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19/05/2022 | FRANCE | N°18/18152

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-1, 19 mai 2022, 18/18152


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1



ARRÊT AU FOND

DU 19 MAI 2022



N° 2022/186











N° RG 18/18152 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDLHI







SAS EUROFINANCE COURTAGE





C/



[T] [D]

[W] [B]

SAS PRIORITY FINANZ CONSEIL





















Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Françoise BOULAN



Me Agnès ERMENEUX















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de CANNES en date du 20 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 2016F00322.





APPELANTE



SAS EUROFINANCE COURTAGE, dont le siège social est sis [Adresse 4]



représentée par Me Françoise BOULAN de la SEL...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT AU FOND

DU 19 MAI 2022

N° 2022/186

N° RG 18/18152 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDLHI

SAS EUROFINANCE COURTAGE

C/

[T] [D]

[W] [B]

SAS PRIORITY FINANZ CONSEIL

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Françoise BOULAN

Me Agnès ERMENEUX

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de CANNES en date du 20 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 2016F00322.

APPELANTE

SAS EUROFINANCE COURTAGE, dont le siège social est sis [Adresse 4]

représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Paul JOLY, avocat au barreau de GRASSE, plaidant

INTIMES

Monsieur [T] [D]

né le 22 Novembre 1963 à [Localité 6], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX-CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Dounia HARBOUCHE, avocat au barreau de PARIS

Madame [W] [B]

née le 12 Octobre 1982 à [Localité 6], demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX-CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Dounia HARBOUCHE, avocat au barreau de PARIS

SAS PRIORITY FINANZ CONSEIL, dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX-CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Dounia HARBOUCHE, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 28 Mars 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Pierre CALLOCH, Président

Madame Marie-Christine BERQUET, Conseillère

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Mai 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Mai 2022,

Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et M. Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La société Eurofinance Courtage, dont le siège est à [Localité 5], exerce depuis 2008 une activité de courtier en opération de banque et service de paiement, intermédiaire en opération de banque et service de paiement, courtage d'assurance, crédit, conseil en investissement financier et immobilier, et a développé un réseau de courtiers et de mandataires chargés de la représenter auprès de la clientèle.

Ainsi, M. [T] [D] a été recruté le 3 décembre 2013 en qualité de co-courtier par la signature d'une convention de partenariat d'une durée de trois ans.

Mme [J] et M. [L] sont intervenus en qualité de mandataires.

Ces trois collaborateurs ont quitté leurs fonctions entre les mois d'août et de septembre 2015.

M. [D], n'ayant pas terminé son contrat à durée déterminée, a obtenu une résiliation anticipée du contrat.

Mme [B] était salariée jusqu'à la rupture conventionnelle de son contrat le 31 juillet 2015.

Le 28 octobre 2015 M. [D] et Mme [B] ont créé la société Priority Finanz Conseil, tandis que M. [L] créait la société RB Finance et Mme [J] la société Abba Courtage.

Soupçonnant des faits de concurrence déloyale, la société Eurofinance Courtage a obtenu du président du tribunal de grande instance de Draguignan la désignation d'un huissier de justice par ordonnance sur requête du 22 juin 2016 afin d'appréhender des documents appartenant à la société Eurofinance Courtage.

Deux procès-verbaux de constats ont été réalisés le 20 juillet 2016.

Le 3 novembre 2016 la société Eurofinance Courtage a fait assigner la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] ainsi que M. [C] [L] et la société RB Finance devant le tribunal de commerce de Cannes afin d'obtenir leur condamnation à cesser toute activité concurrente et fin d'obtenir l'indemnisation de son préjudice.

Un accord transactionnel est intervenu entre la société Eurofinance Courtage et M. [L] et sa société de sorte que la société Eurofinance Courtage s'est désistée de son action à leur encontre.

Par jugement en date du 20 septembre 2018 le tribunal de commerce de Cannes a :

-pris acte du désistement d'instance et d'action à l'encontre de la Sarl Finance et de M.[C] [L],

(..)

