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22/07/2022 | FRANCE | N°21/03622

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8, 22 juillet 2022, 21/03622


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8



ARRÊT AU FOND

DU 22 JUILLET 2022



N°2022/.



Rôle N° RG 21/03622 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHCWX





[X] [L] veuve [Y]



[Z] [Y]

[F] [Y]

[T] [Y]



C/



CPAM BOUCHES-DU-RHONE



FIVA SERVICE CONTENTIEUX



S.A.S. [5]





Copie exécutoire délivrée

le :

à :





- Me Eric BAGNOLI



- CPAM BOUCHES-DU-RHONE



- Me Alain TU

ILLIER



- Me Ahmed-Cherif HAMDI





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 26 Novembre 2019,enregistré au répertoire général sous le n° 17/03384.





APPELANTS



Madame [X] [L] veuve [Y], demeurant [Adres...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8

ARRÊT AU FOND

DU 22 JUILLET 2022

N°2022/.

Rôle N° RG 21/03622 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHCWX

[X] [L] veuve [Y]

[Z] [Y]

[F] [Y]

[T] [Y]

C/

CPAM BOUCHES-DU-RHONE

FIVA SERVICE CONTENTIEUX

S.A.S. [5]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Eric BAGNOLI

- CPAM BOUCHES-DU-RHONE

- Me Alain TUILLIER

- Me Ahmed-Cherif HAMDI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 26 Novembre 2019,enregistré au répertoire général sous le n° 17/03384.

APPELANTS

Madame [X] [L] veuve [Y], demeurant [Adresse 3]

Mademoiselle [Z] [Y], demeurant [Adresse 3]

Mademoiselle [F] [Y], demeurant [Adresse 3]

Monsieur [T] [Y], demeurant [Adresse 3]

Tous représentés par Me Eric BAGNOLI de la SCP TERTIAN-BAGNOLI-LANGLOIS-MARTINEZ, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEES

CPAM BOUCHES-DU-RHONE, demeurant [Adresse 4]

représenté par Mme [I] [N], Inspectrice juridique, en vertu d'un pouvoir spécial

FIVA SERVICE CONTENTIEUX, demeurant [Adresse 12]

représenté par Me Alain TUILLIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Jean-Baptiste LE MORVAN, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

S.A.S. [5], demeurant [Adresse 9]

représentée par Me Ahmed-Cherif HAMDI de la SELAS FAURE - HAMDI GOMEZ & ASSOCIES, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 18 Mai 2022 en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Madame Estelle DE REVEL, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Mme Séverine HOUSSARD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Juillet 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Juillet 2022

Signé par Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre et Madame Isabelle LAURAIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

[V] [Y], né le 26 avril 1964, a été employé de la société [5], en qualité d'électricien du 29 juin 1987 au 9 juin 2015, et est décédé le 09 juin 2015 des suites d'un cancer broncho-pulmonaire primitif diagnostiqué le 06 février 2015.

Il avait déclaré le 12 mai 2015 à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône être atteint d'un adénocarcinome bronchique, maladie que la caisse a décidé, le 27 août 2015, de prendre en charge au titre du tableau 30bis des maladies professionnelles. La caisse a ensuite reconnu le 12 octobre 2015, le lien entre cette maladie et le décès de [V] [Y].

Mme [X] [L] veuve [Y], et ses enfants Mmes [F] et [Z] [Y] et M. [T] [Y] ont sollicité une indemnisation du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante qui leur a soumis une offre qu'ils ont contestée.

Par arrêt en date du 29 juin 2016, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé l'offre du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante portant sur les indemnisations des préjudices personnels de [V] [Y] ainsi détaillées:

* 92 000 euros au titre des souffrances morales,

* 29 700 euros au titre des souffrances physiques,

* 29 700 euros au titre du préjudice d'agrément,

* 1 000 euros au titre du préjudice esthétique,

et a fixé à 40 000 euros l'indemnisation du préjudice moral de Mme [X] [Y].

Par arrêt en date du 05 juillet 2017, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a ensuite condamné le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante à verser aux consorts [Y] la somme de 14 688 euros au titre de l'assistance tierce personne et à Mme [Y] la somme de 2 955.57 euros au titre des frais funéraires, puis par arrêt en date du 22 juin 2018, a débouté Mme [Y] de sa demande au titre du préjudice économique au titre de l'année 2015 et dit que l'évaluation du préjudice futur de Mme [Y] devra être effectué sur la base de la production chaque année par ses soins de sa déclaration de revenus.

Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a en outre adressé:

* aux ayants droit de [V] [Y] une offre d'indemnisation d'un montant de 6 537.85 euros au titre du préjudice d'incapacité fonctionnelle qu'ils ont acceptée,

* une offre d'indemnisation des préjudices moraux de 25 000 euros pour chacun de ses trois enfants qui l'ont acceptée le 18 décembre 2015 et 12 000 euros pour chacun de ses parents qui a également été acceptée.

Mme [X] [L] veuve [Y], et ses enfants [F], [Z] et [T] [Y] ont saisi le 19 avril 2017 le tribunal des affaires de sécurité sociale d'une action aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [5].

Par jugement en date 26 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Marseille, pôle social, a:

* déclaré recevable mais mal fondé le recours formé par les consorts [Y],

* débouté les consorts [Y] de leur demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [5] et de toutes autres demandes de ce chef,

* débouté le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante de l'ensemble de ses demandes,

* dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné les consorts [Y] aux entiers dépens.

Mme [X] [L] veuve [Y], et ses enfants [F], [Z] et [T] [Y] ont régulièrement interjeté appel de ce jugement dans des conditions de délai et de forme non discutées.

