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15/09/2022 | FRANCE | N°21/13696

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-5, 15 septembre 2022, 21/13696


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5



ARRÊT AU FOND

DU 15 SEPTEMBRE 2022

sa

N° 2022/ 356













Rôle N° RG 21/13696 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BIEKL







S.C.I. RIVKA





C/



[P] [C]

[H] [C]





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Elie MUSACCHIA



SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ



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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal Judiciaire de GRASSE en date du 06 Septembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 21/01118.





APPELANTE



S.C.I. RIVKA, dont le siège social est [Adresse 7], agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domici...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-5

ARRÊT AU FOND

DU 15 SEPTEMBRE 2022

sa

N° 2022/ 356

Rôle N° RG 21/13696 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BIEKL

S.C.I. RIVKA

C/

[P] [C]

[H] [C]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Elie MUSACCHIA

SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal Judiciaire de GRASSE en date du 06 Septembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 21/01118.

APPELANTE

S.C.I. RIVKA, dont le siège social est [Adresse 7], agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

représentée par Me Elie MUSACCHIA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Gabrielle SAMAT, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Jean-Louis DEPLANO de l'ASSOCIATION DEMES, avocat au barreau de NICE

INTIMES

Monsieur [P] [C]

demeurant [Adresse 8]

représenté par la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Florence ROMEO, avocat au barreau de NICE

Madame [H] [C]

demeurant [Adresse 8]

représentée par la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Florence ROMEO, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 07 Juin 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Sylvaine ARFINENGO, Président , a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Sylvaine ARFINENGO, Président

Madame Hélène GIAMI, Conseiller

Madame Laetitia VIGNON, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Septembre 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Septembre 2022,

Signé par Madame Sylvaine ARFINENGO, Président et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Madame [H] [C] et Monsieur [P] [C] sont propriétaires des parcelles cadastrées section [Cadastre 10], [Cadastre 2] et [Cadastre 6] siseS à [Adresse 8] depuis 40 ans.

La SCI Rivka est propriétaire des parcelles [Cadastre 11], [Cadastre 1], [Cadastre 3], [Cadastre 4] et [Cadastre 5], situées en amont de la propriété [C], depuis 2003.

Le 17 janvier 2014, le mur de soutènement du fonds de la SCI Rivka s'est effondré, causant un éboulement et et un affaissement des terres de la propriété de la SCI sur le fonds de Monsieur et Madame [C], situé en dessous.

Par ordonnance du 29 septembre 2014, Monsieur [F] a été désigné en qualité d'expert judiciaire.

Il a déposé son rapport le 14 janvier 2016, et a conclu que la cause de l'effondrement du mur en zone 3 était due à 70% à un défaut de construction de ce mur et, à 30%, à la catastrophe naturelle de 2014.

Déplorant le fait que bien qu'ayant été indemnisée à hauteur de 230000 euros, la SCI Rivka a reconstruit le mur de soutènement mais s'est abstenue de remettre leur fonds en état, les consorts [C] l'ont fait assigner devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Grasse, afin de la voir condamner à la remise en état de leur terrain, sous astreinte.

En raisons de contestations sérieuses, les demandes en référés ont été rejetées.

Une nouvelle mesure d'expertise a été ordonnée le 7 janvier 2019, confiée à Monsieur [F], qui a rendu son rapport en l'état en novembre 2020, les consorts [C] indiquant n'avoir pas pu assumer le coût de la consignation complémentaire.

Par exploit d'huissier délivré le 2 mars 2021, la SCI Rivka a fait assigner Monsieur et Madame [C] devant le tribunal de grande instance de Grasse, sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage, aux fins de les voir condamnés, sous astreinte, à réaliser des travaux pour mettre leur fonds en sécurité.

Reconventionnellement, les consorts [C] ont sollicité la condamnation de la SCI à remettre leur fonds en état.

