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22/07/2022 | FRANCE | N°21/11268

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8, 22 juillet 2022, 21/11268


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8



ARRÊT AU FOND

DU 22 JUILLET 2022



N°2022/.





Rôle N° RG 21/11268 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BH32Z







ETAT FRANCAIS



C/



[Y] [V]





Copie exécutoire délivrée

le :

à :





- Me Sylvie LANTELME



- Me Julie ANDREU















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instanc

e de Toulon en date du 25 Juin 2019,enregistré au répertoire général sous le n° 18/01823.





APPELANTE



L'Agent judiciaire de l'Etat Français, demeurant [Adresse 2]



représenté par Me Sylvie LANTELME de la SCP IMAVOCATS, avocat au barreau de TOULON





INTIME



Monsieur [Y] ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8

ARRÊT AU FOND

DU 22 JUILLET 2022

N°2022/.

Rôle N° RG 21/11268 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BH32Z

ETAT FRANCAIS

C/

[Y] [V]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Sylvie LANTELME

- Me Julie ANDREU

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de Toulon en date du 25 Juin 2019,enregistré au répertoire général sous le n° 18/01823.

APPELANTE

L'Agent judiciaire de l'Etat Français, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Sylvie LANTELME de la SCP IMAVOCATS, avocat au barreau de TOULON

INTIME

Monsieur [Y] [V], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Julie ANDREU de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Mai 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Madame Estelle DE REVEL, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Séverine HOUSSARD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Juillet 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Juillet 2022

Signé par Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre et Madame Isabelle LAURAIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [Y] [V], ayant été employé en qualité d'agent spécialisé, puis de conducteur mécanicien de véhicules routiers et blindés à la DCM (Direction du commissariat de la marine) de [Localité 5] du 1er janvier 1967 au 03 juillet 2006, date de son admission à la retraite, a déclaré le 25 juin 2015 au Ministère de la défense être atteint d'un adénocarcinome gastrique, en sollicitant la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie.

Le certificat médical initial joint, en date du 15 avril 2015, fait mention d'une exposition professionnelle à l'amiante.

Après avis négatif en date du 23 février 2016 du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 4], le Ministère de la Défense a refusé le 21 mars 2016 de reconnaître le caractère professionnel à la maladie déclarée.

M. [V] a alors saisi le 05 avril 2016 le tribunal des affaires de sécurité sociale de sa contestation de cette décision.

Il a ensuite effectué le 07 novembre 2016 auprès du Ministère de la défense, une seconde déclaration de maladie professionnelle, portant toujours sur un adénocarcinome gastrique, en joignant un certificat médical en date du 20 octobre 2016, qui précise que le diagnostic remonte au mois de janvier 2015 et mentionne une exposition professionnelle multiple aux huiles, graisses et amiante.

Après avis négatif en date du 10 avril 2017 du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 4], le Ministère de la Défense a refusé le 16 mai 2017 de reconnaître le caractère professionnel à la maladie déclarée.

M. [V] a également saisi le 30 mai 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale de sa contestation de cette décision.

Par jugement en date du 12 mars 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Var, après avoir joint les deux recours, a invité la sous direction des Pensions des Armées à saisir le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Lyon aux fins de dire s'il existe un lien de causalité direct et essentiel entre l'adénocarcinome gastrique déclaré par M. [Y] [V] et une exposition professionnelle multi-factorielle régulière à de nombreux agents oncogènes.

Après avis négatif en date du 22 novembre 2018 de ce comité, par jugement en date du 25 juin 2019, le tribunal de grande instance de Toulon, pôle social, a:

* déclaré recevable et bien fondé les recours de M. [Y] [V] à l'encontre des décisions de rejet prises par le Ministère de la Défense notifiées le 21 mars 2016 et le 16 mai 2017,

* 'considéré' que la pathologie en date du 15 avril 2015, adénocarcinome gastrique, déclarée le 15 avril 2015, puis le 7 novembre 2016, est essentiellement et directement causée par son activité professionnelle,

* renvoyé M. [Y] [V] devant le service des Pensions des Armées du Ministère de la Défense pour voir liquider ses droits,

* laissé les dépens à la charge de l'agent judiciaire de l'Etat.

L'Agent judiciaire de l'Etat a régulièrement interjeté appel de ce jugement dans des conditions de délai et de forme non discutées.

