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10/06/2022 | FRANCE | N°18/16667

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-6, 10 juin 2022, 18/16667


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6



ARRÊT AU FOND

DU 10 JUIN 2022



N° 2022/ 200













Rôle N° RG 18/16667 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDHAQ







[G] [T]





C/



SARL AGENCE DES 3 PINS













Copie exécutoire délivrée

le :10/06/2022

à :



Me Anne-sylvie VIVES, avocat au barreau de TOULON



Me Sarah SIAHOU, avocat au barreau de MARSEILLE

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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON en date du 14 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 17/00017.





APPELANTE



Madame [G] [T], demeurant [Adresse 2]



représentée par ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT AU FOND

DU 10 JUIN 2022

N° 2022/ 200

Rôle N° RG 18/16667 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDHAQ

[G] [T]

C/

SARL AGENCE DES 3 PINS

Copie exécutoire délivrée

le :10/06/2022

à :

Me Anne-sylvie VIVES, avocat au barreau de TOULON

Me Sarah SIAHOU, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON en date du 14 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 17/00017.

APPELANTE

Madame [G] [T], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Anne-sylvie VIVES, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Alexandra PIGNÉ, avocat au barreau de TOULON

INTIMEE

SARL AGENCE DES 3 PINS, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Sarah SIAHOU, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 22 Mars 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, M. Thierry CABALE, Conseiller de la chambre, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

M. Philippe SILVAN, Président de chambre

Monsieur Thierry CABALE, Conseiller

M. Ange FIORITO, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Caroline POTTIER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 10 Juin 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Juin 2022,

Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Par contrat de travail à durée indéterminée, Madame [G] [T] a été engagée par la Sarl Agence des 3 Pins à compter du 20 septembre 2004 en tant que secrétaire à temps partiel de vingt-cinq heures hebdomadaire dont un quart dédié à la prospection immobilière, pour une rémunération en partie variable selon des avenants conclus en 2006.

La salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie ordinaire à compter du 7 octobre 2016.

Le 11 janvier 2017, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Toulon afin d'obtenir, notamment, la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Le 10 mai 2017, elle a de nouveau saisi cette juridiction afin d'obtenir, notamment, que sa prise d'acte par lettre du 16 mars 2017 produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 14 septembre 2018, le conseil de prud'hommes de Toulon a :

- prononcé dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG F17/00017 et F17/00325,

- dit que désormais ces affaires devaient être suivies sous le seul numéro RG F17/00017,

- dit que la rupture au titre de la prise d'acte n'était pas fondée,

- dit que la rupture intervenue produira les effets d'une démission,

en conséquence,

- débouté Madame [G] [T] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la Sarl Agence des 3 Pins de ses demandes reconventionnelles au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la Sarl Agence des 3 Pins de sa demande au titre des dommages et intérêts pour préavis,

- condamné Madame [G] [T] aux entiers dépens.

Le 19 octobre 2018, dans le délai légal, la salariée a relevé appel de ce jugement qui lui a été notifié le 1er octobre 2018.

Par dernières conclusions du 2 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, la salariée demande à la cour de :

réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris déboutant Madame [T] de l'intégralité de ses demandes;

- constater, dire et juger les heures complémentaires et supplémentaires accomplies par Madame [T] et non rémunérées;

- constater que la Sarl Agence des 3 Pins n'a pas respecté les dispositions légales relatives aux durées maximales de travail;

- constater les mauvaises conditions de travail de Madame [T] et le surmenage auquel elle a été confrontée;

- constater les manquements de la Sarl Agence des 3 Pins dans le maintien de salaire de Madame [T] durant sa maladie;

- constater les irrégularités commises par la Sarl Agence des 3 Pins dans le paiement des salaires et dans la rédaction des bulletins de salaire;

- dire que les manquements de la Sarl Agence des 3 Pins sont suffisamment grave et rendent impossible la poursuite des relations contractuelles;

en conséquence,

- dire que la rupture du contrat de travail aux torts de la Sarl Agence des 3 Pins est justifiée par les graves manquements de l'employeur;

- dire que la résiliation judiciaire, et au surplus, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Madame [T], produit les effets d'un licenciement abusif;

