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24/06/2022 | FRANCE | N°21/04667

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8, 24 juin 2022, 21/04667


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8



ARRÊT AU FOND

DU 24 JUIN 2022



N°2022/.



Rôle N° RG 21/04667 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHGGT



S.A.S. [15]



S.A. [11]



C/



[I] [K] veuve [SB]



[R] [SB]



[H] [SB]



FIVA - FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE



CPAM DU VAR



Copie exécutoire délivrée

le :

à :





- Me Bruno FIESCHI



- Me [TF] [S]


<

br>- Me [O] [B]



- Me Virginie PIN



- Me Alain TUILLIER



- Me Stéphane CECCALDI















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Pole social du tribunal judiciaire de Toulon en date du 05 Mars 2021,enregistré au répertoire général sous le n° 19/1390....

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8

ARRÊT AU FOND

DU 24 JUIN 2022

N°2022/.

Rôle N° RG 21/04667 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHGGT

S.A.S. [15]

S.A. [11]

C/

[I] [K] veuve [SB]

[R] [SB]

[H] [SB]

FIVA - FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE

CPAM DU VAR

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Bruno FIESCHI

- Me [TF] [S]

- Me [O] [B]

- Me Virginie PIN

- Me Alain TUILLIER

- Me Stéphane CECCALDI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du tribunal judiciaire de Toulon en date du 05 Mars 2021,enregistré au répertoire général sous le n° 19/1390.

APPELANTES

S.A.S. [15], anciennement dénommée [12], demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Bruno FIESCHI de la SCP FLICHY GRANGE, avocat au barreau de PARIS, dispensé en application des dispositions de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile d'être représenté à l'audience

S.A. [11] anciennement dénommée [16] (SA [16]), demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Bruno FIESCHI de la SCP FLICHY GRANGE, avocat au barreau de PARIS, dispensé en application des dispositions de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile d'être représenté à l'audience

SCP d'administrateurs judiciaires [V] [1], prise en la personne de Me [T] [V] domicilié [Adresse 4]

SELARL [AV] [22], prise en la personne de [D] [AV] domicilié [Adresse 5]

ayant toutes deux pour avocat Me Bruno FIESCHI de la SCP FLICHY GRANGE, avocat au barreau de PARIS, dispensé en application des dispositions de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile d'être représenté à l'audience

SCP [13], prise en la personne de Me [TF] [S], mandataire judiciaire, domicilié [Adresse 2], non représentée

SCP [B] prise en la personne de Me [O] [B], mandataire judiciaire, domiciliée [Adresse 24], non représentée

INTIMES

Madame [I] [K] veuve [SB], demeurant [Adresse 14]

Monsieur [R] [SB], demeurant [Adresse 14]

Monsieur [H] [SB], demeurant [Adresse 14]

Tous les trois représentés par Me Virginie PIN, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Capucine VAN ROBAYS, avocat au barreau de MARSEILLE

FIVA - FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE, demeurant [Adresse 23]

représenté par Me Alain TUILLIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Jean-Baptiste LE MORVAN, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE

CPAM DU VAR, demeurant [Adresse 6]

représenté par Me Stéphane CECCALDI, avocat au barreau de Marseille

dispensé en application des dispositions de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile d'être représenté à l'audience

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Mai 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Madame Catherine BREUIL, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Séverine HOUSSARD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Juin 2022.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Juin 2022

Signé par Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre et Mme Séverine HOUSSARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

[L] [SB], décédé le 09 août 2013 à l'âge de 66 ans, a été employé en qualité de conducteur de travaux successivement par les sociétés [8] (du 17 mars 1969 au 31 décembre 1973), [18] (du 1er janvier 1974 au 31 décembre 1987), [9] (du 1er janvier 1988 au 31 décembre 1999) et [16] (du 1er janvier 2000 au 30 juin 2000), puis toujours par cette société en qualité d'ingénieur (du 1er juillet 2000 au 30 septembre 2005).

Le 10 janvier 2006, il a déclaré à la caisse primaire d'assurance maladie du Var, être atteint de la maladie 'plaques pleurales', que la caisse a décidé le 10 février 2016 de prendre en charge au titre du tableau 30B des maladies professionnelles, puis lui a reconnu, avec effet au 10 janvier 2006, un taux d'incapacité permanente partielle de 4%.

Il a déclaré ensuite le 04 mars 2013 être atteint d'un 'mésothéliome malin sarcomatoïde' que la caisse primaire d'assurance maladie du Var a décidé le 13 mai 2013 de prendre en charge au titre du tableau 30 D des maladies professionnelles, puis lui a attribué avec effet au 06 juin 2013 un taux d'incapacité permanente partielle de 100%.

Par suite de l'acception de son offre, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a versé à ses ayants droit au titre des préjudices de [L] [SB] la somme de 91 000 euros ainsi détaillée:

* 45 500 euros au titre du préjudice moral,

* 22 500 euros au titre du préjudice physique,

* 22 500 euros au titre du préjudice d'agrément,

* 500 euros au titre du préjudice esthétique.

Mme [I] [K] veuve [SB] a saisi le 21 mai 2014 le tribunal des affaires de sécurité sociale du Var aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable des sociétés [16] et [11] dans la maladie professionnelle dont est décédé son époux.

Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante agissant en qualité de subrogé des ayants droit de [L] [SB], a également saisi cette même juridiction, le 03 juin 2014, aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [16].

Après jonction des procédures, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Var a ordonné par jugement avant dire droit en date du 23 novembre 2018 une expertise médicale sur pièces, dont le rapport a été déposé le 13 février 2020.

