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13/05/2022 | FRANCE | N°19/18975

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8, 13 mai 2022, 19/18975


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8



ARRÊT AU FOND

DU 13 MAI 2022



N°2022/.













Rôle N° RG 19/18975 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFJLD







[S] [H] [X]





C/



CPAM BOUCHES-DU-RHONE













Copie exécutoire délivrée

le :

à :



- Me Cedric HEULIN



- CPAM BDR















Décision déférée à

la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 02 Décembre 2019,enregistré au répertoire général sous le n° 16/00395.





APPELANTE



Madame [S] [X] ayant droit de Monsieur [F] [X], demeurant [Adresse 1]



représentée par Me Cedric HEULIN, avocat au barreau de MARSEILLE





INTIMEE


...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8

ARRÊT AU FOND

DU 13 MAI 2022

N°2022/.

Rôle N° RG 19/18975 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFJLD

[S] [H] [X]

C/

CPAM BOUCHES-DU-RHONE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Cedric HEULIN

- CPAM BDR

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 02 Décembre 2019,enregistré au répertoire général sous le n° 16/00395.

APPELANTE

Madame [S] [X] ayant droit de Monsieur [F] [X], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Cedric HEULIN, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

CPAM BOUCHES-DU-RHONE, demeurant [Adresse 3]

représenté par Mme [J] [C], Inspectrice Juridique, en vertu d'un pouvoir spécial

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Mars 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Mme Catherine BREUIL, Conseillère

Greffier lors des débats : Madame Isabelle LAURAIN.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Mai 2022.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Mai 2022

Signé par Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre et Madame Isabelle LAURAIN, greffier présent lors du prononcé.

[F] [X], employé en qualité de sidérurgiste par la société [2] depuis 1974, a déclaré le 28 avril 2014 un cancer du cerveau causé par les HAP pour reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie hors tableau, en joignant un certificat médical en date du 28 avril 2014, précisant que la date de la première constatation médicale est le 28 janvier 2011 et mentionnant une exposition professionnelle au gaz de cokerie contenant des hydrocarbures aromatiques polycycliques et des composés nitrosés cancérogènes ainsi que du monoxyde de carbone en tant que gazier puis machiniste sur le site de [Localité 4].

[F] [X] est décédé le 27 décembre 2014.

Après avis négatif du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Marseille, la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône a refusé le 23 janvier 2015 de reconnaître à la maladie déclarée un caractère professionnel, étant précisé que cette décision de rejet a été notifiée Mme [S] [X], veuve du salarié.

Après rejet par la commission de recours amiable le 3 novembre 2015, Mme [X] a saisi le 11 décembre 2015 le tribunal des affaires de sécurité sociale de sa contestation de cette décision.

Par jugement avant dire droit en date du 1er mars 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône a ordonné la saisine pour avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Lyon, lequel n'a pas retenu dans son avis du 08 juin 2017 de lien direct et essentiel entre la maladie et l'activité professionnelle.

Par jugement avant dire droit en date du 6 novembre 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône a ensuite ordonné une expertise médicale sur pièces et l'expert a déposé son rapport le 25 mai 2018.

Par jugement en date du 2 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Marseille, pôle social, a:

* déclaré irrecevable la demande d'annulation des avis du 20 janvier 2015 du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 6] et du 8 juin 2017 de celui de [Localité 5],

* déclaré Mme [X] irrecevable en sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle,

* rejeté sa demande de désignation d'un nouvel expert,

* dit que la pathologie ne peut être prise en charge au titre de la législation relative aux maladies professionnelles,

* débouté Mme [X] de l'ensemble de ses demandes,

* dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône aux dépens.

Mme [X] a régulièrement interjeté appel.

Par arrêt en date du 05 mars 2021, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a:

* dit n'y avoir lieu d'annuler l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 6] du 20 janvier 2015,

* annulé l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 5] en date du 8 juin 2017,

* avant dire droit, ordonné la saisine pour avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Montpellier,

* renvoyé l'affaire et les parties à une audience ultérieure.

Le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Montpellier a rendu son avis le 28 juin 2021.