Par jugement contradictoire du 6 septembre 2021, le tribunal a statué ainsi qu'il suit :

Concernant les désordres ayant pour origine le glissement de la zone 3:

-condamne la SCI Rivka à verser à Madame [H] [X] veuve [C] et Monsieur [P] [C] une somme de 4000 euros à titre de dommages-intérêts concernant l'empiètement du mur,

-déboute Madame [H] [X] veuve [C] et Monsieur [P] [C] du surplus de leur demande de dommages-intérêts concernant l'empiètement du mur,

-condamne la SCI Rivka à reprendre l'étanchéité de son mur citerne dans un délai de deux mois à compter de la présente décision à intervenir et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du premier jour, passé ce délai,

-déboute Madame [H] [X] veuve [C] et Monsieur [P] [C] de leurs demandes tendant à voir condamner la SCI Rivka à déblayer les reliques de son ancien mur en zone 3 du fonds [C], telle que fixée par l'expertise, ainsi que de leur demande tendant à voir condamner la SCI Rivka à remettre le terrain du fonds [C] en l'état en zone 3;

-déboute Madame [H] [X] veuve [C] et Monsieur [P] [C] de leur demande tendant à voir condamner la SCI Rivka à remettre le fonds [C] en l'état en zone 4,

-déboute Madame [H] [X] veuve [C] et Monsieur [P] [C] de leurs demandes tendant à voir condamner la SCI Rivka à leur verser une somme de 50000 euros à titre de dommages-intérêts,

Concernant les désordres ayant pour origine la zone 4:

-sursoit à statuer sur les demandes de condamnation à faire de la SCI Rivka à l'encontre de Madame [H] [X] veuve [C] et de Monsieur [P] [C],

-ordonne une expertise confiée à Monsieur [R] [V]- [Adresse 9], avec mission, notamment, de

-fournir tous éléments techniques et de fait de nature à déterminer si la zone 4 se trouvant sur le terrain des consorts [C] est instable, et est de nature à causer des désordres en amont, dans la propriété Rivka,

-fournir tous éléments techniques et de fait de nature à déterminer l'origine des terres et constructions instables que cela soit sur le terrain des consorts [C] (zone 4) ou sur le terrain de la SCI Rivka (notamment enrochement sous la piscine),

-donner son avis sur les responsabilités

-donner son avis sur les moyens et travaux nécessaires pour supprimer les désordres et les zones éventuellement dangereuses ou en danger.

-sursoit à statuer sur toutes les demandes de la SCI Rivka,

-condamne la SCI Rivka à verser à Monsieur [P] [C] et Madame [H] [X] veuve [C] une somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamne la SCI Rivka aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise de Monsieur [F] (rapport en date du 3 septembre 2020),

-sursoit à statuer sur le surplus des dépens,

-renvoie l'affaire à la mise en état du 5 mai 2022 à 9 heures.

Le 27 septembre 2021, la SCI Rivka a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 25 avril 2022, la SCI Rivka demande à la cour de :

-Infirmer partiellement le jugement rendu le 06 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Grasse en ce qu'il a : - Prononcé un sursis à statuer sur les demandes de la SCI RIVKA - Ordonné avant dire droit une expertise - Condamné la SCI Rivka au paiement d'une somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux frais d'expertise, - Condamné la SCI Rivka au paiement d'une somme de 4000 € à titre de dommages-intérêts,

-Juger que l'indemnisation ne saurait être que symbolique au regard d'une emprise mineure, située à un endroit inaccessible du fonds [C] reconstruit à un emplacement identique à celui d'un mur effondré du fait d'une catastrophe naturelle qui n'avait jamais encouru de critique de la part du fonds voisin au surplus destiné à sa protection

Vu la théorie des troubles anormaux de voisinage,

Vu le rapport d'expertise établissant que l'état du talus du fonds [C] met en péril le fonds de la SCI Rivka,

-s'entendre condamner solidairement Madame [H] [X] veuve [C] et Monsieur [P] [C] :

-à contracter avec tel bureau d'études géotechnique qu'il leur plaira une mission G2PRO/EXE,

-à contracter avec tel bureau d'études qu'il leur plaira une mission de maîtrise d''uvre,

-à réaliser les travaux tels que préconisés par l'expert judiciaire plus précisément définis par les hommes de l'art ayant reçu mission,

-Juger que les travaux préconisés devront être démarrés dans un délai de 2 mois passé la signification du « jugement » (SIC) à intervenir sous peine, passé ce délai, d'une astreinte de 1 000 € par jour de retard,

-Débouter les consorts [C] de l'intégralité de leurs demandes incidentes.