Par arrêt en date du 15 janvier 2021, la cour d'appel a prononcé la radiation de l'affaire, qui a été remise au rôle le 13 juillet 2021, sur demande de l'Agent judiciaire de l'Etat à laquelle étaient jointes ses conclusions.

En l'état de ses conclusions réceptionnées par le greffe le 07 juillet 2021, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, l'Agent judiciaire de l'Etat sollicite l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de:

* débouter M. [V] de sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle,

* condamner M. [V] au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

En l'état de ses conclusions visées par le greffier le 18 mai 2022, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, M. [V] sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la cour de condamner la partie succombante à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Il résulte des dispositions de l'article L.461-1 alinéa 4 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable, que la caisse reconnaît l'origine professionnelle de la maladie, après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, lorsque la maladie caractérisée n'est pas désignée dans un tableau des maladies professionnelles, s'il est établi:

* qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime,

* et qu'elle entraîne son décès ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L.434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé (25 %).

L'appelant expose que la maladie dont souffre M. [V] n'est pas listée sur un tableau des maladies professionnelles. Il soutient que la reconnaissance du lien essentiel et direct relève de l'expertise du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et que les trois comités régionaux ayant eu à se prononcer ont rendu des avis négatifs motivés.

Tout en reconnaissant que les juges du fond apprécient souverainement la portée de l'avis rendu par un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, il soutient qu'en retenant que "M. [Y] [V] justifie également de plusieurs attestations de son médecin traitant et de proches qui tendent à exclure qu'il n'a jamais été exposé au risque majeur du tabac mais aussi de l'alcool impliqué dans les cancers des voies digestives", et en concluant que "dès lors M. [Y] [V] qui apporte suffisamment de preuves d'une part pour démontrer une exposition sans protection au moins pendant plus de vingt ans, à des risques multiples et notamment à la poussière d'amiante et d'autre part, qu'il n'est pas sujet aux autres facteurs personnels principaux, justifie ainsi d'un lien direct et essentiel entre sa pathologie et son activité professionnelle", les premiers juges ont dénaturé les faits puisque le certificat de déclaration de maladie professionnelle n°30B en relation avec les fibres d'amiante en date du 7 juillet 2008 établi par le Dr [O] rappelle au titre des principaux antécédents médicaux du requérant que celui-ci a fumé un paquet de cigarettes par jour de 17 à 39 ans, attestant d'un tabagisme ancien modéré, qu'il souffre d'hypertension artérielle, d'un diabète non insulino-dépendant dit diabète de type 2 et est en sur poids, alors que les premiers juges ont conclu que le requérant apporte la preuve qu'il n'est pas "sujet aux autres facteurs personnels principaux, et justifie ainsi d'un lien direct et essentiel entre sa pathologie et son activité professionnelle".

Il souligne que l'avis du premier comité régional est relatif à la première déclaration de maladie professionnelle, pour une exposition à l'amiante, laquelle n'est pas un facteur déterminant du cancer de l'estomac et que les avis des deux autres comités ne retiennent pas de lien avec les autres facteurs potentiels tels que les graisses et huiles dérivées du pétrole auxquelles le requérant a été exposé pendant son activité professionnelle, alors qu'il existe d'autres facteurs, non professionnels, à savoir les facteurs d'origine personnelle, tels que le tabagisme du requérant, ou environnementale, cités par le tribunal. Enfin, il relève que la deuxième condition de la reconnaissance résidant dans le décès ou le taux d'incapacité partielle permanente supérieur à 25% n'a pas été appréciée par le tribunal.

M. [V] réplique que la cour n'est pas liée par l'avis négatif du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 3], rendu sur un dossier incomplet, en l'absence de l'avis du médecin du travail alors que l'article D.461-29 du code de la sécurité sociale, fixe au nombre des éléments que doit contenir le dossier que la caisse doit transmettre au comité, l'avis motivé du médecin du travail de la ou des entreprises où la victime a été employée portant, notamment, sur la maladie et la réalité de l'exposition à celle-ci à un risque professionnel présent dans cette ou ces entreprises.

Il soutient qu'il existe, contrairement à ce qui est affirmé par les deux comités, des études scientifiques qui rapportent le lien direct et essentiel entre différents risques CMR auxquels il a été exposé durant son activité professionnelle au sein de l'Arsenal de [Localité 5] et le cancer de l'estomac qu'il a contracté et qu'il a habituellement travaillé au contact de nombreux agents cancérigènes.