Par conclusions n°4 visées par le greffier le 16 mars 2022, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, Mme [X] sollicite l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la cour à titre principal de:

* annuler l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 7] du 27 juin 2021,

* désigner un nouveau comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

A titre subsidiaire, elle lui demande de:

* reconnaître le caractère professionnel de la maladie et du décès de M.[F] [X],

* ou d'ordonner une nouvelle expertise médicale sur pièces.

A titre très subsidiaire, elle lui demande de:

* ordonner à la caisse primaire d'assurance maladie de rouvrir l'instruction du dossier de M. [X] sur la base de l'alinéa 3 de l'article L.461-1 du Code de la Sécurité sociale pour reconnaissance d'une maladie professionnelle au titre du tableau en sollicitant l'avis d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles sur le critère relatif à la liste des travaux et sur le lien entre les travaux habituels de M. [X] et sa maladie puis son décès,

* condamner la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône à lui payer la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions visées par le greffier le 16 mars 2022, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône:

* soulève l'irrecevabilité de la demande de prise en charge au titre de la législation professionnelle du décès de M. [X],

* demande à la cour de:

- dire que l'affection dont était atteint M. [X] n'a pas un caractère professionnel,

- débouter Mme [X] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [X] à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Il résulte des dispositions de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale que toute maladie désignée dans un tableau de maladie professionnelle et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau, est présumée d'origine professionnelle.

Par application de l'article L.461-1 alinéa 4 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi 98-1194 en date du 23 décembre 1998, applicable à la date de la déclaration de maladie professionnelle, l'origine professionnelle de la maladie peut être reconnue par la caisse, après avis d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, lequel s'impose à elle, si la maladie caractérisée n'est pas désignée dans un tableau des maladies professionnelles, lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé (25%).

L'article R.142-24-2 devenu R.142-17-2 du code de la sécurité sociale dispose que lorsque le différend porte sur la reconnaissance d'origine professionnelle d'une maladie dans les conditions prévues aux troisième et quatrième alinéas de l'article L.461-1, le tribunal recueille préalablement l'avis d'un comité régional autre que celui qui a déjà été saisi par la caisse, et désigne alors le comité d'une des régions les plus proches.

* sur l'annulation de l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Monpellier:

L'appelante soutient que l'avis de ce comité est irrégulier pour défaut d'avis du médecin du travail et que la caisse ne justifie pas s'être trouvée dans l'impossibilité de le fournir au comité. Elle relève que les deux docteurs auxquels la caisse a adressé un courrier ne sont plus médecins du travail sur le site de la société employeur et que la caisse ne justifie pas que le médecin du travail actuellement en poste a été destinataire de sa demande.

Elle soutient en outre que l'avis de ce comité est irrégulier pour défaut de motivation en ce qu'il s'est borné à indiquer que les connaissances actuelles ne permettent pas d'établir le lien entre la pathologie présentée et des expositions à des produits chimiques.

L'intimée réplique avoir sollicité l'avis motivé du médecin du travail de l'employeur par lettre recommandée avec avis de réception en date du 11 mars 2021 réceptionnée le 15 suivant et que par suite d'une erreur informatique cette lettre a été adressée en doublon à la médecine du travail qui a ainsi reçu deux fois sa demande sans y répondre.

Elle soutient s'être trouvée dans l'impossibilité de fournir ledit avis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles saisi et qu'en pareille situation, celui-ci peut valablement exprimer l'avis servant à fonder la décision de la caisse primaire.

Elle conteste d'autre part l'absence de motivation de l'avis de ce comité soutenant qu'il s'est fondé sur les données actuelles de la science et qu'il doit, pour les maladies hors tableau, d'une part s'appuyer sur des éléments scientifiques solides permettant de confirmer que l'exposition professionnelle est bien à l'origine de la maladie et d'autre part rechercher s'il n'existe pas d'autres causes possibles en s'appuyant sur de la littérature scientifique.