Par jugement en date du 5 mars 2021, le tribunal judiciaire de Toulon, pôle social, a:

* déclaré irrecevable la demande du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante tendant à la fixation à son maximum de l'indemnité forfaitaire et de la rente,

* déclaré recevables les autres demandes du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante,

* déclaré irrecevables les demandes de Mme [I] [K] veuve [SB] et de messieurs [R] et [H] [SB] concernant les demandes du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante,

* déclaré recevables leurs autres demandes des ayants droit,

* dit que la maladie professionnelle, inscrite au tableau n°30 des maladies professionnelles, reconnue par la caisse primaire d'assurance maladie du Var, ayant entraîné le décès de [L] [SB] est due à la faute inexcusable des sociétés [11] et [15],

* fixé à son maximum la majoration de la rente servie à Mme [K] veuve [SB] au titre du conjoint survivant,

* alloué à Mme [K] veuve [SB] et messieurs [R] et [H] [SB] le bénéfice de l'allocation forfaitaire prévue à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, qui devra leur être versée par la caisse primaire d'assurance maladie du Var,

* alloué à Mme [K] veuve [SB] et messieurs [R] et [H] [SB] au titre de l'action en réparation du préjudice complémentaire les sommes de:

- 45 500 euros au titre du préjudice moral,

- 22 500 euros au titre des souffrances endurées,

- 500 euros au titre du préjudice esthétique,

* débouté le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante de sa demande au titre du préjudice d'agrément,

* dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Var devra verser les sommes au titre de l'action en réparation du préjudice complémentaire d'un montant de 68 500 euros au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante,

* dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Var pourra recouvrer le montant de l'allocation forfaitaire, de la majoration de rente et de l'indemnité complémentaire de 68 500 euros à l'encontre de la société [16] et de la société [15] (anciennement dénommée [12]),

* condamné in solidum les sociétés [16] et [15] à payer au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné les sociétés [16] et [15] aux dépens.

La société [11], précédemment dénommée [16], et la société [15], précédemment dénommée [12], ont toutes deux relevé régulièrement appel dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées.

Ces deux procédures d'appel, enregistrées respectivement sous les RG 21/04703 et RG 21/04667,ont été jointes par ordonnance du 23 avril 2021.

Le tribunal de commerce de Paris a par jugements:

* en date du 24 janvier 2022, ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société [11] et désigné:

- en qualité d'administrateurs: la société [V] [1], prise en la personne de Me [T] [V], et la selarl [AV] [22], prise en la personne de Me [D] [AV],

- en qualité de mandataires judiciaires: la Scp [13], prise en la personne de Me [TF] [S] et la Scp [B], prise en la personne de Me [O] [B],

* en date du 05 avril 2022, arrêté un plan de cession.

Par actes d'huissier en date des 15 et 17 mars 2022, les administrateurs et mandataires ainsi désignés ont été assignés par les consorts [SB] devant la cour d'appel.

Par conclusions récapitulatives réceptionnées par le greffe le 22 avril 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la société [11], représentée par ses administrateurs judiciaires la société [V] [1], prise en la personne de Me [T] [V], et la selarl [AV] [22], prise en la personne de Me [D] [AV], et la société [15], dispensées de comparaître, sollicitent l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demandent à la cour de:

* mettre hors de cause la société [15] anciennement dénommée [12] et également [10],

* dire le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante subrogé dans les droits de M. [SB],

* dire les consorts [SB] irrecevables en leurs demandes en réparation,

* annuler l'expertise,

* débouter les consorts [SB] et le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante de leur action en faute inexcusable.

A titre subsidiaire, elles lui demandent de:

* dire non fondées les indemnisations allouées au titre des souffrances physiques, morales,

* débouter le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante de ses demandes en réparation,

* confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante de sa demande en réparation au titre du préjudice d'agrément de M. [SB],* débouter la caisse primaire d'assurance maladie de son action en remboursement.

Plus subsidiairement, elles demandent à la cour de:

* débouter le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante de ses demandes en réparation, ou à tout le moins, ramener à de plus justes proportions,

* constater l'interruption de l'action récursoire de la caisse primaire d'assurance maladie à l'encontre de la société [11] par suite de l'ouverture de la procédure collective la concernant,

* dire que l'instance ne pourra être reprise que lorsque la caisse primaire d'assurance maladie aura déclaré sa créance aux mandataires judiciaires désignés,

* dire que toute éventuelle condamnation en principal et en accessoire à l'encontre de la société [11] ne pourra donner lieu qu'à une inscription au passif de sa procédure collective,

* condamner toute partie succombant à leur payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Par conclusions visées par le greffier le 11 mai 2022, soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, et dont il est justifié du caractère contradictoire, Mme [I] [K] veuve [SB] et messieurs [R] et [H] [SB] sollicitent la confirmation du jugement entrepris et y ajoutant, demandent à la cour de condamner les appelantes au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

En l'état de ses conclusions visées par le greffier le 11 mai 2022, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante sollicite la confirmation du jugement entrepris et y ajoutant, demande à la cour de condamner les sociétés [11] et [15] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la partie succombante aux dépens.

En l'état de ses conclusions réceptionnées par le greffe le 11 mai 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la caisse primaire d'assurance maladie du Var, dispensée de comparaître, indique s'en rapporter sur la reconnaissance de la faute inexcusable et si celle-ci était reconnue, elle demande à la cour de:

* déclarer irrecevables les demandes du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante concernant l'indemnité forfaitaire et la majoration de rente d'ayant droit de Mme veuve [SB],

* ramener à de plus justes proportions les sommes avancées en réparation des souffrances endurées physiques et morales de la victime,

* rejeter le préjudice d'agrément, et subsidiairement le ramener à de plus justes proportions,

* déclarer irrecevable la demande des consorts [SB] tendant à ce qu'il soit fait droit aux demandes du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante,

* dire que la caisse déterminera le montant de l'indemnité forfaitaire revenant à la succession,

* accueillir son action récursoire et condamner les sociétés [11] et [15] à lui rembourser l'intégralité des sommes dont elle a été tenue de faire l'avance et des sommes supplémentaires dont elle serait tenue de faire l'avance,

* débouter les appelantes de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La Scp [13], prise en la personne de Me [TF] [S], et la Scp [B], prise en la personne de Me [O] [B], tous deux pris en leurs qualités de mandataires judiciaires de la société [11], bien que régulièrement appelés en cause, par actes d'huissier, respectivement en date des 17 mars 2022 et 15 mars 2022, n'ont pas été représentées à l'audience indiquée.

