La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/06/2022 | FRANCE | N°18/17528

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-6, 24 juin 2022, 18/17528


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6



ARRÊT AU FOND

DU 24 JUIN 2022



N°2022/ 238













Rôle N° RG 18/17528 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDJPH







[W] [T]





C/



Association ESSOR 83



















Copie exécutoire délivrée

le :24/06/2022

à :



Me Serge PICHARD, avocat au barreau de TOULON



Me Dominique IMBERT-REBOUL, avocat au b

arreau de TOULON





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON en date du 18 Septembre 2018 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F17/00431.







APPELANT



Monsieur [W] [T], demeurant [Adresse 1]



comparant en p...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT AU FOND

DU 24 JUIN 2022

N°2022/ 238

Rôle N° RG 18/17528 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDJPH

[W] [T]

C/

Association ESSOR 83

Copie exécutoire délivrée

le :24/06/2022

à :

Me Serge PICHARD, avocat au barreau de TOULON

Me Dominique IMBERT-REBOUL, avocat au barreau de TOULON

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON en date du 18 Septembre 2018 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F17/00431.

APPELANT

Monsieur [W] [T], demeurant [Adresse 1]

comparant en personne, assisté de Me Serge PICHARD, avocat au barreau de TOULON

INTIMEE

Association ESSOR 83, demeurant [Adresse 2] / FRANCE

représentée par Me Dominique IMBERT-REBOUL, avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Mars 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Philippe SILVAN, Président de chambre, et M. Ange FIORITO, Conseiller.

M. Ange FIORITO, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Philippe SILVAN, Président de chambre

Monsieur Thierry CABALE, Conseiller

M. Ange FIORITO, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Caroline POTTIER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Mai 2022 puis prorogé au 24 Juin 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Juin 2022.

Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

M. [W] [T] a été recruté en 1995 comme moniteur éducateur par l'association ESSOR 83, qui a pour objet la création, l'extension et la gestion d'établissements à caractère sanitaire ou social. Il a démissionné en 2002.

M. [T] a été réembauché le 2 juin 2003 comme adjoint technique. A compter du 1er mai 2008, il a exercé en qualité de directeur d'établissement.

Au mois de février 2017, le président de l'association ESSOR 83, M. [R] [J], a quitté ses fonctions et a été remplacé par sa fille, Mme [L] [J].

Le 10 mars 2017, le nouveau conseil d'administration a été réuni pour être présenté à l'ensemble du personnel. A cette occasion, plusieurs salariés ont manifesté leur grande inquiétude quant à leur avenir en raison notamment de la divulgation d'informations confidentielles sur le plan financier.

M. [T] a été convoqué le 14 avril 2017 pour un entretien préalable qui s'est déroulé le 27 avril. La lettre de convocation lui a notifié une mise à pied conservatoire.

M. [T] a été licencié pour faute grave le 5 mai 2017 par lettre recommandée avec accusé de réception.

M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes le 16 juin 2017.

Par jugement du 18 septembre 2018, le conseil de prud'hommes de TOULON a rendu la décision suivante':

«' DIT ET JUGE que la procédure de licenciement est irrégulière,

En conséquence':

CONDAMNE l'association ESSOR 83 à payer à Monsieur [W] [T] la somme suivante': 1 000 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement';

DIT ET JUGE que le licenciement dont a fait l'objet Monsieur [W] [T] est valablement fondé sur des fautes graves';

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes';

MET les dépens à la charge de l'association ESSOR 83.'»

Le jugement du conseil de prud'hommes de TOULON a été notifié le 13 octobre 2018 par lettre recommandée avec accusé de réception à M. [T] qui a interjeté appel par déclaration du 6 novembre 2018.

La clôture de l'instruction a été fixée au 18 février 2022. L'affaire a'été plaidée à l'audience du 8 mars 2022' de la Cour en sa formation collégiale ; l'arrêt a été mis en délibéré au 27 mai 2022.