- sur l'irrégularité de l'avis du comité tirée de l'absence d'avis motivé du médecin du travail:

L'article D.461-29 3°du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret 2019-356 en date du 23 avril 2019 applicable à la date de la saisine et de l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 7] dont l'annulation est demandée, dispose que le dossier examiné par le comité régional comprend les éléments mentionnés à l'article R. 441-14 auxquels s'ajoutent un avis motivé du médecin du travail de la ou des entreprises où la victime a été employée portant notamment sur la maladie et la réalité de l'exposition de celle-ci à un risque professionnel présent dans cette ou ces entreprises éventuellement demandé par la caisse en application du II de l'article R. 461-9 et qui lui est alors fourni dans un délai d'un mois.

S'il résulte effectivement de ces dispositions que la caisse saisit le comité après avoir recueilli et instruit les éléments nécessaires du dossier, parmi lesquels figure un avis motivé du médecin du travail de l'entreprise où la victime a été employée, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles peut valablement exprimer l'avis servant à fonder la décision de la caisse en cas d'impossibilité matérielle d'obtenir cet élément.

En l'espèce, la caisse justifie avoir adressé la demande d'avis motivé par deux lettres recommandées avec avis de réception en date du 11 mars 2021, réceptionnées toutes deux le 15 mars 2021, aux 'docteurs [A] et [Z] Bat D B10 SST 13 776 [Localité 4]' en leur précisant que la victime exerçait en dernier lieu son activité sur le site d'[2] à [Localité 4].

La cour constate que cette demande est adressée au service santé au travail (SST) alors qu'il n'est nullement établi par l'appelante que l'adresse de ce service ne soit pas celle du médecin du travail de l'entreprise, cette adresse étant celle déclarée par M. [O], chef du département sécurité, lors de son audition en date du 08 septembre 2014 par l'agent enquêteur assermenté de la caisse.

La circonstance que sur un extrait d'une coupure de presse interne à l'entreprise, intitulée 'Covid 19", il soit mentionné que 'notre médecin du travail Docteur [U] apporte son expertise et est consulté pour chacune des décisions liées à la prévention de la Covid' ne permet pas à la cour de considérer que la caisse n'aurait pas adressé sa demande au médecin du travail de l'entreprise, d'autant que ce document que l'appelante présente comme étant un extrait du bulletin d'information d'[2] [Localité 4], ne mentionne pas l'adresse du service de santé au travail de l'entreprise, et ne précise pas davantage le nombre de médecins du travail composant ce service.

S'il est exact que l'enquête de la caisse comporte un argumentaire médical sur quatre pages signé par les docteurs [Z] et [P] intitulé 'tumeur du cerveau et maladie professionnelle', pour autant ce document au contenu très général, qui ne concerne pas spécifiquement le salarié et qui n'est pas daté, ne correspond pas à l'avis motivé du médecin du travail de la ou des entreprises où la victime a été employée portant notamment sur la maladie et la réalité de l'exposition de celle-ci à un risque professionnel présent exigé par les dispositions de l'article D. 461-29 du code de la sécurité sociale.

Par conséquent, s'il est exact que le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Montpellier a rendu son avis le 28 juin 2021 sans que le dossier transmis par la caisse comporte l'avis motivé du médecin du travail de l'entreprise, pour autant la caisse justifiant avoir accompli les diligences qui lui incombaient à cet égard, l'avis ainsi rendu est régulier.

- Sur l'irrégularité de l'avis tirée de l'absence alléguée de motivation:

Les dispositions de l'article D.461-30 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction antérieure au 1er décembre 2019, comportaient un alinéa 6 aux termes duquel l'avis 'motivé' du comité est rendu à la caisse primaire qui notifie immédiatement à la victime ou à ses ayants droit la décision de reconnaissance ou de rejet de l'origine professionnelle de la maladie qui en résulte.

La saisine pour avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Montpellier a été ordonnée par l'arrêt précédent de la cour du 5 mars 2021 et cet avis a été rendu le 28 juin 2021.

Le décret n°2019-356 du 23 avril 2019 a modifié la rédaction, notamment, des articles D.461-29 et D.461-30 du code de la sécurité sociale, l'alinéa 6 du premier étant supprimé et l'article D.461-30 disposant désormais que 'l'ensemble du dossier est rapporté devant le comité par le médecin conseil qui a examiné la victime ou qui a statué sur son taux d'incapacité permanente, ou par un médecin-conseil habilité à cet effet par le médecin-conseil régional.

