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22/09/2022 | FRANCE | N°19/03412

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-4, 22 septembre 2022, 19/03412


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4



ARRÊT AU FOND

DU 22 SEPTEMBRE 2022



N° 2022/

NL/FP-D











Rôle N° RG 19/03412 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BD3V2







SAS GUISNEL DISTRIBUTION





C/



[V] [X]

























Copie exécutoire délivrée

le :

22 SEPTEMBRE 2022

à :

Me Stéphanie BAGNIS, avocat au barreau D'AIX-EN-
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Me Emmanuelle VITELLI, avocat au barreau de MARSEILLE























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARLES en date du 14 Février 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F18/00098.





APPELANTE



SAS G...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4

ARRÊT AU FOND

DU 22 SEPTEMBRE 2022

N° 2022/

NL/FP-D

Rôle N° RG 19/03412 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BD3V2

SAS GUISNEL DISTRIBUTION

C/

[V] [X]

Copie exécutoire délivrée

le :

22 SEPTEMBRE 2022

à :

Me Stéphanie BAGNIS, avocat au barreau D'AIX-EN-

PROVENCE

Me Emmanuelle VITELLI, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARLES en date du 14 Février 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F18/00098.

APPELANTE

SAS GUISNEL DISTRIBUTION, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Stéphanie BAGNIS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIME

Monsieur [V] [X]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/005871 du 24/05/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE), demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Emmanuelle VITELLI, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre

Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller

Madame Catherine MAILHES, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2022.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Septembre 2022

Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

La société Guisnel Distribution (la société) applique la convention collective nationale des transports routiers.

Suivant contrat à durée indéterminée, elle a engagé M. [X] (le salarié) en qualité de technicien de quai, groupe 3, coefficient 115, à compter du 1er juin 2015 moyennant une rémunération mensuelle brute de 1 563.20 euros pour 37 heures de travail par semaine, y compris les heures supplémentaires.

Le 03 mai 2018, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes d'Arles pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur, outre le paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement rendu le 14 février 2019, le conseil de prud'hommes a statué comme suit:

'Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [V] [X]

Dit et juge que la résiliation du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul, en raison des faits de harcèlement moral et de discrimination, dont Monsieur [V] [X] a été victime.

En conséquence, condamne la SAS GUISNEL DISTRIBUTION, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à payer à Monsieur [V] [X] la somme de 10.350 € (dix mille trois cent cinquante euros) à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement.

Condamne la SAS GUISNEL DISTRIBUTION, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à payer à [V] [X] a somme de 1.581,25 €(mille cinq cent quatre vingt un euros et vingt cinq centimes) au titre de l'indemnité légale de licenciement.

Condamne la SAS GUISNEL DISTRIBUTION, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à payer à Monsieur [V] [X] la somme de 3.450 € (trois mille quatre cent cinquante euros) au titre de l'indemnité de préavis, outre la somme de 345 € (trois cent quarante cinq euros) au titre des congés payés afférents.

Condamne la SAS GUISNEL DISTRIBUTION, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à payer à Monsieur [V] [X] la somme de 1.795 € (mille sept cent quatre vingt quinze euros) au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés.

Condamne la SAS GUISNEL DISTRIBUTION, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à payer à Monsieur [V] [X] la somme de 7.000 € (sept mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du harcèlement moral.

Condamne la SAS GUISNEL DISTRIBUTION, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à payer à Monsieur [V] [X] la somme de 7.000 € (sept mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de la discrimination.

Condamne la SAS GUISNEL DISTRIBUTION, prise en la personne de son représentant légal en exercice, à payer à Monsieur [V] [X] la somme de 1.000 € (mille euros) au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Dit et juge que les sommes porteront intérêts à compter de la notification de la présente décision et que les intérêts de ces sommes seront capitalisés.

Déboute la SAS GUISNEL DISTRIBUTION de sa demande reconventionnelle.

Déboute Monsieur [V] [X] du surplus de ses demandes.

Ordonne l'exécution provisoire de droit et au titre de l'article 515 du Code de Procédure Civile.

Condamne la SAS GUISNEL DISTRIBUTION aux entiers dépens.'