M. [W] [T], suivant conclusions notifiées par RPVA le 7 février 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, demande'de':

- infirmer le jugement'en ce qu'il a dit et jugé que le licenciement est valablement fondé sur des fautes graves ;

- confirmer le jugement ce qu'il a dit et jugé que la procédure de licenciement est irrégulière et a mis les dépens à la charge de l'association ESSOR 83';

En conséquence,

- dire et juger que le licenciement est abusif';

- prononcer la nullité de la mise à pied du 14 avril 2017';

- condamner l'association ESSOR 83 à lui payer les sommes suivantes':

. 5 424 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement (1 mois de salaire),

. 195 264 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive (36 mois de salaire),

. 21 696 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis (4 mois de salaire),

. 56 304 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement (12 mois de salaire),

. 19 800 euros à titre de dommages et intérêts pour perte des accessoires (voiture': 18000 euros et tél.': 1800 euros)/36 mois,

. 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et préjudice moral,

. 1299 euros à titre de rappel de salaire sur trois ans,

. 5 514 euros au titre de la mise à pied du 15 avril au 5 mai 2017,

. rectification de tous les documents sociaux': solde de tout compte, bulletins de 2014 à 2017, attestation Pôle emploi,

. remise des documents sous astreinte par jour de retard de 100 euros';

- dire que les condamnations seront assorties d'un intérêt au taux légal à compter du 14 juin 2017, date de la saisine jusqu'au parfait paiement';

- ordonner la capitalisation des intérêts';

- condamner l'association ESSOR 83 à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens.

M. [T] énonce que les faits reprochés sont prescrits au visa de l'article 1332-4 du code de travail qui prévoit un délai de prescription de deux mois.

Il soutient qu'ils sont antérieurs à la réunion du 10 mars 2017 et remontent à la fin de l'année 2016. Il explique qu'il a été convoqué le 14 avril 2017 à l'entretien préalable, et que les faits antérieurs au 14 février 2017 sont par conséquent prescrits.

Sur le fond, M. [T] expose que c'est à tort qu'il lui a été reproché une divulgation d'informations auprès des salariés quant à la situation financière de l'association comme cela est apparu lors d'une réunion du 10 mars 2017 à laquelle il n'a pas été invité. Il soutient que le litige n'est pas né dans le cadre de cette réunion, et que les faits reprochés sont la conséquence de ses remarques sur la gestion erratique de l'association ESSOR 83'par son président, M. [J] ; ainsi, il dit avoir attiré l'attention de celui-ci par mail du 19 décembre 2016 sur les difficultés de trésorerie. Il explique qu'en réalité le litige avec M. [J] a pris naissance dès la clôture de l'exercice 2014 s'agissant de la mauvaise affectation d'une somme de 49 000 euros par l'expert-comptable'; il énonce avoir été écarté dès cette date du suivi comptable et financier de l'association'; M. [T], dans ses conclusions, reprend l'historique des relations conflictuelles avec le président. M. [T] énonce que ces faits l'ont conduit à un arrêt maladie courant janvier et février 2017 pour un syndrome anxio-dépressif grave.

Il soutient par conséquent que les divulgations reprochées concernaient des faits connus de l'ensemble des acteurs, dont les salariés de l'association ESSOR 83.

M. [T] allègue que les pièces produites ainsi que la lettre de licenciement ne font état que de rumeurs et non de faits constatés, précis et vérifiables. Il dénonce la cabale orchestrée contre lui par M. [J] au vu des mails produits par la partie intimée. Il conteste les attestations versées aux débats à son détriment, non conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile

Il fait état de la condamnation pénale du 18 novembre 2019 prononcée par le tribunal correctionnel de TOULON contre M. [J], pour des faits d'abus de confiance, en sa qualité de président de l'association, ainsi que de la condamnation sur intérêts civils en date du 27 septembre 2021, l'association ESSOR 83 étant constituée partie civile, condamnations qui selon lui justifient qu'il a alerté à juste titre les partenaires et autorités extérieures de l'association ESSOR 83. Ces condamnations démontrent ainsi pour M. [T] le caractère abusif de son licenciement. Il expose qu'on ne peut lui faire grief d'avoir signalé au conseil départemental et à l'ARS la situation financière de l'association et les dérives de sa gestion du fait de son président. M. [T] précise qu'à la suite de son alerte, il y a eu un signalement au procureur de la République, que la procédure a débouché sur la condamnation de M. [J], et que sa saisine l'ARS est la cause de son licenciement. M. [T] se définit comme un lanceur d'alerte. Il conclut que la faute grave n'est pas prouvée.

M. [T] explique que la procédure de licenciement est irrégulière, la lettre de convocation à l'entretien préalable faisant déjà état d'un licenciement pour faute grave. Il énonce que la faute doit être invoquée au moment où l'employeur prononce le licenciement.

