COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Hospitalisation sans consentement
1-11 HO
ORDONNANCE
DU 23 JUIN 2022
N° 2022/0099
Rôle N° RG 22/00099 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJS7T
[X] [E]
C/
MONSIEUR LE DIRECTEUR DU CH [3]
MADAME LA PROCUREURE GENERALE
[N] [E]
Copie délivrée :
par mail
le 23 juin 2022 :
-au Ministère Public
- patient
- directeur
-L'avocate
- Jld Ho Tj de Marseille
Copie adressée :
par LRAR le
23 juin 2022 :
- au tiers
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention de Marseille en date du 27mai 2022 enregistrée au répertoire général sous le n°22/05096.
APPELANTE
Mademoiselle [X] [E]
née le 07 décembre 1997 en Algérie,
demeurant [Adresse 2]
actuellement hospitalisée au centre hospitalier [3] à [Localité 4]
Comparante en personne, assistée de Me Carole SAND SAMOUL avocate au barreau d'Aix-en-Provence, commise d'office, et de Mme [V] [Z] interprète en arabe, non inscrite sur la liste des experts, ayant préalablement prêté serment.
INTIME
Monsieur le directeur du centre hospitalier [3],
demeurant [Adresse 1]
Non comparant et non représenté
TIERS DEMANDEUR
Monsieur [N] [E]
demeurant [Adresse 2]
Non comparant
PARTIE JOINTE
Madame la Procureure Générale près de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence demeurant Cour d'appel - Palais Monclar rue Peyresc - 13100 Aix-en-Provence
Non comparante, ayant déposé des réquisitions écrites
*-*-*-*-*
DÉBATS
L'affaire a été débattue le 23 Juin 2022, en audience publique, devant Madame Catherine LEROI, Conseillère, déléguée par ordonnance du premier président, en application des dispositions de l'article L.3211-12-4 du code de la santé publique,
Greffière lors des débats : Mme Lydia HAMMACHE,
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 juin 2022.
ORDONNANCE
Réputée contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 23 juin 2022
Signée par Madame Catherine LEROI, Conseillère et Mme Lydia HAMMACHE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire,
******************
EXPOSE DE LA PROCEDURE
Selon la procédure figurant au dossier, Mme [X] [E] a fait l'objet le 19 mai 2022 d'une admission en urgence en soins psychiatriques et en hospitalisation complète au sein du Centre Hospitalier [3] à la demande d'un tiers dans le cadre de l'article L.3212-3 du code de la santé publique, au vu d'un certificat médical daté du même jour du Dr [T] faisant état de troubles du comportement croissants depuis plusieurs mois, sous-tendus par une activité délirante floride, l'intéressée vivant recluse dans sa chambre et mangeant très peu, convaincue du risque d'empoisonnement que lui ferait courir sa belle-mère, l'expression d'une riche activité délirante avec la conviction d'être surveillée par la Jordanie via les réseaux sociaux et d'être victime d'un vol de la pensée, d'une ambivalence aux soins et d'un vécu délirant actif, ces troubles rendant impossible son consentement et imposant une hospitalisation complète en urgence, au regard du risque grave d'atteinte à l'intégrité de la malade.
Par ordonnance rendue le 27 mai 2022 le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Marseille, saisi dans le cadre du contrôle obligatoire prévu aux articles L.3211-12-1 et suivants du même code, a dit que les soins dont Mme [X] [E] faisait l'objet, pourraient se poursuivre sous la forme de l'hospitalisation complète.
Cette décision a été notifiée à l'intéressée à une date ignorée.
Par courrier reçu au greffe le 20 juin 2022, Mlle [X] [E] a interjeté appel de la décision précitée.
Le ministère public a conclu par écrit en date du 20 juin 2022 à la confirmation de la décision querellée et son avis a été communiqué aux autres parties.
A l'audience du 23 juin 2022, l'appelante a été entendue et a déclaré : ' j'accepte que l'affaire soit débattue en audience publique. J'ai oublié ce que je voulais dire. Je sens la présence du roi de Jordanie et c'est cela qui me bloque et je n'arrive plus à parler, c'est ma belle-mère qui ne me supporte pas, c'est elle qui me provoque, elle n'arrête pas de me frapper et de me violenter, sa fille se comporte de la même manière avec moi, elle me frappe et m'insulte, elle m'a dit un jour qu' elle allait me faire saigner. Mon père vit avec ma belle-mère depuis 13 ans, je vis avec mon père ; ma belle-mère insiste auprès de mon père pour qu'il me mette dehors, elle ne veut pas que je reste et que je communique avec lui, j'ai 4 frères et soeurs, deux garçons et deux filles, l'aîné à 10 ans, mon frère à 21 ans , moi j'ai 23 ans, pour moi ce sont tous mes vrais frères et soeurs, je ne parle pas beaucoup avec eux mais on s'entend bien , je reste seule dans ma chambre pour éviter les problèmes. Ma belle-mère a pris l'habitude que je reste dans ma chambre et le peu que je sors, elle essaye de me provoquer, je ne sais pas ce qu'elle a mis dans le manger. Une fois, elle m'a ramené une pizza mais je ne me sentais pas bien après l'avoir mangée, j'ai eu des illusions. A l'hôpital, je mange, mais je ne finis pas mes repas. Oui, mon père est venu me voir à l'hôpital plusieurs fois, il travaille beaucoup et n'a pas beaucoup de temps à me consacrer. J'ai arrêté mes études en terminale, je n'ai pas pu passer le bac car en rentrant de l'école, j'ai vu ma belle-mère faire de la sorcellerie. Oui, je ne sors plus de chez moi depuis trois ans. Ma belle-mère ne fume pas mais elle fume avec les paroles. Je suis suivie par la famille royale de Jordanie, il y a beaucoup de pression sur moi. La belle-mère a pris mon père. Je veux sortir, déposer plainte contre ma belle-mère. J'ai le droit de saisir la justice. Je veux sortir et vivre avec mon père et lui aussi le veut, il n'est pas au courant de ce qu'elle fait ( la belle-mère). Elle dit à mon père ce que je fais à la maison, elle commence à crier sur moi. Ma belle-mère commence à avoir les cornes (l'interprète indique qu'en arabe que cela veut dire qu'elle s'impose à la maison). La famille royale de Jordanie m' a envoyé le compte Facebook de ma belle-mère'.
