyauté de ces pratiques alors même que l'Etude Huertas, mandataire judiciaire, s'étonnait le 3 août 2017 de recevoir de nouvelles factures de la société Premium Nettoyage et écrivait en ces termes « J'ai également constaté que vous étiez le gérant de cette société jusqu'au 29/06/2017, date à laquelle vous avez été remplacé dans cette fonction par Mme [M] [L]. Or, vous m'aviez indiqué que cette société serait vendue à un tiers ».

Il s'avérait par ailleurs que la société Premium Nettoyage n'était pas cédée et que sa gérance était transférée en réalité à l'épouse de M. [Y] [L], Mme [M] [L], celui-ci continuant néanmoins la gestion de fait de l'entreprise au regard des échanges de mails interceptés entre Mme [A] et divers clients, entretenant la confusion entre les sociétés Premium et la société Net and Clean.

En revanche, l'accès de M. [Y] [L] aux fichiers de la société Net and Clean via le logiciel Hubic ne permet pas d'en déduire de facto un usage dévoyé dès lors que M. [C] [H] et le groupe ATP ne démontrent pas qu'il en ait fait un usage particulier.

Sur le préjudice subi :

Outre le préjudice subi du fait du détournement de certains clients au stade de la procédure collective, tel que retenu par le Tribunal de Commerce, M. [C] [H], la société Net and Clean et le groupe ATP se prévalent également d'un préjudice au titre de la perte de marge, du manque-à-gagner et de l'atteinte au crédit pour la société Net and Clean, ainsi que de l'atteinte au crédit du groupe ATP et d'un préjudice moral pour M. [C] [H].

Au visa des articles 1240 et 1241 du code civil il a été jugé que les actes de concurrence déloyale sont nécessairement à l'origine d'un préjudice pour la victime.

En outre, le propre de la responsabilité est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le préjudice et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit. Pour autant, cette réparation doit se faire sans perte ni profit pour aucune des parties.

En l'espèce, la poursuite par M. [Y] [L] d'une activité concurrente de celle de la société Net and Clean, en usant de son ancienne qualité de gérant des deux sociétés, de son ancienne adresse électronique professionnelle, de son assistante de gestion, et en usant de dissimulation sur ses véritables intentions, a nécessairement entraîné une confusion dans l'esprit de certains clients, de surcroît dans un contexte de cession précédée d'un redressement judiciaire, induisant une perte de confiance.

La comparaison des chiffres d'affaires des deux sociétés atteste ainsi que la société Net and Clean a connu entre 2015 et 2016 une baisse de son chiffre d'affaires de 754.539 euros à 657.168 euros alors même que la société Premium Nettoyage a vu son chiffre d'affaires augmenter de 24.753 euros à 123.453 euros sur la même période pour atteindre 220.712 euros en 2018.

Ainsi, le préjudice de la société Net and Clean sera retenu à hauteur de la somme de 60.000 euros pour l'année 2017 au regard du calcul effectué au titre de la perte de marge pour l'année 2017 (attestation du cabinet la société Agora Transmission expertise du 8 mars 2018).

En revanche, il n'y a pas lieu de retenir cette perte au titre des années ultérieures, aucun élément n'établissant que les agissements de M. [Y] [L] se soient poursuivis au-delà de l'année 2017 et aucun élément actualisé ne permettant de retenir une baisse d'activité de la société Net and Clean après l'année 2017.

En outre, la société Net and Clean est fondée à solliciter une indemnité de 10.000 euros au titre de l'atteinte à son image.

En revanche, le groupe ATP ne peut prétendre à indemnisation considérant qu'il ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui-ci de la société Net and Clean et n'a communiqué aucun élément sur sa personnalité morale et sa composition, étant relevé qu'il résulte du jugement prononçant la cession que la Sarl Groupe ATP s'est portée acquéreur avec faculté de substitution au profit de la société à créer, la société Net and Clean.

De même, le manque-à-gagner a d'ores et déjà été retenu au titre des devis détournés par M. [Y] [L] dans la phase antérieure au plan de cession de l'entreprise et n'a pas vocation à se cumuler avec la perte de marge dès lors que celle-ci procède directement de la diminution du carnet de commandes et de la perte de clientèle.

M. [C] [H] justifie quant à lui, sur le fondement de la responsabilité délictuelle de l'article 1241 du code civil, d'un préjudice propre qui est la conséquence directe des actes de concurrence déloyale commis par M. [Y] [L] et la société Premium Nettoyage et qui apparaît distinct de celui subi par la société dont il est le gérant. Son action est dès lors recevable et bien-fondée au visa de l'article 31 du code de procédure civile.

Son préjudice sera valablement indemnisé par l'octroi d'une somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts au regard des certificats médicaux établis les 4 janvier et 9 juillet 2018 et du certificat du psychologue en date du 2 novembre 2018.

Au regard du comportement personnel de M. [Y] [L] et de la rédaction de l'engagement de non-concurrence mis à sa charge indépendamment de la poursuite d'activité de la société Premium Nettoyage, la condamnation in solidum avec la société Premium Nettoyage apparaît justifiée.

Le jugement sera dès lors infirmé partiellement de ce chef.

Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive :

Aux termes de l'article 32-1 du code de procédure civile celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10.000 euros sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés.

Il convient de rappeler que l'amende civile prononcée sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ne peut l'être qu'à l'initiative du juge et non des parties, cette amende revenant à l'Etat.

Dès lors, la demande de dommages et intérêts formée par M. [Y] [L] et la société Premium Nettoyage sur ce seul fondement est sans objet et doit être rejetée, conformément aux chefs du jugement attaqué.

Sur les frais et dépens :

M. [Y] [L] et la société Premium Nettoyage conserveront in solidum la charge des entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et seront tenus de payer à la société Net and Clean, l'Eurl groupe ATP et M. [C] [H], ensemble, la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les n°19/03811 et 19/04629,

Donne acte à Maître [F] [S] de son intervention volontaire en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Premium Nettoyage,

Infirme le jugement rendu le 21 février 2019 par le Tribunal de Commerce de NICE sauf en ce qu'il a condamné la société Premium Nettoyage et M. [Y] [L] in solidum à payer à la société Net and Clean la somme de 24.426,66 euros au titre du manque-à-gagner, et a débouté M. [Y] [L] et la société Premium Nettoyage de leur demande de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne in solidum la société Premium Nettoyage et M. [Y] [L] à payer les sommes suivantes à la société Net and Clean :

- 60.000 euros au titre de la perte de marge

- 10.000 euros au titre de l'atteinte à l'image

Condamne in solidum la société Premium Nettoyage et M. [Y] [L] à payer à M. [C] [H] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice personnel,

Dit que ces sommes seront fixées au passif de la société Premium Nettoyage en l'état de la procédure collective ouverte à son égard,

Déboute la société Net and Clean du surplus de ses demandes,

Déboute l'Eurl Groupe ATP de ses demandes,

Condamne in solidum M. [Y] [L] et la société Premium Nettoyage aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne in solidum M. [Y] [L] et la société Premium Nettoyage à payer à la société Net and Clean, l'Eurl groupe ATP et M. [C] [H] ensemble la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Le GREFFIER Le PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 3-1
Numéro d'arrêt : 19/03811
Date de la décision : 22/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-22;19.03811 ?
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