L'association ESSOR 83, suivant conclusions notifiées par RPVA le 11 février 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, demande'de':

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions saut en ce qu'il a jugé que la procédure'de licenciement est parfaitement irrégulière et condamné l'employeur à payer à M. [T] la somme de 1 000 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ;

En conséquence,

- débouter M. [T] de toutes ses demandes';

- condamner M. [T] à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens.

L'association ESSOR 83 énonce notamment que M. [T] ne procède que par affirmations'et qu'il ne produit aucune démonstration à l'appui de ses demandes.

Elle explique que la prescription n'est pas acquise, les faits datant du 10 mars 2017. Elle soutient que M. [T] attire l'attention sur des faits qui ne concernent absolument pas le licenciement et qu'il ne répond pas aux griefs invoqués par l'employeur. L'association ESSOR 83 ajoute que la lettre de licenciement contient six pages de motivation'; elle allègue verser aux débats de nombreux mails, courriers et attestations de salariés aux fins de caractériser la faute grave ayant justifié le licenciement. Elle explique que depuis le licenciement de M. [T], l'association est beaucoup plus sereine et apaisée. Elle énonce qu'il n'est pas reproché à M. [T] d'avoir alerté l'ARS ou tout autre organisme compétent, la meilleure preuve étant que l'association ESSOR 83 s'est constituée partie civile dans le cadre du procès.

L'association ESSOR 83 expose que la procédure de licenciement est régulière'; elle précise que la lettre de convocation à l'entretien préalable contient l'ensemble des mentions obligatoires, et il est écrit de manière régulière qu'un licenciement pour faute grave est envisagé.

MOTIVATION

1°) Sur le licenciement pour faute grave

La faute grave est celle qui, en raison d'un manquement grave du salarié à ses obligations contractuelles dans le cadre du contrat de travail, rend impossible son maintien dans l'entreprise'; elle s'apprécie au regard du contexte spécifique à chaque affaire. La lettre de licenciement fixe les limites du litige.

a) Sur la prescription

L'article L. 1332-4 du code du travail édicte qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

En l'espèce, M.[T] a été convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement pour faute grave le 14 avril 2017. Les faits retenus par l'employeur pour procéder à son licenciement auraient été essentiellement commis, selon les termes de la lettre de licenciement, courant mars et avril 2017. Ces faits ne s'avèrent donc pas prescrits.

b) Sur le fond

La lettre de licenciement du 5 mai 2017'explique qu'une réunion s'est tenue le 10 mars 2017 visant à présenter à l'ensemble du personnel le nouveau conseil d'administration, suite au départ de l'ancien président, M. [J], et qu'à cette occasion plusieurs salariés ont manifesté leurs inquiétudes quant à leur avenir au sein de l'association'; en effet, il est reproché à M. [T] d'avoir divulgué des informations financières strictement confidentielles auprès des salariés, informations qu'il a de plus déformées de sorte que les salariés ont cru leur poste menacé. Il est précisé que M. [T] a refusé de s'exprimer lors de l'entretien préalable sur les griefs formulés.

Il est fait état du manque de loyauté de M. [T] compte tenu de ses responsabilités. La lettre de licenciement se réfère à plusieurs courriers de salariés dénonçant les agissements, les insinuations et les rumeurs colportées par M. [T], générant du mal-être, un climat d'angoisse et des inquiétudes, et la situation devenant insupportable pour les salariés.

Il est notamment question d'une alerte par courriel de M. [Y], moniteur principal, en date du 22 mars 2017, d'un courriel de M. [M], cuisinier, du 5 avril 2017 expliquant que M. [T] s'était rendu dans son bureau le jour même pour insulter sans raison le président, M. [J], le traitant d'alcoolique et de fou, et d'un courriel de M. [A] du 7 avril 2017 faisant état des insinuations de M. [T] à l'encontre cette fois-ci de M. [M] qui avaient choqué les travailleurs handicapés présents.