-S'entendre condamner solidairement Madame [H] [X] veuve [C] et Monsieur [P] [C] au paiement d'une somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société appelante soutient essentiellement que :

-elle est recevable à agir sur le fondement du trouble de voisinage.

-le risque majeur pesant sur son fonds du fait de l'absence de confortement de ses terres par le fonds [C] constitue manifestement un trouble anormal de voisinage;

-le mur accusé d'empiétement a été construit dans l'urgence, et son emplacement est strictement identique à celui du mur précédent dont les intimés ne s'étaient jamais plaints.

-les consorts [C] ont refusé de payer la consignation complémentaire,

-le devis de 48000 euros concerne la remise en état du jardin paysager de la SCI.

Selon leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiés le 25 janvier 2022, Monsieur [P] [C] et Madame [H] [C] demandent à la cour, sur le fondement des articles 840 et 873 du CPC, 1240, 1241 et 1242 et suivants du code civil, de :

-Débouter la SCI Rivka de toutes ses demandes, fins et conclusions,

En zone 3,

-confirmer le jugement entrepris et, constater l'absence de déblaiement par la SCI Rivka des reliques de son ancien mur sur leur fonds depuis 2016

-constarer l'absence de déblaiement par la SCI Rivka des terres éboulées suite à cette effondrement sur leur fonds , depuis 2016,

-constater l'absence de remise en état, par la SCI Rivka, du terrain paysager de leur fonds, depuis 2016

Par conséquent,

A titre incident,

-infirmer la décision entreprise en ce qu'elle n'a pas ordonné la remise en état de leur terrain, par la SCI Rivka,

-condamner la SCI Rivka à procéder au déblaiement des terres stagnantes et aux reliques de son ancien mur et à la remise en état de leur fonds , le tout sous astreinte de 500 € par jour jusqu'à complet achèvement des travaux, à compter de la décision à intervenir ;

-dire que préalablement, la SCI Rivka devra leur soumettre les devis afférents de manière à leur permettre de contrôler la nature des travaux de déblais et de remise en état de son terrain,

-condamner la SCI Rivka au paiement de la somme de 90.000 € à titre de dommages et intérêts depuis 2014 et au titre de la non-exécution de ses obligations depuis 2016.

Si par extraordinaire, la cour considérait opportun d'acter la responsabilité de la SCI Rivka sans prononcer d'obligation de déblaiement à son encontre, il conviendrait alors de :

-condamner la SCI Rivka à prendre en charge toutes les factures de déblaiement et de remise en état de leur fonds, qui lui seront présentées et, à titre provisionnel, d'allouer aux concluants la somme de 90.000 € pour débuter ces travaux.

Sur l'empiètement

-confirmer la décision entreprise dans le principe de la condamnation de la SCI Rivka,

-constater l'empiètement du mur sur leur propriété,

Par conséquent,

A titre incident,

-constater que cet empiètement est de nature à fragiliser leurs terres et l'ensemble des deux fonds [C] et Rivka,

-condamner la SCI Rivka à les indemniser au regard de cet empiètement,

-la condamner à les dédommager à hauteur de 50.000 € au regard de cette violation réitérée et continue de la propriété d'autrui par la SCI Rivka, depuis 2016

En zone 4

-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SCI Rivka à reprendre l'étanchéité de son mur citerne sous astreinte,

A titre incident,

-constater que la zone 4 n'est pas sécurisée sur leur fonds du fait des fuites et effondrement issus du fonds Rivka

-condamner la SCI Rivka à la reprise de son mur citerne sous astreinte de 800 €/jours à compter de la décision à intervenir et jusqu'à complet achèvement des travaux

-condamner la SCI Rivka à reprendre son mur de soutènement en zone 4 sous astreinte de 500 €/jours à compter de la signification de la décision à intervenir

-ordonner que l'ensemble de ces mesures seront à réaliser avant le commencement de l'expertise ordonnée en zone 4, afin d'assurer la solidité des terres en aval

-condamner la SCI Rivka à remettre leur fonds en l'état en zone 4,

-condamner la SCI Rivka à une indemnité de 50.000 € à leur profit compte tenu des préjudices résultant de cette fuite de plus en plus importante et de l'état de leur terrain en résultant

-prononcer ces mesures et règlements nonobstant toute mesure d'expertise en zone 4 et ce, afin de consolider les terres du temps de celle-ci et de les indemniser à titre provisionnel.

