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10/06/2022 | FRANCE | N°21/05406

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8, 10 juin 2022, 21/05406


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8



ARRÊT AU FOND

DU 10 JUIN 2022



N°2022/.













Rôle N° RG 21/05406 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHIPU







[N] [Z]





C/



S.A.S. [6]



S.A.S. [3]



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE



















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



- Me Christine CASABIANCA



- Me

Thomas HUMBERT



- Me Paul GUILLET



- CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE





























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Pole social du TJ de DIGNE LES BAINS en date du 23 Mars 2021,enregistré au répertoire général sous le n° 18/00289.





APPELANT



Monsieur [N] [Z], demeura...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8

ARRÊT AU FOND

DU 10 JUIN 2022

N°2022/.

Rôle N° RG 21/05406 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHIPU

[N] [Z]

C/

S.A.S. [6]

S.A.S. [3]

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Christine CASABIANCA

- Me Thomas HUMBERT

- Me Paul GUILLET

- CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du TJ de DIGNE LES BAINS en date du 23 Mars 2021,enregistré au répertoire général sous le n° 18/00289.

APPELANT

Monsieur [N] [Z], demeurant [Adresse 7]

comparant en personne, assisté de Me Christine CASABIANCA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEES

S.A.S. [6] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 8]

représentée par Me Thomas HUMBERT, avocat au barreau de PARIS

S.A.S. [3], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Paul GUILLET, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Alice FADY, avocat au barreau de MARSEILLE

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE, demeurant [Adresse 2]

non comparante

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Avril 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Mme Catherine BREUIL, Conseillère

Greffier lors des débats : Madame Isabelle LAURAIN.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 Juin 2022.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Juin 2022

Signé par Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre et Madame Isabelle LAURAIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le 8 février 2018, [Y] [Z] a été victime d'un accident dont il est décédé sur le chantier où il travaillait. Il avait été mis à disposition de la société utilisatrice [3] par la SAS [6] selon contrat de mission temporaire du 29 janvier 2018 pour la période du 29 janvier 2018 au 28 février 2018 inclus, en qualité d'ouvrier maçon finisseur, pour effectuer des travaux de ponçage, bouchardage, application de mortier, mise hors d'eau hors d'air et suivi des fissures.

Le 11 février 2018, la société [6] a établi une déclaration d'accident du travail, indiquant que: « M.[Z] avec son chef d'équipe, était entrain de ranger du matériel avant de partir déjeuner. Son collègue s'est éloigné 1 ou 2 minutes et l'a retrouvé allongé, inanimé ».

Le 23 mai 2018, la CPAM des Alpes de Haute-Provence a notifié à M. [N] [Z], le fils de la victime, sa décision de prendre en charge l'accident au titre de la législation professionnelle.

Par courrier réceptionné par les services de la CPAM le 10 juillet 2018, M.[Z] a saisi la CPAM d'une demande de conciliation pour reconnaître, le cas échéant, la faute inexcusable de l'employeur, à laquelle la caisse a répondu le 13 août 2018, qu'en raison d'une surcharge d'activité, elle n'était pas en mesure d'organiser la conciliation.

Par lettre expédiée le 4 octobre 2018, reçue au greffe le 8 octobre suivant, M. [N] [Z], a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Alpes de Haute-Provence, aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur de [Y] [Z].

Par jugement du 23 mars 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Digne-les-Bains a :

- mis hors de cause la société [4],

- rejeté les demandes suivantes de la société [6] :

-voir constater l'absence de caractère professionnel du malaise dont est décédé M. [Y] [Z],

-voir débouter M. [N] [Z] de son recours en reconnaissance de faute inexcusable,

- rejeté la demande de reconnaissance de faute inexcusable fondée sur la présomption de faute

inexcusable,

- rejeté les demandes de M. [N] [Z] tendant à voir reconnaître la faute inexcusable,

tendant à voir ordonner à la CPAM de verser une indemnité complémentaire, tendant à voir fixer

des dommages intérêts au titre d'un préjudice moral,

- dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens,

- rejeté toutes les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté le surplus des demandes,

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire.