Par arrêt en date du 08 janvier 2021, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a prononcé la radiation de l'affaire, laquelle a été réinscrite au rôle sur demande des consorts [Y] déposée le 05 mars 2021.

En l'état de leurs conclusions visées par le greffier le 18 mai 2022, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, Mme [X] [L] veuve [Y] et ses enfants [F], [Z] [Y] et [T] [Y] sollicitent la réformation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demandent la cour de:

* dire que la maladie dont était atteint [V] [Y] reconnue au titre de la législation professionnelle et dont il est décédé est la conséquence de la faute inexcusable commise par son employeur, la société [5],

* allouer à Mme [X] [Y] la majoration à son taux maximum de la rente d'ayant droit,

* allouer à Mmes [Z] et [F] [Y] la majoration à son taux maximum de la rente d'ayants droit perçue sur la période courant du 1er juillet 2015 au 20 mai 2016,

* allouer aux consorts [Y] le bénéfice de l'allocation forfaitaire prévue à l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale dont à déduire la somme de 6 537.85 euros correspondant au préjudice d'incapacité fonctionnelle versée par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante,

* dire que ces sommes seront avancées par la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône,

* condamner la société [5] au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions visées par le greffier le 18 mai 2022, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante sollicite la réformation du jugement entrepris et demande à la cour de:

* juger recevable la demande des consorts [Y] dans le seul but de faire reconnaître la faute inexcusable de l'employeur,

* juger recevable sa demande en qualité de subrogé dans les droits des ayants droit de [V] [Y],

* juger que la maladie professionnelle dont était atteint [V] [Y] est la conséquence de la faute inexcusable de la société [5],

* fixer à son maximum l'indemnité forfaitaire visée à l'article L.452-3 alinéa 1er du code de la sécurité sociale,

* juger que cette indemnité sera versée par la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône à la succession de [V] [Y], déduction faite de la somme de 6 537.85 euros qui lui sera versée,

* fixer à son maximum la majoration des rentes servies aux ayants droit de la victime,

* juger que ces majorations leur seront directement versées par la caisse primaire d'assurance maladie,

* fixer l'indemnisation des préjudices personnels de [V] [Y] à la somme totale de 152 400 euros se décomposant comme suit:

- 92 000 euros au titre des souffrances morales,

- 29 700 euros au titre des souffrances physiques,

- 1 000 euros au titre du préjudice esthétique,

- 29 700 euros au titre du préjudice d'agrément,

* fixer l'indemnisation des préjudices moraux de ses ayants droit comme suit:

- 40 000 euros à Mme [X] [Y] (veuve),

- 25 000 euros à chacun de ses enfants: [Z], [F] et [T] [Y],

- 12 00 euros à chacun de ses parents ([A] et [S] [Y])

* juger que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône devra lui verser ces sommes, soit au total 291 400 euros,

* condamner la société [5] à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamner la partie succombante aux dépens.

Par conclusions remises par voie électronique le 19 avril 2022, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la société [5] sollicite la réformation du jugement entrepris en ce qu'il a jugé recevables, non prescrites, les actions des consorts [Y] et du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante et demande à la cour de:

* juger les actions des consorts [Y] et du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante et leurs demandes irrecevables,

* débouter les consorts [Y] et le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante de l'ensemble de leurs demandes.

A titre subsidiaire, elle sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.

A titre infiniment subsidiaire, elle demande à la cour de:

* juger que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante n'a pas qualité pour solliciter la fixation de l'indemnité forfaitaire et les majorations des rentes des ayants droit à leur maximum,

* rejeter la demande formée au titre du préjudice d'agrément,

* ramener les indemnisations sollicitées au titre des autres postes à de plus justes proportions, * débouter les consorts [Y] et le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ainsi que toute autre partie au litige de leurs demandes à son encontre,

* condamner tout succombant à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par conclusions visées par le greffier le 18 mai 2022, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône indique s'en rapporter sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Dans l'hypothèse où celle-ci serait reconnue, elle lui demande de:

* prendre acte qu'elle s'en rapporte sur la majoration des rentes d'ayants droit, quant à l'octroi de l'indemnité forfaitaire ainsi que de l'appréciation du montant des préjudices personnels de [V] [Y] et des préjudices moraux des ayants droit,

* dire qu'elle pourra exercer son action récursoire à l'encontre de la société [5].

MOTIFS

* Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable:

Il résulte de la combinaison des articles L.461-1 alinéa 1et L.431-2 2° du code de la sécurité sociale que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable se prescrit par deux ans à compter de la date à laquelle la victime a été informée du rapport possible entre sa maladie et son activité professionnelle, ce qui s'entend de la remise à la victime d'un certificat médical mentionnant ce lien possible.

Par application de l'article L.431-2 dernier alinéa du code de la sécurité sociale, la prescription biennale de l'action du salarié aux fins de condamnation de l'employeur pour faute inexcusable est interrompue par l'action pénale engagée pour les mêmes faits ou par l'action en reconnaissance du caractère professionnel.

Il s'ensuit que dans ce second cas le délai de cette prescription recommence à courir à compter de la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.

La société employeur relève que les conclusions des consorts [Y] font état de ce que le diagnostic du cancer broncho-pulmonaire a été posé pour la première fois le 06 février 2015. Elle en tire la conséquence que la date à laquelle le salarié a été informé du lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle est celle du 6 février 2015, 'voire 12 février 2015", date du certificat médical initial, qui est le point de départ de la prescription biennale et non celle à laquelle l'organisme social a reconnu le caractère professionnel de la maladie.