MOTIFS

* sur la mise hors de cause de la société [15], précédemment dénommée société [12] et également [10]:

Cette appelante sollicite sa mise hors de cause au motif qu'elle n'a jamais été l'employeur de M. [SB] et que le jugement du 23 janvier 2018 ne pouvait s'analyser que comme un jugement avant dire droit se limitant à ordonner une mesure d'expertise judiciaire, aucune disposition n'ayant tranché sa demande de mise hors de cause.

Les consorts [SB] se prévalent du certificat de travail constituant leur pièce n°1.

Il résulte effectivement du certificat de travail en date du 24 novembre 2003, établi par le directeur des ressources humaines de la société [16] dite [16], que [L] [SB] a été employé en qualité de conducteur de travaux d'une part par des sociétés appartenant au groupe [16] sur la période du 1er janvier 1998 au 30 juin 2000, successivement par les sociétés [9] et [16], et d'autre part, antérieurement sur la période du 17 mars 1969 au 31 décembre 1987, successivement, par la société [8] puis par la société [18], qui n'appartenaient pas au groupe [16].

Il résulte de ce document que les sociétés [8], [18] et [9] avaient toutes leur siège social au [Adresse 7].

La société [12] devenue [15] n'étaye pas sa contestation faute d'établir, compte tenu des multiples restructurations intervenues, l'absence de tout lien avec les sociétés listées précisément dans ce certificat de travail, lequel établit par contre que [L] [SB] a été salarié de ces entreprises.

Par ajout au jugement entrepris, la demande de mise hors de cause de la société [15] doit dés lors être rejetée.

* Sur la faute inexcusable:

Dans le cadre de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur destinée, notamment, à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, les dispositions des articles L.4121-1 et suivants du code du travail applicables depuis le 1er mai 2008 lui font obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. L'employeur a, en particulier, l'obligation d'éviter les risques et d'évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités.

Antérieurement au 1er mai 2008, l'employeur avait obligation d'évaluer les risques pour la sécurité et la santé des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail, puis à la suite de cette évaluation, de mettre en oeuvre des actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production qui doivent garantir un meilleur niveau de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs et être intégrées dans l'ensemble des activités et à tous les niveaux de l'encadrement.

Le manquement à cette obligation de sécurité a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Pour engager la responsabilité de l'employeur dans la maladie professionnelle dont est atteint le salarié, la faute inexcusable de l'employeur doit être la cause nécessaire de cette maladie, sans qu'elle soit pour autant la cause déterminante, et c'est au salarié, ou à ses ayants droit, à qui incombe la charge de la preuve de la faute inexcusable, d'établir que la maladie professionnelle a pour cause la faute commise par son employeur par manquement à son obligation de sécurité pour le préserver d'un risque dont il avait ou ne pouvait pas ne pas avoir conscience.

- Sur le caractère professionnel de la maladie :

Dans le cadre de sa défense à l'action en reconnaissance de sa faute inexcusable dans la maladie professionnelle de son salarié, l'employeur peut opposer sa contestation du caractère professionnel de celle-ci.

Il résulte des dispositions de l'article L.461-1 alinéa 2 du code de la sécurité sociale que toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau, est présumée d'origine professionnelle.

L'article L.461-2 dernier alinéa du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable, stipule qu'à partir de la date à laquelle un travailleur a cessé d'être exposé à l'action des agents nocifs inscrits aux tableaux susmentionnés, la caisse primaire et la caisse régionale ne prennent en charge, en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 461-1, les maladies correspondant à ces travaux que si la première constatation médicale intervient pendant le délai fixé à chaque tableau.

La première constatation médicale de la maladie concerne toute manifestation de nature à révéler son existence, même si son identification n'intervient que postérieurement au délai de prise en charge.

Les appelantes soutiennent que le caractère professionnel de la maladie n'est pas démontré, au motif que le diagnostic du mésothéliome malin primitif de la plèvre pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie au titre d'une pathologie 30C est incertain, la pluralité d'examens mettant en exergue la difficulté du diagnostic. Elles se prévalent de l'avis de leur médecin conseil selon lequel le marqueur AML n'est pas spécifique du mésothéliome malin primitif de la plèvre, du péritoine et du péricarde visé au tableau n°30 alors qu'il n'y a pas d'avis du groupe [21] pour valider le diagnostic. Elles allèguent que l'expertise médicale sur pièce ordonnée n'a pas permis d'obtenir d'éléments médicaux confirmant le diagnostic et contestent les conclusions tirées par l'expert, considérant qu'il s'est basé sur un duplicata de compte rendu d'examen, alors que celui-ci était ambigu et qu'il ne pouvait prendre en considération les résultats d'examens médicaux réalisés pour les besoins de l'expertise à l'initiative du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante sans s'assurer de l'origine des prélèvements ayant donné lieu à des investigations complémentaires, et sans veiller à les contrôler.

Elles relèvent en outre que l'avis sollicité par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante est rendu sur la base de connaissances scientifiques et médicales de 2020, alors que les opérations d'expertise devaient être menées à partir des éléments existants, figurant au dossier médical.

Elles en tirent la conséquence d'une atteinte manifeste aux droits de la défense justifiant l'annulation de l'expertise.

