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02/06/2022 | FRANCE | N°18/15303

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-4, 02 juin 2022, 18/15303


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4



ARRÊT AU FOND

DU 02 JUIN 2022



N°2022/

CM/FP-D











Rôle N° RG 18/15303 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDDGT







[E] [H]





C/



SAS ATELIERS FERROVIAIRES ET INDUSTRIELS





















Copie exécutoire délivrée

le :

02 JUIN 2022

à :

Me Jean FAYOLLE, avocat au barreau D'AIX-EN-

PROVENCE
r>

Me Denis FERRE, avocat au barreau de MARSEILLE





Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 06 Septembre 2018 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00071.







APPELANT



Monsieur [E] [H], demeurant...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4

ARRÊT AU FOND

DU 02 JUIN 2022

N°2022/

CM/FP-D

Rôle N° RG 18/15303 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDDGT

[E] [H]

C/

SAS ATELIERS FERROVIAIRES ET INDUSTRIELS

Copie exécutoire délivrée

le :

02 JUIN 2022

à :

Me Jean FAYOLLE, avocat au barreau D'AIX-EN-

PROVENCE

Me Denis FERRE, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 06 Septembre 2018 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00071.

APPELANT

Monsieur [E] [H], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Jean FAYOLLE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

Société INVEHO UFF anciennement ATELIERS FERROVIAIRES ET INDUSTRIELS DE [Localité 2] (FERIFOS), demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Denis FERRE, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Mars 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre, et Madame Catherine MAILHES, Conseiller, chargés du rapport.

Madame Catherine MAILHES, Conseiller, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre

Madame Frédérique BEAUSSART, Conseiller

Madame Catherine MAILHES, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Juin 2022.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Juin 2022.

Signé par Madame Natacha LAVILLE, Présidente de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [E] [H] (le salarié) a été engagé par la société Manpower, entreprise de travail temporaire, pour être mis à disposition de la société Atelier Ferroviaires et Industriels de [Localité 2] (Ferifos ou la société) à compter du 22 au 24 mars 2017, prolongé jusqu'au 31 mars 2017, pour exercer les fonctions de 'laveur'. Puis il a été affecté sur plusieurs missions successives jusqu'au 31 mai 2017, toujours en qualité de 'laveur' pour motif d'accroissement temporaire d'activité.

À compter du 1er juin 2017, il a été engagé par la société Ferifos selon contrat à durée déterminée de 6 mois, jusqu'au 30 novembre 2017.

Il a été affecté à un poste de 'grenailleur' le 25 septembre 2017.

Le 16 novembre 2017, le salarié a été victime d'un accident du travail pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du Rhône.

Aux termes du contrat, le 30 novembre 2017, la société Ferifos lui a remis les documents de fin de contrat.

Le 17 janvier 2018, estimant que la société Ferifos avait violé les dispositions des articles L. 1251 ' 5 à 40 du code du travail, M. [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Martigues aux fins de requalifier les contrats de mission et le contrat à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, de dire nulle la rupture du contrat de travail, d'ordonner sa réintégration et la reprise du paiement du salaire à compter du prononcé du jugement, et de condamner la société Ferifos au paiement d'une indemnité de requalification, un rappel d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, de l'indemnité légale de licenciement, de l'indemnité pour licenciement nul, une indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement, d'un rappel de salaire et congés payés afférents, rappel d'indemnité compensatrice de congés payés, de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre la délivrance sous astreinte des bulletins de salaire rectifiés pour la période du 22 mars 2017 à la date de sa réintégration.

Par jugement du 6 septembre 2018, le conseil de prud'homme de Martigues a :

requalifié la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée à compter du 22 mars 2017 et dit qu'elle s'était terminée le 16 novembre 2017,

fixé la moyenne du salaire à la somme de 1955,38 euros

condamné la société Ferifos à payer à M. [H] la somme de 1955,38 euros au titre de l'indemnité spéciale de requalification,

débouté M. [H] de sa demande de rappel de salaire et congés payés afférents,

dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

débouté M. [H] de sa demande d'indemnité pour licenciement nul,

condamné la société Ferifos à payer à M. [H] les sommes suivantes :

1955,38 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 195,53 euros à titre d'incidence congés payés,

325,90 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

3000 euros au titre des dommages-intérêts pour manquement aux obligations sécurité

débouté la société Ferifos de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

débouté M. [H] de sa demande de délivrance des documents sous astreinte,

dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile,

condamné la société Ferifos à payer à M. [H] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

dit que les dépens resteront à la charge de la société Ferifos.

Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 26 septembre 2018, M. [H] a régulièrement interjeté appel du jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes tendant à voir dire nulle la rupture du contrat de travail, à condamner la société Ferifos au versement d'une indemnité pour licenciement nul, d'une indemnité au titre de l'irrégularité de la procédure, d'un rappel de salaire et les congés payés afférents, d'un rappel d'indemnité compensatrice de congés payés, de sa demande tendant à lui délivrer sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter de la notification du jugement à intervenir, une attestation destinée à pôle emploi mentionnant pour motif de rupture du contrat « un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 30 novembre 2017» et une ancienneté décomptée au 22 mars 2017, le certificat de travail, le solde de tout compte, les bulletins de salaire rectifiés pour la période du 17 novembre 2017 au jour de sa réintégration, en ce qu'il a également rejeté sa demande tendant à assortir les condamnations des intérêts au taux légal et capitalisation à compter de la convocation initiale de la société Ferifos.

Par arrêt du 15 avril 2021, la cour a ordonné la réouverture des débats, a invité l'appelant à produire un Kbis récent de la société Ateliers Ferroviaires et Industriels de [Localité 2], en tous les cas d'apporter à la juridiction les explications nécessaires à la compréhension de la situation juridique de l'employeur, et en cas de modification de la situation juridique de celui-ci de mettre en cause la société Inveho Uff, a réservé à statuer sur l'ensemble des demandes et a renvoyé l'affaire à l'audience du 20 septembre 2021.

Un Kbis de l'intimée a été produit, faisant apparaître un changement de dénomination sociale de Ferifos pour le nom de Inveho Uff.

Par un second arrêt avant-dire-droit du 21 octobre 2021, la cour d'appel a :

ordonné la réouverture des débats,

révoqué l'ordonnance de clôture du 18 janvier 2021,

enjoint l'intimé de régulariser des conclusions conformes à sa dénomination sociale avant le 1er décembre 2021,

dit que les débats seront clôturés le 14 février 2021,

renvoyé l'affaire à l'audience collégiale du 16 mars 2022, le présent arrêt valant convocation ;

réservé à statuer sur l'ensemble des demandes.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe de la cour le 12 février 2022, M. [H] demande à la cour de :

le dire recevable en son appel,

débouter la société Inveho Uff anciennement dénommée Ferifos de son appel incident,

confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Martigues en ce qu'il a requalifié les contrats de contrat à durée déterminée successivement conclus entre le 22 mars et le 30 novembre 2017, en un contrat de travail à durée indéterminée et a condamné la société Inveho Uff (ex-Ferifos) à lui payer :

une indemnité de requalification, mais l'infirmée quant à son quantum,

1955,38 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

195,53 euros au titre de congés payés afférents,

325,90 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

3000 euros au titre des dommages-intérêts pour manquement aux obligations sécurité,

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de nullité licenciement et par voie de conséquence la demande d'indemnisation du préjudice né de la rupture de la relation contractuelle,

et statuant à nouveau,

dire nulle la rupture du contrat à durée indéterminée intervenue le 30 novembre 2017,

fixer la moyenne des salaires à la somme de 1955,38 euros,

condamner la société Inveho Uff (ex société Ferifos) à lui verser les sommes suivantes:

5000 euros à titre d'indemnité spéciale de requalification,

20'000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1955,38 euros au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement,

363,18 euros à titre de rappel de salaire et 36,31 euros à titre de congés payés y afférents,