Dans tous les cas,

-confirmer la décision entreprise ayant laissé à la SCI Rivka la charge exclusive de la nouvelle mesure d'expertise ordonnée,

-condamner la SCI Rivka au paiement de la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

-la condamner aux entiers dépens en ce compris la totalité des frais d'expertise qu'ils ont réglés depuis 2014, outre les frais d'huissiers.

Les consorts [C] font essentiellement valoir :

-qu'en zone 3, la responsabilité de la SCR Rivka est établie : les débris et éboulements de terre situés sur leur fonds sont là depuis 2014, et proviennent de l'effondrement du mur construit par RIVKA en amont de leur fonds et non déblayés depuis cette date malgré les préconisations de la première expertise judiciaire de 2016.

-avec la somme de 230000 euros perçue de la compagnie d'assurances, la SCI Rivka a repris son mur de soutènement en empiétant sur leur fonds sur 2 m2, mais elle n'a pas procédé au déblaiement de son ancien mur sur leur fonds, alors que cela lui incombe;

-si le rapport d'expertise évoque l'instabilité de leur fonds, « laissant planer un risque important pour le fond Rivka », la responsabilité en revient à la SCI Rivka qui a empiété sur leur fonds en construisant son mur, ne l'a pas construit dans les règles de l'art et n'a pas remis leur fonds en état,

-la remise en état à l'identique de leur jardin paysager n'a jamais été effectuée,

-sur la responsabilité de la SCI Rivka au regard de l'étanchéité du mur citerne : la condamnation de ce chef, non frappée d'appel, devra être confirmée,

-sur la responsabilité de la SCI sur la zone 4 : l'expert a relevé une zone 4, instable, située sous la propriété de la SCI Rivka, non confortée et qu'elle risquait d'entrainer inévitablement un nouveau glissement de terrain sur leur fonds

-dans le cabanon de leur fonds, situé en dessous de ce mur citerne de la SCI Rivka, le sol est totalement immergé; à l'arrière de ce cabanon, sur le talus situé sous le mur citerne, la terre est totalement détrempée. L'huissier atteste de ce que dès que l'on s'éloigne d'une quinzaine de mètres du bas de ce mur citerne, le sol est sec, ce qui démontre bien de ce que l'écoulement provient du mur citerne du fonds Rivka,

-la SCI Rivka n'a pas encore commencé les travaux de reprise d'étanchéité de son mur citerne.

-le propriétaire des terres en amont, est responsable de leur retenue de celles-ci : il appartient à la SCI Rivka de satisfaire à son obligation et non aux consorts [C] de conforter leur fonds,

-sur la violation du droit de propriété subi sur leur fonds :l'expert a confirmé que le mur empiétait sur leur fonds sur 2m²,

-cette emprise irrégulière constitue une voie de fait et par conséquent, le dédommagement dû est de droit, sans qu'il soit besoin de prouver un quelconque préjudice : une indemnité de 50000 euros est justifiée.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 mai 2022.

Exposé des motifs :

1-La société Rivka agit à l'encontre des consorts [C] sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.

Aux termes des articles 544 et 651 du code civil, «la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.» et «la loi assujettit les propriétaires à différentes obligations l'un à l'égard de l'autre, indépendamment de toute convention.»

La limite au droit de propriété est que nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage, et qu'à défaut, il en devra réparation, même en l'absence de faute.

L'anormalité du trouble s'apprécie au regard des circonstances locales, et doit présenter un caractère grave et répété, dépassant les inconvénients normaux de voisinage, sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute de son auteur.