La cour est saisie de l'appel formé par la société le 27 février 2019.

Le 07 avril 2022, la cour a rendu un arrêt avant-dire-droit dont le dispositif se présente comme suit:

'ORDONNE la révocation de la clôture,

ORDONNE la réouverture des débats pour inviter les parties à conclure:

- sur l'exécution éventuelle du jugement revêtu de l'exécution provisoire, et notamment l'exécution éventuelle du prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail;

- dans l'affirmative, sur les situations juridiques et financières des parties à l'issue de la résiliation judiciaire du contrat de travail;

- sur les conséquences qu'elles en tirent, notamment à l'égard de l'objet de l'appel relatif au prononcé de la résiliation judiciaire et aux condamnations de ce chef, et à l'égard des conséquences financières de cette rupture du contrat de travail;

FIXE la nouvelle clôture au 07 juin 2022,

DIT que l'affaire sera examinée au fond à l'audience en conseiller rapporteur du lundi 20 juin 2022 à 14 heures 00,

RESERVE les dépens.'

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

Par ses conclusions remises au greffe le 03 juin 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de:

REFORMER le Jugement rendu par la Section Commerce du Conseil de Prud'hommes d'ARLES en date du 14 février 2019 en toutes ses dispositions.

STATUANT A NOUVEAU il est demandé à la Cour de céans de :

JUGER que la Société GUISNEL DISTRIBUTION n'a pas manqué à son obligation de sécurité envers Monsieur [X]

JUGER irrecevable et infondée la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail par Monsieur [X]

JUGER irrecevable et infondée la demande de dommages et intérêts pour nullité du licenciement

JUGER que le contrat de travail se poursuit en l'état de la résiliation judiciaire infondée du contrat de travail prononcé par les premiers Juges ,

En conséquence :

DEBOUTER Monsieur [X] de sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur ;

DEBOUTER Monsieur [X] de sa demande de 48.300 € à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement ;

DEBOUTER Monsieur [X] de sa demande de condamnation de la Société GUISNEL DISTRIBUTION au paiement de l'indemnité légale de licenciement ;

DEBOUTER Monsieur [X] de sa demande de condamnation de la Société GUISNEL DISTRIBUTION au paiement de la somme de 3.450 € à titre d'indemnité de préavis et la somme de 345 € au titre des congés payés y afférents;

DEBOUTER Monsieur [X] de sa demande de condamnation de la Société GUISNEL DISTRIBUTION au paiement de la somme de 1.795 € au titre de l 'indemnité compensatrice de congés payés ;

DEBOUTER Monsieur [X] de sa demande de condamnation de la Société GUISNEL DISTRIBUTION au paiement de la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral du fait du harcèlement moral ;

DEBOUTER Monsieur [X] de sa demande de condamnation de la Société GUISNEL DISTRIBUTION au paiement de la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

DEBOUTER Monsieur [X] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions ;

ORDONNER le déblocage des fonds déposés sur le compte CARPA de Maître [L] au bénéfice de la société GUISNEL DISTRIBUTION, sommes versées et consignées au titre de l'exécution provisoire prononcée par le jugement dont appel ,

DES LORS

CONDAMNER Monsieur [X] au remboursement des sommes versées par la société GUISNEL DISTRIBUTION au titre de l'exécution provisoire, savoir :

1.581,25 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,

3.450,00 € au titre de l'indemnité de préavis,

345,00 € au titre des congés payés y afférents,

1.795,00 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

7.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de la décision,

7.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du harcèlement moral,

I .000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

EN TOUT ETAT DE CAUSE

CONDAMNER Monsieur [X] au paiement de la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par ses conclusions remises au greffe le 02 juin 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, le salarié demande à la cour de:

CONFIRMER le jugement du Conseil de Prud'hommes d'ARLES en date du 14 février 2019 en ce qu'il a :

-PRONONCÉ la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [X] ;

-DIT ET JUGÉ que la résiliation judiciaire du contrat produit les effets d'un licenciement nul, en raison des faits de harcèlement moral et de discrimination dont Monsieur [X] a été victime ;