422,11 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de congés payés,

condamner la société Inveho Uff (ex-Ferifos) à lui délivrer sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document à compter de la notification de l'arrêt à intervenir :

une attestation destinée à pôle emploi, mentionnant pour motif de rupture de contrat de travail « un licenciement sans cause réelle et sérieuse au 30 novembre 2017 » et une ancienneté décomptée au 22 mars 2017,

le certificat de travail,

le solde de tout compte ;

condamné la société Inveho Uff (ex-Ferifos) à lui délivrer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

assortir les condamnations d'intérêt au taux légal et capitalisation à compter de la convocation initiale de la société Inveho Uff (ex- Ferifos),

condamner la société Inveho aux entiers dépens d'instance y compris les éventuels frais d'exécution à intervenir.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe de la cour le 11 février 2022, la société Inveho Uff (anciennement dénommée Ferifos) faisant appel incident, demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [H] de sa demande de rappel de salaire et congés payés afférents, en ce qu'il a débouté M. [H] de sa demande d'indemnité pour licenciement nul et de sa demande de délivrance des documents sous astreinte,

infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée qui a pris effet le 22 mars 2016 et s'est terminée le 16 novembre 2017, fixé la moyenne des salaires à la somme de 1955,38 euros, en ce qu'il l'a condamné à payer à M. [H] la somme de 1955,38 euros au titre de l'indemnité spéciale de requalification, en ce qu'il a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [H] la somme de 1955,38 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 195,53 euros au titre des congés payés afférents, 325,90 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, 3000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat, en ce qu'il a débouté les parties de leurs plus amples demandes, en ce qu'il a dit que les dépens resteront à la charge de la société Ferifos,

en conséquence,

se déclarer incompétente concernant les demandes de M. [H] au titre du prétendu manquement de la société Ferifos à son obligation de sécurité,

constater l'absence de tout manquement de sa part à son obligation de sécurité,

débouter M. [H] de ses demandes les déclarant abusives et infondées,

débouter M. [H] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions comme étant infondées,

condamner M. [H] au paiement d'une somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 février 2022.

L'affaire a été évoquée à l'audience du 16 mars 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de requalification des contrats de mission et contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée

Pour contester le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié les contrats de mission et contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter du premier contrat de mission, la société soutient que le salarié qui a occupé temporairement un poste de laveur puis d'ouvrier hautement qualifié, ne rapporte pas la preuve que son contrat de mission avait pour objet ou pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise et qu'elle justifie du surcroît d'activité lié au volume des essieux Ermewa sur les périodes d'embauche de l'intéressé.

Elle conteste le moyen selon lequel elle n'aurait pas respecté le terme des missions de trois des contrats qui serait intervenu postérieurement à la période de souplesse indiquée, estimant justifier du contraire.

Le salarié qui conclut à la confirmation en ce que le conseil de prud'hommes a requalifié les contrats de mission en contrat à durée indéterminée, fait valoir que :

- il s'est trouvé dans la position d'un salarié permanent de l'entreprise dès le 22 mars 2017 et jusqu'au 16 novembre 2017 ; il s'agissait de pourvoir le même poste de laveur pendant toute la durée de la relation contractuelle ; les contrats se sont suivis sans aucun jour d'interruption par un contrat à durée déterminée du 1er juin 2017 au 30 novembre 2017 toujours sur le même poste et pour le même motif d'accroissement de l'activité temporaire d'activité au titre des essieux Erwa ;

- les contrats ne satisfont pas à l'exigence légale de motivation du recours au travail temporaire, dont la charge de la preuve appartient à l'employeur, en l'absence de références comparatives chiffrées et comptables ;

- la durée de la relation contractuelle contredit le caractère temporaire ;

- la société utilisatrice n'a pas respecté les dispositions de l'article L.1251-30 du code du travail en ce que le terme de trois des contrats de mission est postérieur au délai légal de report de deux jours pour les missions inférieures à 10 jours ; les contrats de service liant la société utilisatrice à la société d'intérim ne lui sont pas opposables ; il est en conséquence réputé avoir occupé un contrat à durée indéterminée depuis le premier jour de sa première embauche.

Selon les dispositions des articles L. 1251-5 et L.1251-6 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice. Il ne peut être fait appel à un salarié temporaire, sous réserve des dispositions de l'article L. 1251 ' 16, que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée « mission » et seulement dans les cas limitativement énumérés, notamment pour remplacement d'un salarié en cas d'absence, d'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise, d'emplois à caractère saisonnier.