Il appartient à celui qui invoque le trouble anormal de voisinage d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, la SCI Rivka se prévaut du rapport d'expertise établi par Monsieur [B] [F], déposé en l'état, et en particulier des constatations opérées par cet expert, consignées en page 29 de son rapport, selon lesquelles :

« Actuellement, les instabilités de terrain sur le fonds [C] et sur le fonds mitoyen [C]/Rivka, laissent planer un risque important pour le fonds Rivka...Rien n'a été entrepris depuis 2014 sur le fonds [C] pour stabiliser le versant. Actuellement, les glissements sont limités au droit des cyprès.

Pour répondre clairement à la question : il y a une forte probabilité (« péril ») de survenance de glissement de terrain, si rien n'est entrepris sur le fonds [C].

Pour stopper et réduire le risque sur le fonds Rivka, il va falloir mettre en oeuvre sur l'ensemble du linéaire un confortement.

Le type de confortement à réaliser devra être de même type que celui réalisé par ABTS, à savoir une micro-berlinoise avec des tirants (de nombreuses études ont déjà été réalisées et il faudra simplement un complément technique spécifique à la zone pour parfaire l'estimation.)

Ce type d'ouvrage classique que la stabilisation des versants instables, devra être dimensionné par une mission complémentaire G2PRO/EXE et il faudra aussi un maître d'oeuvre pour la gestion opérationnelle, la mise en place.

Le projet proposé par ABTS sur devis correspondrait sur son coût linéaire à celui qu'il faudrait réaliser...donc si l'on se réfère aux 20ml de mur pour un coût de 30000 €TTC (moins l'évacuation des gravats du devis).

Estimation faite sur les devis ABTS : si l'on doit traiter 50 ml cela induit un coût réparatoire de 600000/750000€TTC + 10% de maîtrise d'oeuvre. ».

La SCI Rivka déduit des observations de l'expert que les travaux à réaliser sont définis et qu'en raison de l'urgence et du péril pour les biens et les personnes, une condamnation sous astreinte des consorts [C] à réaliser les travaux préconisés doit être prononcée.

Cependant, pour surseoir à statuer sur cette demande et ordonner une nouvelle mesure d'expertise, à la charge de la SCI Rivka, le tribunal a retenu, à juste titre, que :

-l'expert judiciaire a évoqué, dans son rapport, une difficulté, tenant à la nécessité de stabiliser le versant instable du fonds [C], au risque d'un glissement de terrain possible, alors que l'ordonnance l'ayant désigné ne comportait pas un tel chef de mission;

-le point mis en évidence par l'expert n'a donc pas pu être débattu contradictoirement entre les parties;

-les travaux à réaliser n'ont pas été définis avec précision.

Dès lors, la confirmation du jugement de ces chefs s'impose.

2-L'article 544 du code civil énonce que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

Selon l'article 545 de ce code, nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.

L'article 1241 du code civil indique que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.

Enfin, l'article 1242 du même code dispose qu'on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.

2-1: La SCI Rivka poursuit la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement, en faveur des consorts [C], de dommages-intérêts à hauteur de 4000 euros, en réparation de l'empiètement sur leurs fonds du mur de soutènement qu'elle a construit.

Les consorts [C] ont relevé appel incident de ce chef, sollicitant que les dommages-intérêts qui leur ont été alloués soient portés à la somme de 50000 euros, prétendant à une indemnisation qui les dédommagerait non seulement de l'empiètement et de la mauvaise foi de la société Rivka, mais également du « risque futur d'ores et déjà évoqué par l'expert judiciaire compte tenu de l'absence de drain sur ce mur empiétant, qui risque d'entraîner, dans le futur de nouveaux dégâts ».

En l'espèce, il n'est pas contestable que le mur de soutènement construit par la SCI Rivka sur son fonds empiète sur le fonds des consorts [C].

Le rapport d'expertise judiciaire le démontre, qui constate, en pages 17 et 22, que l'empiètement est d'une superficie de 2m², qu'il est considéré comme « dérisoire » au regard de la surface des parcelles en cause, et précise qu'une erreur a été commise dans le positionnement du nouveau mur, sans doute due au fait que la propriété de l'assise du mur n'aurait pas été préalablement vérifiée.

L'expert déconseille de procéder à la destruction de cette superficie de 2m², au risque de fragiliser le mur de soutènement.