Elle soutient en outre que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante n'a pas qualité pour solliciter la fixation de l'indemnité forfaitaire à son maximum comme les majorations de rente servies aux ayants droit de la victime.

Les consorts [Y] répliquent que le délai de prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable a commencé à courir à compter de la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie par la caisse primaire d'assurance maladie, soit à compter du 27 août 2015.

En l'espèce, si le certificat médical initial en date du 12 février 2015 informe [V] [Y] du lien possible entre sa maladie adénocarcinome bronchique et son activité professionnelle pour mentionner qu'il a été exposé dans ce cadre à l'amiante, pour autant la prescription biennale, qui avait commencé à courir le 06 février 2015, a été interrompue par la demande de reconnaissance du caractère professionnel de cette maladie en date du 12 mai 2015 et a recommencé à courir à compter du 27 août 2015, date de la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de prise en charge au titre du tableau 30 bis.

L'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ayant été engagée le 19 avril 2017 par les ayants droit du salarié, l'a été alors que la prescription biennale n'était pas acquise.

Il s'ensuit que les consorts [Y], comme le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante sont recevables en leur action aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur dans la maladie professionnelle et le décès de [V] [Y].

Le jugement entrepris ayant déclaré par erreur le recours recevable tout en omettant de statuer sur la fin de non recevoir tirée de la prescription, par réformation de ce chef, la cour rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription, et dit les consorts [Y] ainsi que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante recevables en leurs actions en reconnaissance de la faute inexcusable.

L'indemnité forfaitaire comme la majoration de la rente de conjoint survivant étant la conséquence directe de la reconnaissance de la faute inexcusable des employeurs, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ne peut être subrogé dans les droits des ayants droit de la victime à leur égard. Il est par conséquent exact que le Fonds n'a pas qualité pour demander à la cour de statuer sur la majoration de la rente du conjoint survivant et des enfants, comme sur l'allocation forfaitaire (étant observé que l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale dispose uniquement que dans le cas de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, il est alloué à la victime atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100% une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation, sans faire mention d'une majoration de cette allocation forfaitaire).

S'il est exact que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante n'a pas qualité pour solliciter la fixation à son maximum de la rente ainsi que de l'indemnité forfaitaire, pour autant la cour est régulièrement saisie par les titulaires de ces droits de demandes y afférentes.

La cour étant toujours saisie par les conclusions du Fonds de chefs de demandes portant à la fois sur les majorations de rente et sur l'allocation forfaitaire, il doit donc être déclaré irrecevable en ces chefs de demande.

* Sur la faute inexcusable:

Dans le cadre de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur destinée, notamment, à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, les dispositions des articles L.4121-1 et suivants du code du travail applicables depuis le 1er mai 2008 lui font obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. L'employeur a, en particulier, l'obligation d'éviter les risques et d'évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités.

Antérieurement au 1er mai 2008, l'employeur avait obligation d'évaluer les risques pour la sécurité et la santé des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail, puis à la suite de cette évaluation, de mettre en oeuvre des actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production qui doivent garantir un meilleur niveau de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs et être intégrées dans l'ensemble des activités et à tous les niveaux de l'encadrement.

Le manquement à cette obligation de sécurité a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Pour débouter les consorts [Y] et le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante de leur demande en reconnaissance de la faute inexcusable de la société employeur, les premiers juges ont retenu que les consorts [Y] versent aux débats des attestations dont le caractère généraliste ne permet pas de mettre en exergue la faute inexcusable de l'employeur, qu'elles ne permettent pas d'établir qu'il y a eu continuité de l'éventuelle exposition du salarié au risque lié à l'amiante sur une période minimale de 10 ans, qu'ils ne rapportent pas la preuve de la durée d'exposition au risque, et ne démontrent pas que la société [5] avait ou aurait dû avoir conscience du risque auquel était exposé son salarié.

Les consorts [Y] exposent que leur auteur a effectué la totalité de sa carrière professionnelle au sein de la Société [5] en qualité d'électricien, soit du 29 juin 1987 au 09 juin 2015, et soutiennent que l'employeur connaissait parfaitement l'existence d'un danger lié à l'inhalation des poussières d'amiante auxquelles les salariés étaient exposés durant les travaux qui leur étaient confiés même si [V] [Y] n'utilisait pas directement des produits à base d'amiante, l'inhalation de poussières d'amiante étant tout aussi dangereuse quel que soit le mode de contact, et qu'il n'a bénéficié d'aucune mesure de protection respiratoire quelconque en dépit d'une réglementation imposant que les ouvriers bénéficient d'une ventilation aspirante énergique, efficace et d'un air des ateliers renouvelé de façon à rester dans l'état de propreté nécessaire à leur santé.

Tout en rappelant l'historique de la réglementation et les dates de création des tableaux de maladies professionnelles en lien avec l'exposition à l'inhalation aux poussières d'amiante, ils soulignent que le décret du 17 août 1977 qui a instauré un dispositif de contrôle de l'atmosphère et de protection des salariés, antérieur à la période d'emploi, s'applique également aux travaux occasionnels et de courte durée. Ils relèvent que l'inhalation de poussières d'amiante est tout aussi dangereuse quel que soit le mode de contact et soutiennent que l'employeur n'a pas fait preuve de la vigilance nécessaire, aucun équipement de protection individuelle n'ayant été mis à la disposition de leur auteur, notamment de protection respiratoire TMP3, et que les collègues de travail attestent de l'exposition à leurs côtés de M. [Y] à l'inhalation de poussières d'amiante à l'occasion des travaux effectués dans les années 1980, 1990 et 2000.

Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante indique soutenir les arguments développés par les ayants droit de [V] [Y] estimant que son exposition à l'inhalation de poussières d'amiante est incontestable, de même que l'absence de protection mise en oeuvre par l'employeur comme le démontrent les pièces produites aux débats.

Les conclusions de la société employeur sont empreintes d'ambiguïté en ce qu'il est soutenu à la fois l'absence de démonstration de la réunion des conditions du tableau 30 bis, ce qui peut être analysé comme caractérisant une contestation du caractère professionnel de la maladie et que la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie est insuffisante, les demandeurs devant établir la réalité de l'exposition habituelle à l'amiante pendant le travail.

La société allègue avoir mis en place dès 1998 un mode opératoire amiante, alors que l'intervention sur ou à proximité d'un matériau non dégradé contenant de l'amiante non friable n'implique pas nécessairement une exposition à ce produit et soutient que les témoignages produits ne sont pas corroborés par des éléments objectifs permettant d'établir que [V] [Y] a été exposé à l'amiante dans les conditions requises par le tableau 30 bis. Elle fait état de notes de service, de manuels d'informations et de la mise à disposition de ses salariés d'équipements de protection individuelle faisant obstacle à ce que sa faute inexcusable puisse être retenue, ayant pris toutes les mesures disponibles pour le préserver son salarié des dangers auxquels il était exposé.

Elle souligne que le salarié était fumeur ce qui représente un facteur à risque dans les cancers broncho-pulmonaires.

- Sur le caractère professionnel de la maladie:

Dans le cadre de sa défense à l'action en reconnaissance de sa faute inexcusable dans la maladie professionnelle de son salarié, l'employeur peut opposer sa contestation du caractère professionnel de celle-ci.

Il résulte des dispositions de l'article L.461-1 alinéa 2 du code de la sécurité sociale que toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau, est présumée d'origine professionnelle.

L'article L.461-2 dernier alinéa du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable, stipule qu'à partir de la date à laquelle un travailleur a cessé d'être exposé à l'action des agents nocifs inscrits aux tableaux susmentionnés, la caisse primaire et la caisse régionale ne prennent en charge, en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 461-1, les maladies correspondant à ces travaux que si la première constatation médicale intervient pendant le délai fixé à chaque tableau.

La première constatation médicale de la maladie concerne toute manifestation de nature à révéler son existence, même si son identification n'intervient que postérieurement au délai de prise en charge.

Le tableau 30bis relatif au 'cancer broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante' désigne une seule maladie, le cancer broncho-pulmonaire primitif, pour laquelle il fixe à 40 ans le délai de prise en charge, sous réserve d'une durée d'exposition de 10 ans et liste limitativement les travaux susceptibles de provoquer cette maladie, pour être:

* les travaux directement associés à la production des matériaux contenant de l'amiante,

* les travaux nécessitant l'utilisation d'amiante en vrac,

* les travaux d'isolation utilisant des matériaux contenant de l'amiante,

* les travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d'amiante,

* les travaux de construction et de réparation navale,

* les travaux d'usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l'amiante,

* la fabrication de matériels de friction contenant de l'amiante,

* les travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante.

La cour n'est pas saisie d'une contestation portant sur la caractérisation médicale de la maladie déclarée laquelle est la maladie inscrite au tableau 30 bis. Le compte rendu d'hospitalisation du 15 mai 2015 mentionne en effet un adénocarcinome pulmonaire poly-métastatique (cerveau et os) étant souligné que la biopsie réalisée le 06 février 2015 sur prélèvement en date du 03 février 2015, conclut à un 'adénocarcinome peu différencié'.

Le colloque médico-administratif retient que la date de la première constatation médicale de la maladie est celle du 06 février 2015, soit de la biopsie bronchique et que la maladie déclarée est un cancer bronco-pulmonaire primitif.

Concernant la condition relative au délai de prise en charge, et plus précisément à la durée d'exposition de 10 ans, cette condition doit s'apprécier au regard de l'ensemble de l'activité professionnelle du salarié, et elle est présentement remplie.

La synthèse de l'enquête administrative de la caisse versée aux débats par les consorts [Y], conclut que les conditions administratives d'exposition au risque sont remplies, que [V] [Y] a occupé à compter du 29 juin 1987 un emploi d'électricien puis de chef d'équipe sur de nombreux chantiers en France, dont notamment des gares, hôpitaux et divers bâtiments plus ou moins anciens dont certaines parties étaient amiantées, ce qui l'obligeait à percer dedans ou déplacer le flocage pour passer ses câblages, que si à partir de 1995 la réglementation imposait le désamiantage et le droit de retrait en cas de risque, le contact a pu encore se faire dans des structures anciennes ou d'accès difficile et que si l'employeur émet des réserves n'étant pas sur place à chaque chantier, il ne peut nier l'existence et le contact avec des milieux amiantés.

Sur son questionnaire le salarié a précisé avoir travaillé sur les chantiers suivants gare SNCF (dont Montparnasse, de l'Est, du Nord) et dans les hôpitaux suivants ([6], [11], [10], [1], [8], [2], [13]).

La société employeur qui ne conteste pas cette affectation sur ces chantiers, ne verse aux débats aucun élément de nature à établir les dispositions prises lors de leur obtention pour vérifier la présence d'amiante, alors que le type de travaux confié à [V] [Y], sur des bâtiments anciens, était de nature à l'exposer à l'inhalation de poussières d'amiante.