Par déclaration notifiée par RPVA le 13 avril 2021, M. [N] [Z] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

A l'audience du l'audience du 7 avril 2022, l'appelant, par la voix de son conseil, Maître Casabianca, reprend oralement les écritures déposées le jour de l'audience et visées par le greffe. Il demande à la cour de :

- infirmer le jugement,

- dire qu'une une faute inexcusable de l'employeur est à l'origine de l'accident du travail ayant entraîné le décès de [Y] [Z],

- ordonner à la CPAM de procéder au versement de l'indemnisation complémentaire aux ayants droits du défunt prévue en cas de faute inexcusable,

- fixer l'indemnisation de son préjudice moral à la somme de 25.000 euros et condamner la CPAM à lui verser cette indemnisation,

- condamner en tout état de cause la Société [6] ou son assureur à rembourser à la CPAM les sommes qu'elle sera amenée à lui verser au titre des préjudices extra-patrimoniaux,

- condamner in solidum la Société [6] et la CPAM à lui payer la somme de 4.000 euros, à titre de frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Il se fonde sur les articles L.452-1 à L.452-3, L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, les articles R.4441-1, L. 4121-1 et R.412-2 du code du travail, et la jurisprudence, pour rappeler la définition de la faute inexcusable de l'employeur, le principe de la présomption de la faute inexcusable pour les intérimaires en contrat à durée déterminée affectés à un poste présentant un risque particulier pour leur santé ou leur sécurité et celui de la responsabilité de l'entreprise de travail temporaire en cas de faute inexcusable de l'employeur, à charge pour elle de se retourner contre la société utilisatrice.

Il fait valoir qu'alors que la société [6] conteste la matérialité de l'accident du travail mortel et son origine professionnelle, elle n'apporte aucun élément susceptible de contredire les éléments ressortant de l'enquête de gendarmerie, l'autopsie et l'enquête de l'inspection du travail.

Il mentionne que la déclaration d'accident du travail a été hors délai légal de 24 heures de sorte qu'elle est illégale.

Il relève des contradictions quant aux conditions de travail de la victime et l'absence de certitude quant à l'heure de son malaise à l'origine du décès et ses circonstances, à la lecture de l'enquête de gendarmerie, mais également la certitude que le défunt s'est trouvé seul, pendant plus de quelques minutes. Il s'appuie pour le démontrer sur l'enquête administrative de la CPAM, les constatations de l'inspection du travail et des clichés photographiques des lieux de l'accident.

Il considère que les conditions de travail de la victime ont causé son accident mortel. Il se fonde sur les dires des préposés à l'inspecteur du travail pour démontrer que [Y] [Z] utilisait

une meuleuse destinée à découper plutôt qu'à poncer de sorte qu'il n'y avait pas d'aspirateur intégré à l'outil, sur ses propres déclarations pour faire valoir que le chef d'équipe avait travaillé sur une nacelle bleue le jour de l'accident et sur des attestations pour faire établir que c'est lors de la pause déjeuner que le chef d'équipe s'est rendu compte de l'absence de la victime. Il s'appuie sur les mêmes attestations pour faire valoir que les masques n'avaient été mis à disposition par la société employeur que le jour de l'accident. Il invoque le courrier de l'inspecteur du travail pour démontrer que la victime n'avait pas reçu la formation spécifique à la sécurité pour les intérimaires le jour de son accident. Il conclut que des incohérences du dossier ont pour but de dissimuler que le défunt était en situation de travailleur isolé, qu'il est mort seul sans aucune assistance et ce en raison des efforts exigés par ses fonctions,

Il ajoute enfin que le doute bénéficie à la victime.