Il est énoncé que M. [T] a tenu des propos calomnieux et dénigrants à l'encontre de M. [J], l'ancien président, qu'il a notamment dit que ce dernier était un voleur et un escroc. La lettre de licenciement précise que M. [M] a informé la direction que M. [T] divulguait des données confidentielles sur la situation financière de l'entreprise. La lettre de licenciement s'appuie également en la matière sur les témoignages de M. [K], délégué du personnel, de Mme [X], comptable, et de M. [C], moniteur. Il est mentionné que M. [T] a évoqué la possibilité d'une fusion auprès des salariés, alors qu'il n'en avait jamais été question, ce qui a gravement inquiété le personnel'; ainsi, suivant les termes de la lettre, M. [T] a généré un climat délétère, le personnel étant soucieux, angoissé, se sentant manipulé et mêlé à un conflit privé entre M. [T] et l'ancien président. La lettre expose que le mal-être général est confirmé par un courriel de Mme [F], psychologue. Il est précisé que Mme [F] a appelé M. [T] par téléphone afin d'apaiser la situation et que ce dernier s'est montré particulièrement agressif et virulent, et même menaçant à l'encontre de l'association.

Il est également fait état que la directrice, fille de M. [J], a été informée que M. [T] avait mis en copie d'un mail destiné à M. [J] plusieurs salariés, le courriel contenant des informations confidentielles sur la situation financière de l'association, les salariés ayant ainsi craint de perdre leur emploi. Il est précisé que M. [T] a agi de même, s'agissant de la divulgation d'informations, avec des personnes extérieures, comme le directeur adjoint de la ferme du GAPEAU, ou un psychiatre, le docteur [P]. La lettre mentionne que lors d'une réunion du 7 avril 2017, M. [T] a tenu des propos dénigrants à l'encontre de la nouvelle directrice, expliquant notamment': «'J'ai ma secrétaire qui est devenue présidente, ce n'est pas simple mais je m'adapte!'Je la vois rire avec les personnels et fumer sa clope avec [M] et [C] sur la plateforme, ce n'est pas la posture d'une présidente'! » La lettre ajoute que M. [Y], lors de cette réunion du 7 avril 2017, a indiqué qu'il avait été contraint d'être placé en arrêt de travail en raison du climat généré par M. [T], et que ce dernier, au lieu d'apaiser la situation, avait fait état des difficultés financières avec chiffres précis et de son projet de fusion avec d'autres établissements. Il est expliqué que M. [S], moniteur principal, a demandé à la directrice à l'issue de la réunion du 7 avril 2017 d'intervenir, se disant notamment très perturbé par les propos de M. [T]. Il est fait état de l'intention malveillante de M. [T] et de sa volonté manifeste de discréditer la nouvelle direction, ainsi que de ses propos dénigrants et diffamatoires à l'égard de l'ancien et de la nouvelle présidente.

En conclusion, la lettre de licenciement énonce que M. [T] a eu des agissements et fait preuve de man'uvres tendancieuses, qui ont eu des conséquences préjudiciables sur l'ensemble du personnel et sur le bon fonctionnement de l'association, comportements qui sont totalement incompatibles avec les fonctions et les responsabilités de l'intéressé, et rendent impossible le maintien des relations contractuelles.

Ainsi, il ressort de la lettre de licenciement qu'en raison de propos malveillants, déstabilisants ou fallacieux, comme le projet de fusion, et de la divulgation d'informations confidentielles sur le plan financier, M. [T] a généré un profond sentiment d'insécurité au sein du personnel'; il a par ailleurs tenu des propos diffamatoires et dénigrants envers l'ancien président et la nouvelle présidente. Au vu de la lettre, ces faits ont été portés à la connaissance de la présidente à compter d'une réunion du 10 mars 2017. Ces comportements ont été jugés, par la présidente, incompatibles avec les fonctions et responsabilités de M. [T].

L'association ESSOR 83 verse aux débats de nombreux courriels et courriers aux fins de justifier des griefs formulés contre M. [T]':

- un courriel de M. [Y], du 22 mars 2017, moniteur principal, qui fait notamment état des rumeurs sur la mauvaise santé financière de l'association et d'allégations de malversations. M. [T] n'est cependant pas visé par le courriel';

- un courriel de M. [M], cuisinier, du 5 avril 2017, expliquant que la veille, il avait été traité de voleur par M. [T] devant les usagers, et que le 5 avril 2017, M. [T] s'est rendu dans son bureau pour critiquer et insulter M. [J]';

- un second courriel du 5 avril 2017 de M. [M] faisant état le jour même des propos calomnieux de M. [T] envers M. [J]';