-CONDAMNÉ la SAS GUISNEL DISTRIBUTION à payer à Monsieur [X] la somme de

1.581,25 € au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

-CONDAMNÉ la SAS GUISNEL DISTRIBUTION à payer à Monsieur [X] la somme de 3.450 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 345 € au titre des congés payés afférents ;

-CONDAMNÉ la SAS GUISNEL DISTRIBUTION à payer à Monsieur [X] la somme de 1.795 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés ;

-CONDAMNÉ la SAS GUISNEL DISTRIBUTION à payer à Monsieur [X] la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

-DIT ET JUGÉ que les sommes porteront intérêts à compter de la notification de la décision et que les intérêts de ces sommes seront capitalisés ;

-DEBOUTÉ la SAS GUISNEL DISTRIBUTION de sa demande reconventionnelle ;

-CONDAMNÉ la SAS GUISNEL DISTRIBUTION aux entiers dépens.

INFIRMER le jugement du Conseil de Prud'hommes d'ARLES en date du 14 février 2019 en ce qu'il a:

CONDAMNÉ la SAS GUISNEL DISTRIBUTION à payer à Monsieur [X] la somme de

10.350 € à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement ;

-CONDAMNÉ la SAS GUISNEL DISTRIBUTION à payer à Monsieur [X] la somme de 7.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du harcèlement moral;

-CONDAMNÉ la SAS GUISNEL DISTRIBUTION à payer à Monsieur [X] la somme de 7.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de la discrimination ;

-DEBOUTÉ Monsieur [X] du surplus de ses demandes.

STATUANT A NOUVEAU :

DIRE ET JUGER que Monsieur [X] a été victime de harcèlement moral ;

DIRE ET JUGER que Monsieur [X] a été victime de discrimination ;

En conséquence,

CONFIRMER la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la S.A.S. GUISNEL DISTRIBUTION, prononcée par Jugement du Conseil de Prud'hommes d'ARLES en date du 14 février 2019 ;

DIRE ET JUGER que la résiliation du contrat de travail a pris effet le 14 février 2019, date de son prononcé par la juridiction de première instance ;

DIRE ET JUGER que la résiliation du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul en raison des faits de harcèlement moral et de discrimination dont Monsieur [X] a été victime;

En conséquence,

CONDAMNER la S.A.S. GUISNEL DISTRIBUTION à payer à Monsieur [X] la somme de

1.581,25 € au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

CONDAMNER la S.A.S. GUISNEL DISTRIBUTION à payer à Monsieur [X] la somme de 3.450 € au titre de l'indemnité de préavis, outre la somme de 345 € au titre des congés payés afférents;

CONDAMNER la S.A.S. GUISNEL DISTRIBUTION à payer à Monsieur [X] la somme de 1.795 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés ;

CONDAMNER la S.A.S. GUISNEL DISTRIBUTION à payer à Monsieur [X] la somme de 48.300 € à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement ;

CONDAMNER la S.A.S. GUISNEL DISTRIBUTION à payer à Monsieur [X] la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du harcèlement moral ;

CONDAMNER la S.A.S. GUISNEL DISTRIBUTION à payer à Monsieur [X] la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de la discrimination ;

DEBOUTER la S.A.S. GUISNEL DISTRIBUTION de l'intégralité de ses demandes ;

CONDAMNER la S.A.S. GUISNEL DISTRIBUTION à payer à Monsieur [X] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

DIRE ET JUGER que les sommes porteront intérêts à compter de la notification de la décision de première instance, et que les intérêts de ces sommes seront capitalisés.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 07 juin 2022.

MOTIFS

1 - Sur le harcèlement moral

En application des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet des dégradations de ses conditions de travail susceptible notamment d'altérer sa santé physique ou mentale; en cas de litige reposant sur des faits de harcèlement moral, le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral; il incombe ensuite à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement; le juge forme alors sa conviction.

Le harcèlement moral peut être le fait de l'employeur, de son représentant ou d'un supérieur hiérarchique mais il ne doit pas être confondu avec l'exercice normal et légitime des prérogatives patronales.