Le comité peut entendre l'ingénieur-conseil chef du service de prévention de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail ou l'ingénieur-conseil qu'il désigne pour le représenter.

Le comité peut entendre la victime et l'employeur, s'il l'estime nécessaire'.

Il s'ensuit que la seule référence au caractère motivé de l'avis du comité saisi résulte de l'article L.461-1 du code de la sécurité sociale.

La motivation de cet avis doit porter sur le lien entre la maladie du salarié et l'activité professionnelle de la victime, c'est à dire lorsque la maladie déclarée n'est pas désignée dans un tableau de maladies professionnelles sur son lien 'direct et essentiel' avec le travail habituel de la victime.

Il est donc exact que cet avis doit reposer sur les données de la science, lesquelles étant évolutives, impliquent que l'avis du comité se prononce au regard des données les plus récentes, ou autrement dit les données actuelles (et non point les données connues au moment où la maladie a été médicalement constatée).

En l'espèce, l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 7] reprend les éléments résultant des pièces médicales du dossier transmis en retenant que le salarié, décédé le 17 décembre 2014, a présenté un cancer du cerveau décrit sur le certificat médical initial du 28 avril 2014, et avait exercé au sein de la même entreprise:

* de 1977 à 1983, la profession de gazier (réalisation de rondes de surveillances sur site sidérurgique et intervention sur des circuits de gaz des hauts fourneaux),

* de 1983 à 2004, la profession de machiniste en cokerie,

* de décembre 2004 à juin 2011, un poste en salle de contrôle,

et mentionne:

' à ce titre le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Montpellier considère que' (il) 'a pu être exposé sur la plus grande partie de sa carrière à des composés chimiques CMR notamment les HAP. Néanmoins, les connaissances actuelles ne permettent pas d'incriminer ces molécules dans les localisations tumorales cérébrales',

et conclut:

* 'l'affection présentée par [F] [X], décédé le 27 décembre 2014, constatée par certificat médical du 28 avril 2014 (cancer du cerveau chez un patient ayant subi une exposition exceptionnelle tant dans la durée (20 ans) qu'en intensité aux gaz de cokerie contenant des HAP et des composés nitrosés cancérogènes ainsi que du monoxyde de carbone) n'a pas été essentiellement et directement causée par son activité professionnelle'.

Il ne peut être considéré que cet avis n'est pas motivé alors qu'il repose sur des données scientifiques actuelles.

Dés lors l'appelante est mal fondée en ses demandes d'annulation de l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 7] qui doivent être rejetées.

* sur le fond:

L'appelante soutient que la reconnaissance de la maladie déclarée ne peut être rejetée au seul motif que les données scientifiques seraient encore insuffisantes en la matière.

Elle critique les conclusions de l'expertise médicale ordonnée par le jugement avant dire droit en date du 6 novembre 2017 au motif que les constatations de l'expert auraient dû le conduire à admettre le lien entre l'activité professionnelle et la pathologie compte tenu de l'exposition directe aux composés nitrosés durant plus de 20 ans, soutenant que le travail habituel n'a pas à être la cause unique ou essentielle de la maladie, et que le lien de causalité entre les expositions et la maladie peut être retenu sur la base d'études de cas-témoins.

Elle souligne le nombre croissant des demandes de maladies professionnelles et de décès depuis 20 ans pour des salariés ayant travaillé au sein de la cokerie et le dépassement des seuils réglementaires des agents cancérogènes par l'inspection du travail.

Elle relève d'une part le dépassement des seuils réglementaires d'exposition aux HAP et aux autres substances CMR contenant des composés nitrosés et d'autre part l'absence d'antécédent et sollicite la désignation d'un autre comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ou d'un autre expert judiciaire.

La caisse lui oppose l'absence de lien direct et essentiel que les données actuelles de la science ne permettent pas de retenir.

Tout en critiquant le recours à l'expertise médicale, elle soutient que le rapport de l'expert, professeur en oncologie, est motivé. Elle souligne qu'il a, lui aussi, considéré que les données récentes de la science ne permettent pas de retenir l'origine professionnelle de la maladie.