Etant mécanicien/chauffeur, il est intervenu pendant près de quarante ans sur des poids lourds et des camions citernes pour réaliser des opérations d'entretien, vidange, freins, embrayages, suspension et a été amené à être au contact de plusieurs produits toxiques comme l'amiante contenue dans les freins ferodo et également aux émanations de benzène, de trichloréthylène ainsi qu'aux huiles minérales dérivées de pétrole. Il souligne que son exposition à l'amiante longue et habituelle est attestée et couvre une période de trente six années.

Il ajoute que le service des pensions des armées a pris en charge les plaques pleurales qu'il a déclarées le 18 juillet 2008 et que le ministère a reconnu la faute inexcusable de la DCM de Toulon à l'origine de celles-ci, dont il est atteint depuis 2008, au stade de la procédure de conciliation. Il relève que le Ministère de la défense a également reconnu sa multi-exposition professionnelle aux huiles minérales dérivées du pétrole et au benzène et que deux collègues de travail attestent également avoir été en contact de vapeurs de trichloréthylène.

Il soutient que le lien entre l'exposition aux huiles minérales et le cancer gastrique est fait par de nombreuses publications scientifiques et que le lien entre l'exposition à l'amiante et ce même cancer résulte des données du centre international de recherche sur le cancer.

Il ajoute que la condition d'un lien direct et essentiel impose qu'une relation de causalité, au besoin fruit de présomptions graves, précises et concordantes, soit établie entre la pathologie et l'exposition et qu'en présence d'une multi-exposition à des facteurs carcinogènes jouant un effet démultiplicateur du risque et en l'absence d'autres agents confondants permettant d'expliquer l'apparition du cancer, la démonstration du caractère essentiel est rapportée.

Il conteste avoir eu une intoxication tabagique, reconnaissant uniquement la consommation de quelques cigarettes dans sa jeunesse, et relève que le médecin de prévention des armées n'a pas mentionné sur la fiche de suivi une quelconque addiction au tabac. Il souligne que si 80% des cas de cancer de l'estomac sont imputés à la bactérie hélicobacter pylori, il rapporte la preuve par la biopsie pratiquée le 09 janvier 1985 qu'il ne présente pas cette infection.

La maladie déclarée (adénocarcinome gastrique) par M. [V] n'est pas inscrite sur un tableau de maladies professionnelles.

Il est exact que l'article L.461-1 alinéa 4 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable pose pour la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie hors tableau la condition de la réunion de deux conditions, à savoir non seulement la preuve de l'existence d'un lien direct et essentiel avec le travail habituel de la victime, mais aussi, hors cas du décès, celui d'un taux d'incapacité permanente partielle évalué au moins égal à 25% engendré par la dite maladie.

L'appelant ne justifie pas des éléments réunis dans le cadre de l'instruction de la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie adénocarcinome gastrique dont est atteint l'intimé.

La cour constate que les avis des trois comités régionaux saisis mentionnent tous un taux prévisible d'incapacité permanente au moins égal à 25%.

Il s'ensuit d'une part que le premier comité qui a été saisi par l'organisme social, avant même la saisine de la juridiction de première instance, l'a été alors que son service médical a nécessairement évalué ce taux supérieur à 25% et d'autre part que les éléments du dossier médical transmis par l'organisme social à ces trois comités comportaient tous l'avis positif du service médical à cet égard.

Le litige opposant les parties est en réalité circonscrit à l'existence d'un lien direct et essentiel entre l'adénocarcinome gastrique médicalement constaté et le travail habituel de l'intimé. Les juges du fond ne sont pas, à la différence de l'organisme social, liés par les avis des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, et il leur incombe d'apprécier souverainement la portée probatoire des éléments soumis à leur appréciation.

Les déclarations successives de maladie professionnelle ont en l'espèce la particularité d'être liées au caractère multiple des expositions professionnelles à des produits toxiques auxquelles M. [V] a été soumis.

Son exposition professionnelle est établie par les certificats d'exposition:

* en date du 03 septembre 2008, aux poussières d'amiante sur la période du 30 décembre 1965 au 31 décembre 2001,

* en date du 04 mars 2016, aux huiles minérales dérivées de pétrole, sur la période du 1er février 1968 au 30 juin 1986,

* en date du 04 mars 2016, au benzène, également sur la période du 1er février 1968 au 30 juin 1986.

