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09/09/2022 | FRANCE | N°19/01671

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-6, 09 septembre 2022, 19/01671


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6



ARRÊT AU FOND

DU 09 SEPTEMBRE 2022



N°2022/ 271













Rôle N° RG 19/01671 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BDWNE







[U] [M]





C/



Société SELU CHRISTINE RIOUX

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE MARSEILLE

























Copie exécutoire délivrée

le : 09/09/2022

à :



M

e Céline FALCUCCI, avocat au barreau de TOULON



Me Isabelle PIQUET-MAURIN, avocat au barreau de TOULON



SELU CHRISTINE RIOUX





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON en date du 03 Décembre 2018 enregistré(e) au répertoire général ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT AU FOND

DU 09 SEPTEMBRE 2022

N°2022/ 271

Rôle N° RG 19/01671 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BDWNE

[U] [M]

C/

Société SELU CHRISTINE RIOUX

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE MARSEILLE

Copie exécutoire délivrée

le : 09/09/2022

à :

Me Céline FALCUCCI, avocat au barreau de TOULON

Me Isabelle PIQUET-MAURIN, avocat au barreau de TOULON

SELU CHRISTINE RIOUX

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON en date du 03 Décembre 2018 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 17/00977.

APPELANT

Monsieur [U] [M], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Céline FALCUCCI, avocat au barreau de TOULON

INTIMEES

SELU CHRISTINE RIOUX ès qualités de mandataire liquidateur de la SAS ULTIMATE ENERGIES, demeurant [Adresse 2]

Défaillante

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE MARSEILLE, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Isabelle PIQUET-MAURIN, avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 31 Mai 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Thierry CABALE, Conseiller, et M. Ange FIORITO, Conseiller, chargés du rapport.

Monsieur Thierry CABALE, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Philippe SILVAN, Président de chambre

Monsieur Thierry CABALE, Conseiller

M. Ange FIORITO, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Caroline POTTIER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Septembre 2022.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Septembre 2022.

Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le 15 décembre 2017, Monsieur [U] [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Toulon aux fins, notamment, de reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail à l'égard de la Sasu Ultimate Energies depuis le 3 juillet 2017 et de condamnation de celle-ci au paiement de diverses sommes au titre d'une prise d'acte datée du 14 décembre 2017 produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société Ultimate Energies a été placée en redressement judiciaire le 6 mars 2018 puis en liquidation judiciaire le 7 juin 2018.

Par jugement du 3 décembre 2018, le conseil de prud'hommes de Toulon a :

- jugé que les demandes de Monsieur [M] [U] étaient irrecevables pour absence de preuves;

- débouté Monsieur [M] [U] de toutes ses demandes;

- mis hors de cause le Cgea Ags de Marseille;

- condamné Monsieur [M] aux entiers dépens.

Le 28 janvier 2019, dans le délai légal, Monsieur [M] a relevé appel de ce jugement qui lui a été notifié le 31 décembre 2018.

Par dernières conclusions du 22 août 2021 auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, Monsieur [M] demande à la cour de :

le recevoir en son appel et le dire bien fondé,

débouter le mandataire et le Cgea de toutes leurs demandes fins et conclusions,

infirmer le jugement entrepris,

- constater l'existence d'un lien de subordination caractérisant le contrat de travail,

- juger qu'au moment de la prise d'acte la société était in bonis,

- juger que la prise d'acte a les effets d'un licenciement abusif aux torts de l'employeur du fait des manquements à ses obligations essentielles,

- condamner la Selu Christine Rioux mandataire judiciaire es qualité de liquidateur de la Sas Ultimate Energies qu'elle représente et garanti par le Cgea à lui régler les sommes suivantes assorties des intérêts de droit et les fixer au passif de la procédure collective :

7500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et vexatoire,

2500 euros pour non-respect de la procédure de licenciement,

7500 euros au titre du préavis (3 mois),

750 euros au titre des congés payés sur préavis,

10000 euros au titre des salaires du 03 juillet au 04 novembre '2018" ( en définitive '2017" en raison d'un erreur purement matérielle ),