- fixer la date de rupture du contrat de travail au 16 mars 2017, date de la prise d'acte de la rupture du contrat;

- dire que le salaire mensuel moyen de Madame [T] s'élève à 6080,89 euros bruts;

- condamner la Sarl Agence des 3 Pins, prise en la personne de son représentant légal en exercice, au paiement des sommes suivantes :

Indemnité légale de licenciement : 19357,49 euros nets ;

Indemnité compensatrice de préavis : 12161,78 euros bruts ;

Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 1 216,17 euros bruts ;

Dommages et intérêts pour licenciement abusif : 109500 euros nets ;

Indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement : 6080,89 euros nets ;

Dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat : 36500 euros nets;

Dommages et intérêts pour non-respect des durées maximales de travail : 36500 euros nets ;

Complément de salaire pour maladie d'octobre 2016 à décembre 2016 : 12232,74 euros bruts;

Indemnité de congés payés sur complément de salaire maladie : 1223,27 euros bruts ;

Heures complémentaires et supplémentaires du 1er juin 2016 au 30 septembre 2016 :13288,64 euros bruts ;

Indemnité de congés payés sur heures supplémentaires : 1328,86 euros bruts ;

Indemnité pour travail dissimulé : 36500 euros nets ;

- dire que les sommes allouées à titre d'indemnités et dommages intérêts s'entendent en net de charges et de toutes contributions sociales;

- ordonner la remise de l'attestation Pôle Emploi rectifiée ainsi que du certificat de travail;

- ordonner à la Sarl Agence des 3 Pins la remise des bulletins de salaire rectifiés et conforme au jugement à intervenir mais également le paiement aux caisses des rappels de cotisations sur la base du salaire réellement dû sur la période de juin 2016 à mars 2017;

- ordonner la rectification de l'attestation de salaire pour le paiement des indemnités journalières de sécurité sociale en ce que les salaires de juillet, août et septembre 2016 sont erronés et ne correspondent pas aux salaires dus pour chaque mois;

- ordonner la remise des documents sous astreinte de 100 euros par jour de retard;

- condamner la Sarl Agence des 3 Pins, prise en la personne de son représentant légal en exercice, au paiement de la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles de procédure et aux entiers dépens.

La salariée fait valoir que :

- notamment au moyen de décomptes et d'attestations de clients et d'employés, elle satisfait au régime probatoire relatif aux heures complémentaires et supplémentaires qui lui sont dues pour la période du 1er juin 2016 au 30 septembre 2016 durant laquelle, sans jamais être payée d'une heure complémentaire, elle a accomplit 50 heures de travail par semaine pour faire face à une surcharge de travail après que lui ait été transférée l'intégralité des tâches de prospection et de signature des baux jusque là dévolues à un ancien associé démissionnaire; l'employeur autorisait ces heures puisqu'il lui remboursait les frais kilométriques afférents;

- les dépassements des durées maximales de travail par suite notamment de la réalisation de 50 heures de travail hebdomadaires doivent donner lieu à l'allocation de dommages et intérêts en raison du préjudice subi;

- l'employeur a manqué à son obligation de sécurité puisqu'il n'est pas intervenu en dépit des signes de son épuisement qui découlait de la violation des durées maximales du travail et d'une surcharge de travail;

- la résiliation judiciaire du contrat de travail doit résulter :

. du défaut de paiement d'heures complémentaires et supplémentaires durant la relation de travail quand selon plusieurs témoignages elle devait accomplir du travail bien au-delà de ses horaires contractuels en raison d'un sous effectif chronique qui s'est aggravé en juin 2016 à la suite du départ d'un associé et dont il est résulté un surmenage qui conduira à son placement en arrêt de travail pour maladie;

. du non-versement partiel du complément de salaire dû entre le 7 octobre et le 31 décembre 2016 en raison de la seule carence de l'employeur qui lui reproche vainement de ne pas lui avoir fait parvenir les éléments relatifs aux indemnités journalières perçues puisqu'elle n'en a perçu qu'à compter de janvier 2017; ainsi, via son expert-comptable, l'employeur n'a pas appliqué, ensemble, les articles 24-2, 25, 37.2 et 37.3.1 de la convention collective nationale de l'Immobilier puisqu'il n'a pris en compte que le salaire mensuel de base brut quand il devait maintenir, faute de stipulation contraire, le salaire mensuel global intégrant la partie variable;