En l'espèce, le salarié fait valoir à l'appui de sa demande à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral les faits suivants commis par M. [P], directeur d'agence sous la hiérarchie duquel il s'est trouvé:

- des insultes à caractère racial;

- des menaces de mort;

- des humiliations devant ses collègues;

- des avertissements verbaux pour des faits qu'il n'a pas commis;

- une pression et un stress permanents;

- un comportement outrancier.

Il verse à l'appui d'abord le courrier en date du 04 mars 2017 qu'il a adressé à son employeur pour dénoncer ces faits qui ont commencé le 26 février 2017, date à laquelle le salarié a présenté une demande de congé parental pour la période du 1er avril 2017 au 1er avril 2018, et qui ont connu leur point d'orgue le 1er mars 2017 lorsque M. [P] lui a déclaré devant toute son équipe de collègues: 'toi, tu tais, tu ne dis plus rien, je ne veux plus un mot tu travailles ou tu dégages je ne veux même pas un sourire ni un rire sinon je vais te flinguer et quand tu reviendras je ferai tout pour te flinguer pauvre con moi je suis un homme pas toi fainéant tu n'as pas de couilles'.

Il produit d'autre part les attestations émanant de:

- M. [Z] qui confirme les insultes racistes ('j'ai eu mon quota d'immigrés, tu vas poser des bombes comme Daesh ou me tuer dans mon bureau', 'je vais voter Le Pen tu reviendras en juin ou tu n'as pas de couilles'), les menaces de mort ('je vais te flinguer') et les humiliations devant les collègues (accusation du salarié à tort d'avoir commis des erreurs dans son travail);

- M. [F] qui confirme les insultes racistes précitées;

- M. [E] qui indique que le salarié était victime d'insultes racistes de la part de M. [P].

Le salarié se prévaut enfin d'un arrêt maladie à compter du 27 mars 2018 à la suite de son congé parental.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants qui reposent sur des insultes à caractère racial, des menaces de mort, des humiliations devant ses collègues.

La cour dit que pris dans leur ensemble, ces faits sont de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral en ce qu'ils auraient eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible notamment d'altérer sa santé physique ou mentale.

A ces éléments, la société oppose:

- l'avertissement qu'elle a notifié à M. [P] par courrier du 20 mars 2017 pour des propos racistes qu'il a tenus à l'égard du salarié lorsque celui-ci a présenté une demande de congé parental;

- le procès-verbal de la réunion du CHSCT en date du 28 mars 2017 qui indique que les membres du CHSCT n'ont pas souhaité ouvrir une enquête sur les faits concernant le salarié, lequel allait être informé par la direction qu'il avait la faculté de saisir le CHSCT;

- le courrier du 10 avril 2017 que l'employeur a adressé au salarié, en congé parental, prenant acte du fait que M. [P] s'était excusé et s'était engagé à ne plus reproduire son comportement au retour du salarié;

- le procès-verbal de la réunion du CHSCT en date du 27 juin 2017 qui indique d'une part que le salarié n'a pas donné suite au courrier de la direction en date du 10 avril 2017, et d'autre part la direction a organisé une réunion à l'agence dirigée par M. [P] à l'issue de laquelle aucune anomalie n'a été constatée relativement au courrier du salarié.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société ne prouve pas que les agissements de M. [P] ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que les décisions prises par ce dernier à l'égard du salarié sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En conséquence, la cour dit que le harcèlement moral est établi et que le préjudice a justement été évalué par les premiers juges au vu des pièces produites par le salarié.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a condamné la société à payer au salarié la somme de 7 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

2 - Sur la discrimination

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail dans sa rédaction alors applicable sont prohibées les mesures discriminatoires directes ou indirectes telles que définies à l'article 1er de la loi n°2008-796 du 27 mai 2008 à l'égard d'un salarié en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat à raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

La discrimination d'un salarié est illicite dès lors qu'elle repose sur un des motifs prohibés énumérés ci-dessus.

Il résulte de l'article L 1134-1 du code du travail dans sa rédaction alors applicable qu'en cas de litige reposant sur les principes précités, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte; il appartient ensuite au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En l'espèce, le salarié fait valoir à l'appui de sa demande à titre de dommages et intérêts pour discrimination que M. [P] 'le prenait à partie dès lors qu'une erreur était commise par un membre de l'équipe'.