1000 euros au titre des congés payés,

15000 euros à titre de dommages et intérêts forfaitaires pour travail dissimulé,

- condamner la Selu Christine Rioux mandataire judiciaire es qualité de liquidateur de la Sas Ultimate Energies qu'elle représente et garanti par le Cgea à produire sous astreinte de 50 euros par jour de retard pour chaque document 8 jours après notification de l'arrêt à intervenir :

les bulletins de salaire du 03 juillet au 04 novembre 2017,

l'attestation Pôle Emploi,

le certificat de travail,

- dire que le Cgea garantira les condamnations dans les limites légales,

- condamner la Selu Christine Rioux mandataire judiciaire es qualité de liquidateur de la Sas Ultimate Energies qu'elle représente et le Cgea au paiement de la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, outre 2500 euros pour les frais d'appel ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de Maître Céline Falcucci avocat sur sa due affirmation de droit.

Monsieur [M] fait valoir que :

- l'existence d'un contrat de travail à compter du 3 juillet 2017 en tant que directeur technique sous lien de subordination de la société Ultimate Energies moyennant un salaire mensuel brut de 2500 euros résulte des éléments qu'il produit, notamment, de mails et Sms dont ceux échangés avec le président de cette société et dans le cadre d'un partage d'agendas, qui mettent en évidence son intégration au sein d'une équipe et les directives qu'il recevait; d'attestations de collègues, partenaires et clients; du remboursement de frais figurant sur ses relevés bancaires; d'une carte de visite; d'une adresse mail rattachée au planning et en copie pour les rendez-vous de chantiers;

- son embauche a été réalisée quand il était en recherche d'emploi et en fin de droits à l'exclusion de toute relation commerciale dès lors que sa société était radiée depuis l'année 2011;

- la prise d'acte est justifiée compte tenu de la gravité des manquements de son employeur qui ne lui a payé aucun salaire ni aucun accessoire de salaire;

- son préjudice tant moral que financier doit être intégralement réparé en raison du caractère abusif et vexatoire de la rupture, et ce, en application de l'article 10 de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail, le 'barème Macron' devant être écarté;

- faute de toute procédure de licenciement, il doit percevoir une indemnité de ce chef en application de l'article L 1235-2 du code du travail;

- l'indemnité compensatrice de préavis doit correspondre à un préavis de trois mois en l'absence de toute condition d'ancienneté prévue par la convention collective nationale du commerce de gros applicable au regard au code Ape de la société;

- le salaire convenu entre les parties doit lui être payé au titre de la réalisation de son travail du 3 juillet 2017 au 4 novembre 2017;

- l'existence d'un travail dissimulé résulte du défaut de déclaration préalable à l'embauche.

Par dernières conclusions du 30 août 2019 auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, l'Unedic Délégation Ags Cgea de Marseille demande à la cour de :

en toute hypothèse :

dire et juger que les demandes d'astreinte et d'article 700 du code de procédure civile ne rentrent pas dans le cadre de la garantie de l'Ags;

à titre principal :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

- dire et juger que Monsieur [M] ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un lien de subordination juridique avec la société Ultimate Energies ;

en conséquence,

- débouter Monsieur [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- mettre hors de cause le Cgea de Marseille;

subsidiairement :

- débouter Monsieur [M] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse conformément au barème de l'article L 1235-3 du code du travail et d'indemnité pour irrégularité de procédure s'agissant d'une prise d'acte;

- réduire la somme allouée à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre congés payés y afférents;

- réduire la somme allouée à titre de rappel de salaire outre congés payés y afférents;

- débouter Monsieur [M] de sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé;

en tout état de cause :

en tout état de cause, fixer toutes créances en quittance ou deniers;

- dire et juger que l'Ags ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-6 à 8 (anciens articles L. 143.11.1 et suivants) du Code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-15 (ancien article L. 143.11.7) et L. 3253-17 (ancien article L. 143.11.8) du Code du travail;

- dire et juger que la garantie de l'Ags est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l'article D3253-5 du code du travail;

- dire et juger que l'obligation du Cgea de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement.