-débouté la société Eurofinance Courtage de sa demande de faire cesser toute activité concurrente de la sienne par la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B],

-débouté la société Eurofinance Courtage de sa demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

-condamné M. [T] [D] à payer à la société Eurofinance Courtage la somme de 28.000 euros au titre de dommages et intérêts pour résiliation anticipée du contrat à durée déterminée,

-condamné la société Eurofinance Courtage à payer à M. [T] [D] la somme de 29.220 euros au titre des commissions sur les encours,

-ordonné la compensation de ces deux condamnations,

-débouté la société Priority Finanz Conseil de sa demande de réparation de préjudice pour un montant de 20.000 euros,

-débouté la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] de leurs demandes de réparation de préjudice à hauteur de 14.500 euros chacun,

-débouté la société Priority Finanz Conseil et M. [T] [D] de leur demande faite à l'encontre de la société Eurofinance Courtage de réparation du préjudice moral à hauteur de 20.000 euros chacun et Mme [W] [B] pour un montant de 60.000 euros,

-débouté la société Eurofinance Courtage de sa demande de remboursement du trop-perçu de commissions à l'encontre de M. [T] [D],

-condamné la société Eurofinance Courtage aux dépens,

-débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire

------------

Par déclaration en date du 16 novembre 2018 la société Eurofinance Courtage a interjeté appel du jugement.

-------------

Par conclusions enregistrées le 3 mars 2022 et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Eurofinance Courtage fait valoir que :

-aucune commission n'est due à M. [D] ; au contraire, les pièces produites démontrent qu'il reste débiteur d'un trop-perçu,

-les demandes de dommages et intérêts des intimés ne sont justifiées par aucune faute de sa part ni aucun préjudice établi au détriment de la société Priority Finanz Conseil, de M. [T] [D] et Mme [W] [B],

-Mme [B] a violé la clause de non-concurrence post-contractuelle prévue à l'article 11 de son contrat de mandataire ; le contrat de mandat ne peut être contesté dès lors que l'inscription à l'Orias est une simple mesure de police administrative et que Mme [B] s'est elle-même prévalue du contrat de mandat,

-M. [D] était tenu de ne pas recruter de salarié ou de personnel de la société Eurofinance Courtage aux termes de l'article 11 du contrat de co-courtage du 3 décembre 2013 ; par ailleurs, la résiliation anticipée de son contrat à durée déterminée a été acceptée à la seule condition que M. [D] s'interdise de solliciter les clients du portefeuille détenu par la société Eurofinance Courtage aux termes des engagements souscrits le 23 septembre 2015,

-les actes de concurrence déloyale sont établis par le débauchage massif et concomitant de plusieurs collaborateurs et leur embauche simultanée dans une entreprise concurrente, ainsi que par le détournement en quelques mois de plus de 60 clients de la société Eurofinance Courtage,

-le principe de l'absence de tout droit privatif sur la clientèle interdit cependant l'usage de procédés déloyaux afin de capter la clientèle ; au cas d'espèce, la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] ont usé de procédés déloyaux tels le dénigrement, le parasitisme et des actes de désorganisation à son égard ; ces actes s'ajoutent en outre à la violation par M. [D] de son obligation de loyauté,

-le parasitisme est établi par la délivrance par Mme [B] de faux livrets de stage au titre d'enseignements jamais dispensés, de l'exploitation par Mme [B] et M. [D] de ses contacts professionnels (comptes bancaires, locaux professionnels, produits identiques, partenaires identiques) ; cette organisation avait pour but de créer une confusion dans l'esprit des clients et de créer une confusion entre les deux sociétés afin de les tromper ; des documents lui ont été volés, un listing de clientèle détaillé a été détourné,

-les actes de dénigrement à son encontre sont établis dès lors que la société Priority Finanz Conseil n'a pas hésité à la calomnier auprès de certains clients ; ses propres déclarations n'ont été que pour réagir au pillage de son portefeuille,