C'est à l'employeur qu'il appartient d'apporter la preuve d'un accroissement temporaire de l'activité justifiant le recours à un contrat d'intérim ou un contrat à durée déterminée.

La société a pour activité la transformation, la modification et la maintenance de wagons pour les frets ferroviaires.

Le graphique des volumes d'essieux Ermewa produits aux débats qui n'est aucunement corroboré par des pièces comptables certifiées ou par des éléments de comparaison portant sur la période précédente est insuffisant pour établir le surcroît d'activité, ce d'autant que pendant la période d'emploi du salarié, ce volume a suivi des fluctuations, ce dernier ayant été embauché le 22 mars 2017 à une période de diminution de celui-ci.

En conséquence, les contrats mission et contrat à durée déterminée seront requalifiés en contrat à durée indéterminée à compter du 22 mars 2017 par application des dispositions de l'article L. 1251 ' 40 du code du travail.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmée sur ce point.

Sur la demande d'indemnité de requalification

L'employeur soutient qu'en l'absence pour le salarié de justifier d'un préjudice supérieur à celui réparé par l'indemnité minimale d'un mois de salaire, le montant de l'indemnité de requalification ne saurait dépasser un mois de salaire soit la somme de 1.955,38 euros.

Le salarié estime que l'indemnité de requalification doit atteindre le montant de 5000 euros.

En conséquence de la requalification, le salarié a droit à une indemnité à la charge de l'entreprise utilisatrice, ne pouvant être inférieur à un mois de salaire selon les dispositions de l'article L. 1251 ' 41 du code du travail.

Contenu du salaire mensuel du salarié d'un montant de 1955,38 euros bruts et des éléments de la cause, les premiers juges ont exactement apprécié l'indemnité devant lui être versée en la fixant à la somme de 1955,38 euros et le jugement entrepris sera confirmé sur ce chef.

Sur la demande de rappel de salaire pour non-respect du temps de travail contractuellement prévu

Pour contester le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de rappel de salaire et d'indemnité de congés payés afférente, le salarié soutient être en droit de percevoir un rappel de salaire pour les mois pendant lesquels il n'a pas été rémunéré sur la base d'un temps plein, en conséquence de la requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée, estimant s'être tenu à la disposition de son employeur et ne pas avoir été rémunéré à hauteur du temps plein contractuellement prévu de 35 heures hebdomadaires et 169 heures par mois, par l'effet de la succession des contrats de mission de courte durée n'intégrant pas les samedis et les dimanches (dont les 8, 9, 22 et 23 avril 2017), qu'ainsi il n'a été réglé pour le mois d'avril qu'à hauteur de 140 heures. Il indique qu'il en est de même pour le mois de mai 2017. Il conteste toute compensation avec les heures supplémentaires effectuées puisqu'elles se décomptent de manière hebdomadaire.

L'entreprise conteste devoir payer un rappel de salaire pour les mois d'avril et mai 2017 en faisant valoir que le salarié ne justifie pas s'être tenu à disposition de l'entreprise pendant cette période.

S'inscrivant dans un contrat à durée indéterminée à raison de la requalification, l'employeur est tenu de payer la rémunération et de fournir un travail au salarié qui se tient à sa disposition.

Il appartient à l'employeur qui s'estime délié de son obligation de paiement des salaires, de démontrer que le salarié a refusé d'exécuter son travail ou qu'il ne s'est pas tenu à sa disposition.

En l'occurrence, les contrats de missions stipulent une durée de travail contractuelle de 35 heures par semaine en sorte que le salarié ne saurait prétendre à une durée contractuelle de 169 heures par mois.

La durée mensuelle de travail devant être retenue par l'effet de la mensualisation applicable en conséquence de la requalification en contrat à durée indéterminée est celle de 151,67 heures.

Le salarié s'est tenu à la disposition de l'employeur dès lors que les périodes inter-contrat correspondent aux seuls deux jours de fin de semaine (samedi et dimanche) et qu'il a travaillé 35 heures par semaine pendant toutes les semaines de ces mois sauf semaines avec jour férié.