. d'un surmenage et de pressions, étant souvent interrompue sans aucune raison durant ses rendez-vous, et contrainte de travailler dans une ambiance hostile, ce qui l'a conduite à devoir être suivie durant plus de six mois par son médecin généraliste pour 'syndrome anxieux sévère' puis par un psychiatre;

. d'un cumul d'irrégularités dans l'établissement des bulletins de paie et dans le paiement du salaire dès le mois de juillet 2016, ce qui a entraîné la perception des salaires de septembre et d'octobre 2016 uniquement à l'audience de conciliation de février 2017 et le non-versement persistant d'une partie des éléments variables;

- la prise d'acte, notamment, pour non-paiement des heures supplémentaires et du complément de salaire, est également justifiée puisque les manquements ont perduré rendant la poursuite du contrat de travail impossible, alors que l'employeur ne prouve pas la déloyauté dont il l'accuse, notamment une prétendue activité parallèle et la perception d'honoraires en fraude de ses droits;

- l'intention de dissimuler du travail est caractérisée au regard du nombre d'heures supplémentaires que l'employeur, qui en connaissait l'existence, n'a pas porté sur les bulletins de paie.

Par dernières conclusions du 8 mars 2019, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, l'employeur demande à la cour de :

confirmer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié la prise d'acte de rupture du contrat de travail de Madame [T] en démission;

réformer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Sarl Agence des 3 Pins de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles;

- débouter Madame [T] de toutes ses demandes telles que formulées à l'encontre de la Sarl Agence des 3 Pins; - débouter Mme [T] de sa demande de rappel d'heures complémentaires et supplémentaires;

- dire et juger que la Sarl Agence des 3 Pins a respecté les dispositions légales relatives à la durée maximale de travail;

- dire et juger que Madame [T] n'a subi dans le cadre de la relation contractuelle aucune mauvaise condition de travail ni surmenage;

- dire et juger que la Sarl Agence des 3 Pins n'a commis aucun manquement dans le maintien de salaires de Madame [T] durant sa maladie;

- constater que la Sarl Agence des 3 Pins n'a commis aucune irrégularité dans le paiement des salaires et dans la rédaction des bulletins de salaire;

- dire et juger que les manquements de la Sarl Agence des 3 Pins, si tant est qu'ils existent, ne sont pas suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles et par conséquent pour justifier une prise d'acte de rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur;

en conséquence,

- dire et juger que la rupture du contrat de travail doit s'analyser en une démission;

- dire et juger que la résiliation judiciaire ou encore la prise d'acte de rupture du contrat de travail produit les effets d'une démission;

- dire que le salaire mensuel moyen de Madame [T] s'élève à la somme de 2758,73 euros;

- condamner Madame [T] à payer à la Sarl Agence des 3 Pins les sommes suivantes :

6370,20 euros au titre du préavis non exécuté,

15000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail en application de l'article 1134 du code civil,

3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- condamner Madame [T] aux entiers dépens.

L'employeur fait valoir que :

- la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail est devenue sans objet par suite de sa rupture ultérieure par prise d'acte;

- la prise d'acte n'est pas justifiée dès lors que les manquements invoqués sont infondés ou ne sont pas d'une gravité suffisante:

. la réclamation d'heures supplémentaires est tardive alors qu'elle établissait elle-même le décompte de ses heures et l'adressait à l'expert comptable pour l'édition du chèque en paiement de son salaire; cette demande ne repose sur aucun élément probant; les heures supplémentaires n'ont pas été autorisées; elle n'a pu être surmenée dans la mesure où signer les baux faisait partie de ses obligations courantes avant le départ, en juin 2016, d'un associé coupable de malversations qui lui laissait une grande autonomie, notamment dans la déclaration de ses heures de travail;

. la salariée ne l'a pas informé à temps de la non-perception d'indemnités journalières sur la période allant jusqu'à décembre 2016; dans l'hypothèse d'une reconstitution du salaire sur les douze mois ayant précédé son arrêt de travail, le salaire mensuel moyen à retenir serait de 2758,73 euros bruts soit une base de calcul des rappels de salaire complémentaire en application de la convention collective, réduite à 2482,85 euros bruts ( 90% du salaire brut total);