La présidente sollicite les observations de l'infirmier accompagnant Mme [E], M. [L] [P] ; ce dernier déclare : Mme [E] s'isole à l'hôpital, bien qu'on ait du personnel qui parle arabe. Elle est née d'une première union puis le papa s'est remarié, a eu 4 enfants ; d'après ce qu'il dit, sa fille s'est renfermée depuis longtemps ; son père est la seule personne qui lui rend visite, il est très très inquiet. On ne souhaite pas que la belle-mère vienne tant que l'état de Mme [E] n'est pas stabilisé. Elle a un traitement psy mais, compte tenu de son poids, on fait attention au traitement. On essaye de lui faire faire des activités, elle refuse et même avec la nourriture elle a du mal.
Son avocate n'a pas fait d'observations sur la procédure et elle a indiqué s'en rapporter à l'appréciation de la juridiction, Mme [E] souhaitant la mainlevée de la mesure d'hospitalisation complète. Elle a relevé l'existence de difficultés relationnelles très importantes avec la belle-mère dont cette dernière est peut-être responsable et exprimé une inquiétude quant au terrain familial existant.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la forme
L'appel interjeté dans le délai de 10 jours prévu par les articles R. 3211-18 et R. 3211-19 du code de la santé publique, est recevable.
Le juge des libertés et de la détention a statué dans le délai prévu à l'article L. 3211-12-1 1° du même code.
Sur le fond
Mme [X] [E] a fait l'objet d'une hospitalisation à temps complet sans son consentement dans les circonstances ci-dessus précisées, les conditions de l'hospitalisation complète étant énumérées à l'article L. 3212-1 du code de la santé publique, selon lesquelles l'intéressé doit présenter des troubles mentaux rendant impossible son consentement et son état mental doit imposer des soins immédiats assortis d'une surveillance médicale constante.
Le dossier comporte les certificats médicaux suivants :
- le certificat médical initial susvisé, à l'origine de l'hospitalisation de Mme [X] [E],
- le certificat médical de 24 heures rédigé le 20 mai 2022 par le Dr [M] faisant état d'une attitude très méfiante dans le contact, d'un refus des aliments non emballés en lien avec le délire d'empoisonnement présenté, d'un discours pauvre et d'un déni des troubles constatés et rapportés par son entourage,
- le certificat médical de 72 heures rédigé le 22 mai 2022 par le Dr [W] notant un contact toujours très étrange, figé et hermétique, une latence dans les réponses, peu de contact oculaire, un vécu persécutoire délirant encore bien prégnant avec la conviction que l'on peut l'espionner grâce à son téléphone et une absence de possibilité de critique des troubles,
- le certificat médical de situation délivré le 25 mai 2022 par le Dr [M] relevant la persistance d'idées délirantes à thématique de persécution avec un persécuteur désigné, associées à un délire d'empoisonnement conduisant à des troubles alimentaires et des mises en danger de sa personne, la verbalisation de la sensation persistante d'être sous surveillance induisant des troubles du comportement à type de repli et d'isolement ainsi qu'un état d'incurie majeur et un déni total des troubles,
- l'avis médical simple adressé à la cour d'appel par le Dr [B] le 22 juin 2022 indiquant que Mme [E] présente une schizophrénie paranoïde depuis 3/4 ans, qu'elle ne sort plus de son domicile depuis 3 ans, que depuis son hospitalisation , elle passe ses journées isolée, toute seule avec le téléphone sans contact avec les autres, qu'elle se sent persécutée par la famille royale de Jordanie qui lui envoie régulièrement des messages sur YouTube et qui peut lire dans ses pensées, que dans sa chambre, elle ne se sent pas tranquille, épiée par des caméras installées par ses persécuteurs, qu'elle présente une conviction délirante; qu'elle exprime aussi des idées délirantes envers sa belle-mère mais que ses explications sont floues et paralogiques; il conclut que la mesure de soins psychiatriques sous forme d'hospitalisation complète reste justifiée.
La teneur des pièces médicales précédemment énoncées et examinées, concordantes entre elles, permet de constater que les conditions fixées par l' article L. 3212-1 du code de la santé publique sont toujours réunies.
En conséquence, la décision du premier juge qui a autorisé la poursuite de l'hospitalisation complète doit être confirmée, la demande de sortie de l'intéressée étant prématurée au regard de la gravité de la pathologie et de la fragilité de son état de santé décrites par les médecins.
Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public en application de l'article R. 93-2° du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par décision réputée contradictoire.
Déclarons recevable mais non fondé l'appel formé par Mme [X] [E].
Confirmons la décision déférée rendue le 27 mai 2022 par le juge des libertés et de la détention de Marseille.
Laissons les dépens à la charge du Trésor public.
La greffière, La présidente,