L'Unedic Délégation Ags Cgea de Marseille fait valoir que :

- les éléments produits par Monsieur [M] ne sont pas probants s'agissant notamment d'attestations non conformes et de mails qui à les supposer réels font état d'échanges de nature commerciale; des relations d'affaire ne sont pas à exclure dès lors qu'aucun lien de subordination n'est établi alors qu'il s'avère qu'il a dirigé une société; il existe des incohérences entre les agendas Google et des plannings qui de surcroît sont dépourvus d'élément d'authenticité; il ne peut être sérieusement prétendu par l'appelant que celui-ci a travaillé durant cinq mois sans rien revendiquer;

- les manquements allégués, alors que le salarié n'a réclamé aucune régularisation durant cinq mois, ne sont pas de nature à justifier une prise d'acte qui doit produire les effets d'une démission;

- le barème relatif aux entreprise employant mois de onze salariés doit s'appliquer en ce qu'il est conforme au droit supranational ce d'autant que l'appelant invoque une réparation intégrale qui ne saurait se confondre avec la notion de réparation adéquate prévue par la convention invoquée;

- la prise d'acte n'ouvre pas droit à l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement;

- l'ancienneté exclut toute indemnisation au titre d'un préavis qui ne peut être égal à trois mois faute de preuve du statut réclamé;

- le montant du salaire indiqué n'est pas plus démontré;

- l'intention de dissimuler de l'emploi n'est pas caractérisée.

La Selu Christine Rioux, ès qualité de mandataire liquidateur de la Sasu Ultimate Energies, a été assignée par acte d'huissier du 5 avril 2019 remis à une personne habilitée. L'arrêt sera donc réputé contradictoire.

La clôture de l'instruction est intervenue le 13 mai 2022.

MOTIFS:

Il est de principe que le contrat de travail est constitué par l'engagement d'une personne à travailler pour le compte et sous la direction d'une autre moyennant rémunération, le lien de subordination juridique ainsi exigé se caractérisant par le pouvoir qu'à l'employeur de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son salarié. Il en résulte que le lien de subordination juridique, critère essentiel du contrat de travail, est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail. L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait, dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs. C'est à celui qui se prévaut de l'existence d'un contrat de travail d'en rapporter la preuve. Toutefois, il résulte des articles 1353 du code civil et L 1221-1 du code du travail qu'en présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, l'examen des éléments d'appréciation ne fait pas ressortir une apparence de contrat de travail entre les intéressés.

Il est constant que l'activité de la société Ultimate Energies créée en janvier 2016, telle que celle-ci figure, notamment, sur le registre du commerce et des sociétés, est la vente de matériel utilisant ou produisant des énergies renouvelables notamment chauffe eau chauffage solaire photoviltaïque et accessoire domotique.

Si Monsieur [M] a été le gérant puis le liquidateur d'une Sarl Electricité Concept Services créée en 2004, aucun élément ne fait ressortir la poursuite de l'activité de cette société, depuis radiée, après sa dissolution le 30 septembre 2011, ce dont il résulte l'absence de présomption de non-salariat en application des dispositions de l'article L 8221-6 du code du travail.