M. [V] justifie en outre de la prise en charge au titre du tableau 30 (relatif aux affections professionnelles consécutives à l'inhalation des poussières d'amiante), de la maladie plaques pleurales déclarée le 18 juillet 2008, pour laquelle il lui a été reconnu le 17 avril 2009 un taux d'incapacité permanente partielle de 5%, et que le Ministre de la défense a répondu favorablement, le 26 mars 2009, à sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable dans celle-ci.

Le premier avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ([Localité 4]), en date du 23 février 2016, sollicité par l'organisme social, au regard du certificat médical initial en date du 15 avril 2015, mentionnant une exposition professionnelle à l'amiante, qui n'a pas retenu de lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et la profession exercée, mentionne que:

*l' exposition à l'amiante est reconnue par les services administratifs, il y a eu prise en charge d'une MP30 pour plaques pleurales le 18 juillet 2008,

*l'adénocarcinome gastrique d'emblée métastatique a été diagnostiqué en janvier 2015 'après biopsie digestive et Tep-TDm du 04.02.15",

* "l'amiante fait partie de facteurs de risques possibles mais non connus avec certitude des cancers de l'estomac",

* le "niveau de preuve scientifique est actuellement insuffisant pour établir un lien direct entre l'amiante et le cancer du cardia",

* "d'autres facteurs de risques mieux identifiés sont à rechercher".

Le second avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ([Localité 4]), en date du 10 avril 2017, sollicité par l'organisme social, au regard du certificat médical initial en date du 20 octobre 2016, mentionnant une multi-exposition professionnelle aux huiles et graisses et l'amiante, qui n'a pas davantage retenu de lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et la profession exercée, mentionne que:

* les huiles et graisses usagées peuvent donner des dermites irritatives et des cancers de la peau,

* la médecine du travail cite l'exposition au benzène et aux huiles dérivées du pétrole,

* "toutefois le risque entre ces substances et le cancer de l'estomac n'est pas documenté par la littérature scientifique actuelle".

Le troisième avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ([Localité 3]), en date du 22 novembre 2018, également négatif, après avoir repris les postes de travail occupés retient que "l'exposition aux agents chimiques ne peut pas expliquer la genèse de la maladie. L'exposition à l'amiante a été courte et n'est pas un facteur de cancer de l'estomac dans l'état actuel des connaissances scientifiques selon les données du centre international de recherche sur le cancer, agence de l'organisation mondiale de la santé".

M. [V] ne tire aucune conséquence procédurale particulière de l'absence qu'il relève dans le dossier transmis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 3] de l'avis du médecin du travail.

Il est exact que l'attestation professionnelle de l'exposition à l'amiante en date du 03 septembre 2008, contredit l'appréciation péremptoire de ce comité quant à sa courte durée puisqu'elle porte sur une période de plus de 25 ans, et il est par ailleurs établi que M. [V] a été exposé aux huiles minérales dérivées de pétrole ainsi qu'au benzène pendant 18 ans.

Si les attestations d'exposition à ces deux dernières catégories de produits toxiques mentionnent le port de masque, de combinaison et de gants de protection, elles sont contredites à cet égard par les attestations de collègues de travail (de messieurs [R] et [K], sur la période de 1981 à 1986, de M. [M] sur la période 1986 à 2001).

Par ailleurs, la cour relève que les deux premiers avis des comités retiennent que le port de masque de protection n'a été rendu obligatoire qu'en janvier 1986.

Enfin, la reconnaissance de sa faute inexcusable par le Ministère de la défense dans la maladie professionnelle (plaques pleurales) de M. [V] corrobore l'absence d'équipements de protection individuelle ou collective pour le préserver du risque lié à l'inhalation de poussières d'amiante.

Il s'ensuit que l'exposition sur une longue période de M. [V] dans le cadre de son activité professionnelle à des produits toxiques est prouvée. Pour autant, elle est insuffisante à établir que sa maladie est directement causée par celle-ci et les avis des trois comités sont concordants en ce qu'ils écartent l'existence d'un lien direct et essentiel entre le cancer de l'estomac et l'exposition professionnelle à l'amiante, au benzène ou aux huiles et graisses.