La SAS [6], entreprise d'intérim, reprend oralement les conclusions déposées à l'audience et visées parle greffe. Elle demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [N] [Z] de ses prétentions. A titre subsidiaire, elle demande que la provision dont la caisse primaire d'assurance maladie sera tenue de faire l'avance soit fixée à de plus justes proportions. En tout état de cause, elle demande qu'il soit dit que la faute inexcusable a été commise par la société [3] en sa qualité d'entreprise utilisatrice, que celle-ci soit condamnée à la garantir de toutes les condamnations prononcées contre elle et que M. [N] [Z] soit condamné à lui payer la somme de 2.000 euros à titre de frais irrépétibles.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir qu'il appartient à l'appelant de rapporter la preuve d'une faute de l'employeur et du lien de causalité entre cette faute et l'accident de la victime, la présomption d'imputabilité prévuée à l'article L.411-1 du Code de la sécurité sociale ne s'appliquant qu'à la reconnaissance de l'accident du travail et non pas à la reconnaissance d'une faute inexcusable.

Elle conteste le caractère professionnel de l'accident aux motifs de :

- l'absence d'événement brutal, extérieur et soudain le jour du malaise de la victime, étant précisé qu'aucun lien ne peut être établi entre les travaux exposant à des vibrations et un trouble cardiaque,

- l'existence d'une cause totalement étrangère au travail, le fils de la victime déclarant lui-même que son père avait déjà fait un malaise avant l'accident et l'autopsie ayant révélé une atteinte cardiaque tri-tronculaire très évoluée, de sorte que la victime présentait une pathologie dégénérative évoluant pour son propre compte.

Elle considère que la faute inexcusable ne peut être présumée dès lors que le poste de la victime n'était pas un poste à risques particuliers au sens de l'article R.4624-23 du Code du travail. Si la cour en décidait autrement, elle fait valoir que seule l'entreprise utilisatrice est en mesure de dire si le poste présente un risque particulier et si elle a pris les mesures adéquates en termes de formation. Elle s'appuie sur différents documents pour faire valoir que la victime avait été formée par un rappel des règles de sécurité, deux évaluations d'identification des risques sur les chantiers, qu'elle avait été déclarée apte au poste sans réserve et qu'elle avait reçu son équipement de protection individuelle.

Elle fait valoir que l'appelant échoue à prouver l'existence d'une faute inexcusable dans la mesure où il n'est pas démontré qu'elle pouvait avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié, elle a mis à disposition un salarié parfaitement adapté au poste proposé, aucune restrictions médicales n'avaient été évoquées avant l'accident, ni aucune alerte de la part de la victime.

Elle ajoute qu'elle a pris des mesures pour assurer la sécurité de ses salariés en mettant à disposition un salarié adapté à la mission proposée, celui-ci a bénéficié d'un accueil sécurité adpté à son poste de travail, il était apte à son poste et ne travaillait pas de manière isolée.

Enfin, elle fait valoir que l'appelant ne peut à la fois considérer que les circonstances de l'accident ne sont pas déterminées et qu'une faute inexcusable en est la cause. Elle précise que si une faute était retenue elle ne peut être attribuée qu'à la société utilisatrice qui devra la garantir des conséquences financières.

La SASU [3], société utilisatrice, reprend oralement les conclusions déposées le jour de l'audience et visées par le greffe. Elle demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner M. [N] [Z] à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de frais irrépétibles. Subsidiairement, elle demande à la cour de limiter l'indemnité éventuellement allouée à l'appelant à la somme de 11.000 euros.

Elle se fonde sur les résultats de l'autopsie, le témoignage de Mme [V], responsable de l'agence d'intérim, et l'audition du chef d'équipe ayant travaillé en binôme avec la victime le jour de l'accident pour faire valoir que l'accident litigieux n'est pas un accident du travail. Elle fait valoir que l'infarctus résulte d'une pathologie, sans lien avec le travail.

En outre, elle fait valoir que les seules déclarations de l'appelant ne suffisent pas à démontrer que la société employeur aurait dû avoir conscience du danger et prendre des mesures pour éviter qu'il se réalise et s'appuie sur le suivi médical réalisé par la médecine du travail. Elle se fonde sur l'enquête de gendarmerie pour démontrer que la victime travaillait dans de bonnes conditions et respectueuses de la réglementation. Elle précise que la victime travaillait avec une ponceuse dont les vibrations sont bien moins importantes que celles provoquées par un marteau piqueur ou une meuleuse d'angle et qui ne sont pas susceptibles d'expliquer l'infarctus de la victime.