La caisse leur oppose que le certificat médical initial établi le 05 mars 2013, fait mention du mésothélium pleural droit et de la maladie professionnelle 30D et que la maladie ainsi désignée est exactement celle mentionnée sur ce tableau.

Elle rappelle que ce tableau comporte une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer la maladie, qu'il est établi par le certificat de travail que la victime a travaillé pour les sociétés [16] et [9] qui figurent sur la liste ATA dressée par arrêté ministériel sur laquelle figurent toutes les entreprises de fabrication de matériaux contenant de l'amiante ou de flocage ou de calorifugeage ainsi que la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante et que l'exposition à ce produit est confirmée par les attestations versées par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante et les consorts [SB].

Elle relève qu'il incombe à l'employeur de renverser la présomption et de démontrer que le travail n'a joué aucun rôle dans le développement de la maladie, alors que la preuve d'une cause étrangère n'est présentement pas rapportée. Enfin elle souligne que les conclusions de l'expertise ordonnée confirment la caractérisation de la maladie.

Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante se prévaut de la décision de prise en charge par la caisse de la maladie au titre du tableau 30D mais ne réplique pas plus que les consorts [SB] sur la caractérisation médicale de celle-ci.

Contrairement à ce qu'allèguent les appelantes, il ne résulte pas des éléments médicaux repris dans l'anamnèse particulièrement complète de l'expertise médicale une pluralité d'examens révélant une difficulté du diagnostic.

Si les biopsies pleurales pariétales chirurgicales effectuées le 18 janvier 2013, dont la teneur est reprise intégralement dans le rapport, et le premier compte rendu complémentaire du 24 janvier 2013, concluent effectivement à l'existence d'une 'prolifération cellulaire épitélioïde et fusiforme d'allure tumorale' qui n'ont pas 'permis de typer précisément cette tumeur', par contre le compte rendu opératoire en date du 28 janvier 2013 comme le courrier en date du 04 février 2013 du Dr [Z], anatomopathologiste, membre du programme national de surveillance du mésothéliome (institut de veille sanitaire groupe [21]) sont concordants et dépourvus d'ambiguïté, ce spécialiste écrivant notamment au chirurgien, 'je confirme votre diagnostic de mésothéliome malin sarcomatoïde (peut être biophysique) et la présence d'une positivité très nette pour l'AML s'observe fréquemment dans les mésothéliomes'.

De plus, l'expert, après avoir détaillé les éléments résultants des biopsies pratiquées, conclut que la réponse du professeur [E] de [21] 'nous permet de répondre sans aucune ambiguïté que M. [SB] est décédé d'un mésothéliome malin primitif diffus infiltrant de variante sarcomatoïde figurant dans le tableau 30D des maladies professionnelles'.

La circonstance que les données de la science en 2020 confirment le diagnostic médical étayé posé en 2013, ne peut justifier l'annulation de l'expertise, étant rappelé qu'il s'agissait d'une expertise sur dossier, ce qui implique qu'elle repose sur les pièces médicales présentes aux dossiers d'instructions de la caisse comme par la suite du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante saisis d'une demande d'offre d'indemnisation, ainsi que des éléments soumis à l'expert par les parties, étant observé que le rapport d'expertise fait expressément référence également à l'argumentaire du médecin conseil des appelantes (Dr [Y]).

Le tableau 30D et non point 30C, comme indiqué par les appelantes, désigne le mésothéliome malin primitif de la plèvre, du péritoine, du péricarde au titre des affections professionnelles consécutives à l'inhalation des poussières d'amiantes, fixe le délai de prise en charge à 40 ans, et comporte une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladies.

La maladie mentionnée sur le certificat médical initial est effectivement celle inscrite sur ce tableau, et les avis concordants du médecin conseil de la caisse, du chirurgien du Dr [Z], du Pr [E], ainsi que les conclusions de l'expertise ne sont pas utilement contredites par l'avis du médecin conseil des appelantes qui allègue uniquement qu'il n'y a pas de suite cohérente dans ce dossier.

La condition relative au délai de prise en charge n'est pas discutée et il est également établi que la société [18]/[16] sise [Adresse 7] a été inscrite par l'arrêté ministériel du 1er août 2001, sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipé d'activité des travailleurs de l'amiante, pour la période de 1962 à 1996, pour ses établissements Nord-Pas-de-Calais, Pays de la Loire, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Rhône-Alpes, soit pendant une partie de la période d'emploi de la victime.

La présence d'amiante sur les sites d'emploi de M. [SB] est ainsi établie, non seulement du fait de cette inscription sur la liste des établissements ouvrant droit à l'Acaata mais aussi par les attestations de messieurs [M], [P], [F], [N], [C], [U], [A], [W], [J], [G] collègues de travail, qui ne sont pas utilement contredites par les appelantes.

De plus, l'activité des sociétés employeurs établit qu'elles sont spécialisées dans la fabrication industrielle de chaudières et qu'ainsi M. [SB] a travaillé dans des établissements où l'amiante était utilisée pour l'isolation thermique des tuyauteries, ou en intervenant chez des clients des sociétés employeurs pour des interventions relevant de la maintenance, soit pour des travaux visés par la liste indicative du tableau 30 (et spécialement des travaux de pose et dépose de calorifugeage contenant de l'amiante, des travaux d'équipement, d'entretien ou maintenance effectués sur des matériels ou dans des locaux et annexes revêtus ou contenant des matériaux à base d'amiante).

Il s'ensuit que la présomption d'imputabilité au travail de la maladie contractée par M. [SB] est effectivement applicable et qu'il incombe aux appelantes de la renverser en rapportant la preuve que cette pathologie a une origine totalement étrangère au travail ou l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte en dehors de toute relation avec le travail.

Les sociétés appelantes ne rapportant pas cette preuve, ce moyen doit être rejeté.

