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10/06/2022 | FRANCE | N°18/14194

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-6, 10 juin 2022, 18/14194


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6



ARRÊT AU FOND

DU 10 JUIN 2022



N° 2022/ 205













Rôle N° RG 18/14194 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BC7VI







SAS SOCIETE D'AMENAGEMENT ET HOTELIERE DE BENDOR





C/



[Y] [E]





















Copie exécutoire délivrée

le : 10/06/2022

à :



Me Séverine ARTIERES de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat

au barreau de MARSEILLE



Me Olivier DONNEAUD, avocat au barreau de MARSEILLE











Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON en date du 27 Juillet 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 17/00095.





APPE...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-6

ARRÊT AU FOND

DU 10 JUIN 2022

N° 2022/ 205

Rôle N° RG 18/14194 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BC7VI

SAS SOCIETE D'AMENAGEMENT ET HOTELIERE DE BENDOR

C/

[Y] [E]

Copie exécutoire délivrée

le : 10/06/2022

à :

Me Séverine ARTIERES de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Olivier DONNEAUD, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULON en date du 27 Juillet 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 17/00095.

APPELANTE

SAS SOCIETE D'AMENAGEMENT ET HOTELIERE DE BENDOR, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Séverine ARTIERES de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur [Y] [E], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Olivier DONNEAUD, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été appelée le 15 Février 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Ange FIORITO, Conseiller, a été chargé du rapport de l'affaire.

La Cour était composée de :

M. Philippe SILVAN, Président de chambre

Monsieur Thierry CABALE, Conseiller

M. Ange FIORITO, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Mai 2022 puis prorogé au 10 Juin 2022.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 10 Juin 2022,

Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

M.[E] a été engagé le 1er septembre 2015 par contrat à durée indéterminée en qualité de responsable commercial MICE, statut cadre autonome, par la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor, qui a pour activité l'exploitation et la gestion des établissements hôteliers et de restauration sur les îles des Embiez et de Bendor.

Le 12 juillet 2016, M.[E] a été reçu par son employeur suite à des critiques, portées à la connaissance de ce dernier, relatives à la gestion de son équipe. Durant l'entretien, M.[E] a été victime d'un malaise justifiant une évacuation par hélicoptère vers l'hôpital le plus proche. Il a bénéficié d'un arrêt de travail.

M.[E] a été convoqué une première fois le 24 août 2016 à un entretien préalable au licenciement fixé au 7 septembre 2016. M.[E] ne s'y est pas rendu à cause de son état de santé.

M.[E] a été convoqué de nouveau le 24 novembre 2016 à un entretien préalable au licenciement fixé au 7 décembre 2016, avec mise à pied conservatoire.

Un avis d'inaptitude a été prononcé le 28 novembre 2016.

M.[E] a été licencié pour faute grave le 22 décembre 2016'; son employeur lui a notamment reproché un comportement vexatoire et humiliant à l'égard des membres de son équipe, ainsi qu'un dénigrement de la société et de la direction.

M.[E] a saisi le Conseil de Prud'hommes le 3 février 2017.

Le Conseil de Prud'hommes de Toulon par jugement du 27 juillet 2018 a partiellement fait droit aux demandes'de M.[E]. Il a ainsi rendu la décision suivante :

«' JUGE que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la SAS Société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Monsieur [E] [Y]':

16 000 € bruts pour dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

12 000 € bruts à titre d'indemnité de préavis,

1 200 € bruts au titre des congés payés sur préavis y afférents,

1 400,90 € nets à titre d'indemnité légale de licenciement,

DEBOUTE Monsieur [E] [Y] de sa demande de prime sur objectifs,

CONDAMNE la SAS Société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor à payer à Monsieur [E] [Y]'la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

DEBOUTE les deux parties de toutes autres demandes, tant principales que reconventionnelles.

CONDAMNE la SAS Société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor, prise en la personne de son représentant légal, aux entiers dépens.'»

Le jugement du Conseil de Prud'hommes de Toulon a été notifié le 9 août 2018 par lettre recommandée avec accusé de réception à la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor qui a interjeté appel par déclaration du 29 août 2018.