Elle soutient que dans le cadre de la reconnaissance d'une maladie hors tableau le lien direct et essentiel doit être établi, et qu'il ne peut y avoir possibilité que la maladie soit déclenchée par une autre cause. Elle s'oppose à la désignation d'un nouveau comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles comme d'un nouvel expert.

La cour vient de juger que l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 7] est régulier et par son arrêt précédent du 05 mars 2021 a annulé l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 5] et rejeté la demande d'annulation de l'avis de celui de [Localité 6].

Dés lors, pour statuer sur l'origine professionnelle de la maladie, la cour doit se prononcer au regard des avis concordants des comités de [Localité 6] et de [Localité 7] et de l'expertise réalisée le 24 avril 2018.

Malgré le délai écoulé de plus de six années entre les avis des deux comités, les données de la science sont demeurées inchangées puisque:

* dans son avis en date du 20 janvier 2015, le premier comité saisi a retenu que depuis 2011, l'assuré présente un gliome infiltrant peu différencié, traité par chimiothérapie, qu'il a subi une exposition professionnelle autant en durée (20 ans) qu'en intensité aux gaz de cokerie contenant des HAP et des composés nitrosés cancérogènes ainsi que du monoxyde de carbone, et que les données scientifiques actuelles n'ont pas mis en évidence de relation entre les tumeurs cérébrales et l'industrie sidérurgique. Quant aux produits nitrosés décrits dans le tableau maladie professionnelle 85 (nitroso guanidine, nitrosourée...) Ces substances ne sont pas présentes en sidérurgie, et a conclu ne pas retenir un lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et la profession exercée,

* dans son avis en date du 27 juin 2021, le comité de [Localité 7] a retenu les mêmes éléments tant médicaux que concernant l'exposition professionnelle, dont la cour a repris précédemment la teneur, et mentionne que les connaissances actuelles ne permettent pas d'incriminer les composés chimiques CMR et notamment les HAP dans les localisations tumorales cérébrales pour conclure que les données actuelles de la science ne permettent pas de retenir de lien direct et essentiel entre la maladie présentée et son activité professionnelle.

L'expertise médicale sur pièces réalisée en 2018 par un professeur de médecine, spécialisé en oncologie médicale, reprend l'anamnèse ainsi que les éléments relatifs aux postes de travail occupés de juillet 1997 à octobre 1983 et mentionne qu'il n'a pas été retrouvé d'antécédents médicaux particuliers chez ce patient, ni d'antécédents familiaux.

Il résulte de cette expertise que les glioblastomes du type de celui qu'a présenté M. [X] représentent 70% des tumeurs cérébrales, l'expert précisant que le pronostic de cette tumeur est extrêmement sombre puisque moins de 3% des patients qui en sont atteints sont encore en vie 5 ans après le diagnostic.

Il ajoute que des études épistémologiques récentes retrouvent une tendance à une augmentation d'incidence de cette pathologie, en particulier dans les pays industrialisés, et ont montré un risque de tumeurs cérébrales plus élevé en rapport avec certaines professions, avec en particulier une augmentation d'incidence parmi les professionnels exposés au formaldéhyde, produit que l'on retrouve dans la plupart des professions en relation avec la conservation des corps et que:

*une grande étude cas-contrôle réalisée aux Etats-Unis a montré une incidence significativement plus élevée de tumeurs cérébrales chez les professionnels qui présentaient une concentration plasmatique élevée de plomb,

* une étude a montré le rôle possible des hydrocarbures aromatiques polycycliques dans la survenue d'une tumeur cérébrale, mais qu'elle n'a pas été confirmée,

* il existe des résultats discordants concernant l'association tumeur cérébrale et l'exposition aux rayonnements électromagnétiques, notamment causés par les téléphones mobiles,

* le seul facteur environnemental associé de façon univoque à l'apparition d'une tumeur cérébrale est constitué par une exposition aux rayons X (cas notamment des enfants qui ont dû subir une irradiation du système nerveux central prophylactique lors du traitement d'une leucémie lymphoblastique).