Alors qu'il lui est opposé, en vain, une relation de nature exclusivement commerciale résultant de son ancienne qualité de gérant d'une société qui est sans activité depuis plusieurs années, Monsieur [M] justifie de l'existence de la relation de travail qu'il revendique sur la période concernée en produisant :

- de nombreux mails sur la période concernée, s'agissant notamment : *premièrement, de mails dont il est le destinataire direct à son adresse '[Courriel 3]', par lesquels le président de la société Ultimate Energies lui donne des directives, instructions et consignes : de ' faire avancer' un dossier avec un potentiel de '40k€ à aller chercher et des heures pour les Tech'; 'de faire un Brief' pour ' Quand Et Comment' réparer un 'gros problème d'étanchéité' ; de rencontrer un client de la société au sujet d'un souci technique; de prendre un rendez-vous avec un autre client pour un entretien de panneaux; de prendre un contact : ' Appelle le stp'; de refaire un devis; de se déplacer chez un client; de 'regarder' un dossier relatif à l'établissement d'un devis dans le cadre d'un calepinage de panneaux à partir du plan d'un client; d'intervenir pour des 'devis à faire'; d'étudier techniquement un projet; de s'entretenir avec lui sur un projet : ' On voit ça demain'; de prendre connaissance de plans de maisons ' pour pac air plus btd' en insistant sur l'intérêt de la mission pour la société : ' Il y a d'autres travaux de prévus si cela se passe bien...';

*deuxièmement, de mails reçus en copie, notamment lorsque, dès le 8 juillet 2017, il est présenté à l'équipe comme le ' Gardien du Temple pour la bonne marche du service technique';

*troisièmement, de la fixation de son agenda, dont les rendez-vous de chantier ou de consuel, auxquels se rapportent des documents techniques, par le président de la société via le partage de mails au moyen de l'outil ' Google Agenda' dont aucun élément ne laisse supposer le caractère défaillant ou frauduleux;

- d'attestations présentant des garanties suffisantes en tant que témoignages directs selon lesquels:

* en juin puis en juillet 2017, le président de la société Ultimate Energies l'a présenté à un partenaire commercial et à un salarié de cette société en tant que responsable technique ayant pour rôle, notamment, ' d'étudier la faisabilité des travaux, établir des bilans techniques ainsi que de superviser les chantiers en cours', étant ' présent et actif' au sein de la société jusqu'au mois d'octobre 2017, apportant ses compétences techniques sur les chantiers et participant aux réunions internes;

* il est intervenu pour la société Ultimate Energies chez des clients afin de réaliser des missions précises en lien direct avec l'activité de celle-ci, notamment pour établir le consuel;

- de virements effectués sur son compte bancaire personnel par la société Ultimate Energies : 516,64 euros le 3 août 2017 et 497,80 euros le 5 septembre 2017, toutes sommes correspondant selon son décompte précis et détaillé, essentiellement à des frais d'autoroute et de carburant.

Il s'évince de l'ensemble de ces éléments, notamment, que Monsieur [M] était soumis à des décisions unilatérales limitant fortement ses initiatives en matière d'horaires, d'organisation, de délais, de procédés ou d'outils de travail, devant rendre compte régulièrement de son activité accomplie dans l'intérêt de la société Ultimate Energies, recevant des instructions impératives susceptibles de sanctions, à l'exclusion d'échanges à égalité dans le cadre de relations commerciales.

Sur le rappel de salaire et de congés payés afférents:

Au vu des éléments d'appréciation, l'employeur ne justifie pas du paiement du salaire mensuel net dont la fixation à hauteur de 2500 euros n'est pas plus utilement contestée. Il y a donc lieu de fixer la créance salariale du salarié pour la période du 3 juillet 2017 au 4 novembre 2017, aux montants bruts correspondant à 10000 euros nets au titre du rappel de salaires et à 1000 euros nets de congés payés afférents.

Sur la rupture du contrat de travail:

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige, le juge étant tenu d'examiner les manquements invoqués devant lui par le salarié.

La lettre établie le 14 décembre 2017 par le salarié mentionne que celui-ci prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur en raison du non-paiement de ses salaires et de ses congés payés depuis le 3 juillet 2017.

Le non-paiement du salaire convenu en contrepartie du travail exécuté par le salarié durant toute la relation de travail, constitue un manquement suffisamment récent et grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail et caractérise une rupture imputable à l'employeur.

