La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/06/2022 | FRANCE | N°21/05053

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8, 10 juin 2022, 21/05053


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8



ARRÊT AU FOND

DU 10 JUIN 2022



N°2022/.













Rôle N° RG 21/05053 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHHPL







Organisme [2]





C/



Société [3]



















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



- Me Julie MOREAU



- [2]

















Déc

ision déférée à la Cour :



Jugement du Pole social du TJ de MARSEILLE en date du 11 Février 2021,enregistré au répertoire général sous le n° 17/1003.





APPELANTE





[2], demeurant [Adresse 5]



non comparante



dispensée en application des dispositions de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile d'être représentée l'audi...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8

ARRÊT AU FOND

DU 10 JUIN 2022

N°2022/.

Rôle N° RG 21/05053 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHHPL

Organisme [2]

C/

Société [3]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Julie MOREAU

- [2]

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du TJ de MARSEILLE en date du 11 Février 2021,enregistré au répertoire général sous le n° 17/1003.

APPELANTE

[2], demeurant [Adresse 5]

non comparante

dispensée en application des dispositions de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile d'être représentée l'audience

INTIMEE

Société [3], demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Julie MOREAU, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Avril 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Mme Catherine BREUIL, Conseillère

Greffier lors des débats : Madame Isabelle LAURAIN.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 Juin 2022.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Juin 2022

Signé par Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre et Madame Isabelle LAURAIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [M] [U], employé intérimaire de la société [3], a été victime le 09 août 2016, alors qu'il était mis à disposition de la société [1] en qualité d'ouvrier qualifié, d'un accident du travail, déclaré le jour même par son employeur et pris en charge au titre de la législation professionnelle. La caisse a fixé la date de la consolidation avec séquelles non indemnisables au 12 janvier 2018.

En l'état d'une décision implicite de rejet, par la commission de recours amiable, de sa contestation afférente à la durée des arrêts de travail prescrits à son salarié, la société [3] a saisi le 12 janvier 2017 le tribunal des affaires de sécurité sociale, étant précisé que la décision explicite de rejet est intervenue le 28 mars 2017.

Par jugement avant dire droit en date du 11 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Marseille a ordonné une expertise, dont le rapport a été déposé le 9 novembre 2020.

Par jugement en date 11 février 2021, le tribunal judiciaire de Marseille, pôle social, a:

* déclaré inopposable à la société [3] les conséquences financières des arrêts de travail et soins prescrits à compter du 19 novembre 2016,

* rejeté le surplus des demandes,

* condamné la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône au paiement des frais d'expertise et aux dépens.

La caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône a interjeté régulièrement appel de ce jugement dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées.

En l'état de ses conclusions réceptionnées le 27 avril 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches du Rhône demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de déclarer opposable à la société [3] la prise en charge des arrêts de travail et soins consécutifs à l'accident du travail de M. [U] du 09 janvier 2016 au 13 janvier 2018.

A titre subsidiaire, elle sollicite une expertise médicale.

En l'état de ses conclusions visées par le greffier le 27 avril 2022, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la société [3] sollicite la confirmation du jugement entrepris et demande à la cour de lui déclarer inopposable l'ensemble des arrêts de travail de M. [U] à compter du 19 novembre 2018 et de condamner la caisse primaire d'assurance maladie aux dépens.

MOTIFS

L'article L.411-1 du code de la sécurité sociale dispose qu'est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

La présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, s'étend pendant toute la durée de l'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime, et il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption de la renverser en rapportant la preuve contraire.

Il résulte en outre des articles L.141-1 et R.142-24-1 du code de la sécurité sociale que les contestations d'ordre médical relatives à l'état du malade ou de la victime, et notamment à la date de consolidation en cas d'accident du travail et de maladie professionnelle et celles relatives à leur prise en charge thérapeutique, donnent lieu à une expertise médicale et que le juge saisi du différend peut ordonner une nouvelle expertise si une partie en fait la demande.

La caisse expose verser aux débats l'ensemble des certificats médicaux d'arrêts de travail liés à l'accident du travail pour la période du 09 août 2016 au 20 janvier 2018 et que la date de consolidation sans séquelles indemnisables est celle du 12 janvier 2018.

Elle souligne la continuité des arrêts et que la première consultation psychiatrique faite par l'assuré est en date du 08 septembre 2016 soit un mois après l'accident sans aucun état antérieur signalé, précisant que son service médical a accepté le 18 novembre 2016 la prise en charge de la nouvelle lésion de syndrome dépressif réactionnel.

Elle soutient que l'expert n'a pas tenu compte de certaines données médicales du dossier de l'assuré notamment qu'il a été victime d'un traumatisme crânien qui a dû faire l'objet d'un suivi psychiatrique qui est directement lié aux lésions subies lors de l'accident du travail.

L'intimée lui oppose que l'expertise mentionne que le certificat médical initial indique un traumatisme crânien avec plaie du crâne et que les arrêts de travail prescrits à compter du 18 novembre 2016 l'ont été à la suite d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel.

Elle soutient qu'il ne fait aucun doute que la totalité des arrêts de travail prescrits ne peut être rattachée à l'accident du travail du 09 août 2016.