La clôture de l'instruction a été fixée au 21 janvier 2022. L'affaire a'été plaidée à l'audience de la Cour en sa formation collégiale du 15 février 2022'; l'arrêt a été mis en délibéré au 6 mai 2022.

La société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor, suivant conclusions notifiées par RPVA le 28 novembre 2018, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, demande'de':

A titre principal,

- réformer le jugement du Conseil de Prud'hommes en ce qu'il a considéré que le licenciement de M.[E] est dépourvu de cause réelle et sérieuse';

- confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes en ce qu'il a considéré qu'aucune prime d'objectif n'est due à M.[E]';

En conséquence,

- débouter M.[E] de l'intégralité de ses demandes';

- ordonner le remboursement des sommes réglées au titre de l'exécution provisoire de plein droit';

A titre subsidiaire,

- réformer le jugement du Conseil de Prud'hommes en ce qu'il a considéré que le licenciement de M.[E] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et a alloué pour ce chef les sommes de':

. 16 000 € bruts pour dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 12 000 € bruts à titre d'indemnité de préavis,

. 1 200 € bruts au titre des congés payés sur préavis y afférents,

. 1 400,90 € nets à titre d'indemnité légale de licenciement,

En conséquence,

- constater le caractère excessif et hors de proportion des demandes de M.[E]';

- allouer tout au plus la somme de 8 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse';

- allouer tout au plus la somme de 1 301,74 € au titre de l'indemnité de licenciement';

En tout état de cause,

- réformer le jugement du Conseil de Prud'hommes en ce qu'il a condamné la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor à payer à M.[E] la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

- condamner M.[E] à payer à la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.'

La société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor énonce, sur le moyen de la partie adverse relatif à la prescription au visa de l'article L 1332-4 du code du travail, que celle-ci n'est pas acquise, les faits fautifs ayant été portés à sa connaissance les 21 et 23 novembre 2016.

Sur le fond, la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor se réfère notamment à un courrier du 12 juillet 2016 rédigé par une salariée de la société, Mme [B], au sujet de la qualité des directives, en l'espèce contradictoires, données par M.[E] à son équipe, comportement constitutif selon l'employeur d'une technique de management pathogène. L'employeur invoque un harcèlement moral de la part de M.[E] à l'encontre des collaboratrices de son équipe et s'appuie sur l'appréciation négative d'une consultante, Madame [F], en date du 23 novembre 2016, faisant notamment état du comportement toxique et infantilisant de M.[E]'; il s'appuie pareillement sur les courriers de M. [P], époux d'une salariée, et de Mme [T] et Mme [M], salariées. La société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor précise que l'annonce du retour de M.[E], après son arrêt pour maladie, a induit un stress particulièrement important et avéré au sein des équipes. Elle explique que M.[E] a dénigré la société vis-à-vis des partenaires extérieurs et à l'occasion du recrutement d'une collaboratrice, M.[E] ayant indiqué à l'ancien manager de cette dernière qu'elle allait rejoindre les «'fous'».

La société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor expose que la prime reçue par M.[E], contrairement à ce qu''énonce ce dernier, au titre de sa mission de management pour le premier trimestre 2016 ne démontre pas que les faits reprochés ne sont pas caractérisés, ces derniers étant survenus postérieurement au paiement de la prime.

La société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor conclut que le licenciement pour faute grave est parfaitement fondé.

S'agissant de la prime sur objectifs dont le paiement est sollicité par le salarié, la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor expose que M.[E] ne démontre pas en quoi celle-ci serait due, notamment au regard d'un arrêt de travail suite à un accident de trajet, période non assimilée à du temps de travail effectif s'agissant des rémunérations différées.

M.[E], suivant conclusions notifiées par RPVA le 26 février 2019, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé, demande'de':

- confirmer le jugement rendu le 27 juillet 2018 par le Conseil de Prud'hommes de Toulon en ce qu'il a dit son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor à lui payer les sommes suivantes':

. 12 000 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

. 1 200 € au titre des congés payés sur préavis,

. 1 400,90 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,

. 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

- le réformer en ce qu'il a évalué son préjudice pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 16 000 € et a rejeté la demande de rappel de prime sur objectifs';

Statuant à nouveau sur ces points,

- condamner la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor à lui payer la somme de 24 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse';

- condamner la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor à lui payer la somme de 12 950 € à titre de rappel de prime sur objectifs, outre celle de 1 295 € au titre des congés payés afférents, le tout avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes';

- condamner la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à payer les entiers dépens.