- Sur l'existence de la faute inexcusable de l'employeur :

Les appelantes soulignent que la conscience du danger de l'employeur doit être appréciée par rapport au contexte réglementaire, à l'activité industrielle concernée et aux travaux effectués par le salarié, et qu'avant 1977 il n'y avait pas de réglementation spécifique.

Elles soutiennent que les requérants ne rapportent pas la preuve d'un manquement de l'employeur, soulignant n'avoir jamais été alertées par un quelconque organisme en charge de la prévention et de la sécurité au travail.

Tout en reconnaissant que la société [9] fabriquait des chaudières, elles soutiennent que tous les joints utilisés étaient neufs, prédécoupés et graphités, et allèguent l'emploi sur le site de [Localité 19] d'aspirateurs individuels de fumée avec cartouches filtrantes lors des travaux de soudage pour capter les émanations de fumées au point d'émission, que les travaux chez un client étaient également encadrés par un chef de mission qui devait s'informer des règles de sécurité applicables sur le site et veiller à prendre les mesures adaptées aux dangers auxquels ils étaient susceptibles d'être soumis.

Elles soutiennent que le procès-verbal du comité d'hygiène et de sécurité des conditions de travail de 1986 prouve que des mesures de contrôle des poussières et de l'ambiance de travail étaient effectuées sur les chantiers de réparation et rapporter ainsi la preuve que les mesures nécessaires à préserver le salarié de tout danger avaient été prises. Elles contestent le caractère probant des attestations versées aux débats, soulignant qu'elles émanent d'autres salariés et ajoutent que M. [SB] était partie prenante au respect de consignes de sécurité (notamment sur le port d'équipements de protection individuelle) et au respect de la législation en matière d'hygiène et de sécurité.

Les consorts [SB] et le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante leur opposent que les sociétés employeurs auraient dû avoir conscience du danger auquel était exposé M. [SB] qui intervenait notamment sur les chantiers navals à [Localité 20].

Ils se prévalent d'attestations de collègues de travail et soulignent qu'il a travaillé dans un établissement inscrit sur la liste des établissements ayant fabriqué des matériaux contenant de l'amiante et des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ouvrant droit à l'Acaata sur la période comprise entre 1962 et 1996.

Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante soutient que la conscience du danger de l'inhalation des poussières d'amiante qu'avait ou aurait dû avoir la société [11] doit s'apprécier durant la période d'exposition du salarié, en tenant compte de l'inscription des affections respiratoires liées à l'amiante dans un tableau des maladies professionnelles à partir de 1945, des connaissances scientifiques raisonnablement accessibles à l'époque, de la réglementation relative à la protection contre les poussières alors en vigueur et de l'importance, de l'organisation et de l'activité de l'employeur.

Il souligne que la société [11] était à l'époque de l'exposition de la victime une importante entreprise de l'industrie de la fabrication de chaudières industrielles, disposant d'une organisation structurée et de ressources humaines importantes, avec des compétences techniques, juridiques et médicales et qu'elle devait nécessairement avoir connaissance de la composition des matériaux utilisés par ses salariés, de l'existence d'un risque signalé par un tableau des maladies professionnelles et des travaux scientifiques et médicaux concernant l'amiante.

Il soutient que le fait de n'utiliser de l'amiante que sous forme de produits transformés et non en vrac ou de ne pas participer à l'activité industrielle de transformation de l'amiante ne suffit pas à écarter la faute inexcusable de l'employeur, alors qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié qui ne bénéficiait d'aucune mesure de protection respiratoire particulière.

Il soutient qu'il appartient aux sociétés [16] de démontrer qu'elles ont respecté les dispositions du décret du 17 août 1977, puisque l'exposition de M. [SB] à l'amiante s'est prolongée plus de 20 ans après cette date, et en particulier de la mise en oeuvre d'un dispositif de contrôle de l'atmosphère une fois par mois, de la mise en place d'installations de protection collective des salariés (captage, filtration, ventilation) vérifiées au moins une fois par semaine et en parfait état de fonctionnement, de la mise à disposition d'équipements de protection individuelle et de la remise de consignes écrites à son salarié l'informant sur les risques auxquels son travail peut l'exposer et des précautions à prendre pour les éviter.

- sur l'exposition au risque d'inhalation des poussières d'amiante:

Concernant l'exposition à l'amiante, il suffit pour qu'une faute inexcusable soit reconnue, que l'exposition du salarié au risque ait été habituelle, peu important le fait qu'il n'ait pas participé directement à l'emploi ou à la manipulation de ce produit.

L'exposition à l'inhalation de poussières d'amiante n'est pas contestable sur les établissements de la société [16] (précédemment dénommée [18]) pour les années 1962 à 1996 du fait de l'inscription par l'arrêté du 1er août 2001 sur la liste des établissements ouvrant droit à l'Acaata, et il n'est pas contesté que [L] [SB] a au cours de sa carrière professionnelle travaillé dans divers établissements de la société [11].

Or les appelantes sont défaillantes à rapporter la preuve qui leur incombe de la mise en place de systèmes de protection, collective ou individuelle, destinés à prévenir l'exposition au risque d'inhalation de poussières d'amiante alors qu'elles ne contestent ni que ce matériau était utilisé sur les chaudières industrielles qu'elles fabriquaientt et comme isolant de conduits sur lesquels M. [SB] devait intervenir ainsi qu'en atteste M. [P] lors des opérations de maintenance, étant souligné que de mars 1969 à fin juin 2000, le salarié a occupé un poste de conducteur de travaux.

M. [N] atteste de façon très circonstanciée que les principaux éléments des chaudières étaient isolés pour empêcher les échanges thermiques, avec de l'amiante et de la laine de verre, matériaux très volatiles surtout lorsqu'ils chauffent, et que le personnel travaillait dans un environnement de poussières, l'amiante étant usinée, montée, démontée pour être remplacée et les déchets étaient stockés dans des bennes sans protection.