Il n'a été rémunéré qu'à hauteur de 140 heures de base sur les quatre semaines du mois d'avril et à hauteur de 146,75 heures de base en mai 2017 en sorte qu'un reliquat de 16,56 heures lui est dû.

Compte tenu du salaire horaire de 10,71 euros, la société sera condamnée à lui verser un rappel de salaire pour le mois d'avril 2017 de 177,57 euros bruts et 17,75 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande à ce titre.

Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité

Pour contester le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, le salarié fait valoir que la société a manqué à son obligation de sécurité en ce que :

- elle n'a pas mis en oeuvre les dispositions réglementaires issues des articles R.4541-3 et suivants du code du travail relatives à la manutention manuelle des charges en le laissant déplacer manuellement des essieux de 1 à 1,5 tonnes avec des cadences de 20 à 25 essieux par jour, sans la moindre aide mécanique, et sans avoir été préalablement formé sur les gestes et postures pour supporter la manipulation de telles charges,

- il n'a pas bénéficié de la formation renforcée à la sécurité en sa qualité de salarié temporaire puis en contrat à durée déterminée.

Il prétend avoir été victime d'un accident du travail le 21 juin 2017, non enregistré auprès de la caisse primaire d'assurance maladie, à la suite duquel, l'employeur n'a effectué aucun changement, et qu'après avoir été affecté au poste de grenailleur à compter du 25 septembre 2017, sur lequel il était encore amené à déplacer manuellement les essieux de plus d'une tonne, il a été victime d'un accident du travail le 16 novembre 2017.

Il estime que dès lors que la société Ferifos, à qui incombe la charge de la preuve, s'est trouvée dans l'incapacité de démontrer que la survenance de cet accident résultait d'une cause étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité en raison de la reconnaissance du caractère professionnel de celui-ci, il est fondé à obtenir la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives à l'obligation de sécurité.

La société soulève l'incompétence de la juridiction prud'homale pour réparer le préjudice résultant d'un accident du travail, précisant que le salarié a fait une demande de reconnaissance de la faute inexcusable.

L'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail, qu'il soit ou non le résultat d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive de la juridiction de sécurité sociale, la juridiction prud'homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail.

Le salarié sollicite la réparation du préjudice résultant des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité au cours de la relation contractuelle ayant abouti à l'accident du travail du 16 novembre 2017, sans pour autant préciser la nature du préjudice qu'il entend voir réparer et alors même qu'il a engagé une procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, par la saisine de la caisse primaire d'assurance maladie le 18 janvier 2018.

En conséquence, la juridiction prud'homale n'est pas compétente pour statuer sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné la société à verser des dommages et intérêts à ce titre au salarié.

Sur la rupture du contrat de travail

Pour contester le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du licenciement, le salarié soutient qu'il a été victime d'un accident du travail le 16 novembre 2017, quelques jours avant le terme du contrat et que par application des dispositions combinées des articles L. 1226-7, L.1226-9 et L.1226-13, la rupture est nulle.

La société s'oppose à la demande de nullité et à la demande de réintégration au motif de l'absence de requalification en contrat à durée indéterminée. Subsidiairement, elle indique que le paiement de l'indemnité d'éviction correspondant à la réparation du préjudice subi au cours de la période s'étant écoulée entre son licenciement et sa réintégration dans la limite des salaires perçus, doit être amputée des revenus de remplacement et des rémunérations perçues le cas échéant.

En conséquence de la requalification des contrats de mission et contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la rupture du contrat à durée déterminée par l'arrivée du terme est constitutive d'un licenciement irrégulier et dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Néanmoins, en application des dispositions combinées des articles L. 1226-7, L. 1226 ' 9 du code du travail lequel interdit la rupture du contrat pendant les périodes de suspension de celui-ci, sauf faute grave ou impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie et de l'article L. 1226 ' 13 du code du travail, la rupture du contrat de travail par l'arrivée du terme pendant la suspension du contrat de travail lié à l'accident du travail d'un contrat à durée déterminée ayant été requalifié en contrat à durée indéterminée est constitutive d'un licenciement nul.