En l'espèce, il résulte de la déclaration d'accident du travail que le salarié découpait le 09 août 2016 une tôle avec un oxycoupeur et lorsque la tôle est tombée un morceau suspendu est venu le heurter au niveau du front. Le certificat médical initial en date du 09 août 2016, établi par un médecin urgentiste du centre hospitalier, mentionne un traumatisme crânien sans perte de connaissance ainsi qu'une plaie de 8cm suturée. Il prescrit un arrêt de travail.

Il est exact que la caisse justifie de la continuité des certificats médicaux de prolongation d'arrêts de travail jusqu'au 20 janvier 2018, ainsi que de l'avis de son service médical en date du 25 janvier 2018 fixant au 12 janvier 2018 la date de consolidation avec séquelles non indemnisables, avec la précision que la poursuite de l'arrêt du travail est justifiée en maladie.

L'expert désigné par les premiers juges, qui est rhumatologue, a du reste mentionné dans son rapport la continuité des arrêts de travail jusqu'au 20 janvier 2018, précisant que:

* le certificat médical de prolongation du 18 novembre 2016 'évoque' un syndrome dépressif réactionnel pris en charge par un psychiatre à compter du 17 janvier 2017,

* ce certificat, ainsi que d'autres ultérieurs, mentionnent un traumatisme crânien avec perte de connaissance alors que le certificat médical initial n'en fait pas état.

Il conclut que le traumatisme crânien a été bénin avec une plaie suturée et sans perte de connaissance et qu'aucun élément ne lui permet de relier de façon directe, certaine et exclusif l'état anxio-dépressif mentionné sur le certificat médical du 18 novembre 2016 avec cet accident du travail.

L'expert estime que:

* les arrêts de travail, les prestations et les soins doivent être pris en charge au titre de l'accident du travail du 09 août 2016 au 18 novembre 2016,

* la date de consolidation doit être fixée à cette date,

* à compter du 19 novembre 2016, les arrêts de travail et les soins sont en lien avec une pathologie indépendante évoluant pour son propre compte sous forme d'un état anxio-dépressif.

Contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, cette expertise n'est pas claire et exhaustive.

Elle ne prend pas en compte l'ensemble des avis médicaux, qu'elle ne liste pas intégralement, et l'expert se contredit en écrivant que l'origine du syndrome anxio-dépressif peut être multi-factorielle, sans expliciter son propos, tout en refusant de considérer ensuite qu'il puisse y avoir un lien avec l'accident du travail et en affirmant péremptoirement que cette pathologie est indépendante et évolue pour son propre compte.

La cour relève que le certificat médical de prolongation en date du 11 août 2016, établi par conséquent deux jours après l'accident, mentionne en sus des lésions initiales précitées des 'céphalées', 'vertiges', contractures cervicales', éléments de nature à établir que le traumatisme

ne peut être considéré comme étant 'bénin'.

La caisse justifie avoir sollicité l'avis de son médecin conseil sur ces lésions, qui n'étaient pas mentionnées sur le certificat médical initial, et justifie que son médecin conseil a estimé le 06 septembre 2016 que les lésions décrites sur le certificat du 11 août 2016 qui n'étaient pas mentionnées sur le certificat médical initial sont imputables à l'accident du travail.

La cour constate par ailleurs que les vertiges, céphalées et cervicalgies sont mentionnées également sur les certificats de prolongation des 1er et 16 septembre 016 et que le certificat de prolongation du 08 novembre 2011, qui mentionne l'existence de vertiges, fait état d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel.

La caisse justifie que son médecin conseil a estimé le 28 novembre 2016 que ce syndrome anxio-dépressif est imputable à l'accident du travail.

La cour constate qu'à partir du 17 janvier 2017, les certificats de prolongation sont établis par un médecin psychiatre, et qu'ils mentionnent les lésions initiales mais en indiquant que le traumatisme crânien a été avec perte de connaissance ainsi que l'existence de crises d'angoisses.

L'expert est donc parti du postulat, sans avoir examiné l'ensemble des éléments médicaux, ni les discuter, que l'état anxio-dépressif ne présente aucun lien avec l'accident et qu'il s'agit d'une pathologie indépendante.

Or du fait de la continuité des prolongations des arrêts de travail jusqu'à la date de consolidation retenue par le médecin conseil de la caisse pour être inopposable à l'employeur l'arrêt de travail doit être exclusivement imputable à une cause totalement étrangère au travail ou à un état pathologique évoluant pour son propre compte, en dehors de tout lien avec l'accident du travail.