- le prétendu surmenage et la pression alléguée ne ressortent pas des attestations produites qui ne sont pas probantes faute notamment d'être précises et circonstanciées;

- aucune irrégularité n'a été commise en matière de salaire en tenant compte des éléments suivants : la part variable du salaire et les frais kilométriques mentionnés sur les bulletins correspondent aux prestations et frais du mois précédent selon le descriptif annexé au bulletin de salaire, tous éléments adressés par la salariée à l'expert-comptable qui ont donné lieu à l'établissement d'un bulletin de salaire conforme au salaire dû; l'absence de prise en compte d'éventuels frais kilométriques, qui demeureraient à justifier, n'est la conséquence que d'une demande tardive à l'expert-comptable pour le mois précédent; si un acompte a été à tort mentionné, sans être prélevé, sur le bulletin de septembre 2016, cette erreur a été régularisée le mois suivant; de même, ce n'est qu'en raison de la carence de la salariée, qui n'a pas retiré les plis recommandés, que celle-ci n'a pas reçu les enveloppes contenant les bulletins et règlements des mois de septembre et d'octobre 2016, ce qui a été constaté par le bureau de conciliation à l'audience du 9 février 2017; pour le surplus, le paiement du salaire n'a été l'objet d'aucun incident;

- la salariée ne justifie pas de sa situation actuelle; la moyenne des trois derniers mois, plus favorable, n'est que de 3185,10 euros bruts; aucune indemnité pour procédure irrégulière n'est due en matière de prise d'acte;

- aucun manquement à l'obligation de sécurité n'a existé; l'arrêt de travail est sans lien avec les manquements qui lui sont reprochés;

- des heures de travail éventuellement accomplies à son insu ne peuvent caractériser son intention de dissimuler du travail;

- nonobstant l'arrêt de travail, le préavis de démission reste dû;

- la salariée doit être condamnée reconventionnellement à l'indemniser au titre de la violation de son obligation de loyauté telle qu'elle ressort d'attestations, ayant consisté, dans le cadre d'une activité parallèle de gérance locative exercée durant ses heures de travail, à percevoir des honoraires en espèces et à se faire rembourser des frais par l'agence, en utilisant la réputation et les locaux de celle-ci outre ses outils de travail.

La clôture de l'instruction est intervenue le 4 mars 2022.

MOTIFS:

Sur les heures complémentaires et supplémentaires:

Il résulte de l'article L 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

La salariée sollicite le paiement d'heures complémentaires et supplémentaires accomplies du 1er juin 2016 au 30 septembre 2016 au-delà des horaires contractuels fixés du lundi au vendredi de 8h30 à 12h et de 14h à 16h30, soit 25 heures hebdomadaires et 108,33 heures mensuelles rémunérées.

Elle estime avoir réalisé des horaires de travail quotidiens allant de 7h30 jusqu'à 19h30 et 25 heures complémentaires et supplémentaires chaque semaine; outre un décompte précis des heures réclamées inséré dans ses conclusions, elle produit les éléments suivants:

- l'attestation d'un client qui l'a rencontrée à l'agence le 26 septembre 2016 à 17h30;

- l'attestation d'un plombier en lien professionnel avec l'agence qui l'a souvent rencontrée sur les lieux d'intervention dans la journée vers 17h-18h;

- l'attestation d'une cliente avec laquelle, dans le cadre d'une location, elle a visité le logement le 13 septembre 2016 de 18h30 à 19h30 et réalisé l'état des lieux le 27 septembre 2016 de 17h à 18h;

- l'attestation d'une cliente qui s'est présentée à l'agence le 2 septembre 2016 vers 19h pour signer le bail relatif à un garage qu'elle lui avait fait visiter le jour précédent;

- l'attestation d'une cliente à laquelle elle a proposé deux biens à visiter le 5 juillet 2016 à 19h15 et le lendemain à 18h;

- l'attestation d'une cliente avec laquelle elle a réalisé la visite d' un appartement au début du mois de septembre 2016 après 17 h, suivie de communications téléphoniques entre 18h et 19h;