Subsidiairement, elle se fonde sur le référentiel indicatif de la Cour de cassation pour évaluer l'indemnisation du préjudice d'affection d'un enfant pour la perte de son père, lorsqu'il est majeur et vivant hors de son foyer.

Bien que régulièrement convoquée par courrier recommandé avec accsué de réception retourné signé le 10 février 2022, la caisse primaire d'assurance maladie, qui a pourtant adressé par courrier reçu par le greffe de la cour le 4 avril 2022 des conclusions écrites, n'a pas comparu.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé du litige. L'affaire a été mise au délibéré par mise à disposition au greffe, la date fixée ayant été communiquée aux parties présentes.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le caractère professionnel de l'accident mortel dont a été victime [Y] [Z] le 8 février 2018

Il est constant qu'en vertu de l'article L.411-1 du Code de la sécurité sociale, la présomption d'imputabilité implique que toute lésion survenue au temps et au lieu du travail doit être considérée comme résultant d'un accident du travail sauf s'il est rapporté la preuve que cette lésion a une origine totalement étrangère au travail.

En l'espèce, il ressort de la déclaration d'accident du travail de la société employeur, en date du 9 février 2018, que la veille à 11h45, alors que [Y] [Z] rangeait le matériel sur le chantier [5] où il travaillait depuis 7h30, a fait un malaise et que son collègue qui s'était éloigné une à deux minutes l'a retrouvé allongé inanimé.

L'enquête de gendarmerie permet de vérifier que le décès de [Y] [Z] a été déclaré par le médecin du SMUR à 12h45 sur son lieu de travail.

Il s'en suit que l'apparition soudaine d'une lésion au temps et sur le lieu du travail du salarié dont l'employeur indique lui-même dans la déclaration d'accident que ses heures de travail le jour de l'accident étaient 7h30 - 12h et 13h-16h30, est établie et permet de présumer le caractère professionnel de l'accident.

En outre, la société employeur échoue à rapporter la preuve d'une cause totalement étrangère au travail susceptible de renverser la présomption.

En effet, les premiers juges relèvent pertinemment qu'il ressort du rapport d'autopsie en date du 9 février 2018, qu'au titre des antécédents, il est remarqué un tabagisme de l'assuré social, mais qu'à aucun moment les médecins n'indiquent que ce tabagisme aurait pu être une cause, même partielle, d'une pathologie à l'origine de la morte subite de [Y] [Z].

De même, ils indiquent à juste titre que les déclarations de [N] [Z], fils de la victime, lors de l'enquête administrative de la caisse primaire d'assurance maladie, selon lesquelles son père avait changé de poste à la suite d'un premier malaise la semaine précédente ne sont corroborées par aucun élément objectif, de sorte que ces déclarations sont insuffisantes à justifier l'existence d'un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte.

Enfin, ils ont vérifié qu'il ne résultait ni de la fiche de suivi individuel de la victime établie le 28 juillet 2017 dans le cadre d'un examen médical d'aptitude demandé par la société employeur, ni d'aucun autre document médical, que [Y] [Z] souffrait d'une quelconque pathologie le rendant inapte au poste de coffreur, bancheur et maçon.

La cour ajoute que l'autopsie concluant à une atteinte cardiaque tri-tronculaire très évoluée avec présence de séquelles d'infarctus, qui, notamment, permet de dire que l'hypothèse la plus probable est un décès d'origine naturelle par mort subite (trouble du rythme cardiaque sur infarctus) dans un contexte d'effort important (ponçage de béton), ne permet pas à elle-seule de vérifier l'existence d'une pathologie cardiaque dégénérative sans lien avec le travail alors que le contexte professionnel est expressément visé.

En conséquence, le moyen de l'absence de caractère professionnel de l'accident doit être écarté.