Cette expertise, qui repose ainsi sur des éléments scientifiques de sources multiples et différentes, conclut à l'absence de lien de causalité formelle établi entre l'exposition aux hydrocarbures aromatiques polycycliques et l'apparition d'une tumeur cérébrale pour les motifs suivants:

* la période potentiellement à risque d'exposition se situe entre 1983 et 2004, soit une vingtaine d'années, avec une exposition aux hydrocarbures aromatiques polycycliques et au benzène. A ce jour, il n'est pas retrouvé d'élément formel dans la littérature la plus récente, en faveur d'un lien de causalité entre la survenue d'une tumeur cérébrale de type glioblastome et l'exposition aux hydrocarbures aromatiques polycycliques et au benzène,

* on peut retrouver à la lecture attentive de certaines études une incidence plus élevée de tumeurs, notamment cérébrales, chez les professionnels exposés aux hydrocarbures aromatiques polycycliques, néanmoins l'analyse statistique ainsi que la puissance insuffisante de ces études, qui pour la majorité sont des études de cas-témoins, ne peuvent donner la preuve formelle d'une causalité entre l'exposition à ces produits toxiques et l'apparition d'une tumeur cérébrale.

Contrairement à ce qu'allègue l'appelante cette expertise n'est nullement succincte et n'est pas davantage empreinte de contradictions, et comporte dans son annexe les références précises des publications scientifiques sur lesquelles l'expert s'appuie.

Elle n'est pas davantage contredite par les pièces dont se prévaut l'appelante en ce que:

* l'argumentaire de l'association médicale pour la prise en charge des maladies 'éliminables' (sa pièce 9), non daté, ne se réfère pas à des études scientifiques précises mais au tableau 85 des maladies professionnelles alors que la demande de reconnaissance du caractère professionnelle de la maladie a été faite hors tableau,

* l'extrait de l'ouvrage les cancers professionnels, non daté, relatif à la carcinogénèse chimique des tumeurs du système nerveux central (sa pièce 10), dont l'identité de l'auteur n'est pas davantage précisée, est également inopérante à l'établir, faute de faire état de publications scientifiques précises et reconnues,

* l'article intitulé 'la prévention des risques professionnels dans les cokeries' daté de juin 2015 (sa pièce 41) ne fait pas davantage état de publications scientifiques et retient uniquement l'existence de risques thermiques causés par les procédés de cokerie, sans pour autant faire état des conséquences précises, en terme de maladie (s) pouvant en résulter,

* la cour fait le même constat s'agissant de la publication incomplète de l'Inéris de septembre 2014 sur les nitrosamines (sa pièce 42),

* les avis du Dr [N], médecin généraliste, dans son certificat médical du 2 février 2016 comme dans son argumentaire du 5 mars 2016, ne reposent pas davantage sur des données précises et publiées par des autorités scientifiques mettant en évidence un lien reconnu entre l'exposition aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (dits HAP) et les glioblastomes du type de celui qu'a présenté l'époux de l'appelante,

* ce médecin est l'auteur du certificat médical initial qui avait caractérisé la maladie comme un cancer du cerveau avec demande de reconnaissance hors tableau et non comme un glioblastome,

* l'extrait de l'ouvrage de M. [B], dont la spécialité n'est pas précisée, qui n'est pas daté, ne fait pas davantage de lien entre la maladie contractée et les composés aromatiques nitrés et aminés, en ce qu'il ne précise nullement les pathologies que l'exposition à ces produits induirait.

L'exposition à des produits toxiques est présentement avérée. Elle est reconnue également par les avis des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles sollicités et résulte également de l'attestation d'exposition aux CMR établie le 02 avril 2014 par l'employeur avec contreseing du médecin du travail.

Pour autant, la reconnaissance de cette exposition à ces produits toxiques n'est pas suffisante dés lors que la maladie déclarée n'est pas inscrite sur un tableau et que dans ce cas la loi exige l'existence d'un lien direct et essentiel entre cette exposition et la pathologie.

Dans le cas d'une maladie inscrite au tableau le lien entre l'exposition aux produits toxiques reconnus comme pouvant être à l'origine de ce type de maladie et la maladie désignée est présumée, ce qui n'est pas le cas présentement la maladie ayant été déclarée hors tableau, ce qui implique que soit rapportée la preuve du lien entre l'activité professionnelle et la maladie.