- l'attestation d'une propriétaire dont elle a traité le dossier dans son intégralité en septembre 2016, dont une visite après 17h et des entretiens téléphoniques en fin de journée, entre 18h et 19h;

- l'attestation d'une propriétaire qu'elle a rencontrée pour une estimation de bien sur place le 18 juillet 2016 à 18h30 puis deux jours plus tard dans les locaux de l'agence;

- l'attestation d'une autre propriétaire dont elle a constitué le dossier à l'agence le 13 juillet 2016 à 12h30 et pour laquelle elle a réalisé l'état des lieux le 19 juillet 2016 entre 12h30 et 14h, avant une visite du 29 septembre 2016 à 18h;

- l'attestation d'un candidat locataire auquel elle a fait visiter un appartement le 7 septembre 2016 entre 12h et 14h et avec lequel elle a effectué un état des lieux le 12 septembre 2016 à 16h30;

- l'attestation d'une locataire dont l'état des lieux relatif à une maison a été établi le 28 juin 2016 de 17h30 à 19h;

- l'attestation d'un collègue de travail qui l'a vue arriver au bureau le matin régulièrement à partir de 7h45 et être restée de temps en temps entre 12h et 14h afin d'avancer le travail administratif;

- l'attestation d'une locataire sur ses interventions en lien avec une sortie des lieux le 23 juin 2016 à 18h45 et le 4 juillet 2016 à 18 h;

- l'attestation d'une candidate locataire sur la visite d' un appartement effectuée le 12 septembre 2016 après17h.

Cet ensemble d'éléments suffisamment précis et complets permet à l'employeur d'y répondre.

L'employeur affirme essentiellement, sans offre de preuve des horaires effectivement accomplis par la salariée, que celle-ci n'a accompli aucune heure complémentaire ni supplémentaire dès lors qu'elle ne les a pas déclarées; il ne contredit pas sérieusement les éléments précis fournis par l'appelante qui font ressortir des horaires particulièrement compatibles avec les missions relatives à la gestion locative qu'il lui confiait et qu'il ne justifie pas avoir été utilisés à d'autres fins, ayant même validé des frais en lien avec des horaires qu'il conteste.

La demande de la salariée en paiement d'heures complémentaires et supplémentaires est donc fondée et il y est fait droit à hauteur du montant réclamé dont il est justifié par des calculs suffisamment précis et détaillés qui ne sont pas plus sérieusement contredits.

L'employeur sera donc condamné à ce titre au paiement de la somme de 13288,64 euros bruts outre la somme de 1328,86 euros bruts de congés payés afférents.

Sur la demande au titre du non-respect des durées maximales de travail:

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire fixée à l'article 6, sous b), de la directive 2003/88 constitue, en tant que tel, une violation de cette disposition, sans qu'il soit besoin de démontrer en outre l'existence d'un préjudice spécifique (CJUE, 14 octobre 2010, C-243/09, Fuß c. Stadt Halle, point 53). Cette directive poursuivant l'objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d'un repos suffisant, le législateur de l'Union a considéré que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire, en

ce qu'il prive le travailleur d'un tel repos, lui cause, de ce seul fait, un préjudice dès lors qu'il est ainsi porté atteinte à sa sécurité et à sa santé (CJUE,14 octobre 2010, C-243/09, Fuß c. Stadt Halle, point 54). La Cour de justice de l'Union européenne a précisé que c'est au droit national des États membres qu'il appartient, dans le respect des principes d'équivalence et d'effectivité, d'une part, de déterminer si la réparation du dommage causé à un particulier par la violation des dispositions de la directive 2003/88 doit être effectuée par l'octroi de temps libre supplémentaire ou d'une indemnité financière et, d'autre part, de définir les règles portant sur le mode de calcul de cette réparation (CJUE, 25 novembre 2010, Fuß c. Stadt Halle, C-429/09,

point 94).

En application de l'article L. 3121-35, alinéa 1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n 2016-1088 du 8 août 2016, interprété à la lumière de l'article 6 b) de la directive n 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, les éléments d'appréciation font ressortir que les semaines de travail de la salariée ont très souvent excédé la durée maximale du travail hebdomadaire alors en vigueur, atteignant 50 heures de travail de juin 2016 à septembre 2016.