M.[E] énonce que les prétendues fautes sont prescrites au visa de l'article L 1332-4 code du travail prévoyant un délai de prescription de deux mois, l'employeur étant au courant dès le 24 août 2016, date de l'engagement de la première procédure de licenciement, le délai de deux mois expirant au 23 octobre 2016, et la seconde procédure de licenciement n'étant initiée que le 24 novembre 2016.

Sur le fond, il explique que le licenciement repose sur des motifs mensongers. M.[E] conteste le comportement vexatoire et humiliant qui lui est reproché à l'égard des membres de son équipe, ainsi que le dénigrement de la société et de la direction, auprès des partenaires commerciaux et d'un nouveau membre du personnel, dont il aurait été l'auteur. Il s'appuie notamment sur un compte rendu (qui semble daté à sa lecture du 28 août 2014) d'un séminaire qui montre que ses cinq collaboratrices ont donné des réponses positives concernant la qualité de son management. Il soutient que l'employeur, pour les besoins de la cause, a fait rédiger un commentaire négatif sur son management par une consultante extérieure, Mme [F], le 23 novembre 2016, qui cependant a écrit un message positif sur son profil LINKEDIN (celui de M.[E]). Il énonce que le courrier de la nouvelle salariée, Mme [H], qui a expliqué que dans le cadre de son recrutement M.[E] a dénigré l'entreprise, a également été rédigé pour les besoins de la cause.

M.[E] expose que l'indemnité qu'il a reçue dans le cadre du premier jugement en raison d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, eu égard à son âge de 55 ans, qui n'a pas facilité sa recherche d'emploi, et aux répercussions sur son état de santé, n'est pas de nature à réparer son préjudice.

M.[E] explique avoir atteint ses objectifs pour l'année 2016, relatifs aux résultats financiers, à la gestion de son service, à son management, ainsi qu'à la satisfaction des clients, mais n'avoir perçu que 1 050 € à titre de prime, correspondants à l'atteinte des seuls objectifs liés à la qualité de son management durant le 1er trimestre.

MOTIVATION

Sur la prescription

L'article L.'1232-4 du code du travail prévoit qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Ce délai est interrompu par la convocation à un entretien préalable à un licenciement ou à toute autre sanction disciplinaire, par laquelle les poursuites disciplinaires sont engagées.

Il est de principe que cette convocation fait courir un nouveau délai de deux mois et que ce délai n'est pas interrompu ni suspendu par la suspension du contrat de travail provoquée par un accident du travail ou une maladie professionnelle.

Il est de jurisprudence constante que la délivrance d'une nouvelle convocation n'a pas pour effet de suspendre ce délai.

Enfin, l'envoi par l'employeur d'une nouvelle convocation interrompt de nouveau le délai de prescription de deux mois et fait partir un nouveau délai, à la condition que la prescription ne soit pas acquise à la date de la nouvelle convocation, c'est à dire que celle-ci soit adressée dans le délai de deux mois suivant la première convocation.

En l'espèce, M.[E] a été placé en arrêt de travail pour accident du travail le 12 juillet 2016.

Le 24 août 2016, la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor a convoqué M.[E] à un entretien préalable à sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à son licenciement prévu le 7 septembre 2016.

Selon courrier du 31 août 2016, M.[E] a informé la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor de son impossibilité d'assister à cet entretien en raison de son état de santé.

Le 24 novembre 2016, la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor a convoqué M.[E] à un second entretien préalable à sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à son licenciement prévu le 7 décembre 2016.

L'employeur produit aux débats pour appuyer ses prétentions un courrier en date du 12 juillet 2016 de Mme [B] par lequel celle-ci dénonce les méthodes managériales de M.[E], son directeur commercial à son égard.