En l'occurrence, le salarié a été victime d'un accident de travail le 11 novembre 2017 pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, à la suite duquel il a été en arrêt de travail, sans avoir pu reprendre son emploi, en conséquence de quoi, le licenciement qui est intervenu pendant la période de suspension consécutive l'accident du travail est nul.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [H] était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences de la rupture

1/ Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul et la demande de dommages et intérêts pour procédure irrégulière

Le salarié dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice découlant du caractère illicite du licenciement qui ne peut être inférieur à 6 mois de salaire.

L'indemnité pour irrégularité de procédure ne se cumule pas avec l'indemnité pour licenciement nul.

Le salarié a subi incontestablement un préjudice résultant de la rupture illicite du contrat de travail. Agé de près de 24 ans lors de la rupture du contrat de travail et avec une ancienneté de 8 mois, il a été en arrêt de travail jusqu'au 16 mars 2018 et pris en charge au titre de la sécurité sociale pendant cette période. Il a bénéficié de l'allocation de retour à l'emploi jusqu'au 30 avril 2018 et a retrouvé un emploi au plus tard le 4 juin 2018, toujours dans le cadre de missions d'intérim. Le préjudice qu'il a subi, sera, en fonction de ces éléments, entièrement réparé par la somme de 11'732,28 euros correspondant à 6 mois de salaire, que l'employeur sera condamné à lui verser.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [H] de sa demande d'indemnité pour licenciement nul mais confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'indemnité pour procédure irrégulière.

3/ Sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents

Le salarié qui avait une ancienneté de 8 mois lors de la rupture du contrat de travail, a droit à un préavis correspondant à un mois de salaire. En conséquence, c'est à bon droit que les premiers juges lui ont alloué la somme de 1955,38 euros correspondant à un mois de salaire au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 195,53 euros au titre des congés payés y afférents.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce chef.

4/ Sur l'indemnité de licenciement

L'employeur qui a formé appel incident en ce qu'il a été condamné au paiement d'une indemnité conventionnelle de licenciement, n'avance aucun argumentaire portant sur le montant des sommes réclamées ni sur le fondement conventionnel ou légal, mettant la cour dans l'ignorance de ses moyens alors que compte tenu de la requalification des contrats de mission et contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, le salarié, licencié alors qu'il comptait 8 mois d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, avait droit, en l'absence de faute grave à une indemnité de licenciement en application des dispositions conventionnelles.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a condamné la société au paiement d'une indemnité conventionnelle de licenciement de 325,90 euros calculée sur la base d'un salaire mensuel de 1955,38 euros, dans la limite de la demande.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a accordé une indemnité conventionnelle de 325,90 euros.

5/ Sur l'indemnité compensatrice de congés payés

Le salarié prétend qu'il a droit à un reliquat au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés d'un montant 422,11 euros, calculé sur la base de 10% des salaires versés déduction faite des deux journées de congés prises et rémunérées à hauteur de 83 euros chacune et de l'indemnité versée telle qu'indiquée dans le solde de tout compte.

La société qui conteste devoir la moindre somme soutient que l'assiette des rémunérations à prendre en considération ne comprend pas les primes de vacances et les diverses autres primes qui couvrent à la fois les périodes de travail et les périodes de congé.

Selon les dispositions de l'article L.3141-22 I du code du travail , le congé annuel prévu par l'article L. 3141 ' 3 ouvrent droit à une indemnité égale au 10e de la rémunération brute totale perçue par le salarié au cours de la période de référence. Pour la détermination de la rémunération brute totale, il est tenu compte :

1° de l'indemnité de congés de l'année précédente ;

2° des indemnités afférentes à la contrepartie obligatoire en repos prévu à l'article L. 3121 ' 11 ;

3° des périodes assimilées un temps de travail par les articles L. 3141 ' 4 et L. 3141 ' 5 qui sont considérés comme ayant donné lieu à rémunération en fonction de l'horaire de travail de l'établissement.

Il résulte de ces dispositions que sont exclues les primes qui ne sont pas assises uniquement sur les périodes de travail effectif.