Ces dépassements lui ouvrent droit à l'allocation de dommages et intérêts pour le préjudice subi.

Compte tenu, notamment, de l'importance et de la fréquence de ces dépassements, la somme de 1000 euros nets sera allouée à la salariée à titre de dommages et intérêts.

Sur l'obligation de sécurité:

Il résulte de l'article L 4121-1 du code du travail que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

En l'espèce, il ressort des attestations de clients et de collègues de travail que la salariée a été confrontée à une charge de travail importante qui l'amenait à réaliser des heures complémentaires et supplémentaires, à souvent dépasser la durée maximale de travail hebdomadaire, et, surtout dans les derniers temps, à montrer des signes évidents d'épuisement physique et moral qui ne découlaient que des missions confiées par son employeur, lequel ne justifie pas avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail de la salariée restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps du travail et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé de la salariée.

Au vu des éléments d'appréciation, il y a lieu d'allouer à la salariée une somme de 1000 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Sur le rappel de complément de salaire:

Il n'est pas contestable que l'employeur n'a pas appliqué, ensemble, les articles 24-2, 25, 37.2 et 37.3.1 de la convention collective nationale de l'Immobilier, puisque durant la période concernée par la réclamation, celui-ci n'a pris en compte que le salaire mensuel de base brut quand il devait maintenir, faute de stipulation contraire, le salaire mensuel global intégrant la partie variable.

Or, il résulte des éléments d'appréciation, dont les éléments de calculs précis apportés par la salariée qui ne sont pas utilement contredits par l'employeur qui, notamment, retient un salaire brut mensuel d'un montant inexact de 2758,73 euros ne tenant pas compte du salaire correspondant aux heures réalisées au-delà de l'horaire contractuel, que la demande en paiement d'un reliquat de complément de salaire est fondée dans son principe et son montant.

L'employeur sera donc condamné à ce titre au paiement de la somme de 12232,74 euros bruts outre 1223,27 euros bruts de congés payés afférents.

Sur la rupture du contrat de travail:

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur par courrier de la salariée du 16 mars 2017 ayant entraîné la cessation immédiate du contrat de travail, il n'y a plus lieu de statuer sur la demande de résiliation judiciaire antérieure, la cour devant tenir compte, pour statuer sur la demande relative à la prise d'acte, des manquements invoqués tant à l'appui de cette demande qu'à l'appui de celle aux fins de prononcé de la résiliation judiciaire devenue sans objet.

L'écrit par lequel la salariée prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige, le juge étant tenu d'examiner les manquements invoqués devant lui par le salarié.

La lettre établie le 16 mars 2017 par la salariée mentionne que celle-ci prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur en raison du non-paiement du complément de salaire depuis le début de son arrêt de travail le 7 octobre 2016 ainsi que d'heures supplémentaires.

La salariée invoque également l'ensemble des manquements l'ayant conduite à solliciter dans un premier temps la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Considérés ensemble, les divers manquements de l'employeur retenus par la cour en matière de paiement du salaire et de la durée du travail apparaissent suffisamment récents et graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et caractérisent une rupture imputable à l'employeur.

Il y aura donc lieu de dire que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences indemnitaires de la prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse:

- Compte-tenu de l'âge de la salariée au moment de la rupture (48 ans), de son ancienneté ( 12 ans), de sa capacité à retrouver un emploi résultant des éléments fournis, la somme de 40000 euros nets lui sera allouée à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse en application des dispositions alors en vigueur de l'article L 1235-5 du code du travail.

- En vertu des dispositions de l'article L.1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont la durée est calculée en fonction de l'ancienneté de services continus dont il justifie chez le même employeur.

Selon l'article L.1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.

La salariée n'ayant été empêchée d'exécuter son préavis, d'une durée de deux mois compte tenu de son ancienneté, qu'en raison du comportement de son employeur à l'origine de la rupture abusive, il lui est dû, au vu des éléments d'appréciation, une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 12161,78 euros bruts, rémunération qui lui aurait été versée si elle avait exécuté son préavis, outre la somme de 1216,17 euros bruts de congés payés afférents.