- une attestation de M. [M] du 10 avril 2017 dénonçant les rumeurs colportées contre M. [J] par M. [T], ce dernier n'ayant pas hésité à le traiter de voleur et d'escroc, et le fait que M. [T] dévoile des informations confidentielles, en termes de chiffres et de comptes, sur la situation de l'entreprise. M. [M] explique en avoir assez d'entendre les médisances à l'encontre de son président';

- un courriel du 7 avril 2017 de M. [A], moniteur d'atelier, faisant état des insinuations de M. [T] à l'encontre de M. [M], l'accusant de «'remplir son frigo'», M. [A] précisant que ces insinuations ont choqué le groupe de travailleurs handicapés présents à table';

- une lettre de Mme [X], la date étant illisible, responsable des services administratifs et financiers, qui fait notamment état d'une grande situation de mal-être et de souffrance au travail, ainsi que du stress vécu par l'ensemble du personnel, en raison des accusations portées contre M. [J]. M. [T] n'est cependant pas désigné nominativement';

- un courrier de M. [K], éducateur, du 10 avril 2017, qui dénonce la guerre dans laquelle semble être entré M. [T], le directeur, contre l'ancien président, M. [J], et à laquelle M. [T] mêle les salariés. M. [K] explique que malgré la mise ne place de la nouvelle présidence, l'attitude de M. [T] n'a pas changé. M. [K] précise que M. [T] a fait part de son désir de fusion de l'association, ce que ne souhaitent pas les salariés, et qu'il est en train de briser le bon climat qui règne au sein de l'association, livrant des informations qui selon M. [K] devraient rester confidentielles';

- un courrier de M. [S] du 11 avril 2017 qui explique être très perturbé et angoissé par les propos malveillants tenus par M. [T], les rumeurs qu'il colporte quotidiennement contre M. [J]. M. [S] fait état d'une ambiance de travail pesante et pénible';

- un courrier de M. [C], moniteur d'atelier, du 7 avril 2017, qui mentionne les propos calomnieux de M. [T] envers M. [J], malgré la démission de ce dernier'; il dit que par ces propos M. [T] donne l'impression de vouloir détruire l'association ESSOR 83';

- l'attestation de Mme [F], psychologue, du 28 avril 2017. Mme [F] fait état du climat d'angoisse au sein de l'association en raison du comportement de M. [T], et notamment du conflit de celui-ci avec M. [J] auquel il mêle les salariés. Elle dénonce les rumeurs et ragots colportés engendrant des tensions. Elle explique avoir, comme d'autres salariés, reçu le 3 janvier 2017 en copie un mail destiné au président dans lequel M. [T] explique les différents griefs entre les deux personnes et dit envisager alerter le procureur de la République, l'ARS et le Conseil Départemental'; elle énonce que des salariés ainsi que des usagers sont venus la voir pour lui faire part de leurs craintes, notamment pour les salariés de perdre leur emploi, et pour vérifier la véracité des dires du directeur, M. [T]. Mme [F] énonce avoir contacté, aux fins d'apaiser les choses, M. [T] qui s'est montré agressif verbalement envers l'association et menaçant envers les personnels qui ne seront pas derrière lui. Mme [F] se réfère à la réunion du 10 mars 2017 au cours de laquelle les salariés ont pu faire part de leurs questions en raison des informations fournies par M. [T], ce dernier ayant expliqué notamment qu'il allait se rendre à l'ARS afin de dénoncer l'association. Mme [F] précise qu'aussi bien des usagers, personnes handicapées, que des personnes extérieures, comme le directeur adjoint de la ferme du Gapeau, sont témoins du comportement et des révélations de M. [T]. Elle énonce qu'il y a un conflit de personnes entre un directeur, M. [T], aimant le pouvoir et voulant l'affirmer, celui-ci procédant par la calomnie, et un président-employeur qui lui a permis de rentrer dans l'association sans diplôme et de gravir les échelons jusqu'au poste de directeur.

- un courrier de M. [E] du 12 avril 2017 qui dénonce les propos de M. [T] durant la réunion du 7 avril 2017 concernant l'avenir de l'association, à savoir une fusion, et le fait que M. [T] allait porter plainte avec le commissaire aux comptes. Pour M. [E], ces propos ne doivent pas être tenus lors d'une réunion institutionnelle, et il dénonce une situation pour lui pesante et angoissante.

- une attestation de M. [D] du 9 novembre 2017 expliquant qu'il a eu peur de perdre son emploi suite aux révélations de M. [T] sur la situation financière de l'association.

