COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-6
ARRÊT AU FOND
DU 03 JUIN 2022
N° 2022/ 184
Rôle N° RG 18/18813 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDNBC
SARL STRAMBIO ROBERT
C/
[Z] [O]
Copie exécutoire délivrée
le : 03/06/2022
à :
Me Jerry DESANGES de la SCP BARTHELEMY-DESANGES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Me Céline FIALON, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de DRAGUIGNAN en date du 15 Novembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° F 17/00006.
APPELANTE
SARL SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES ETABLISSEMENTS ROBERT STRAMBIO , [Adresse 1]
représentée par Me Jerry DESANGES de la SCP BARTHELEMY-DESANGES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
INTIMEE
Madame [Z] [O], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Céline FIALON, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 15 Mars 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Thierry CABALE, conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
M. Philippe SILVAN, Président de chambre
Monsieur Thierry CABALE, Conseiller
M. Ange FIORITO, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Juin 2022.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Juin 2022,
Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Madame [Z] [O] a été engagée par la Sarl Société d'Exploitation des Etablissements Robert Strambio en tant que secrétaire à compter du 26 mars 1998, et son contrat de travail est devenu à durée indéterminée à compter du 28 avril 2003, devenant secrétaire comptable à temps complet à compter du 12 décembre 2008.
En arrêt de travail pour maladie ordinaire depuis le 28 septembre 2015, elle a été convoquée, par lettre du 1er juillet 2016, à un entretien préalable qui s'est tenu le 13 juillet 2016 et qui a été suivi de la notification de son licenciement par lettre du 18 juillet 2016.
Le 5 janvier 2017, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Draguignan qui par jugement du 15 novembre 2018 a :
- prononcé la nullité du licenciement de Madame [Z] [O],
- condamné la Société d'Exploitation des Etablissements Robert Strambio, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Madame [Z] [O] les sommes suivantes :
15846 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
660 euros à titre de 13ème mois,
1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Société d'Exploitation des Etablissements Robert Strambio à verser à Pôle Emploi la somme de 1 euro à titre du remboursement des indemnités chômage,
- débouté Madame [Z] [O] du surplus de ses demandes,
- débouté la Société d'Exploitation des Etablissements Robert Strambio de ses demandes reconventionnelles,
- condamne la Société d'Exploitation des Etablissements Robert Strambio aux entiers dépens.
Le 29 novembre 2018, dans le délai légal, la Sarl 'Strambio Robert' a relevé appel de ce jugement.
Par dernières conclusions du 16 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, la Sarl Strambio Robert demande à la cour de :
réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a jugé nul le licenciement et condamné la société Strambio Robert à payer la somme de 15846 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 660 euros à titre de 13ème mois, 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, 1 euros à Pôle Emploi;
- dire et juger que le licenciement de Madame [Z] [O] repose sur une cause réelle et sérieuse;
- constater que Madame [Z] [O] a été remplie de l'intégralité de ses droits lors de la rupture du contrat de travail;
en conséquence,
- débouter Madame [Z] [O] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner Madame [Z] [O] à payer à la société Strambio Robert une somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'employeur fait valoir que :
- l'absence de la salariée, qui occupait le seul poste administratif de l'entreprise comptant six salariés et dont l'activité était celle des travaux publics, a perturbé le bon fonctionnement de l'entreprise puisque celle-ci a été en arrêt de travail pour maladie successivement prolongé à plus de dix reprises pour de courtes durées sur une période de plus de onze mois, ce qui rendait imprévisible la date de la reprise de son poste stratégique consistant notamment à saisir la comptabilité, établir des factures et devis clients, payer les fournisseurs, les salaires, constituer des dossiers de chantiers; dès lors, la répartition de ses tâches entre un cabinet d'expertise pour les plus complexes, et sa remplaçante, pour celles de nature administrative, a dû cesser puisque cette dernière, peu important des liens intimes avec le gérant, souhaitait mettre fin à son emploi précaire et revendiquait un contrat de travail à durée indéterminée qui sera signé le 20 juillet 2016, soit immédiatement après le licenciement, et ce, faute d'avoir pu embaucher une personne suffisamment qualifiée pour une durée déterminée à terme incertain; la personne embauchée a pu, dès lors, être formée; le retour de la salariée ne pouvait être imminent en juin 2016 comme allégué, son arrêt de travail s'étant poursuivi par la suite durant plusieurs mois;
- la maladie de la salariée n'est pas à l'origine de son licenciement qui, dès lors, n'est pas nul;
- aucun préjudice n'est démontré en application de l'article L 1235-5 du code du travail;
- la prime de treizième mois n'est pas due puisqu'elle n'a ni un caractère conventionnel ni celui d'un usage en ce qu'elle n'était pas versée à l'ensemble du personnel mais uniquement à la salariée.