La société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor verse aux débats les courriers de Mme [T], salariée, des 1er février (reçu le 3 février) et 1er mai 2016 (reçu le 3 mai)'; Mme [T] dénonce les graves difficultés relationnelles qu'elle rencontre avec son directeur commercial, M.[E], faisant notamment état d'humiliations subies et de déstabilisation à son encontre ayant conduit à un arrêt sur le plan médical et une prise d'acte de la rupture du contrat de travail. Il est également produit un courriel du 8 février 2016 de Mme [T], intervenu par conséquent entre les courriers des 1er février et 1er mai 2016, dans lequel Mme [T] exprime notamment sa volonté d'essayer d'établir un mode relationnel professionnel et cordial avec M.[E], sur la base d'une proposition de «'solutions de coaching de management'» de la part de l'employeur. Les faits dénoncés par Mme [T] sont cependant prescrits.

Il est également versé à l'instance un courrier de M. [P], du 15 novembre 2016, reçu le 21 novembre. M. [P] est l'époux d'une salariée sous les ordres de M.[E]. M. [P] explique que son épouse pendant plusieurs mois est revenue de son travail nerveusement exténuée en raison du management qualifié d'inadapté de son supérieur hiérarchique'; il fait état des répercussions sur la santé nerveuse de Mme [P] et sur sa productivité en raison de la reprise de travail de M.[E] qui a été annoncée. Par ce courrier, l'employeur a donc été informé à une date, le 21 novembre 2016 pour une procédure de licenciement initiée le 24 novembre 2016, qui n'entraîne pas l'application de la prescription prévue par l'article L 1332-4 du code du travail, s'agissant de manquements susceptibles d'être reprochés à M.[E] .

Il est produit une attestation du 23 novembre 2016 de Mme [F], «'coach professionnelle'». Celle-ci explique être intervenue régulièrement au sein des équipes. Elle énonce avoir constaté au cours de l'automne dernier, sur deux journées de groupe, des «'comportements relationnels toxiques'» de M.[E] vis-à-vis de son équipe. Elle fait notamment état d'un ton sévère et répressif, de comportements infantilisants, et d'un discours très contradictoire, M.[E] ayant notamment déclaré à son équipe': «'Je vois tout, je sais tout ce que vous faites dans vos moindres gestes'!'»'; elle explique que M.[E] «'a maltraité son assistante manager en lui faisant une violente critique personnelle'». Elle précise que les membres de l'équipe lui ont par la suite exprimé leur crainte de voir revenir leur manager et le stress qu'ils éprouveraient à l'idée de devoir de nouveau subir une réduction de leur autonomie et des ordres contradictoires. Ces faits, dénoncés le 23 novembre 2016, ne sont pas prescrits.

Il est enfin produit un courrier d'une salariée, Mme [G], du 23 novembre 2016'; celle-ci expose les problèmes rencontrés avec son directeur commercial, M.[E], depuis septembre 2015, dénonçant notamment des remarques désobligeantes et déplacées remettant en cause ses capacités de travail, des réflexions dégradantes, des comportements lunatiques et des pressions, ainsi qu'un discours d'une rare agressivité lors d'un coaching en équipe animé par Mme [F], qui l'a beaucoup affectée. Mme [G] fait part de son appréhension à la perspective du retour de M.[E] dans l'entreprise suite à son arrêt de travail. Les faits dénoncés par Mme [G] ne sont pas prescrits.

Il est produit le courrier de Mme [H], salariée, du 28 novembre 2016, qui énonce des faits de dénigrements de M.[E] à l'encontre de l'entreprise lors de son recrutement, ce dernier lui ayant indiqué notamment qu'elle serait «'malmenée, manipulée'», et «'écrasée'» par ses collègues et sa hiérarchie, et lui déConseillant de rejoindre l'entreprise. Mme [H] expose qu'elle a quand même accepté le poste et constaté que les propos de M.[E] n'étaient pas fondés. Au regard de la date du courrier, les faits dénoncés ne sont pas prescrits.

Il en résulte que, lors de l'engagement de la procédure de licenciement par la première convocation du 24 août 2016, la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor n'avait connaissance que de faits concernant M.[B] et Mme [P] et que le surplus des faits reprochés à M.[E] a été porté à la connaissance de l'employeur après le report de la convocation de M.[E]. Dès lors, les faits imputés à ce dernier n'étaient pas prescrits lors de sa convocation à entretien préalable à licenciement par le courrier du 24 novembre 2016.