Sur la faute inexcusable à l'origine de l'accident

Aux termes de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Si les circonstances de l'accident demeurent indéterminées, alors la recherche d'une faute inexcusable de l'employeur à l'origine de cet accident n'a pas lieu d'être.

En revanche, si les circonstances de l'accident sont déterminées, alors la recherche d'une faute inexcusable de l'employeur est possible. Dans ce cas, la charge de la preuve de la faute inexcusable incombe au salarié qui l'invoque, à moins que la faute inexcusable ne soit présumée dans le cas prévu à l'article L.4154-3 du Code du travail.

Sur les circonstances de l'accident

Il ressort de l'enquête de gendarmerie que [Y] [Z] a commencé son travail en binôme avec son chef d'équipe à 8 heures 15 avec la mission de poncer la paroi intérieure en béton d'un futur réacteur à l'aide d'une disqueuse reliée à un système d'aspiration des poussières et qu'il a effectué plusieurs pauses au cours de la matinée. A 11 heures 45 le duo a cessé le travail et rangé les outils. Le chef d'équipe a alors laissé seul [Y] [Z] pendant quelques minutes pour aller ranger le matériel dans un local fermé un étage plus bas. A son retour il a retrouvé [Y] [Z] inanimé sur le sol.

Il résulte du classement sans suite ordonné par le procureur de la République et du courrier de l'inspection du travail au fils de la victime le 8 avril 2019, qu'aucune infraction pénale, ni aucune infraction à la réglementation du droit du travail, n'est susceptible d'être retenue.

L'autopsie du 9 février 2018 a permis de conclure à une mort subite d'origine naturelle du fait d'un trouble du rythme cardiaque sur infarctus.

Il s'en suit que les circonstances de l'accident dont [Y] [Z] a été victime le 8 février 2018, sont parfaitement déterminées et que la recherche de la faute inexcusable de l'employeur à l'origine du malaise cardiaque de son salarié peut être recherchée.

Sur la présomption de faute inexcusable

L'article L.4154-3 du Code du travail dispose que pour les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité ils n'auraient pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue par l'article L.4154-2, la faute inexcusable de leur employeur est présumée. 

Il convient d'ajouter qu'en matière d'accident du travail imputable à la faute inexcusable de l'employeur, il résulte de l'article L.412-6 du code de la sécurité sociale que l'entreprise utilisatrice est regardée comme substituée dans la direction, au sens de l'article L.452-1, à l'entreprise de travail temporaire et l'article L.1251-21 du code du travail dispose que pendant la durée de la mission, l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail, et notamment de ce qui a trait à la santé et à la sécurité au travail.

En l'espèce, il ressort du contrat de mission temporaire par lequel la société [6] a mis à disposition [Y] [Z] auprès de la société [3], du 29 janvier au 28 février 2018, qu'il devait effectuer des travaux de ponçage, bouchardage, application de mortier, mise hors d'eau, hors d'air, et de suivi des fissures.

Dans sa réponse aux demandes de [N] [Z] en date du 8 avril 2019, l'inspecteur du travail indique que l'enquête menée par ses services a permis d'établir que [Y] [Z] était inscrit à la formation PASI des 19 et 20 mars 2018 de sorte qu'il n'en avait pas encore bénéficié le jour de l'accident. Il indique également que l'enquête n'a pas permis de qualifier la situation de travail de [Y] [Z] de travail isolé. Il précise que l'organisation mise en oeuvre prévoyait le fonctionnement a minima en binôme pour réaliser les travaux et la configuration des lieux, ainsi que la plus ou moins grande proximité des équipes réalisant ces travaux de bouchardage et de ponçage ne permettaient pas définir la situation de travail isolé au sens de l'article R.4512-13 du Code du travail.

L'audition de M. [O], chef d'équipe de la victime sur le chantier, par les gendarmes le 15 mars 2018, corrobore les dires de l'inspecteur du travail sur le travail en binôme avec [Y] [Z] sur le chantier et sur le fait qu'il n'a laissé son collègue que quelques minutes le temps de ranger les outils dans un local fermé sous la mezzanine où ils travaillaient et alors même qu'ils avaient cessé leur activité.