Elle ne contredit pas davantage la teneur des attestations de messieurs [B], [J] et [O], anciens collègues de travail du salarié, faisant état de déposes de câbles et chemins de dalles dans les parkings avec flocages et coffres coupe feu, tirage de câbles des faux plafonds remplis de poussières et de la proximité de travail avec des chantiers de démolition (de murs) dans ces mêmes lieux attribués à d'autres entreprises et précisant que les périodes de ses chantiers se situent fin 80/années 90 (attestations [J] et [B] ), fin 2000 (attestation [O]), M. [B] faisant précisément état dans sa seconde attestation très précise et circonstanciée du 18 mars 2020 du chantier de la gare [7] en 1989, du chantier de la gare [14] et d'une période de travail commune avec [V] [Y] de 1989 à 2008, et ne justifie pas plus des chantiers auxquels elle l'a affecté comme de leurs dates.

La présence d'amiante sur les sites d'emploi de [V] [Y] est ainsi établie et l'activité de la société, qui est une importante entreprise d'électricité bénéficiant de marchés nationaux, comporte des travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante, soit des travaux visés par la liste indicative du tableau 30 bis.

Il s'ensuit que la présomption d'imputabilité au travail de la maladie contractée par [V] [Y] est effectivement applicable et qu'il incombe à son employeur de la renverser en rapportant la preuve que cette pathologie a une origine totalement étrangère au travail ou l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte en dehors de toute relation avec le travail, preuve qui n'est présentement pas rapportée, la seule allégation que le salarié était fumeur étant à cet égard inopérante.

- Sur l'existence de la faute inexcusable de l'employeur:

. sur l'exposition au risque d'inhalation des poussières d'amiante:

Concernant l'exposition à l'amiante, il suffit pour qu'une faute inexcusable soit reconnue, que l'exposition du salarié au risque ait été habituelle, peu important le fait qu'il n'ait pas participé directement à l'emploi ou à la manipulation de ce produit.

L'exposition à l'inhalation de poussières d'amiante n'est pas contestable au regard de la nature des tâches confiées au salarié et de la nature des divers chantiers auxquels son employeur l'a affecté et il résulte des attestations précitées que l'exposition à l'inhalation de poussières d'amiante de [V] [Y] a été habituelle.

. sur la conscience du risque:

L'amiante, qui est du silicate de calcium et de magnésium, utilisé en raison de ses qualités de résistance à la chaleur notamment, est constituée de filaments présentant des particules volatiles, dont les effets toxiques sur la santé humaine, en raison du caractère particulièrement volatile de ses fibres, a été mis en évidence à la fois par les publications scientifiques fort nombreuses à partir des années 1930.

La société [5] ne pouvait pas ignorer le lien existant entre ces particules toxiques et les maladies professionnelles résultant dès 1945 de la création d'un tableau de maladie professionnelle spécifique aux pathologies consécutives à l'inhalation de poussières d'amiantes, soit antérieurement à la période d'emploi du salarié, et les mesures alléguées pour prévenir ce risque établissent qu'elle avait conscience de l'existence du danger lié aux opérations de maintenance ou de travaux de réhabilitation des réseaux électriques dans des bâtiments anciens.

. sur les mesures prises pour prévenir le risque:

Il lui incombait d'évaluer le risque induit par les travaux que devaient réaliser ses salariés et de prendre des dispositions pour le prévenir.

La cour ne peut que constater que la société employeur ne soumet à son appréciation aucun élément de nature à établir d'une part qu'elle a évalué ce risque et d'autre part qu'elle a réellement pris des dispositions pour en préserver ses salariés.

Elle est défaillante à rapporter la preuve qui lui incombe d'une part des vérifications devant être effectuées sur la présence d'amiante dans les chantiers auxquels elle a affecté [V] [Y] et d'autre part à justifier de la mise à disposition d'équipement de protection individuelle, destinés à prévenir l'exposition à ce risque. Elle ne verse aux débats aucun élément de nature à contredire les attestations d'anciens collègues de travail du salarié faisant état de l'absence de fourniture de gants, masques, de combinaison étanche.

Les notes de services dont elle se prévaut ne concernent pas la prévention du risque amiante (ses pièces 1 à 6 et 8 à 12) et sa note 'amiante' en date du 30 janvier 1998, qui établit par ailleurs sa conscience de l'existence de ce risque ainsi que sa connaissance de son obligation d'analyser les risques auxquels sont exposés ses salariés sur les chantiers sur lesquels elle les affecte (cf le chapitre intitulé plan d'intervention) est insuffisante à établir d'une part qu'elle a fait dispenser à [V] [Y] une formation spécifique, et d'autre part et surtout qu'elle a mis à sa disposition, en les renouvelant, des équipements de protection individuelle adaptés à la prévention du risque d'inhalation de ces poussières toxiques, alors que les collègues de [V] [Y] attestent du contraire.

Enfin, son document intitulé 'manuel d'information, organisation, qualité environnement' daté de 2013 est inopérant à établir la mise en place de dispositifs de prévention, étant observé qu'elle ne justifie d'aucun document unique d'évaluation des risques comme d'aucun plan particulier de sécurité et de protection de la santé pour les chantiers auxquels elle a affecté [V] [Y].

Par infirmation du jugement entrepris, la cour juge que la maladie professionnelle et le décès de [V] [Y] sont dus à la faute inexcusable de la société [5].

* Sur les conséquences de la faute inexcusable:

Lorsque l'accident du travail ou la maladie professionnelle est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a droit, en application des dispositions des articles L.452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de rente, à une indemnisation complémentaire du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurée, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, et depuis la décision du conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, à une réparation de son préjudice au-delà des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale.

Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100%, il lui est alloué une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

- concernant les demandes des consorts [Y] (majoration de la rente de conjoint survivant ainsi que de celle des enfants [F] et [Z] et indemnité forfaitaire):

La caisse primaire d'assurance maladie a attribué le 9 décembre 2015 à [V] [Y] (soit postérieurement à son décès) mais à compter du 13 février 2015 un taux d'incapacité permanente de 100%.

Il y a donc lieu de faire droit à la demande d'indemnité forfaitaire dont la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône est tenue de faire l'avance.

Devra cependant être déduite de cette indemnité, la somme de 6 537.85 euros versée par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante au titre de l'incapacité fonctionnelle.

En cas de maladie professionnelle suivie du décès, le montant de la majoration de la rente est fixé sans que le total des rentes et majorations servies à l'ensemble des ayants droit puisse dépasser le montant du salaire annuel et les ayants droit de la victime, peuvent, depuis la décision n°2010-8 du Conseil constitutionnel demander en application de l'article L.452-3 du même code à l'employeur réparation de leur préjudice moral.

Il résulte des articles L.434-8 et L.434-10 du code de la sécurité sociale qu'ont droit à une rente viagère égale à une fraction du salaire annuel de la victime le conjoint et les enfants, mais pour ces derniers jusqu'à une limite d'âge, que l'article R.434-15 du code de la sécurité sociale fixe à 20 ans.

Il doit être fait droit aux demandes de majoration à leur taux maximum, de la rente de conjoint survivant versée à Mme [X] [Y] ainsi qu'à celles versées à [F] et [Z] [Y] jusqu'au 20 juin 2016, soit jusqu'à leurs vingt ans.

La caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône qui est tenue d'en faire l'avance, pourra en recouvrer le montant immédiatement et directement à l'encontre de la société [5].

- concernant les demandes du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante:

L'article 53 VI de la loi n°2000-1257 en date du 23 décembre 2000 dispose que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur (victime ou ses ayants droit) contre la personne responsable de dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge des dites personnes.

La reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur à l'occasion de l'action à laquelle le Fonds est partie ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime ou à ses ayants droit en application de la législation de sécurité sociale.

L'indemnisation à la charge du Fonds est alors révisée en conséquence.

Il résulte de l'article 36 du décret n°2001-963 en date du 23 octobre 2001 que dès l'acceptation de l'offre par le demandeur, le Fonds exerce l'action récursoire prévue au VI de l'article 53 de la loi précitée, et qu'il en va de même lorsque l'offre est présentée en cas d'indemnisation complémentaire prévue au 2ème alinéa du IV du même article 53.

Il s'ensuit que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante bénéficie d'une subrogation légale, distincte de la subrogation de droit commun, puisque l'acceptation de l'offre par la victime (ou ses ayants droit) interdit à cette dernière toute action juridictionnelle future en réparation du même préjudice, les droits attachés à la créance étant transférés au Fonds.

Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante expose que la caisse n'a pas fixé le taux d'incapacité du vivant de [V] [Y] mais qu'il résulte des documents médicaux que son état était consolidé avant son décès et que son incapacité permanente était totale, ce qui justifie le versement de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, mais qu'il y a lieu de tenir compte de ce qu'il a versé une somme globale de 6 537.85 euros au titre du préjudice fonctionnel, pour laquelle il est subrogé, qui doit venir en déduction de l'indemnité forfaitaire.

Il soutient que la réparation forfaitaire améliorée en cas de la faute inexcusable, organisé par le livre IV du code de la sécurité sociale n'est pas en l'état actuel du droit compatible avec la nomenclature Dintilhac qui trouve sa cohérence dans un contexte d'application de droit commun ce qui exclut la notion de forfait, et qu'il ne peut être considéré que les souffrances physiques et morales de l'article L.452-3 sont déjà réparées par la rente ce qui aboutirait à des ruptures d'égalité liées aux salariés des victimes, à contre-courant de la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 qui vise le principe d'égalité.

Il expose que [V] [Y] est décédé des suites d'un cancer broncho-pulmonaire non opérable le 09 juin 2015 à l'âge de 50 ans et souligne que les souffrances physiques engendrées sont importantes et liées en particulier aux divers traitements ainsi qu'à la perte de capacité respiratoire irrémédiable et irréversible et que la souffrance morale s'est développée dès l'apparition des premiers symptômes, puis l'annonce du diagnostic.

Il soutient qu'il convient de distinguer les souffrances résultant de la maladie elle-même qui indemnisées par la rente de celles résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination à l'amiante qui constituent un préjudice moral d'anxiété spécifique distinct à la fois des souffrances endurées avant consolidation et de celles prises en compte dans le déficit fonctionnel permanent. Il souligne que l'indemnisation d'un préjudice moral d'anxiété indemnisable chez les salariés exposés à l'amiante n'ayant subi aucun dommage corporel a été consacré par l'assemblée plénière de la Cour de cassation dans son arrêt du 04 avril 2019 et qu'il serait paradoxal et injuste de refuser aux salariés malades l'indemnisation d'un préjudice dont l'existence est admise chez les salariés non malades.

S'agissant du préjudice esthétique, il souligne que [V] [Y] devait porter un appareil d'oxygénothérapie et passer la totalité de ses journées alité.

S'agissant du préjudice d'agrément, il soutient qu'une appréciation trop restrictive serait génératrice d'injustices en privilégiant les personnes favorisées par leur environnement et/ou leurs finances et que l'indemnisation doit se faire en tenant compte des possibilités physiques et matérielles de chaque individu. Il souligne que [V] [Y] ne pouvait plus se livrer à ses activités favorites, en particulier avec ses enfants.