-les intimés ont usé de procédés illicites et déloyaux : placements auprès de la société Priority alors qu'elle n'était pas immatriculée, manquement à l'obligation de confidentialité et au secret professionnel, intérêts des clients sacrifiés,

-son préjudice est établi dès lors que son portefeuille a été appauvri par la perte d'environ 60 clients entraînant une perte du potentiel de reversement, et qu'elle a perdu, du fait de la cessation anticipée du contrat de co-courtage de M. [D], des commissions et honoraires qui restaient à percevoir jusqu'à la fin du contrat (3 décembre 2016)

La société appelante demande ainsi à la cour, au visa des articles 1146, 1382, 1376 anciens du code civil, de réformer le jugement et de :

-condamner la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] à cesser l'exercice de toute activité concurrente de la sienne, à savoir courtier en opérations de banque et service de paiement, IOBSP (intermédiaire en opération de banque et service de paiement), courtage d'assurance, crédit, conseil en investissement financier et immobilier, sous peine d'astreinte de 1.000 euros par infraction constatée,

-condamner solidairement la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] à lui régler la somme de 118.513 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

-condamner M. [D] à lui régler la somme de 85.712 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la rupture prématurée du contrat de co-courtage du 3 décembre 2013,

-condamner M. [D] à lui restituer la somme de 8.664, 52 euros au titre du trop-perçu sur commissions,

-débouter M. [D] de sa demande en paiement de commissions,

-condamner la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] à lui régler chacun la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens dont distraction

La société Eurofinance Courtage sollicite également la révocation de l'ordonnance de clôture.

------------

Par conclusions enregistrées le 4 mars 2022, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] rétorquent que :

-la société Eurofinance Courtage a multiplié les procédures judiciaires et les tentatives pour entraver leur activité professionnelle,

-d'une part, ils ne sont tenus à aucune obligation contractuelle de non-concurrence ; le mandat proposé par la société Eurofinance Courtage à Mme [B] n'a pas reçu exécution et les parties y ont renoncé faute d'immatriculation à l'Orias et au registre du commerce ; en tout état de cause, la clause de non-concurrence contenue au contrat de

mandat n'est pas licite ; M. [D] n'est pas davantage tenu par une clause de non-concurrence aux termes du courrier du 23 septembre 2015, et en tout état de cause cette clause est nulle comme non limitative ; la résiliation anticipée n'est pas fautive puisqu'elle ressort de l'accord des parties, les dommages et intérêts sollicités à ce titre par la société Eurofinance Courtage ne sont pas justifiés,

-d'autre part, ils ne sont à l'origine d'aucun acte de concurrence déloyale, ni parasitisme ; M. [D] et Mme [B] ne se sont livrés à aucun acte de parasitisme ou de confusion ; la seule création de la société Priority Finanz Conseil n'est pas constitutive d'un acte de concurrence déloyale eu égard à la liberté du commerce ; ils réfutent par ailleurs toute captation de clientèle, vols de documents ou procédés illicites et déloyaux, et dénoncent au contraire le dénigrement systématique opéré par la société Eurofinance Courtage à l'égard de leurs clients, rendant leurs conditions de travail difficiles,

-la société Eurofinance Courtage ne démontre pas l'existence d'un préjudice indemnisable eu égard aux usages du courtage et à l'absence de man'uvres déloyales à l'origine d'un détournement de clientèle,

-la société Eurofinance Courtage reste devoir des commissions à M. [D], notamment en l'état de la réactualisation des sommes au 31 mars 2022,

-ils sont bien-fondés à solliciter des dommages et intérêts au regard des préjudices subis en raison du comportement fautif de la société Eurofinance Courtage qui n'a eu de cesse de les dénigrer et d'opérer un véritable harcèlement auprès de clients dans le but d'entraver leurs activités