Il y aura donc lieu de dire que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l'indemnité pour licenciement abusif et vexatoire:

En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés par ce texte. Pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'article L. 1234-9. Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au même article.

Aux termes de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, l'article L. 1235-3 de ce code n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :
- la violation d'une liberté fondamentale;
- des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4;
- un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4;
- un licenciement consécutif à une action en justice en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits;
- un licenciement d'un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l'exercice de son mandat;
- un licenciement d'un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.

Les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans les situations ci-dessus énumérées, le barème ainsi institué n'est pas applicable, permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi. Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions précitées de l'article L. 1235-4 du code du travail.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.

Par ailleurs, dans la partie I de la Charte sociale européenne, « les Parties reconnaissent comme objectif d'une politique qu'elles poursuivront par tous les moyens utiles, sur les plans national et international, la réalisation de conditions propres à assurer l'exercice effectif des droits et principes » ensuite énumérés, parmi lesquels figure le droit des travailleurs à une protection en cas de licenciement.
Selon l'article 24 de cette même Charte, « en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître :
a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;
b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
A cette fin les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial. »
L'annexe de la Charte sociale européenne précise qu'il « est entendu que l'indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales. »

L'article 24 précité figure dans la partie II de la Charte sociale européenne qui indique que « les Parties s'engagent à se considérer comme liées, ainsi que prévu à la partie III, par les obligations résultant des articles et des paragraphes » qu'elle contient.
Dans la Partie III de la Charte, il est indiqué que « chacune des Parties s'engage :
a) à considérer la partie I de la présente Charte comme une déclaration déterminant les objectifs dont elle poursuivra par tous les moyens utiles la réalisation, conformément aux dispositions du paragraphe introductif de ladite partie ;
b) à se considérer comme liée par six au moins des neuf articles suivants de la partie II de la Charte : articles 1, 5, 6, 7, 12, 13, 16, 19 et 20 ;
c) à se considérer comme liée par un nombre supplémentaire d'articles ou de paragraphes numérotés de la partie II de la Charte, qu'elle choisira, pourvu que le nombre total des articles et des paragraphes numérotés qui la lient ne soit pas inférieur à seize articles ou à soixante-trois paragraphes numérotés.»
Il résulte de la loi n° 99-174 du 10 mars 1999, autorisant l'approbation de la Charte sociale européenne, et du décret n° 2000-110 du 4 février 2000 que la France a choisi d'être liée par l'ensemble des articles de la Charte sociale européenne.
L'article I de la partie V de la Charte sociale européenne, consacrée à la « Mise en oeuvre des engagements souscrits » prévoit que « les dispositions pertinentes des articles 1 à 31 de la partie II de la présente Charte sont mises en oeuvre par :
a) la législation ou la réglementation ;
b) des conventions conclues entre employeurs ou organisations d'employeurs et organisations de travailleurs ;
c) une combinaison de ces deux méthodes ;
d) d'autres moyens appropriés. »
Enfin, l'annexe de la Charte sociale européenne mentionne à la Partie III : « Il est entendu que la Charte contient des engagements juridiques de caractère international dont l'application est soumise au seul contrôle visé par la partie IV » qui prévoit un système de rapports périodiques et de réclamations collectives.
Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.
Il résulte des dispositions précitées de la Charte sociale européenne que les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application selon les modalités rappelées aux paragraphes 13 et 17 du présent arrêt et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique rappelé au paragraphe 18.

Les dispositions de la Charte sociale européenne n'étant donc pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l'invocation de son article 24 ne peut pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail.