Concernant le préjudice moral des ayants droit il expose avoir tenu compte de l'importance des liens familiaux, que [V] [Y] était marié depuis 19 ans et que le préjudice moral de son épouse n'est pas sérieusement contestable. Il ajoute que les trois enfants vivaient au foyer et que le préjudice moral des parents de [V] [Y] n'est pas non plus sérieusement contestable.

Enfin, il souligne que l'indemnisation des différents préjudices subis par la victime et ses ayants droit, a été fixée par la cour d'appel, et correspond, par définition, à une juste évaluation des préjudices subis, sauf pour l'employeur à apporter, dans le cadre de la présente procédure, des éléments nouveaux et concrets qui permettraient d'en contester les montants.

La société [5] réplique, s'agissant du préjudice d'agrément, que le Fond dénature la notion de ce préjudice tel que définie par la jurisprudence qui nécessite de rapporter la preuve d'une activité sportive spécifique antérieure à la maladie et que ce chef de demande doit être rejeté.

Les consorts [Y] ayant accepté pour partie les offres d'indemnisation du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, et la cour ayant statué, dans le cadre de deux précédents arrêts, sur celles qui ne l'avaient pas été, le Fonds est effectivement subrogé dans les droits des consorts [Y]:

* pour un montant total de 152 400 euros au titre des préjudices personnels de [V] [Y],

* pour un montant total de 139 000 euros au titre des préjudices moraux de ses ayants droit (sa veuve, ses trois enfants et ses deux parents),

* pour un montant de 6 537.85 euros versé au titre du préjudice fonctionnel de la victime.

Il est exact que la caisse n'a pas fixé du vivant de [V] [Y] la date de consolidation, mais il résulte de sa décision en date du 09 décembre 2015 qu'elle a fixé son taux d'incapacité permanente à 100% à la date du 13 février 2015 ce qui emporte implicitement fixation de la date de consolidation au 12 février 2015. De plus le Fonds justifie du rapport médical d'évaluation du taux d'incapacité permanente partielle du médecin conseil de la caisse dont il résulte qu'il a fixé au 12 février 2015 la date de consolidation.

La demande du fonds portant sur la somme de 6 537.85 euros au titre du préjudice fonctionnel devant venir en déduction du montant de l'indemnité forfaitaire à laquelle la caisse primaire d'assurance maladie est tenue envers la succession est donc justifiée.

S'agissant des souffrances de la victime, il y a lieu effectivement de distinguer:

* celles qui sont liées à la fois aux manifestations de la maladie, aux examens pratiqués que ce soit pour le diagnostic ou en thérapie, qui sont antérieures à la date de consolidation et qui doivent être indemnisées spécifiquement, des souffrances liées aux lésions subsistant après la date de la consolidation, dont la réparation est prise en compte au titre de la rente,

* du préjudice d'anxiété, caractérisé par la conscience par la victime de la gravité de son état et la crainte d'une évolution négative avec le risque de développer des formes plus graves de cette maladie à plus ou moins brève échéance et la surveillance médicale à laquelle la victime est soumise, induisant des examens et traitements réguliers, ne peut que contribuer à activer sa perception du caractère inéluctable de son décès.

Concernant les souffrances endurées (avant consolidation) il est justifié que [V] [Y] a fait l'objet le 2 février 2015, une fibroscopie bronchique, dont le prélèvement a donné lieu à la biopsie bronchique précédemment examinée par la cour.

Après la date à laquelle son état a été considéré consolidé, pour être en réalité irréversible, il est établi qu'il a subi:

* le 18 février 2015, une endoscopie bronchique rigide,

* le 24 février 2015, une tomographie par émission de positions,

* le 26 février 2015, une radiographie du thorax de face, ainsi qu'une IRM cérébrale,

* le 27 février 2015, une intervention chirurgicale ou mise en place d'une chambre implantable par voie sous-clavière droite,

* une hospitalisation du 08 au 19 mars 2015,

* le 31 mars 2015, une radiographie du thorax de face ayant révélé un pneumo-thorax droit complet,

* une hospitalisation du 31 mars au 14 avril 2015 pour drainage et thoraco tallage sur pneumothorax,

* le 02 avril 2015, un scanner thoracique, mettant en évidence notamment un abondant épanchement pleural droit gazeux et liquidien, ainsi qu'une radiographie du thorax de face, révélant la persistance du pneumo-thorax droit malgré le positionnement du drain pleural, avec un léger élargissement du décollement pulmonaire droit,

* les 03, 04, 05, 06, 09 avril 2015, de nouvelles radiographies du thorax de face ne permettant pas de constater d'amélioration,

* un traitement par chimiothérapie au cours de la semaine du 13 avril 2015,

* le 21 avril 2015, une radiographie du thorax de face,

* une hospitalisation du 20 au 22 avril 2015, avec diagnostic de dyspnée d'effort et anémie,

* le 06 mai 2015 une radiographie thoracique,

* une hospitalisation avec prise en charge aux urgences du 06 au 16 mai 2015 liée à l'aggravation de son état de santé au cours de laquelle est d'une part réalisé l'ablation de port à cath, et d'autre part la pose d'un nouveau port à cath pour de futures séances de chimiothérapie le 13 mai 2015.

Eu égard à la nature du cancer, pour lequel le médecin conseil retient un taux d'incapacité permanente de 100% dés le 12 février 2015 soit six jours après le diagnostic, l'existence du préjudice d'anxiété lié à l'évolution de ce type de maladie n'est pas sérieusement contestable.