Enfin, il n'est pas contestable non plus que l'empiètement se situe dans une zone pentue, peu accessible.

Il est allégué que l'ancien mur empiétait déjà sur le fonds voisin sans que les consorts [C] ne s'en soient émus mais cela n'a aucune incidence sur leur droit à dénoncer l'empiètement actuel.

Dès lors, en indemnisant les consorts [C] à hauteur de la somme de 4000 euros, le tribunal a entièrement réparé le préjudice qu'ils ont subi du fait de cet empiétement, sans qu'il y ait lieu à plus ample indemnisation de ce chef, la cour relevant, par ailleurs, que le « risque futur », évoqué par les intimés, présente un caractère éventuel, non avéré, de sorte qu'il n'est pas indemnisable sur le fondement des articles 1241 et 1242 du code civil.

2-2: Pour condamner la SCI Rivka à reprendre l'étanchéité de son mur citerne dans un délai de deux mois à compter du jugement et nonobstant appel, ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé ce délai, le tribunal a retenu que si le rapport d'expertise avait relevé une fuite minime, en revanche, le procès-verbal de constat d'huissier dressé le 12 mars 2020, à la requête des consorts [C], avait établi la présence importante d'eau.

Dans le dispositif de leurs conclusions, qui seul lie la cour en application de l'article 954 du code de procédure civile, la SCI Rivka ne sollicite pas l'infirmation du jugement de ce chef.

Dès lors, cette disposition du jugement sera confirmée, sans qu'il y ait lieu au prononcé d'une astreinte plus ample, la cour limitant en outre à trois mois la durée de l'astreinte.

Par ailleurs, les consorts [C] sollicitent que la SCI Rivka soit également condamnée à reprendre le mur citerne et le mur de soutènement mais il n'est pas démontré que ces ouvrages seraient instables, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande, de même que la demande de remise en état, ainsi formulée sans désignation des prestations revendiquées, qui au regard de son imprécision, ne peut donner lieu à condamnation.

2-3 :Sur le fondement des textes précités, Monsieur et Madame [C] ont demandé au tribunal de condamner la SCI Rivka à remettre leur terrain en état, en procédant au déblaiement de tous les débris et terres provenant de l'effondrement du mur de soutènement et à la remise en état de leur jardin.

Or, il est constant que l'effondrement, en 2014, du mur de soutènement du fonds Rivka a engendré, sur le fonds des consorts [C], la chute des débris du mur écroulé, ainsi qu'un éboulement des terres de remblais situées à proximité du mur.

Depuis lors, la SCI Rivka a fait procéder à la construction d'un nouveau mur de soutènement.

Il est également constant que les terres n'ont jamais été déblayées.

A l'occasion de la première mission d'expertise qui a été confiée à Monsieur [F] selon ordonnance du 8 septembre 2014, cet expert avait établi que la cause déterminante de ce glissement situé en zone G3 était à hauteur de 30% la pluie exceptionnelle (catastrophe naturelle) et à concurrence de 70% un défaut de conformité du mur de soutènement (pas de drainage, pas d'assise du mur), ce mur présentant « des défauts très importants en matière de conformité » de sorte que « sa structure n'en fait pas un mur de soutènement (pas de drainage, pas d'ancrage, pas d'assise pour la semelle, peu de ferraillage..) ».

Lors de sa seconde mission d'expertise, il a été constaté que les terres éboulées sur le fonds des consorts [C] n'avaient pas été déblayées.

Un devis a été établi par l'entreprise Olyte pour leur évacuation, d'un montant de 54960 euros TTC.

Un deuxième devis a été établi par l'entreprise Paysages en Jardins pour une remise en état du jardin d'un montant de 48000 euros.

Néanmoins, bien que ce devis ne soit pas produit aux débats, il ressort de l'arrêt rendu par cette cour le 25 octobre 2018 que la compagnie d'assurances Matmut a été condamnée à payer à la SCI Rivka le montant de ce devis, « correspondant à la remise en état du jardin paysagé de la maison d'habitation, suite aux dommages causes par la catastrophe naturelle », ce dont il se déduit que ce devis était afférent à la remise en état du jardin de la SCI Rivka, et non à la remise en état du jardin des consorts [C].