M. [U] relate quant à lui avoir travaillé avec M. [SB] sur des sites des centrales thermiques et de chaudières industrielles pour des travaux de démontage et remontage des tuyauteries qui étaient effectués dans des milieux confinés où la fibre d'amiante voltigeait autour d'eux alors que personne ne portait de protection 'masques individuels' dans des locaux non ventilés, les vieilles isolations étant jetées en vrac dans des bennes (laines de verre, amiante).

M. [A], qui précise avoir travaillé sur le site de [Localité 19] avec M. [SB], occupant alors un poste de conducteur de travaux au service montage, relate que ce dernier intervenait sur les chantiers extérieurs, centrales thermiques, [17], chaufferies industrielles .... Ce témoin atteste que dans la fabrication des chaudières, activité de [9], l'amiante était couramment utilisée pour l'isolation et le calorifugeage et que sur les chantiers, il fallait travailler au démontage et remontage des tuyauteries sous calorifuge et les fibres d'amiante environnaient les intervenants d'autant que les zones de travail étaient confinées, sans ventilation ou aspiration d'aucune sorte.

M. [C], qui précise avoir été représentant du personnel, témoigne lui aussi que lorsque [L] [SB] intervenait pour les prises de radios une fois les soudures terminées, les poussières d'amiante étaient toujours présentes.

Il en résulte donc de ces éléments que l'exposition à l'inhalation de poussières d'amiante de [L] [SB] a été habituelle.

- sur la conscience du risque:

L'utilisation établie et non contestée de l'amiante comme isolant thermique sur les chaudières industrielles et tuyauteries fabriquées et commercialisées par le groupe [16]- [9], ne permet pas de considérer que les sociétés de ce groupe, de dimension internationale, seraient demeurées dans l'ignorance de son utilisation, comme de sa toxicité.

L'amiante, qui est du silicate de calcium et de magnésium, utilisé en raison de ses qualités de résistance à la chaleur notamment, est constituée de filaments présentant des particules volatiles, dont les effets toxiques sur la santé humaine, en raison du caractère particulièrement volatile de ses fibres, a été mis en évidence à la fois par les publications scientifiques fort nombreuses à partir des années 1930 .

Les sociétés appelantes ne pouvaient pas davantage ignorer le lien existant entre ces particules toxiques et les maladies professionnelles résultant dès 1945 de la création d'un tableau de maladie professionnelle spécifique aux pathologies consécutives à l'inhalation de poussières d'amiantes, soit antérieurement à la période d'emploi du salarié, ni ne pas avoir conscience de l'existence du danger lié aux opérations de maintenance dans leurs établissements, comme lors d'interventions en extérieur sur des chaudières et équipements contenant des matériaux à base d'amiante, peu important que le nombre de maladies inscrites sur un tableau des maladies professionnelles pour être reconnues imputables à l'amiante ait par la suite augmenté.

- sur les mesures prises pour prévenir le risque :

Ayant nécessairement conscience de la toxicité de l'amiante, il incombait donc aux sociétés employeur d'évaluer le risque induit par l'utilisation de ce produit par leurs salariés et de prendre des dispositions pour le prévenir; peu important également le caractère tardif des dispositions réglementaires imposant aux employeurs la mise en place de divers dispositifs, renforcés au cours du temps.

La cour ne peut que constater que les appelantes ne soumettent à son appréciation aucun élément de nature à établir d'une part, qu'elles ont évalué les risques auxquels leurs salariés étaient exposés et d'autre part qu'elles ont pris des dispositions pour les en préserver.

Elles ne justifient ni avoir évalué le risque lié aux opérations de maintenance sur des chaudières et des conduites isolées avec ce matériau, ni avoir mis à la disposition des salariés des équipements de protection individuelle (tels que masques, lunettes) ou fait installer des équipements de protection collectifs.

Elles ne contredisent nullement les attestations fort quant à nombreuses, émanant certes d'anciens salariés et collègues de travail, mais qui se corroborent toutes, l'absence de mise à disposition d'équipements de protection individuelle comme la mise en place de systèmes de protection collectif, l'absence d'information donnée aux salariés sur les risques liés à l'amiante, et les premiers juges ont relevé avec pertinence que:

* lors du comité d'établissement de [Localité 19] du 27 septembre 1999 de la société [11], si M. [X] a indiqué que bien avant 1977 [9] ne mettait plus en oeuvre des produits amiantes pour la fumisterie et le calorifugeage des chaudières,

* la mise en place de 20 aspirateurs de fumée avec cartouches filtrantes en juin 1977 ne concerne que le département 93,

* le manuel de procédure du 5 janvier 1982 et le procès-verbal du comité d'hygiène et de sécurité au travail du 10 décembre 1986 ne permettent pas d'établir la mise en place des mesures nécessaires et effectives pour protéger [L] [SB] des risques liés à l'exposition à l'amiante, alors qu'il résulte des attestations des salariés que les travaux s'effectuaient en présence d'amiante sans aucune protection ni port de masque.

Les attestations des collègues de travail du salarié auxquelles la cour s'est précédemment référée, concordantes et circonstanciées, établissent à la fois l'absence d'informations mais aussi et surtout d'équipements de protection individuelle mis à leur disposition, comme l'absence d'équipement collectif.

Il s'ensuit que les appelantes sont défaillantes dans l'administration de la preuve qui leur incombe portant sur l'existence de mesures de prévention et de protection de ses salariés, et spécifiquement de [L] [SB] des risques auxquels les conditions de travail les exposaient, alors qu'elles devaient les prendre.

Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé sur la reconnaissance de la faute inexcusable des sociétés [11] et [15] dans la maladie professionnelle et dans le décès de [L] [SB].