Au vu des éléments fournis, le licenciement n'est pas intervenu dans des circonstances vexatoires. Le salarié ne peut donc prétendre à des dommages-intérêts de ce chef. En revanche, compte tenu de l'ancienneté de M.[M] et de sa rémunération, le préjudice qu'il a subi au titre du caractère abusif de la rupture de son contrat de travail sera indemnisé en lui allouant la somme de 3000 € à titre de dommages-intérêts.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents:

Le salarié revendique un préavis de trois mois en application de la convention collective nationale de commerces de gros du 23 juin 1970 en affirmant, sans offre de preuve, devoir bénéficier du statut de cadre. Il ne justifie pas d'un statut et/ou d'une ancienneté lui permettant de bénéficier d'une indemnité compensatrice de préavis au titre de dispositions légales ou conventionnelles. Il sera donc débouté de sa demande formée au titre d'une telle indemnité et des congés payés afférents.

Sur l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement:

Le salarié qui prend acte de la rupture de son contrat de travail ne peut prétendre à l'indemnisation pour non-respect de la procédure de licenciement. Cette demande indemnitaire sera donc en voie de rejet.

Sur le travail dissimulé: Le choix de la société Ultimate Energies de ne pas régulariser la situation du salarié contrairement à l'annonce de son président, notamment par mails du mois de juillet 2017, permet de lui imputer une volonté manifeste de dissimuler le travail accompli pendant plusieurs mois par l' intéressé et de contourner les obligations qu'a tout employeur envers son salarié et la défaillance dans l'accomplissement des diverses formalités relatives à l'embauche dans le mépris total des dispositions de l'article L. 8221-5 du code du travail.

Au vu des éléments d'appréciation et dans les limites de la demande, il y a lieu de fixer à 15000 euros nets la créance du salarié au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L 8223-1 du code du travail.

Sur la garantie de l'Ags:

Il convient de dire que la garantie de l'Ags doit s'appliquer en l'espèce pour les créances allouées supra dans les limites légales et réglementaires.

Sur la remise de documents:

Vu les développements qui précèdent, il y a lieu de condamner le mandataire liquidateur ès qualité à remettre au salarié les bulletins de paie du 3 juillet 2017 au 4 novembre 2017, le certificat de travail et l'attestation Pôle Emploi conformes à l'arrêt.

Les circonstances de la cause ne rendent pas nécessaire le prononcé d'une astreinte.

Sur les frais irrépétibles:

En équité, il sera alloué au salarié, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, la somme de 2000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. De même que pour les créances mentionnées supra, cette somme ne peut faire l'objet que d'une fixation au passif de la liquidation judiciaire.

Sur les dépens:

Les entiers dépens de première instance et d'appel seront pris en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

PAR CES MOTIFS:

La Cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, en matière prud'homale et par mise à disposition au greffe:

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que Monsieur [U] [M] prouve l'existence du contrat de travail qu'il invoque à l'égard de la Sas Ultimate Energies à compter du 3 juillet 2017.

Dit justifiée la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de la Sas Ultimate Energies par lettre de Monsieur [U] [M] du 14 décembre 2017.

Dit que cette prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Fixe les créances de Monsieur [U] [M] au passif de la liquidation judiciaire de la Sas Ultimate Energies, représentée par la Selu Christine Rioux, son mandataire liquidateur, comme suit:

- le montant brut correspondant à 10000 euros nets au titre de rappel de salaires,

- le montant brut correspondant à 1000 euros nets de congés payés afférents,

- 15000 euros nets au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

Dit que la garantie de l'Ags doit s'appliquer pour ces créances dans les limites légales et réglementaires.

Condamne la Selu Christine Rioux, en qualité de mandataire liquidateur de la Sas Ultimate Energies, à remettre à Monsieur [U] [M] les bulletins de paie du 3 juillet 2017 au 4 novembre 2017, le certificat de travail et l'attestation Pôle Emploi conformes à l'arrêt.

Fixe, en outre, au passif de la liquidation judiciaire de la Sas Ultimate Energies représentée par la Selu Christine Rioux, son mandataire liquidateur, la somme de 2000 euros allouée à Monsieur [U] [M] en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties pour le surplus.

Dit que les entiers dépens de première instance et d'appel seront pris en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-6
Numéro d'arrêt : 19/01671
Date de la décision : 09/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-09;19.01671 ?
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