Sur la qualification du licenciement :

La faute grave est celle qui, en raison d'un manquement grave du salarié à ses obligations contractuelles dans le cadre du contrat de travail, rend impossible son maintien dans l'entreprise'; elle s'apprécie au regard du contexte spécifique à chaque affaire. La lettre de licenciement fixe les limites du litige.

M.[E] a été licencié pour faute grave par lettre notifiée le 22 décembre 2016.

La lettre de licenciement énonce les manquements considérés comme graves. Ainsi, à sa lecture, il apparaît que M.[E] a généré des tensions et un certain malaise au sein de son équipe, constatés par l'employeur à l'annonce de son retour au sein de la société suite à son arrêt maladie. Un collaborateur par courrier du 15 novembre 2016, reçu le 21 novembre, a informé la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor du management inadapté de M.[E] vis-à-vis de son équipe, ayant conduit à une dégradation de l'état de santé des membres composant celle-ci. M.[E] a adopté un comportement vexatoire et humiliant, abusant de ses prérogatives managériales. Dans ce cadre, il y a déjà eu des alertes, ainsi que des démissions de plusieurs collaborateurs de l'équipe de M.[E]. L'employeur déplore depuis l'arrivée de M.[E] dans les effectifs «'plus de 2 fins de contrat liées aux conditions de travail'» au sein de son équipe. Un prestataire externe a avisé la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor du fait que M.[E] n'hésitait pas à infantiliser ses collaborateurs, tout en se livrant à un management par le stress. Il aurait ainsi dit à ses collaborateurs':'«'Je vois tout, je sais tout ce que vous faites dans vos moindres gestes'!'» Il est mentionné dans la lettre de licenciement qu'à l'annonce de sa reprise, plusieurs membres de son équipe n'ont pas hésité à mettre en évidence leur crainte quant à devoir, à nouveau, collaborer avec M.[E], créant par là même une situation de blocage dans le fonctionnement de son service. Il est précisé que M.[E] n'a pas hésité à dénigrer la société et la direction et ce, auprès de partenaires commerciaux et d'acteurs majeurs de la région. Ainsi, au mois d'octobre 2016, suite au recrutement d'une nouvelle collaboratrice, M.[E] a indiqué que cette dernière rejoignait «'les fous'», et n'a pas hésité à la dissuader de rejoindre l'entreprise car cette dernière allait la broyer. Ladite collaboratrice, par courrier du 28 novembre 2016, a informé la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor que lors du processus de recrutement M.[E] n'avait pas hésité à lui téléphoner à plusieurs reprises, alors qu'il était en arrêt maladie, afin de lui indiquer que si elle rejoignait la société, elle serait malmenée et manipulée, lui Conseillant de décliner la proposition de poste. Il est énoncé que lors des échanges avec cette collaboratrice, M.[E] n'a pas hésité à prétendre que son téléphone professionnel aurait été placé sur écoute. La lettre soutient que cette attitude constitue un manquement aux obligations inhérentes de M.[E] à son contrat de travail, et notamment à son obligation de loyauté. Il est conclu que l'accumulation de ces manquements constitue une faute grave qui rend impossible le maintien de la collaboration entre l'employeur et le salarié.

La lettre de licenciement dénonce ainsi des comportements graves et inadaptés de M.[E] à l'encontre des membres de son équipe, entraînant une situation de stress et un blocage au niveau du fonctionnement du service, ainsi qu'un dénigrement de l'entreprise. La Cour constate que les comportements inadaptés de M.[E] traduisant des manquements graves mettant les membres de son équipe dans l'impossibilité de travailler dans des conditions sereines sont confirmés par les courriers de Mme [F], de M. [P] et de Mme [G], comme cela est détaillé ci-dessus dans le paragraphe relatif à la prescription. Ces témoignages convergent de manière explicite et mettent en évidence les griefs formulés par l'employeur.