Par ailleurs, l'expert judiciaire a relevé que le retrait des masses sous le mur devait être effectué en « fonction de la présence du mur au-dessus » et que « tout retrait de matière devra être réalisé avec précaution ».

Dans son premier rapport, l'expert a aussi précisé que la réalisation de l'ensemble de ces ouvrages, parmi lesquels l'évacuation des terres de la SCI Rivka sur le fonds des consorts [C], requerra « nécessairement » le recours à un maître d'ouvrage ainsi qu'une auscultation des ouvrages avoisinants et existants.

Il s'évince de l'ensemble de ces éléments que :

-la SCI Rivka, est responsable, sur le fondement des textes précités, de l'effondrement du mur de soutènement, dont la non-conformité est acquise aux débats,

-cette société doit prendre à sa charge le déblaiement subséquent à cet effondrement, des débris du mur et des terres éboulées sur le fonds des consorts [C],

-cette société doit également prendre à sa charge la remise en état du fonds des consorts [C], à l'identique de son état antérieur, sur lequel, à ce jour, la cour ne dispose d'aucun élément,

-compte tenu des risques, le déblaiement ne peut être effectué sans le concours d'un maître d'ouvrage, et sans auscultation préalable des ouvrages avoisinants et existants,

-en l'état, il n'est pas établi que cette consultation ait eu lieu ni que le concours d'un maître de l'ouvrage ait été requis.

Dès lors, compte tenu de la nécessité de recourir préalablement à l'homme de l'art avant tout déblaiement et de procéder à une auscultation, également préalable, des ouvrages environnants, la cour ne peut prononcer aucune condamnation de la SCI Rivka à procéder à de tels travaux, a fortiori sous astreinte.

Cependant, et par infirmation du jugement entrepris, la cour condamnera la SCI Rivka à prendre à sa charge, dans la limite du devis de l'entreprise Olyte d'un montant de 54960 euros TTC, et sur justification des factures acquittées par les consorts [C], le montant du déblaiement de leur fonds, à charge, pour ces derniers, de s'adjoindre le concours d'un maître d'ouvrage et de procéder à une auscultation préalable des ouvrages avoisinants et existants, avec paiement provisionnel de la somme de 20000 euros.

Il n'y a pas lieu à plus ample condamnation de remise en état, aucun élément n'étant produit sur l'état du fonds des consorts [C], antérieurement à l'effondrement du mur, pas plus qu'il n'est précisé en quoi consisterait exactement cette remise en état.

La persistance depuis l'année 2014, sur le fonds des consorts [C], des débris du mur écroulé et des terres éboulées leur est préjudiciable et justifie la condamnation de la SCI Rivka à leur payer la somme de 4000 euros de dommages-intérêts à titre de réparation intégrale de ce préjudice.

Vu les articles 696 à 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs,

La cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement rendu le 6 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Grasse sauf en ce qu'il a débouté les consorts [C] de leurs demandes liées au déblaiement de leur fonds et à leur demande de dommages-intérêts de ce chef.

Statuant à nouveau de ces chefs,

Condamne la SCI Rivka à prendre à sa charge, dans la limite du devis de l'entreprise Olyte d'un montant de 54960 euros TTC, et sur justification des factures acquittées par les consorts [C], le montant du déblaiement de leur fonds, à charge, pour ces derniers, de s'adjoindre le concours d'un maître d'ouvrage et de procéder à une auscultation préalable des ouvrages avoisinants et existants.

Condamne la SCI Rivka à payer aux consorts [C], à titre provisionnel, la somme de 20000 euros à ce titre.

Condamne la SCI Rivka à payer aux consorts [C], la somme de 4000 euros de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice lié à la persistance sur leur fonds des débris du mur écroulé et des terres éboulées.

Condamne la SCI Rivka à payer à Monsieur [P] [C] et à Madame [H] [C], ensemble, la somme de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Condamne la SCI Rivka aux entiers dépens d'appel, en ce compris l'ensemble des frais d'expertise judiciaire.

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-5
Numéro d'arrêt : 21/13696
Date de la décision : 15/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-15;21.13696 ?
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