Par dernières conclusions du 26 février 2019, auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, la salariée demande à la cour de :
statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel,
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la nullité du licenciement de Madame [O] et condamné la société d'exploitation des établissements Strambio à lui régler la somme de 660 euros au titre du 13ème mois et 1500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
le réformer quant au quantum des dommages et intérêts,
- condamner la société d'exploitation des établissements Strambio à régler à Madame [O] la somme de 31692 euros à titre de dommages et intérêts,
y ajoutant,
- condamner la société d'exploitation des établissements Strambio à régler à Madame
[O] une somme de 2500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de
procédure civile,
- la condamner enfin aux entiers dépens.
La salariée fait valoir que :
- conformément aux dispositions de l'article L1132-1 du Code du travail, la maladie du salarié, même longue, ne peut constituer en soi un motif de licenciement; si le licenciement peut être envisagé, c'est uniquement lorsque l'absence du salarié perturbe le fonctionnement de l'entreprise et qu'il n'est pas possible de pourvoir temporairement à son remplacement;
- s'il n'est pas contesté que son absence ait pu perturber le fonctionnement de la société, s'agissant d'une entreprise familiale où cette dernière occupait un poste clé, en revanche, il était parfaitement possible de la remplacer de manière temporaire;
- or, envisageant de reprendre son poste à la fin du mois d'août 2016, ce dont l'employeur avait connaissance dès le mois de juin 2016, ce dernier, qui avait mis en place une répartition de ses tâches qui fonctionnait depuis plusieurs mois, n'avait aucune raison objective de pourvoir à son remplacement sur le long terme, de surcroît en embauchant sa compagne, dont la formation a été assurée seulement au début de l'année 2017, dans un délai non raisonnable; une autre solution était possible, notamment dans le cadre d'un contrat d'interim, que l'employeur n'a pas pris le temps de mettre en oeuvre, ce d'autant que la compagne du gérant, non dotée de compétences spécifiques pour occuper son poste, avait pris le relais pendant plusieurs mois sans difficulté;
- le licenciement prononcé en raison de son état de santé est constitutif d'une discrimination; le jugement déféré doit être confirmé en ce que qu'il a prononcé la nullité de son licenciement en application des dispositions de l'article L1132-1 du code du travail;
- son préjudice est important compte tenu d'une ancienneté de 18 ans, de son âge, 55 ans, et d'une indemnisation par Pôle Emploi;
- la prime exceptionnelle qui lui a été versée chaque année ainsi qu'à l'ensemble des salariés de l'entreprise, revêt bien les caractères de constance, fixité et généralité démontrant l'existence d'un usage.
La clôture de l'instruction est intervenue le 25 février 2022.
MOTIFS
Sur le licenciement:
L'article L. 1132-1 du code du travail, qui fait interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap, ne s'oppose pas au licenciement motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié placé en arrêt de travail pour accident ou maladie d'origine non professionnelle. Ce salarié ne peut toutefois être licencié que si les perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif par l'engagement d'un autre salarié, lequel doit intervenir à une date proche du licenciement ou dans un délai raisonnable après celui-ci, délai que les juges du fond apprécient souverainement en tenant compte des spécificités de l'entreprise et de l'emploi concerné, ainsi que des démarches faites par l'employeur en vue d'un recrutement.
Un licenciement qui ne répond pas aux exigences susvisées doit être considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Toutefois, le licenciement est nul si l'absence prolongée est la conséquence d'un harcèlement moral, l'employeur ne pouvant se prévaloir de la perturbation que l'absence prolongée du salarié a causé au fonctionnement de l'entreprise.
Le licenciement est également nul si son motif réel est discriminatoire.
En l'espèce, la lettre de licenciement est ainsi motivée:
'...Vous êtes absente de nos services depuis le 28 septembre 2015.
Vous avez, depuis, bénéficié d'arrêts de prolongation.
Cette absence prolongée occasionne des perturbations dans le fonctionnement de notre activité lesquelles ne peuvent raisonnablement perdurer.
Vous occupez un poste stratégique dans l'entreprise à savoir secrétaire comptable.
Vous êtes la seule à saisir la comptabilité, établi les factures clients, devis clients, paiement fournisseurs, salaires des employés, constitution des dossiers de chantiers etc'
Votre absence prolongée nuit au bon fonctionnement de l'entreprise, à nos relations avec nos clients et fournisseurs et à la gestion quotidienne de l'entreprise en général.
Votre niveau d'autonomie requiert une longue formation qui nous impose de pourvoir à votre poste par un contrat de travail à durée indéterminée et non pas temporaire.
Nous sommes aujourd'hui contraints de pourvoir rapidement à votre remplacement définitif et à titre permanent.
En conséquence, nous vous notifions par la présente notre décision de licenciement.
Compte tenu de la prolongation de vos arrêts maladie, vous ne pouvez pas effectuer votre préavis.
Votre contrat prendra donc fin dès la première présentation de ce courrier à votre domicile.
Nous vous précisons néanmoins que nous vous verserons conformément aux dispositions de l'article 6-6 de la Convention Collective une indemnité spécifique de préavis d'un montant égal à l'indemnité de préavis...'