Ainsi, les intimés sollicitent la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a :

-condamné M. [T] [D] à payer à la société Eurofinance Courtage la somme de 28.000 euros au titre de dommages et intérêts pour résiliation anticipée du contrat à durée déterminée,

-débouté la société Priority Finanz Conseil et M. [T] [D] de leur demande faite à l'encontre de la société Eurofinance Courtage de réparation du préjudice moral à hauteur de 20.000 euros chacun et Mme [W] [B] pour un montant de 60.000 euros,

-débouté la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Et statuant à nouveau, ils demandent à la cour de :

-débouter la société Eurofinance Courtage de toutes ses demandes à l'encontre de la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B],

-condamner la société Eurofinance Courtage à payer à M. [D] la somme de 94.161,13 euros à la suite de la réactualisation du montant des commissions dues au titre des années 2015 jusqu'au 31 mars 2022,

-condamner la société Eurofinance Courtage à payer à la société Priority Finanz Conseil la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice lié à la limitation d'activité,

-condamner la société Eurofinance Courtage à payer à la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] chacun la somme de 14.500 euros au titre du dénigrement,

-condamner la société Eurofinance Courtage à payer la somme de 60.000 euros à Mme [B] et la somme de 20.000 euros à la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] chacun au titre du préjudice moral,

-condamner la société Eurofinance Courtage à payer à la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] la somme de 7.000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens dont distraction

Par conclusions du 4 mars 2022 les intimés ont sollicité le rejet de la demande de révocation de l'ordonnance de clôture en l'absence de justification d'un motif légitime. Ils ajoutent que la société Eurofinance Courtage a eu un temps suffisant avant l'ordonnance de clôture pour répliquer à leurs dernières conclusions du 11 février 2022.

-------------

Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 28 février 2022 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 28 mars 2022.

A cette date, l'affaire a été retenue et mise en délibéré au 19 mai 2022.

MOTIFS

Sur la révocation de l'ordonnance de clôture :

Au visa des articles 907, 802 et 803 du code de procédure civile, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats postérieurement à l'ordonnance de clôture, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, à l'exception des demandes en intervention volontaire, des conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et autres accessoires échus et aux débours faits jusqu'à l'ouverture des débats, et à l'exception également des demandes de révocation de l'ordonnance de clôture et des conclusions qui tendent à la reprise de l'instance en l'état où celle-ci se trouvait au moment de son interruption.

Par ailleurs, l'ordonnance de clôture peut être révoquée s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.

En l'espèce, au visa de l'article 16 du code de procédure civile, il convient d'ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 28 février 2022 et de reporter la clôture au 28 mars 2022, date des débats, afin que l'ensemble des pièces et conclusions soit débattu de façon contradictoire et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

Sur le non-respect des obligations contractuelles de non-concurrence :

A l'égard de Mme [B]

Suite à la rupture conventionnelle du contrat de travail liant la société Eurofinance Courtage à Mme [W] [B], intervenue le 10 juin 2015, plusieurs échanges sont intervenus entre les parties et ont abouti à la signature d'un contrat de mandat entre les intéressées. Ce contrat comporte en clause 11 une obligation de non-concurrence à la charge de Mme [B], dans les Alpes Maritimes et le Var en cas de départ de l'entreprise.

Pour autant, Mme [B] établit que par courrier daté du 23 septembre 2015, remis en mains propres à la société Eurofinance Courtage, elle a indiqué à cette dernière « ne pas donner suite au projet de contrat » et a joint copie du projet de mandat, précisant qu'elle ne pouvait être immatriculée à l'ORIAS. Mme [B] a par ailleurs précisé qu'elle détruisait le seul exemplaire original établi entre les intéressées.

Il en résulte que si un projet de mandat a effectivement été envisagé entre les parties, il n'en reste pas moins que le contrat produit en copie n'est pas daté, et n'a pas été réitéré, de sorte que c'est à bon droit que les premiers juges ont constaté qu'il n'avait pas reçu exécution.