* Sur les conséquences de la faute inexcusable:

La cour n'est pas saisie par les conclusions des consorts [SB] comme du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante d'une demande de réformation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation du préjudice d'agrément.

Les appelantes soutiennent que les consorts [SB] ayant accepté l'offre d'indemnisation du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante sont irrecevables à formuler une demande telle que la majoration de rente ou l'indemnité forfaitaire, comme à demander à la cour d'accueillir la demande du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante en dédommagement des indemnisations dont il a fait l'avance.

Concernant le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, elles soutiennent qu'il doit justifier poste par poste de la réalité des préjudices réparés, alors que la Cour de cassation a confirmé la nature mixte de la rente qui indemnise à la fois un préjudice extra patrimonial (soit le déficit fonctionnel permanent) et un préjudice patrimonial (qui recouvre la perte de gains professionnels et l'incidence professionnelle). Elles en tirent la conséquence que les souffrances endurées avant consolidation peuvent faire l'objet d'une indemnisation complémentaire mais que les souffrances permanentes, le déficit fonctionnel permanent, comme la perte de gains professionnels, l'incidence professionnelle, la tierce personne après consolidation ne peuvent donner lieu à aucune indemnisation supplémentaire.

En l'absence de période d'incapacité temporaire, l'indemnisation allouée au titre de la souffrance morale et de la souffrance physique ne peut correspondre à une indemnisation des souffrances endurées avant consolidation. Elles en tirent la conséquence que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante doit être débouté de sa demande faute de rapporter la preuve de souffrances morales physiques distinctes de celles déjà indemnisées par la rente et par l'indemnité forfaitaire.

Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante lui oppose être subrogé dans les droits de [L] [SB] décédé à l'âge de 66 ans d'un mésothéliome malin primitif de la plèvre, et qui avait eu au préalable une première maladie professionnelle spécifique à l'inhalation de poussières d'amiantes (plaques pleurales).

Il souligne que la date de consolidation fixée par la caisse du 04 mars 2013, est postérieure de seulement trois mois de l'apparition des premiers symptômes de la maladie en décembre 2012, et que le mésothéliome malin primitif est une tumeur spécifique d'une exposition antérieure à l'amiante pour laquelle il est établi que le tabac ne joue aucun rôle, pour laquelle le taux de survie à 5 ans est de 5%. Il souligne que les malades qui en sont atteints se savent condamnés et que la souffrance morale de [L] [SB] a résulté de l'annonce brutale du diagnostic, de l'angoisse de l'issue fatale et d'un sentiment d'injustice lié à son exposition massive aux poussières d'amiante, sans protection, par son employeur.

Il soutient que cette souffrance morale est distincte des préjudices indemnisés par la rente puisque caractérisée par la spécificité de la situation des victimes de l'amiante, et qu'elle est entretenue par la fréquence des traitements auxquels la victime doit se soumettre et qui l'ont éloignée de sa famille.

Il souligne en outre que cette maladie entraîne des souffrances physiques considérables accentuées par les différents traitements et par la perte de capacité respiratoire irrémédiable et irréversible, et que [L] [SB] a reçu des soins morphiniques et un traitement médicamenteux particulièrement lourd.

Les consorts [SB] reconnaissant avoir accepté l'offre d'indemnisation du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante portant sur la somme totale de 91 000 euros au titre des préjudices de [L] [SB], qui se trouve ainsi subrogé dans les droits de la victime, et sollicitent la confirmation du jugement entrepris sur l'indemnité forfaitaire et sur la majoration de la rente de conjoint survivant de Mme [K] en soulignant que cette majoration est la conséquence de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Lorsque l'accident du travail ou la maladie professionnelle est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a droit, en application des dispositions des articles L.452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de rente, à une indemnisation complémentaire du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurée, de ses préjudices esthétique et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, et depuis la décision du conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, à une réparation de son préjudice au-delà des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale.

Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100%, l'article L.452-3 alinéa 2 du code de la sécurité sociale stipule qu'il lui est alloué une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

- concernant les demandes des consorts [SB] (majoration de la rente de conjoint survivant et indemnité forfaire):

L'indemnité forfaitaire comme la majoration de la rente de conjoint survivant étant la conséquence directe de la reconnaissance de la faute inexcusable des employeurs, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ne peut être subrogé dans les droits des ayants droit de la victime à leur égard.

Les premiers juges ont donc à bon droit déclaré les consorts [SB] recevables en ces chefs de demandes.

La caisse primaire d'assurance maladie a attribué à [L] [SB] un taux d'incapacité permanente de 100%.

Le jugement entrepris doit être confirmé sur l'indemnité forfaitaire ainsi que sur la majoration de la rente du conjoint survivant, que la caisse primaire d'assurance maladie du Var qui est tenue d'en faire l'avance, pourra recouvrer à l'encontre des sociétés [11] et [15].

- concernant les demandes du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante :

L'article 53 VI de la loi n°2000-1257 en date du 23 décembre 2000 dispose que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur (victime ou ses ayants droit) contre la personne responsable de dommage ainsi que contre les personnes ou organismes tenus à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle dans la limite du montant des prestations à la charge des dites personnes.

La reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur à l'occasion de l'action à laquelle le Fonds est partie ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime ou à ses ayants droit en application de la législation de sécurité sociale.

Il n'est pas contesté que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a versé aux ayants droit de [L] [SB], au titre des préjudices personnels de ce dernier la somme totale de 91 00 euros ainsi détaillée:

* 45 500 euros au titre du préjudice moral,

* 22 500 euros au titre du préjudice physique,

* 22 500 euros au titre du préjudice d'agrément,

* 500 euros au titre du préjudice esthétique.

Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante sollicite confirmation du jugement entrepris qui a fixé l'indemnisation des préjudices de [L] [SB] ainsi qu'il suit:

* 45 500 euros au titre du préjudice moral,

* 22 500 euros au titre des souffrances endurées,

* 500 euros au titre du préjudice esthétique.