L'attestation de M. [R] [J] produite par l'appelant et selon laquelle il distribuait le travail à au moins deux équipiers en même temps suite à l'accident mortel de [Y] [Z] et il avait travaillé souvent seul à des activités de finition en 2020 est sans emport sur les conditions de travail dans lesquelles se trouvait la victime le jour de l'accident. De même, les clichés photographiques des lieux de l'accident ne permettent pas à la cour de vérifier que la victime effectuait un travail isolé lors de l'accident.

Il n'est donc pas démontré que [Y] [Z] travaillait à un poste isolé présentant un risque particulier pour sa santé et sa sécurité.

De sucroît, l'appelant invoque les risques provoqués par les vibrations. Il ressort des déclarations du chef d'équipe M. [O] tant dans le cadre de l'enquête administrative de la caisse primaire d'assurance maladie, que dans le cadre de l'enquête pénale des gendarmes, que le jour de l'accident, la victime travaillait au moyen d'une ponceuse rotative et que la veille, il avait travaillé au bouchardage avec un perforateur. Or, si les deux outils sont susceptibles de provoquer des vibrations, il n'est aucunement démontré que l'exposition aux vibrations compte parmi les postes présentant des risques particuliers pour la santé et la sécurité des travailleurs au sens de l'article R.4624-23 du Code du travail.

En conséquence, bien que [Y] [Z] n'ait pas bénéficié d'une formation renforcée à la sécurité avant son accident, dès lors qu'il n'est pas établi qu'il était affecté à un poste présentant un risque particulier pour sa santé ou sa sécurité, la faute inexcusable de son employeur à l'origine de l'accident ne saurait être présumée.

En conséquence, il appartient à l'appelant de rapporter la double preuve de la conscience par l'employeur du danger auquel était exposé son salarié et de l'absence de mesures prises par lui pour éviter la réalisation du risque.

Sur la preuve de la faute inexcusable

De façon pertinente, les premiers juges relèvent qu'il n'est pas démontré que la victime effectuait un travail isolé au moment de l'accident d'une part et que l'employeur pouvait ou aurait dû avoir conscience du danger de malaise cardiaque auquel la victime était exposée d'autre part.

En effet, si le fils de la victime a indiqué dans l'enquête administrative de la caisse primaire d'assurance maladie que son père avait dû changer de poste après avoir fait un premier malaise la semaine précédant l'accident mortel, en revanche, devant les gendarmes, le 9 février 2018, dès le lendemain de l'accident,il a déclaré qu'il ne lui connaissait pas de problèmes cardiaques et qu'il ne lui en avait jamais parlé.

En outre, l'appelant ne justifie d'aucun document permettant de vérifier que l'employeur était effectivement avisé d'un risque de malaise cardiaque pour son salarié.

Au contraire, il ressort de la fiche de suivi individuel de la victime en date du mois de juillet 2017, qu'il avait été déclaré apte au poste de maçon sans qu'aucune réserve ne soit émise.

En conséquence, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que la conscience que la société avait ou aurait dû avoir d'un danger de malaise cardiaque auquel était exposé son salarié, n'est pas démontrée, et ont rejeté la demande en reconnaissance de faute inexcusable.

Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les frais et dépens

M. [Z], succombant à l'instance, sera condamné au paiement des dépens de l'appel, en vertu de l'article 696 du Code de procédure civile.

En application de l'article 700 du même code, il sera débouté de sa demande en frais irrépétibles et condamné au paiement de la somme de 1.000 euros à la société [3] et 1.000 euros à la société [6], à ce même titre.

PAR CES MOTIFS,

 

La cour statuant publiquement par décision contradictoire,

Confirme le jugement rendu le 23 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Digne les Bains, en toutes ses dispositions,

Condamne M. [Z]  à payer 1.000 euros à la société [3] et 1.000 euros à la société [6] par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,   

Condamne M. [Z] aux éventuels dépens de l'appel.

 

 Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8
Numéro d'arrêt : 21/05406
Date de la décision : 10/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-10;21.05406 ?
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