Ce projet ne peut dès lors être invoqué par la société Eurofinance Courtage au titre d'un manquement contractuel à une clause de non-concurrence de la part de Mme [B].

Au demeurant, tous les échanges dont se prévaut la société Eurofinance Courtage sont antérieurs à ce courrier et ne sauraient étayer l'existence d'une relation contractuelle, sauf dans le cadre de pourparlers.

A l'égard de M. [D]

Le 3 décembre 2013 M. [T] [D], courtier indépendant, a signé avec la société Eurofinance Courtage une « convention de partenarait - co-courtage » d'une durée de trois années. Cette convention relève en préambule les « liens commerciaux » unissant M. [D] et M. [Z] [A], président de la société Eurofinance Courtage « depuis plus de 20 ans ».

Par courrier du 23 septembre 2015 M. [D] a indiqué souhaiter arrêter sa collaboration de co-courtage avant le délai de trois ans mais pouvoir continuer à percevoir les commissions sur encours et reversement à l'identique et a sollicité pour ce faire la communication des conditions en retour.

Le même jour, par courrier remis en mains propres et signé par M. [D], la société Eurofinance Courtage a accepté cette résiliation anticipée et a fixé un certain nombre de conditions parmi lesquelles figurent celle de « non concurrence sur les clients du portefeuille de la SAS Eurofinance Courtage ».

Par ailleurs, aux termes de l'article 11 de la convention de co-courtage M. [D] s'était engagé, en cas de résiliation « à ne pas recruter comme salarié ni utiliser, directement ou indirectement, les personnes qui étaient employées par Eurofinance Courtage lors de l'exécution de la convention ».

Dès lors, il peut être déduit de ces éléments qu'aucune résiliation fautive du contrat ne peut être retenue à l'égard de M. [D] considérant que les termes de l'accord du 23 septembre 2015 attestent que la société Eurofinance Courtage a consenti à ce qu'il soit mis fin à la collaboration et ne s'est pas prévalue des clauses de la convention signée le 3 décembre 2013 en matière de résiliation.

Pour autant, M. [D] était tenu, dans le cadre de l'accord des parties, entre lesquelles aucun lien de subordination n'existait comme le rappelle la convention de co-courtage, d'une obligation de non-concurrence et d'une obligation, non seulement de ne pas recruter d'employés de la société Eurofinance Courtage mais également de ne pas les « utiliser ».

Or, il ressort des pièces communiquées que Mme [B], ancienne salariée de la société Eurofinance Courtage, s'est associée à M. [D] pour créer la société Priority Finanz Conseil, ce qui constitue une violation de la clause 11 susvisée imposée à M. [D], étant observé qu'ils ont tous deux mis fin définitivement à leur collaboration avec la société Eurofinance Courtage à la date du 23 septembre 2015.

D'autre part, si Mme [B] n'était tenue à aucune clause contractuelle de non-concurrence, il apparaît qu'en revanche, M. [D], par le biais de la société Priority Finanz Conseil, n'a pas respecté l'obligation de « non concurrence sur les clients du portefeuille de la SAS Eurofinance Courtage ».

En effet, plusieurs clients, dont l'antériorité chez la société Eurofinance Courtage n'est pas contestée, ont été approchés par la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] en vue de la signature de nouveaux contrats de placement, et pour certains, ont effectivement signé de nouvelles offres en violation de la précédente clause, à savoir M. [I] [F], Mme [R] [S], Mme [X] [M], Mesdames [Y] et [F] [K], Mme [N] [E] et M. [H] [O].

Le courrier établi par Mme [F] [K] le 12 décembre 2015 à l'attention d'Oddo atteste en outre que certains clients de la société Eurofinance Courtage ont fait l'objet de pressions réciproques dans un contexte de concurrence conflictuelle entre cette société et la nouvelle société Priority Finanz Conseil créée par M. [T] [D] et Mme [W] [B].