Dans son argumentaire, le médecin conseil de la caisse reprend l'intégralité des éléments médicaux en possession du service médical et indiquant notamment que:

* le médecin psychiatre a prescrit le 08 septembre 2016 une prise en charge médicamenteuse pour des troubles de l'humeur et angoisse, conduisant à considérer que le traumatisme crânien a été assez violent avec persistance après l'hospitalisation d'une journée d'un syndrome post-commotionnel en attente de scanner,

* lors de la consultation du 05 octobre 2016, il a été noté un traumatisme crânien avec perte de connaissance et amnésie de l'accident,

* lors de la consultation du 24 mars 2017, les doléances exprimées par la victime de l'accident du travail étaient des vertiges rotatoires, des crises d'angoisse, avec agressivité,

* le courrier de transmission du médecin psychiatre à un ORL est motivé par des 'vertiges rotatoires, fortes céphalées frontales gauches suite à un accident du travail avec traumatisme crânien et perte de connaissance',

* le scanner réalisé le 1er décembre 2016 est normal et l'IRM du 12 octobre 2016 pour vertiges et surdité droite n'a pas révélé d'atteinte du paquet acoustico-facial droit,

* dans la base de données sur service médical, la première consultation psychiatrique est en date du 08 septembre 2016 et il n'y a pas de consultation psychiatrique antérieure.

L'ensemble de ces éléments médicaux objectifs repris dans l'argumentaire du médecin conseil de la caisse contredisent donc l'avis de l'expert sur l'absence de lien entre le diagnostic médicalement posé dans le certificat de prolongation du 17 janvier 2017 et l'accident du travail.

De plus, le médecin conseil de la caisse précise dans son argumentaire que si la notion de perte de connaissance est discutée car absente du certificat médical initial, elle est présente dans les doléances faites au service médical et sur les certificats du psychiatre et que le tableau clinique est celui d'un syndrome subjectif des traumatisés crâniens qui conduit à des images cérébrales.

Ce médecin conclut son argumentaire en écrivant que le traumatisme a été responsable de la décompensation de la fragilité avec un état d'angoisse empêchant toute reprise du travail, qui a ensuite évolué vers un état psychotique traité secondairement par un neuroleptique.

Il résulte donc des éléments médicaux objectifs que dans les suites immédiates de l'accident du travail la victime s'est plainte de troubles faisant ressortir que le traumatisme crânien a été important et les investigations médicales alors réalisées (consultation ORL, scanner et IRM) n'ayant pas révélé d'autre atteinte physique que celles mentionnées sur le certificat médical initial, ont conduit à poser le diagnostic d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel en lien avec l'accident du travail trois mois après l'accident du travail.

Le décalage temporel entre ce diagnostic du syndrome anxio-dépressif réactionnel, c'est à dire d'une nouvelle lésion, et celles mentionnées sur le certificat médical initial est donc exclusivement lié aux examens complémentaires spécialisés.

Le litige qui oppose les parties ne repose donc pas sur un différend médical mais est purement juridique, pour porter sur l'application de la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail jusqu'à la date de consolidation et les éléments susceptibles de la renverser.

Une expertise judiciaire a pour objet d'apporter à la juridiction un éclairage technique pour trancher le litige soumis à son appréciation. Le juge n'a ni à entériner un rapport d'expertise ni à l'homologuer mais doit se prononcer sur l'imputabilité des lésions médicalement constatées à l'accident du travail.

Il ne peut être présentement considéré que la victime de l'accident du travail avait un antécédent psychiatrique en l'absence de prise en charge et de suivi avant le 09 septembre 2016, l'expertise, n'apportant aucun élément à cet égard et l'employeur ne l'établit pas davantage.

Les crises d'angoisses mentionnées sur les certificats médicaux de prolongation ainsi que les céphalées et vertiges conduisent la cour à considérer que la présomption d'imputabilité au travail résultant des lésions initiales et de la continuité des arrêts et soins n'est pas renversée par la preuve que le travail n'a joué aucun rôle dans l'apparition de la lésion ou dans une évolution pour son propre compte, c'est à dire qu'elle est étrangère au travail.

L'opposabilité à l'employeur de la prise en charge des arrêts de travail et soins sur la période du 19 novembre 2016 au 12 janvier 2018, désormais seule discutée implique donc, pour que soit écartée la présomption d'imputabilité, qu'il soit établi que les arrêts et soins à compter du 19 novembre 2016 procèdent d'une cause totalement étrangère au travail ou qu'ils sont la conséquence d'une évolution d'une pathologie apparue dans les suites de l'accident du travail évoluant pour son propre compte.

En l'absence d'élément de nature à étayer l'existence d'une cause étrangère au travail qui serait à l'origine de la prolongation des arrêts et soins à compter du 19 novembre 2016, une nouvelle expertise est dépourvue de pertinence.

Par infirmation du jugement entrepris, la cour juge que les arrêts et soins prescrits jusqu'à la date de consolidation retenue, soit jusqu'au 12 janvier 2018 sont opposables à la société [3].

Succombant en ses prétentions la société [3] doit être condamnée aux dépens, lesquels incluent les frais de l'expertise.

PAR CES MOTIFS,

- Infirme le jugement entrepris,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

- Dit opposable à la société [3] la prise en charge au titre de l'accident du travail en date du 09 août 2016 survenu à M. [M] [U] de l'ensemble des arrêts de travail et soins jusqu'au 12 janvier 2018,

- Déboute la société [3] de ses demandes,

- Condamne la société [3] aux dépens, y ce compris les frais de l'expertise du Dr [W].

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8
Numéro d'arrêt : 21/05053
Date de la décision : 10/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-10;21.05053 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award