Ainsi que rappelé, la date de consolidation fixée par la caisse est celle du 04 mars 2013, la date de la première constatation médicale de la maladie est le 13 décembre 2012, date du scanner thoracique, et [L] [SB] est décédé le 09 août 2013.

Il y a lieu effectivement de distinguer:

* d'une part les souffrances liées à la fois aux manifestations de la maladie, aux examens pratiqués que ce soit pour le diagnostic ou en thérapie, qui sont antérieures à la date de consolidation et qui doivent être indemnisées spécifiquement, des souffrances liées aux lésions subsistant après la date de la consolidation, dont la réparation est prise en compte au titre de la rente,

* d'autre part du préjudice d'anxiété, caractérisé par la conscience par la victime de la gravité de son état et la crainte d'une évolution négative avec le risque de développer des formes plus graves de cette maladie à plus ou moins brève échéance et la surveillance médicale à laquelle la victime est soumise, induisant des examens et traitements réguliers, ne peut que contribuer à activer sa perception du caractère inéluctable de son décès.

Concernant les souffrances endurées (avant consolidation) la cour relève que [L] [SB] a subi:

* le 13 décembre 2012 un scanner thoracique,

* le 15 janvier 2013 une thoracoscopie et talcage avec prélèvement et biopsie,

* le diagnostic de la maladie a été posé le 29 janvier 2013, dans les suites de l'anapath du 24 janvier 2013,

* le 21 février 2013 un scanner thoracique,

* la pose d'un cathéter suivie de trois séances de radiothérapie les 05, 08 et 10 avril 2013,

* trois séances de chimiothérapie les 18 mars, 08 avril et 02 mai 2013,

et que dans son rapport d'évaluation du taux d'incapacité permanente partielle le médecin conseil de la caisse note une perte de près de 20 kilos, des oedèmes pretibiaux, une grande asthénie, une altération sévère de l'état général, des douleurs thoraciques au niveau du talcage.

Compte tenu de ces éléments, les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice en fixant l'indemnisation à 22 500 euros.

Eu égard à la nature du cancer, pour lequel le médecin conseil retient un taux d'incapacité permanente de 100% à la date de la consolidation soit au 04 mars 2013, l'existence du préjudice d'anxiété lié à l'évolution de ce type de maladie n'est pas sérieusement contestable.

Ce préjudice moral d'anxiété n'est pas pris en considération par l'indemnisation forfaitaire résultant de la majoration de la rente, qui est fonction d'une part de l'attribution du taux d'invalidité permanente et d'autre part de son salaire, l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale stipulant le montant de la majoration de rente est fixée de telle sorte 'que la rente majorée allouée à la victime ne puisse excéder la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité'.

Le taux d'incapacité résulte en effet de l'application du barème indicatif d'invalidité des maladies professionnelles (annexe III) qui prend exclusivement en considération le type d'affection (en l'espèce respiratoire) et le seul tableau clinique.

Cette indemnité forfaitaire n'indemnise donc pas les souffrances psychiques après la date retenue de consolidation, liées à la poursuite de l'évolution de la maladie, alors qu'en l'espèce, le taux d'incapacité retenu de 100% comme la nature des soins poursuivis après cette date, soit les séances de radiothérapie et de chimiothérapie, mettent en évidence le caractère irréversible de la maladie induisant nécessairement une conscience accrue, chez une personne âgée de 66 ans, d'une évolution négative à très bref délai

Compte tenu de ces éléments, les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce poste de préjudice en fixant l'indemnisation à 45 500 euros.

Enfin, l'indemnisation fixée à 500 euros du préjudice esthétique est justifiée au regard de l'état physique de [L] [SB] mentionné dans le rapport d'évaluation du taux d'incapacité.

La caisse devra, comme retenu par les premiers juges, verser directement au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante en sa qualité de créancier subrogé la somme de 68 500 euros et elle pourra en recouvrer le montant directement contre la société [15].

A l'égard de la société [11], placée depuis en redressement judiciaire, par réformation sur ce point du jugement entrepris, la cour précise que la caisse ne pourra en récupérer immédiatement le montant que dans les conditions des règles de la procédure collective.

Il serait inéquitable de laisser à la charge des consorts [SB] et du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante les frais qu'ils ont été contraints d'exposer en cause d'appel pour leur défense, ce qui conduit la cour à allouer à aux consorts [SB] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante celle de 2 000 euros.

Succombant en leurs prétentions, les sociétés [11] et [15] doivent être condamnées aux dépens et ne peuvent utilement solliciter le bénéfice des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

- Confirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la cour, hormis en ce qu'il a dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Var pourra recouvrer le montant de l'allocation forfaitaire, de la majoration de la rente et de l'indemnité complémentaire de 68 500 euros à l'encontre de la société [11] et de la société [15],

- Le réforme de ce chef,

Statuant à nouveau du chef ainsi réformé et y ajoutant,

- Rejette la demande de mise hors de cause de la société [15],

- Dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Var pourra recouvrer le montant de l'allocation forfaitaire, de la majoration de la rente et de l'indemnité complémentaire de 68 500 euros à l'encontre de la société [15],

- Dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Var ne pourra recouvrer le montant de l'allocation forfaitaire, de la majoration de la rente et de l'indemnité complémentaire de 68 500 euros à l'encontre de la société [11] que dans les conditions des règles de la procédure collective,

- Condamne les sociétés [11] et [15], in solidum à payer à Mme [I] [K] veuve [SB] et messieurs [R] et [H] [SB] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne les sociétés [11] et [15], in solidum, à payer au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne les sociétés [11] et [15], in solidum aux dépens.

Le GreffierLa Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8
Numéro d'arrêt : 21/04667
Date de la décision : 24/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-24;21.04667 ?
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