A cet égard, il convient de relever que la convention de co-courtage et les conditions posées à M. [D] lors de son départ n'excluaient pas la poursuite de son intervention en qualité de courtier indépendant puisque la clause 9.3 mentionnait le maintien, même après résiliation, du versement de la « rémunération sur encours et sur versement » sous réserve que le courtier indépendant « continue à faire bénéficier la clientèle, développée dans le cadre de la convention, d'un service après-vente de qualité, notamment en continuant à prodiguer des suivis sur les produits souscrits (..) ».

Pour autant, si le suivi des clients du portefeuille de la société Eurofinance Courtage et l'obligation de conseil afférente étaient clairement prévus, outre l'obligation de « privilégier les intérêts des clients du portefeuille » (accord du 23 septembre 2015), M. [D] était tenu de ne pas concurrencer la société Eurofinance Courtage en faisant souscrire de nouveaux contrats au bénéfice de la société Priority Finanz Conseil.

Néanmoins, étant observé que la clause de « non concurrence sur les clients du portefeuille de la SAS Eurofinance Courtage » prévue le 23 septembre 2015 n'a pas été limitée dans le temps et n'est pas accompagnée d'une liste des clients définis comme tels par la société Eurofinance Courtage, les conséquences de son non-respect seront également appréciées à l'aune de ces éléments.

En effet, si la protection des intérêts d'une entreprise peut justifier l'insertion de clauses de non-concurrence à son bénéfice, ces clauses ne sauraient néanmoins être disproportionnées aux intérêts de celui à qui elles sont opposées et ne sauraient entraver la liberté du commerce et de l'industrie.

Sur les actes de concurrence déloyale, parasitisme commis par la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] :

Aux termes de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

A cet égard, la concurrence existant entre deux sociétés, spécialisées dans un secteur de marché similaire, ne constitue pas en soi un acte fautif en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie.

Par ailleurs, le démarchage de la clientèle d'autrui, fût-ce par un ancien salarié de celui-ci, est libre, dès lors que ce démarchage ne s'accompagne pas d'un acte déloyal.

S'agissant du parasitisme, il consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

En l'espèce, il apparaît que la création de la société Priority Finanz Conseil, par M. [T] [D] et Mme [W] [B] ne peut être considérée comme un acte de concurrence déloyale en soi du seul fait que ses fondateurs sont d'anciens salariés ou collaborateurs.

En effet, il apparaît que leur départ a été accepté par la société Eurofinance Courtage, que tous deux possédaient une expérience professionnelle antérieure dans le domaine bancaire, et que la collaboration de M. [D] avec la société Eurofinance Courtage avait été établie sur la base du constat de vingt années de liens commerciaux.

La société Eurofinance Courtage ne pouvait ignorer que ses anciens collaborateurs ne manqueraient pas de persévérer dans un domaine professionnel où ils avaient acquis de l'expérience et un savoir-faire, et ce, alors que s'agissant de Mme [B], celle-ci n'était tenue par aucune clause de non-concurrence, et que M. [D] n'avait de clause de non-concurrence que sur le portefeuille de la société EuroFinance Courtage.

Au demeurant, comme l'ont justement relevé les premiers juges, M. [D] et Mme [B] ont utilisé cette expérience professionnelle et l'ont mise à profit dans leur nouvelle société, sans que soient constatés des actes déloyaux ou répréhensibles selon les usages en la matière.

La seule similitude des documents, des contacts avec divers intervenants (banques, entreprise de nettoyage, produits de placement similaires) ne saurait constituer un procédé déloyal dès lors que le sentiment de confusion dénoncé par la société Eurofinance Courtage procède manifestement de son propre ressenti et non de celui des clients et n'est la conséquence d'aucun acte déloyal.