En d'autre termes, il doit être établi que les produits toxiques auquel le salarié a été exposé ont provoqué sa maladie.

Or les données actuelles de la science ne permettent pas de retenir l'existence d'un tel lien et il y a en l'espèce concordance totale sur ce point entre les avis précités des deux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles et cette expertise, qui est très complète et argumentée.

Il s'ensuit que l'exigence légale pour la reconnaissance du caractère professionnel d'une maladie hors tableau du lien de causalité direct et essentiel avec le travail habituel de la victime n'étant pas satisfaite, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a débouté Mme [X] de sa demande en reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée par son défunt mari.

L'appelante ne peut utilement dans le cadre d'un subsidiaire demander à la cour la reprise de l'instruction du dossier et sa soumission à un premier comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles en citant dans son dispositif le tableau 85.

Si le tableau 85 désigne effectivement la maladie glioblastome (retenue par l'expert, la maladie déclarée étant 'cancer du cerveau') il précise que la liste indicative des travaux susceptibles de la provoquer sont relatifs à la fabrication et le conditionnement des substances listées, ainsi que l'utilisation dans les laboratoires de génie génétique, de biologie cellulaire, de recherche en mutagénèse ou cancérologie, ce qui ne correspond pas au secteur d'activité du site sur lequel le salarié a été employé.

De plus les produits toxiques visés par ce tableau sont les suivants: N-METHYL N'NITRO N-NITROSOGUANIDINE,N-ETHYL N'NITRO N-NITROSOGUANIDINE, N-METHYL N-NITROSOUREE, N-ETHYL N-NITROSOUREE, ne sont pas ceux auquel le salarié a été exposé.

En effet, la cour constate que:

*l'attestation CMR mentionne une exposition du salarié uniquement au benzène et aux HAP,

* les deux médecins du travail du site [2] ont indiqué que les dérivés nitrosés ne sont pas des substances que l'on retrouve dans la sidérurgie et que les tumeurs au cerveau n'apparaissent pas dans les activités type aciérie, cokerie,

* l'avis du comité d'hygiène et de sécurité au travail du 14 juin 2017 mentionne l'exposition au benzène mais non celle aux composés nitrosés,

et la cour ajoute que l'avis du premier comité mentionne que les substances toxiques du tableau 85 ne sont pas présentes en sidérurgie.

Eléments qui font en tout état de cause obstacle à une reconnaissance sur le fondement de l'article L.461-1 alinéa 3 du code de la sécurité sociale puisque le caractère professionnel de la maladie ne pourrait être reconnu que s'il était établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime, ce qui ne résulte d'aucun élément.

L'appelante doit être déboutée de ce chef de demande.

La cour vient de confirmer le jugement entrepris sur le débouté de la demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée. Il s'ensuit que la question de l'imputabilité du décès à cette maladie n'a pas lieu d'être examinée, pas plus que la fin de non recevoir soulevée à cet égard par la caisse.

Le jugement entrepris a été implicitement mais partiellement infirmé par l'arrêt du 05 mars 2021, en ce qu'il a annulé l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 5] en date du 8 juin 2017 et dit n'y avoir lieu d'annuler l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 6] du 20 janvier 2015.

Ce jugement doit également être infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de reconnaissance de maladie professionnelle alors qu'il a statué au fond.

Dés lors, par infirmation du jugement entrepris, la cour déboute Mme [X] de sa demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée par [F] [M].

Succombant en ses prétentions, Mme [X] doit être condamnée aux dépens et ne peut utilement solliciter l'application à son bénéfice des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Comte tenu de la disparité de situation, il ne parait pas inéquitable de laisser à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie les frais qu'elle a été amenée à exposer pour sa défense.

PAR CES MOTIFS,

- Infirme le jugement entrepris en ses dispositions demeurant soumises à la cour,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

- Déboute Mme [X] de sa demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée par [F] [M] le 28 avril 2014,

- Déboute Mme [X] du surplus de ses demandes,

- Dit n'y avoir lieu à application au bénéfice de quiconque des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne Mme [S] [X] aux dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8
Numéro d'arrêt : 19/18975
Date de la décision : 13/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-13;19.18975 ?
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