- Par application des dispositions alors en vigueur de l'article L 1234-9 du code du travail, au vu des éléments d'appréciation, de l'ancienneté et du salaire mensuel brut de référence intégrant le salaire correspondant à des heures complémentaires et supplémentaires, la demande de la salariée en paiement d'une indemnité légale de licenciement est justifiée à hauteur d'un montant de 19357,49 euros nets.

Sur le travail dissimulé:

Compte tenu de la quantité importante des heures de travail accomplies au-delà de l'horaire contractuel et de la diversité des missions confiées à la salariée découlant de l'objet même de l'activité concernée, la mention d'un grand nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli sur une période suffisamment longue pour ne pas leur avoir échappé caractérise l' intention de l'employeur de dissimuler du travail en application des dispositions alors en vigueur des articles L 8221-3 et L 8221-5 du code du travail.

Au vu des éléments d'appréciation, il y a lieu à condamnation de l'employeur au paiement de la somme de 36500 euros nets au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L 8223-1 du code du travail.

Sur l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement:

Le salarié qui prend acte de la rupture de son contrat de travail ne peut prétendre à l'indemnisation pour non-respect de la procédure de licenciement. Cette demande indemnitaire sera donc en voie de rejet.

Sur la remise de documents:

Vu les développements qui précèdent, il y a lieu d'ordonner à l'employeur de remettre à la salariée les bulletins de paie, le certificat de travail, l'attestation Pôle Emploi et l'attestation de salaire destinée à la Cpam, conformes à l'arrêt, dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt et sous astreinte de 30 euros par jour de retard passé ce délai, ce, pendant soixante jours.

En revanche, s'il appartient à l'employeur de prouver qu'il a versé les cotisations de retraite à l'organisme concerné et que le bulletin de paie ne fait pas présumer qu'il s'est acquitté de son obligation, la cour ne saurait ordonner à l'employeur de procéder à une régularisation auprès de cet organisme.

Sur les demandes reconventionnelles:

La prise d'acte étant justifiée, l'employeur doit être débouté de sa demande en paiement d'un préavis de démission.

La demande de l'employeur en paiement de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail sera également en voie de rejet dès lors que la responsabilité pécuniaire du salarié à l'égard de l'employeur ne peut résulter que de sa faute lourde.

Sur les frais irrépétibles:

En équité, il sera alloué à la salariée, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, la somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les dépens:

Les entiers dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de l'employeur, partie succombante.

PAR CES MOTIFS:

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale et par mise à disposition au greffe:

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la Sarl Agence des 3 Pins à payer à Madame [G] [T] les sommes suivantes:

- 13288,64 euros bruts au titre du rappel de salaire correspondant à des heures complémentaires et supplémentaires,

- 1328,86 euros bruts de congés payés afférents,

- 1000 euros nets au titre de dommages et intérêts pour non-respect des durées maximales de travail,

- 1000 euros nets au titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité,

- 12232,74 euros bruts au titre du rappel de complément de salaire,

- 1223,27 euros bruts de congés payés afférents.

Dit justifiée la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de la société Agence des 3 Pins par lettre de Madame [G] [T] du 16 mars 2017, et dit que cette prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Condamne la Sarl Agence des 3 Pins à payer à Madame [G] [T] les sommes suivantes:

- 40000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 12161,78 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1216,17 euros bruts de congés payés afférents,

- 19357,49 euros nets au titre de l'indemnité légale de licenciement.

Condamne la Sarl Agence des 3 Pins à payer à Madame [G] [T] la somme de 36500 euros nets à titre d'indemnité pour travail dissimulé.

Condamne la société Agence des 3 Pins à remettre à Madame [G] [T] les bulletins de paie, le certificat de travail, l'attestation Pôle Emploi et l'attestation de salaire destinée à la Cpam, conformes à l'arrêt, dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt et sous astreinte de 30 euros par jour de retard passé ce délai, ce, pendant soixante jours.

Condamne la Sarl Agence des 3 Pins à payer à Madame [G] [T] la somme de 3000 euros en application des dispositions des articles 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties pour le surplus.

Condamne la Sarl Agence des 3 Pins aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-6
Numéro d'arrêt : 18/16667
Date de la décision : 10/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-10;18.16667 ?
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