Par ailleurs, la soustraction de divers documents, et notamment la liste de clients, n'est pas davantage établie, et ce, alors qu'il n'est pas contesté qu'aux termes de l'accord du 23 septembre 2015 M. [D] devait poursuivre son activité de conseil et de suivi aux clients, tel que rappelé ci-dessus à la clause 9 de la convention de partenariat avec la société Eurofinance Courtage.

M. [D] avait donc nécessairement accès aux dossiers dont il était censé assurer le suivi et pour lesquels il devait continuer à percevoir la rémunération correspondante, et avait accès aux informations relatives à ces clients.

De même, Mme [B], ancienne salariée de la société Eurofinance Courtage et pressentie pour être mandataire de cette dernière à l'issue de la rupture conventionnelle, a pu être en possession d'informations sur la clientèle sans qu'il soit établi que ces informations aient été obtenues au moyen de procédés illégaux ou déloyaux.

Dès lors, la reproduction servile reprochée à la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] ainsi que les actes déloyaux et les faits de parasitisme ne ressortent pas des éléments communiqués.

Enfin, la lecture des échanges épistolaires de la société Eurofinance Courtage avec certains de ses partenaires, les témoignages de clients ou encore les échanges avec d'anciens collaborateurs de cette société attestent également d'une volonté de dénigrement certaine, nonobstant le fait qu'elle constituait manifestement une réponse aux actes dénoncés de la part de la société Eurofinance Courtage.

Les témoignages de certains clients et partenaires de la société Eurofinance Courtage attestent au demeurant de ces pressions en réponse aux tentatives de rapprochement menées par son concurrent (Mme [V], Mme [U], courrier émanant d'Oddo & Cie le 29 mai 2017, courrier de la société Primonial Partenaires le 10 juillet 2017)

Dès lors la société Eurofinance Courtage est mal-fondée à invoquer à son profit le préjudice tiré des actes de dénigrement commis par son concurrent à la lumière de ses propres agissements.

Pour le surplus, le jugement, à la motivation duquel il convient de se référer, sera confirmé.

Sur les commissions :

Dans le cadre de la première instance, M. [D] a sollicité la condamnation de la société Eurofinance Courtage à lui payer la somme de 29.220 euros représentant le montant des commissions qui lui étaient dues depuis le 30 novembre 2015 jusqu'à la date de ses écritures, en exécution du contrat de co-courtage du 3 décembre 2013.

En cause d'appel, il réactualise sa demande au 31 mars 2022 à hauteur de la somme de 94.161,13 euros.

Pour autant, comme il a été rappelé ci-dessus, il ressort de l'accord des parties, formalisé dans le courrier daté du 23 septembre 2015, et expressément signé par M. [D], que la société Eurofinance Courtage a accepté la résiliation anticipée du contrat sous réserve de diverses conditions listées, dont la clause de « non concurrence sur les clients du portefeuille de la SAS Eurofinance Courtage ».

Il est établi que M. [D] s'est affranchi de cette obligation en détournant certains clients du portefeuille de la société Eurofinance Courtage à son profit et plus particulièrement au profit de sa nouvelle société, en profitant des informations et de l'expérience qu'il détenait au sein de son ancien collaborateur.

Dès lors, M. [D] ne peut à la fois revendiquer l'exécution du contrat à son seul avantage en sollicitant le paiement des rémunérations sur les encours, et dans le même temps, s'affranchir de l'obligation corrélative qui y était attachée, à savoir ne pas faire concurrence à la société Eurofinance Courtage sur son portefeuille de clients.

En l'espèce, M. [D], par l'intermédiaire de la société Priority Finanz Conseil, a ainsi profité des bénéfices de sa collaboration avec la société Eurofinance Courtage au-delà des termes de l'accord du 23 septembre 2015 de sorte qu'il est mal-fondé à réclamer le règlement de ses commissions postérieurement à la rupture de la convention de co-courtage.