La salariée, qui n'invoque pas de harcèlement moral mais soutient que sous couvert d'une absence prolongée perturbant le fonctionnement de l'entreprise, l'employeur l'a licenciée en raison de son seul état de santé, ne présente pas d'éléments de fait, s'agissant de la crainte exprimée par l'employeur, avant l'engagement de toute procédure de reprise du travail, d'être confronté encore plus durablement à une absence qui perturbait le fonctionnement de l'entreprise en l'état d'arrêts de travail dont la cessation à court terme était incertaine, qui considérés ensemble laisseraient supposer l'existence d'une discrimination en application des dispositions des articles L 1132-1 et L 1134-1 du code du travail.
Elle sera donc déboutée de ses demandes au titre d'un licenciement nul.
S'agissant du seul motif, personnel, énoncé dans la lettre de licenciement, certes il résulte des éléments d'appréciation que l'arrêt de travail pour maladie ordinaire de la salariée s'est prolongé durant plusieurs mois à compter du 28 septembre 2015 alors que celle-ci occupait des fonctions essentielles de secrétariat et de comptabilité, seul poste administratif de l'entreprise de terrassement de taille très modeste comptant moins de dix salariés.
Toutefois, d'une part, il n'apparaît pas que la nécessité pour l'employeur de devoir procéder au remplacement définitif de la salariée s'expliquait pas des difficultés de recrutement en contrat de travail à durée déterminée que ne démontrent pas, en elles-mêmes, ni l'organisation provisoire mise en oeuvre peu après le placement en arrêt de travail de la secrétaire comptable ayant consisté à externaliser une partie de ses tâches, ni la diffusion par Pôle Emploi, en juin 2016, d'une offre d'emploi de secrétaire comptable en contrat de remplacement avec une expérience exigée de trois ans dans une entreprise de travaux publics.
D'autre part, il ne se déduit pas plus des éléments fournis qu'au-delà de la satisfaction de la volonté de la salariée remplaçante de voir son emploi se pérenniser, la transformation du contrat de travail de celle-ci en contrat de travail à durée indéterminée daté du 20 juillet 2016, dont l'exemplaire produit par l'employeur est dépourvu de toute signature, se serait soudainement imposée après dix mois d'exécution en raison d'une situation réelle et objective tenant, par exemple, au fonctionnement ou à l'organisation de l'entreprise, alors de surcroît que des formations ont été dispensées à cette même employée au cours du premier semestre de l'année 2017 pour une reprise de l'ensemble des missions de la salariée licenciée, une telle reprise ne pouvant pas être considérée, au regard notamment de la nature de l'emploi et des spécificités de l'entreprise, dont le secteur d'activité de celle-ci, comme étant intervenue dans le cadre de dispositions s'inscrivant dans la durée dans un délai raisonnable après le licenciement .
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, le jugement devant être infirmé en ce qu'il a déduit la nullité du licenciement du seul caractère infondé du motif tenant à la perturbation du fonctionnement de l'entreprise causée par l'absence prolongée de la salariée.
Par application des dispositions alors en vigueur de l'article L 1235-5 du code du travail, en prenant en considération son ancienneté (18 ans), sa rémunération ( salaire mensuel brut de référence de 2641 euros), son âge au moment de la rupture ( 52 ans), et sa capacité à retrouver un emploi telle que celle-ci résulte des éléments d'appréciation, il échet d'allouer à la salariée la somme de 23769 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris sera donc infirmé de ces chefs.
Sur le rappel de prime:
La salariée ne démontre pas que la prime dite de treizième mois, non prévue par une disposition contractuelle ou par un accord collectif applicable, constituait un usage au cours de la période concernée faute de réunion de l'ensemble des critères de constance, de généralité et de fixité, ce dont il se déduit que l'employeur était libre de la verser ou non.
Elle sera donc déboutée de sa demande financière formée au titre d'une telle prime, le jugement entrepris étant également infirmé de ce chef.
Sur le remboursement des indemnités de chômage:
Par application de l'article L 1235-4 du code du travail, il y a lieu à remboursement par l'employeur des indemnités de chômage versées à la salariée, à hauteur d'un mois.
Une copie du présent arrêt sera transmise à Pôle Emploi.
Sur les frais irrépétibles:
En équité, il sera alloué à la salariée la somme de 2500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Sur les dépens:
Les entiers dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de l'employeur, partie succombante pour l'essentiel.
PAR CES MOTIFS:
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière prud'homale et par mise à disposition au greffe:
Infirme le jugement entrepris.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute Madame [Z] [O] de ses demandes au titre d'un licenciement nul.
Dit que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Condamne en conséquence la Sarl Société d'Exploitation des Etablissements Robert Strambio à payer à Madame [Z] [O] la somme de 23769 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Condamne la Sarl Société d'Exploitation des Etablissements Robert Strambio à payer à Madame [Z] [O] la somme de 2500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute les parties pour le surplus.
Ordonne le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage versées à la salariée à hauteur d'un mois.
Dit qu'une copie du présent arrêt sera transmise à Pôle Emploi.
Condamne la Sarl Société d'Exploitation des Etablissements Robert Strambio aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le GreffierLe Président