Les primes de poste, primes de nocivité, primes bonus heures supplémentaires sont uniquement assises sur les périodes de travail effectif et sont à prendre en considération, au contraire de la prime de vacances qui est à exclure.

En conséquence, l'assiette de rémunération à prendre en considération s'élève à la somme de 13.569,73 euros.

L'indemnité de congés payés à laquelle avait droit le salarié se monte à la somme de 1.356,97 euros, de laquelle seront déduits les deux jours de congés payés pris (166 euros) et l'indemnité versée dans le cadre du solde de tout compte de 824,67 euros. En conséquence, la société reste lui devoir un reliquat de 366,30 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [H] de cette demande.

Sur les autres demandes

Il convient d'ordonner à la société de remettre à M. [H] les documents de fin de contrat rectifiés conformes au présent arrêt sans qu'il y ait lieu à astreinte.

Les condamnations porteront intérêts à compter de ce jour en ce qui concerne les sommes de nature indemnitaires et à compter de la demande du 5 février 2018 en ce qui concerne les sommes de nature salariales, avec capitalisation des intérêts échus en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société succombant sera condamnée aux entiers dépens de l'appel. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de faire bénéficier le salarié de ces mêmes dispositions et de condamner l'employeur à lui verser une indemnité complémentaire de 1.500 euros à ce titre.

Il convient de rappeler que le droit visé à l'article 10 du décret du 12 décembre 1996 n'est pas dû en cas de recouvrement d'une créance née de l'exécution du contrat de travail.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile;

Dans la limite de la dévolution,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée à compter du 22 mars 2017, en ce qu'il a condamné la société Ferifos à payer à M. [H] la somme de 1955,38 euros au titre de l'indemnité spéciale de requalification, la somme de 1955,38 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 195,53 euros à titre d'incidence congés payés et la somme de 325,90 euros à titre d'indemnité conventionnelle, en ce qu'il a débouté M. [H] de sa demande d'indemnité pour procédure irrégulière, en ce qu'il a condamné la société Ferifos à payer à M. [H] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et dit que les dépens resteront à la charge de la société Ferifos ;

L'infirme en ce qu'il a débouté M. [H] de sa demande de rappel de salaire et congés payés afférents, en ce qu'il a dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, en ce qu'il a débouté M. [H] de sa demande d'indemnité pour licenciement nul, condamné la société Ferifos à payer à M. [H] 3000 euros au titre des dommages-intérêts pour manquement aux obligations sécurité, en ce qu'il a débouté M. [H] de sa demande d'indemnité compensatrice de congés payés et de sa demande de délivrance des documents sous astreinte ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

Déclare que le licenciement de M. [H] est nul ;

Condamne la société Inveho Uff anciennement dénommée Ferifos à verser à M. [H] les sommes suivantes :

177,57 euros bruts à titre de rappel de salaire pour les mois d'avril et mai 2017 et et 17,75 euros bruts au titre des congés payés afférents pendant les périodes interstitielles,

11'732,28 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

366,30 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés ;

Dit que les sommes allouées sont exprimées en bruts ;

Dit que la juridiction prud'homale n'est pas compétente pour statuer sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ;

Ordonne à la société Inveho Uff anciennement dénommée Ferifos de remettre à M. [H] les documents de fin de contrat rectifiés conformes au présent arrêt ;

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Y ajoutant,

Condamne la société Inveho Uff anciennement dénommée Ferifos à verser à M. [H] une indemnité complémentaire de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que condamnations porteront intérêts à compter de ce jour en ce qui concerne les sommes de nature indemnitaires et à compter de la demande du 5 février 2018 en ce qui concerne les sommes de nature salariale, avec capitalisation des intérêts échus en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

Rappelle que le droit visé à l'article 10 du décret du 12 décembre 1996 n'est pas dû en cas de recouvrement d'une créance née de l'exécution du contrat de travail ;

Condamne la société Inveho Uff anciennement dénommée Ferifos aux entiers de l'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-4
Numéro d'arrêt : 18/15303
Date de la décision : 02/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-02;18.15303 ?
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