Il est exact qu'aucun de ces comités n'a réellement examiné l'incidence de l'exposition multi-factorielle à ces produits toxiques sur la maladie déclarée.

La cour constate en outre que ces avis ne se réfèrent précisément à aucune étude scientifique portant sur les conséquences éventuelles de telles expositions, les 'données du centre international de recherche sur le cancer, agence de l'organisation mondiale de la santé' dont le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 3] fait état n'étant pas datées et il ne précise pas si elles ont donné lieu à publication.

Les premiers juges ont retenu que la genèse d'un cancer de l'estomac résulte de multiples facteurs personnels, professionnels et environnementaux et que le centre international de recherche sur le cancer qui regroupe les études en la matière ne cite pas les substances chimiques évoquées pour les cancers de l'estomac, retenant un lien suffisant avec le caoutchouc non concerné en l'espèce, et un lien probable mais insuffisant avec l'amiante mais que cet agent peut intervenir en association avec d'autres facteurs, sans toutefois préciser lesquels.

Les notes bibliographiques versées aux débats par M. [V], établies par le Pr [L] en février 2010 "cancer de l'estomac et exposition à l'amiante" et "cancer de l'estomac et exposition aux huiles essentielles" sont antérieures aux avis des comités. Elles révèlent tout au plus, comme retenu par l'avis du comité en date du 23 février 2016, une association entre l'augmentation des cancers de l'estomac et l'exposition à l'amiante et surtout une plus grande mortalité des cancers de l'estomac pour des travailleurs exposés à l'amiante.

S'agissant du lien entre l'exposition aux huiles minérales et le cancer de l'estomac, ces notes bibliographiques évoquent des suspicions du caractère cancérogène de ces produits, et certaines études font ressortir un taux de mortalité plus élevé chez les travailleurs exposés aux brouillards d'huiles de coupe.

Ces notes bibliographiques et extraits de publication en langue anglaise, non traduits, n'établissent pas qu'une exposition multi factorielle aux produits toxiques est un facteur reconnu du cancer de l'estomac par la littérature scientifique.

Or pour être reconnue comme maladie professionnelle il faut que soit prouvé le lien direct du cancer de l'estomac dont souffre M. [V] avec l'exposition professionnelle.

La circonstance que M. [V] ait été fumeur avant l'âge de 39 ans, alors que le tabac est un facteur reconnu du cancer de l'estomac, est présentement inopérante à faire obstacle à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée, dés lors que la preuve du lien direct entre la maladie et l'activité professionnelle n'est pas préalablement rapportée.

De même, la circonstance que la biopsie de janvier 2015 a conclu à l'absence d'hélicobacter pylori, alors que l'étude publiée le 11 janvier 2018 par l'institut national du cancer fait ressortir que dans 80% des cas les cancers de l'estomac sont dus à cette bactérie, est insuffisante à prouver le lien direct entre l'activité professionnelle et cette maladie.

Aucune donnée scientifique, aucun élément soumis à l'appréciation de la cour ne permet de retenir de lien direct entre la maladie déclarée et l'exposition professionnelle démontrée aux produits toxiques, que ce soit avec l'un d'eux spécifiquement ou par suite de leurs effets conjugués.

Les facteurs personnels au malade ne peuvent être pris en considération qu'une fois le lien direct démontré pour apprécier le caractère essentiel de celui-ci dans la maladie et permettre ensuite de retenir ou non l'existence du lien direct et essentiel entre l'exposition professionnelle et la maladie.

Le caractère professionnel de l'adénocarcinome gastrique dont souffre M. [V] ne peut dès lors être reconnu et il doit, par infirmation du jugement entrepris, être débouté de l'intégralité de ses demandes.

L'équité ne commande pas qu'il soit fait application au bénéfice de l'Agent judiciaire de l'Etat des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [V] qui succombe en ses prétentions doit être condamné aux dépens et ne peut utilement solliciter l'application à son bénéfice des dispositions précitées.

PAR CES MOTIFS,

- Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

- Déboute M. [Y] [V] de sa demande de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie adénocarcinome gastrique et de ses demandes subséquentes,

- Dit n'y avoir lieu à application au bénéfice de l'Agent judiciaire de l'Etat des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne M. [Y] [V] aux dépens.

Le GreffierLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8
Numéro d'arrêt : 21/11268
Date de la décision : 22/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-22;21.11268 ?
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