Ce préjudice moral d'anxiété n'est pas pris en considération par l'indemnisation forfaitaire résultant de la majoration de la rente, qui est fonction d'une part de l'attribution du taux d'invalidité permanente et d'autre part de son salaire, l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale stipulant le montant de la majoration de rente est fixée de telle sorte 'que la rente majorée allouée à la victime ne puisse excéder la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité'.

Le taux d'incapacité résulte en effet de l'application du barème indicatif d'invalidité des maladies professionnelles (annexe III) qui prend exclusivement en considération le type d'affection (en l'espèce respiratoire) et le seul tableau clinique.

Cette indemnité forfaitaire n'indemnise donc pas les souffrances psychiques après la date retenue de consolidation, liées à la poursuite de l'évolution de la maladie, alors qu'en l'espèce, le taux d'incapacité retenu de 100% comme la nature des soins poursuivis après cette date mettent en évidence le caractère irréversible de la maladie induisant nécessairement une conscience accrue, chez une personne âgée de 66 ans, d'une évolution négative à très bref délai.

Compte tenu de ces éléments, l'indemnisation fixée à 92 000 euros des souffrances morales et à 29 700 euros des souffrances physiques est justifiée.

L'indemnisation fixée à 1 000 euros du préjudice esthétique est également justifiée au regard de l'état physique très dégradé de [V] [Y].

S'agissant du préjudice d'agrément, il est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs et inclut la limitation de la pratique antérieure. Ce préjudice concerne la période postérieure à la date de consolidation et présentement jusqu'au décès.

Il résulte des éléments médiaux versés aux débats que l'état de santé était irrémédiablement compromis dés le diagnostic de sa maladie et que les soins poursuivis après la date de consolidation, la dégradation rapide de son état de santé avec pneumothorax, ont généré à la fois une grande anémie et une perte d'autonomie avec dyspnée, faisant obstacle à la pratique d'une quelconque activité de loisirs.

Il est cependant exact que les attestations de membres de sa famille comme de proches, ne permettent pas à la cour de considérer qu'avant sa maladie, [V] [Y] pratiquait régulièrement des activités sportives ou de loisirs auxquelles il n'a plus pu se livrer en raison de la perte de souffle.

Ce poste de préjudice ne peut donc être retenu.

S'agissant des indemnisations versées par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante aux ayants droit de [V] [Y], les indemnisations des préjudices moraux de son épouse de ses trois enfants et de ses deux parents ne sont pas contestées dans leur principe. Elles correspondent à une juste appréciation de ceux ci.

En conséquence, il doit être fait droit aux demandes du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante portant sur l'indemnisation des préjudices personnels de [V] [Y] pour un montant total de 122 700 euros et des préjudices moraux de ses ayants droit pour un montant total de 139 000 euros tels que détaillés au dispositif.

La caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône devra verser au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante les indemnisations ainsi fixées et pourra en récupérer immédiatement et directement le montant à l'encontre de la société [5].

Il serait inéquitable de laisser à la charge des consorts [Y] et du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante les frais qu'ils ont été contraints d'exposer en cause d'appel pour leur défense, ce qui conduit la cour à allouer à aux consorts [Y] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante celle de 1 000 euros.

Succombant en leurs prétentions, la société [5] doit être condamnée aux dépens et ne peut utilement solliciter le bénéfice des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

- Infirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau des chefs ainsi réformés et y ajoutant,

- Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable,

- Dit le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante irrecevable en ses demandes portant sur la majoration de l'indemnité forfaitaire et la majoration des rentes,

- Dit le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante recevable en son action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et en ses autres chefs de demandes,

- Dit les consorts [Y] recevables en leur action en reconnaissance de la faute inexcusable,

- Dit que la maladie professionnelle et le décès de [V] [Y] sont dus à la faute inexcusable de la société [5],

- Fixe à son maximum la majoration de rente de conjoint survivant versée à Mme [X] [L] veuve [Y] par la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône,

- Fixe à leur maximum les majorations de rente servies par la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône à [T] [F] et [Z] [Y] jusqu'au 20 mai 2016,

- Alloue à Mme [X] [L] veuve [Y] et ses enfants [T], [F] et [Z] [Y] le bénéfice de l'allocation forfaitaire qui devra leur être versée par la caisse primaire d'assurance maladie, déduction faite de la somme de 6 537.85 euros laquelle devra être payée au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante,

- Dit que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône pourra recouvrer le montant de l'allocation forfaitaire et des majorations de rente directement et immédiatement à l'encontre de la société [5],

- Fixe l'indemnisation des préjudices personnels de [V] [Y] à la somme totale de 122 700 euros ainsi détaillée:

* 92 000 euros au titre des souffrances morales,

* 29 700 euros au titre des souffrances physiques,

* 1 000 euros au titre du préjudice esthétique,

- Fixe l'indemnisation des préjudices moraux des ayants droit de [V] [Y] comme suit:

*40 000 euros à Mme [X] [L] veuve [Y],

* 25 000 euros à chacun de ses enfants: [T], [F] et [Z] [Y],

* 12 000 euros à chacun de ses parents: [A] et [S] [Y],

- Dit que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône devra verser au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante les indemnisations ainsi fixées et pourra en récupérer immédiatement et directement le montant à l'encontre de la société [5],

- Déboute le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante de sa demande afférente au préjudice d'agrément,

- Condamne la société [5] à payer aux consorts [Y] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la société [5] à payer au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la société [5] aux dépens.

Le GreffierLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8
Numéro d'arrêt : 21/03622
Date de la décision : 22/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-22;21.03622 ?
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