Par ailleurs, il ne peut être contesté au vu des pièces produites qu'il y a eu, antérieurement à la procédure de licenciement, des précédents quant aux manquements reprochés qui démontrent que M.[E] en la matière était coutumier de ce type de comportement. Le courriel de Mme [M], salariée, du 21 novembre 2017, même s'il est postérieur au licenciement, apporte en l'espèce un éclairage supplémentaire et corroborant.

M.[E] ne fournit pas d'éléments convaincants permettant d'apporter une contradiction sérieuse. Il fait état de motifs mensongers motivant son licenciement mais ne procède que par allégations. Il ne produit aucune pièce venant contredire les témoignages mentionnés ci-dessus, si ce n'est un «'compte-rendu de séminaire d'équipe commerciale MICE'» (pièce n° 22), dont la page 8 donne des appréciations positives sur le manager, celui-ci n'étant pas désigné nominativement, document par ailleurs non signé ni daté, une page mentionnant la date du 28 août 2014, donc antérieure aux faits examinés dans le cadre du présent litige. L'extrait du profil LINKEDIN invoqué par M.[E] concerne également une période antérieure à celle des griefs dénoncés.

S'agissant du comportement dénigrant de M.[E] au détriment de l'entreprise, la Cour considère que le seul témoignage de Mme [H] produit par la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor n'est pas suffisant pour le caractériser.

La Cour constate ainsi que M.[E] a eu des comportements inadaptés dans ses relations de travail mettant les salariés qu'il avait sous son autorité hiérarchique dans l'impossibilité de travailler de manière sereine'; il a ainsi empêché le bon fonctionnement du service, et ce de manière répétée et continue. Cela constitue un manquement grave du salarié à ses obligations contractuelles dans le cadre du contrat de travail qui caractérise une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise.

Le licenciement de M.[E] pour faute grave est fondé. M.[E] sera par conséquent débouté de l'ensemble de ses demandes étayées par un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Conformément à la demande de l'employeur, il devra rembourser les sommes réglées au titre de l'exécution provisoire de plein droit.

Sur la demande de M.[E] à titre de rappel de prime sur objectifs

M.[E] sollicite le paiement de la somme de 12 950 € concernant la prime pour objectifs atteints pour l'année 2016, relatifs aux résultats financiers, à la gestion de son service, à son management, ainsi qu'à la satisfaction des clients. Il produit un avenant au contrat de travail du 1er mars 2016, qui fait état d'une prime annuelle sur objectifs pouvant atteindre 14'000 € brut, et un document intitulé «'Plan de rémunération variable SAHB'» daté du 8 avril 2016 qui fait état d'une prime de 14 000 € pour 100'% des objectifs. M.[E] ne verse aux débats aucun document justifiant des objectifs qui auraient été dûment réalisés sur toute l'année et du solde qui lui reviendrait, M.[E] exposant n'avoir perçu que la somme de 1 050 € au titre du premier trimestre 2016. Par ailleurs, il n'est pas contesté qu'il a été en arrêt de travail à compter du 12 juillet 2016 et qu'il n'a par conséquent pas travaillé sur la totalité de l'année 2016. Ainsi la Cour constate que la demande de M.[E] n'est pas fondée.

Sur les demandes accessoires

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Ainsi, c'est de manière inéquitable que la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor a été condamnée par le Conseil de Prud'hommes à payer la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile'; cette décision sera intégralement réformée.

La partie qui succombe supportera la charge des dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, Statuant publiquement et par jugement contradictoire,'après en avoir délibéré conformément à la loi,

DIT la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor recevable en son appel';

INFIRME le jugement du 27 juillet 2018 rendu par le Conseil de Prud'hommes de Toulon en toutes ses dispositions, sauf celle par laquelle il a débouté M.[E] de sa demande de prime sur objectifs';

Statuant à nouveau';

DIT que le licenciement de M.[E] pour faute grave est fondé et déboute M.[E] de l'ensemble de ses demandes fondées sur un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse';

CONDAMNE M.[E] à payer à la société d'Aménagement et Hôtelière de Bendor la somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le condamne à payer les entiers dépens.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-6
Numéro d'arrêt : 18/14194
Date de la décision : 10/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-10;18.14194 ?
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