- une attestation de M. [G] du 7 juin 2018 dans laquelle ce dernier explique que M. [T] donnait des chiffres au personnel sans justificatifs, engendrant du stress et une mauvaise ambiance au travail.

Par ailleurs, de nombreux salariés, dont certains apparaissent ci-dessus, précisent par attestation que de part leurs fonctions ils n'avaient pas accès aux comptes, les informations financières leur ayant été fournies par M. [T]. Cependant, le comportement de ce dernier en la matière n'est pas mis en cause.

D'autres salariés expliquent que depuis le départ de M. [T], l'ambiance au travail est meilleure'; il s'agit de Mme [H], M. [Y], M. [A], M. [G], M. [S], Mme [X] et de Mme [U].

Enfin, il ressort de la grande majorité des témoignages que les salariés avaient une bonne opinion de leur président, M. [J].

Ainsi, il résulte de ces différents courriels et courriers que M. [T], par son comportement fait d'insinuations, d'insultes et de divulgations d'informations confidentielles de nature financière, comportement qui a pour origine un conflit avec l'ancien président, M. [J], a généré une situation d'important mal-être au travail pour les employés'; le comportement de M. [T] ne s'est pas apaisé malgré la mise en place d'une nouvelle présidence. Il n'est pas contestable que ce type d'agissements n'est pas conforme aux fonctions de directeur d'établissement exercées par M. [T].

Pour se défendre, M. [T] explique qu'il n'a fait que divulguer des informations qui étaient connues de tous, dénonce une cabale orchestrée contre lui par M. [J], et précise n'avoir fait qu'alerter sur la situation financière de l'association, comme cela sera confirmé par la condamnation pénale de M. [J].

La Cour constate, au vu des attestations évoquées ci-dessus quant à la connaissance des données comptables et financières de l'association par les salariés, qu'il est faux de prétendre que ces derniers étaient au courant de la situation de l'association ESSOR 83.

M. [T] verse aux débats plusieurs courriels': ainsi, un courriel du 19 décembre 2016 adressé par M. [J] dans lequel celui-ci énonce à M. [T] «'vous vous autorisez à diffuser, voire colporter des éléments confidentiels à ESSOR, votre employeur, assortis de menaces et de chantages. Auprès de personnels souvent indignés. Ce qui est d'évidence une faute lourde'!'», la suite du courriel montrant les relations conflictuelles existant entre les deux personnes'; deux courriels de décembre 2016 font état cependant d'un ton cordial de M. [J] vis-à-vis de M. [T]'; un courriel de mars 2015 de M. [T] alerte le président sur la somme de 49 000 euros de frais divers en compte d'attente'; par un courriel de novembre 2016, M. [I] [Z], commissaire aux comptes de l'association, énonce qu'il va saisir les autorités judiciaires si une régularisation spontanée n'intervenait pas, en raison de l'absence d'assemblée générale'; par un courriel de décembre 2016, M. [J] se plaint auprès de M. [T] de son abandon de poste, de ses insultes et excès verbaux, du fait qu'il discute les dépenses de l'association qui l'emploie'; dans un courriel de janvier 2017, M. [J] se plaint notamment d'un comportement de la part de M. [T] qui relève de l'insubordination'; par mail de janvier 2017, M. [T] se plaint auprès de M. [J] de la gestion de l'association par ce dernier.

Ces différents mails mettent en lumière le conflit existant entre M. [T] et M. [J] et des difficultés dans la gestion de l'association pouvant être reprochées à M. [J].

Cependant M. [T] ne produit absolument aucune pièce permettant d'apporter une contradiction sérieuse aux attestations, courriers et courriels versés aux débats par l'association ESSOR 83 relatifs à l'entreprise de déstabilisation menée par lui auprès des salariés en raison de son conflit avec M. [J].

La Cour considère que ce conflit entre les deux autorités et la mauvaise gestion du président, ou son aspect illégal, n'exonèrent pas le comportement reproché à M. [T] qui a conduit les salariés à évoluer dans un contexte de travail délétère.

Enfin, M. [T] s'appuie sur le jugement du tribunal correctionnel de TOULON en date du 18 novembre 2019 qui a notamment condamné M. [R] [J] à une peine de 18 mois d'emprisonnement pour des faits d'abus de confiance commis en sa qualité de président de l'association ESSOR 83, sa fille [O] [J] étant condamnée à une peine de douze mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de recel d'abus de confiance. Il ressort à la lecture du jugement que M. [J] a reconnu les faits tout en minimisant le montant du préjudice'; M. [J] a interjeté appel du jugement.