Au demeurant, dans un courrier en réponse daté du 25 janvier 2016, faisant suite à la lettre de résiliation des accords du 23 septembre 2015 par la société Eurofinance Courtage au regard des manquements de M. [D], ce dernier faisait grief à son ancien collaborateur de lui avoir supprimé l'accès à ses clients via Harvest ainsi que le site partenaire CGPI ODDO sans l'en avoir informé au préalable et dénonçait l'impossibilité de visualiser les mouvements sur les portefeuilles clients et « de plus pouvoir aujourd'hui donner une situation exacte à mes clients » rappelant qu'il était de son devoir de suivre les avoirs de ses clients et de les conseiller.

Il peut être déduit de ces échanges qu'en tout état de cause, la réalité du suivi opéré par M. [D] conformément à l'article 9 de la convention de partenariat co-courtage et lui ouvrant droit à rémunération n'est pas étayée.

De même, la société Eurofinance Courtage sera déboutée de sa demande de restitution d'un trop-perçu considérant que les pièces produites à l'appui de cette somme (numéros 208, 209 à 233) ne sont pas suffisamment probantes pour établir la réalité de ce trop-perçu.

Sur les demandes de dommages et intérêts :

Le manquement de M. [D] à l'exécution de l'obligation de non-concurrence mise à sa charge est constitutif d'un préjudice pour la société Eurofinance Courtage au regard du détournement de clientèle opéré par celui-ci et de l'atteinte à l'image de marque de la société en l'état des multiples tensions entre les parties, de nature à ternir la confiance des clients.

Pour autant, il y a lieu de juger que le préjudice de la société Eurofinance Courtage est valablement compensé par la privation des commissions auxquelles M. [D] prétendait après la résiliation du contrat de co-courtage, précisément par suite du non-respect de son obligation de non-concurrence.

Pour le surplus, les agissements de la société Priority Finanz Conseil, et de Mme [W] [B] n'ont pas été retenus, de sorte qu'ils ne peuvent donner lieu à l'allocation de dommages et intérêts.

Parallèlement, la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] formulent des demandes indemnitaires, tant à titre personnel qu'au nom de la société, en réparation de leurs préjudice tenant à la limitation de leur activité, au dénigrement opéré par la société Eurofinance Courtage et à leur préjudice moral.

Au regard des éléments relevés ci-dessus et non exhaustifs, il y a lieu de juger qu'à le supposer établi, le préjudice subi par les intimés ne procède que de leur propre comportement et de leur manquement à l'obligation de loyauté et ce, alors que la société Eurofinance Courtage avait elle-même accepté, tant une rupture conventionnelle à l'égard de Mme [B], qu'une résiliation anticipée du contrat à durée déterminée la liant à M. [D].

Sur les frais et dépens :

La société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] conserveront in solidum la charge des dépens, recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par ailleurs, la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] seront tenus in solidum de payer à la société Eurofinance Courtage la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Révoque l'ordonnance de clôture rendue le 28 février 2022 et reporte les effets de la clôture au 28 mars 2022, date des débats,

Confirme le jugement rendu le 20 septembre 2018 par le tribunal de commerce de Cannes sauf en ce qu'il a:

-condamné M. [T] [D] à payer à la société Eurofinance Courtage la somme de 28.000 euros au titre de dommages et intérêts pour résiliation anticipée du contrat à durée déterminée,

-condamné la société Eurofinance Courtage à payer à M. [T] [D] la somme de 29.220 euros au titre des commissions sur les encours,

-ordonné la compensation de ces deux condamnations

Statuant à nouveau,

Déboute M. [T] [D] de sa demande en paiement de commissions,

Déboute la société Eurofinance Courtage de sa demande en paiement d'un trop-perçu de commissions au profit de M. [D],

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne in solidum la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] aux dépens de l'appel, recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne in solidum la société Priority Finanz Conseil, M. [T] [D] et Mme [W] [B] à payer à la société Eurofinance Courtage la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le GREFFIER Le PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 3-1
Numéro d'arrêt : 18/18152
Date de la décision : 19/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-19;18.18152 ?
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