Force est de constater qu'en l'état de ce seul élément, le salarié ne donne aucune précision, notamment de date et de lieu, sur une mesure discriminatoire à raison de la race que la société aurait prise à son égard, la nature du fait allégué ayant d'ailleurs été admise ci-dessus au titre du harcèlement moral.

Dans ces conditions, la cour dit que le salarié ne présente aucun élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination.

En conséquence, et en infirmant le jugement déféré, la cour rejette la demande à titre de dommages et intérêts pour discrimination.

3 - Sur la résiliation judiciaire

Il résulte de la combinaison des articles 1184 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et L. 1221-1 du code du travail que le salarié peut demander la résiliation judiciaire du contrat de travail en cas de manquement de l'employeur suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Les manquements de l'employeur doivent être appréciés en tenant compte des circonstances intervenues jusqu'au jour de la décision judiciaire.

La résiliation judiciaire du contrat de travail prononcée par le juge produit les effets d'un licenciement nul lorsque le manquement de l'employeur est constitué par un harcèlement moral à l'encontre du salarié.

En cas de confirmation en appel du jugement prononçant la résiliation, la date de la rupture est celle fixée par le jugement.

En l'espèce, les parties ont indiqué dans leurs dernières conclusions que le jugement a été exécuté pour être revêtu de l'exécution provisoire et que le contrat de travail a été rompu par la résiliation judiciaire.

Le salarié invoque à l'appui de sa demande en résiliation judiciaire produisant les effets d'un licenciement nul un manquement reposant sur un harcèlement moral, une discrimination et le manquement à l'obligation de sécurité.

Il résulte de ce qui précède que les manquements de la société sont constitués par un harcèlement moral.

Ce manquement de l'employeur est à lui seul suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

En conséquence, le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail et dit que cette résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul.

4 - Sur les conséquences financières de la résiliation judiciaire

Le salarié victime d'un licenciement nul et dont la réintégration est impossible ou qui ne la demande pas a droit, quelles que soient son ancienneté et la taille de l'entreprise:

- à une indemnité compensatrice de préavis avec les congés payés afférents si la rupture n'a pas été précédée d'un préavis;

- à une indemnité conventionnelle ou légale de licenciement;

- à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

En l'espèce, la résiliation judiciaire du contrat à durée indéterminée prononcée à l'initiative du salarié et aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement nul à compter du 14 février 2019, date à laquelle elle a été prononcée par les premiers juges.

Aucune des parties ne remettant en cause, même à titre subsidiaire, les bases sur lesquelles le conseil de prud'hommes a liquidé les droits du salarié des chefs de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité de licenciement, le jugement sera confirmé sur ces points.

Enfin, la cour dit, au vu des éléments de la cause et de la situation du salarié telle qu'elle ressort des pièces qu'il produit, que les premiers juges ont justement évalué les dommages et intérêts pour licenciement nul auxquels le salarié peut prétendre de sorte que le jugement déféré est également confirmé de ce chef.

5 - Sur l'indemnité compensatrice de congés payés

La société conclut dans le dispositif de ses écritures au rejet de la demande en paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés sans toutefois n'articuler aucun moyen dans la discussion.

En conséquence, la cour confirme la condamnation de ce chef.

6 - Sur les demandes accessoires

Le présent arrêt constitue une décision de justice faisant naître le droit à restitution des sommes versées en exécution des chefs réformés de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la société de ce chef.

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué au salarié une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société est condamnée aux dépens d'appel.

L'équité et les situations économiques respectives des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Guisnel Distribution à payer à M. [X] la somme de 7 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination,

STATUANT à nouveau sur le chef infirmé,

REJETTE la demande à titre de dommages et intérêts pour discrimination,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses autres dispositions,

Y AJOUTANT,

DIT n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour,

CONDAMNE la société Guisnel Distribution à payer M. [X] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,

CONDAMNE la société Guisnel Distribution aux dépens d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-4
Numéro d'arrêt : 19/03412
Date de la décision : 22/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-22;19.03412 ?
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