Sur intérêts civils, M. [J] a été condamné par jugement du 27 septembre 2021 à payer, in solidum avec sa fille [O] [J], la somme de 175 173 euros à l'association ESSOR 83.

La Cour considère que M. [T] n'avait pas à prendre à partie les salariés de l'association des difficultés supposées, les mettant ainsi dans une situation de grande insécurité psychologique qui les a empêchés de travailler avec toute la sérénité voulue'; les deux jugements précités interviennent bien après la période à laquelle les griefs fondant la lettre de licenciement sont apparus, soit durant les mois de mars et avril 2017. Par ailleurs, M. [J] avait démissionné au mois de février 2017, et la nouvelle présidente, Mme [L] [J], même si elle est la fille de l'ancien président, n'est pas concernée par les jugements des 18 novembre 2019 et 27 septembre 2021. Mme [L] [J] est décédée en juin 2019 mais à aucun moment le jugement pénal du 18 novembre 2019 n'évoque sa participation aux faits reprochés à son père et à sa s'ur.

La Cour considère que M. [T] a manqué à son obligation de loyauté envers son employeur et de ce fait, a commis une faute grave justifiant son licenciement.

Sa demande aux fins de juger que le licenciement est abusif n'est pas fondée, comme celles qui en découlent relatives aux dommages et intérêts pour rupture abusive, à l'indemnité compensatrice de préavis, et à l'indemnité conventionnelle de licenciement, au rappel de salaire sur mise à pied et en demande de dommages et intérêts pour perte des accessoires

2°) Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et préjudice moral

M. [T] sollicite la somme de 35 000 euros. Aucune pièce ne vient justifier qu'il a subi des mesures vexatoires dans le cadre de son licenciement'; M. [T] sera débouté de sa demande.

3°) Sur la demande à titre de rappel de salaire sur trois ans

M. [T] réclame la somme de 1 299 euros pour un rappel de salaire sur une période de trois ans. Il ne fournit absolument aucune explication à sa demande ni ne précise les trois années concernées. M. [T] sera par conséquent débouté.

4°) Sur la demande à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement

M. [T] sollicite la somme de 5 424 euros correspondant à un mois de salaire. Il explique que la lettre de convocation à l'entretien préalable faisait déjà état d'un licenciement pour faute grave, ce qui rend la procédure irrégulière.

L'association ESSOR 83 énonce que M. [T] fournit une rémunération mensuelle brute qui est erronée, puisqu'elle est en réalité de 4 518,84 euros, et qu'il est de jurisprudence constante que la convocation à l'entretien préalable à un licenciement doit contenir l'indication non équivoque qu'un licenciement est envisagé.

M. [T] a été convoqué le 14 avril 2017 pour un entretien préalable'; la lettre précise que le licenciement pour faute grave est envisagé, ce qui est conforme aux dispositions de l'article L1232-2 du code du travail qui stipulent que la lettre indique l'objet de la convocation. A la lecture de la lettre de convocation, il est manifeste qu'aucune décision n'a encore été prise et qu'en la matière, l'entretien préalable sera déterminant.

La Cour considère qu'aucune irrégularité n'est caractérisée.

5°) Sur les mesures accessoires

L'équité commande'de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, Statuant publiquement et par jugement contradictoire,'après en avoir délibéré conformément à la loi,

DIT M. [W] [T] recevable en son appel';

INFIRME le jugement rendu le 18 septembre 2018 par le conseil de prud'hommes de TOULON en ce qu'il a condamné l'association ESSOR 83 à payer à M. [W] [T] la somme de 1 000 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement'et en ce qu'il a mis les dépens à la charge de l'association ESSOR 83 ;

Statuant à nouveau,

DEBOUTE M. [W] [T] de sa demande au titre de l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement';

CONFIRME le jugement rendu le 18 septembre 2018 par le conseil de prud'hommes de TOULON pour le surplus';

DEBOUTE l'association ESSOR 83 de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

DIT que chaque partie conservera la charge de ses dépens.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-6
Numéro d'arrêt : 18/17528
Date de la décision : 24/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-24;18.17528 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award