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28/04/2022 | FRANCE | N°18/15261

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-1, 28 avril 2022, 18/15261


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1



ARRÊT AU FOND

DU 28 AVRIL 2022



N° 2022/154













N° RG 18/15261 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDDB6







SA CMA - CGM





C/



Société FERMIN CRESPO ASCARIA





















Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Roselyne SIMON-THIBAUD



Me Layla TEBIEL











Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de Marseille en date du 07 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 2011F03504.





APPELANTE



SA CMA - CGM, dont le siège social est sis 4 Quai d'Arenc - 13002 MARSEILLE



représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BAD...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT AU FOND

DU 28 AVRIL 2022

N° 2022/154

N° RG 18/15261 - N° Portalis DBVB-V-B7C-BDDB6

SA CMA - CGM

C/

Société FERMIN CRESPO ASCARIA

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Roselyne SIMON-THIBAUD

Me Layla TEBIEL

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de Marseille en date du 07 Septembre 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 2011F03504.

APPELANTE

SA CMA - CGM, dont le siège social est sis 4 Quai d'Arenc - 13002 MARSEILLE

représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON- THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Henri NAJJAR, avocat au barreau de PARIS et Me Frank FARHANA, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

INTIMEE

Société FERMIN CRESPO ASCARIA, dont le siège social est sis 8 Calle Tenerias - 26500 Calahorra la Rioja - ESPAGNE

représentée par Me Layla TEBIEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Sébastien LOOTGIETER, avocat au barreau de PARIS et Me Charlotte PEIGNON, avocat au barreau de PARIS, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 10 Mars 2022 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Pierre CALLOCH, Président

Madame Marie-Christine BERQUET, Conseillère

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Avril 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Avril 2022,

Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et M. Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La société de droit argentin GBO Argentina a vendu à la société de droit espagnol Fermin Crespo Ascarza (ci-après société Fermin Crespo) 126 tonnes de charbon de bois conditionnés dans des sacs en papier et empotés dans 6 conteneurs .

Le transport maritime des six conteneurs de charbon de Buenos-Aires (Argentine) à Barcelone (Espagne) a été confié à la société CMA-CGM sous le connaissement n° AR 1292880 et la marchandise a été chargée le 7 août 2010 à bord du navire «'Loa'».

Le 30 août 2010, le charbon végétal empoté dans les conteneurs a pris feu, occasionnant un incendie qui s'est propagé aux conteneurs voisins et a contraint la société CMA-CGM à indemniser la marchandise endommagée chargée sur le navire.

Par acte du 29 août 2011, la société CMA-CGM a fait assigner la société GBO Argentina et la société Fermin Crespo devant le tribunal de commerce de Marseille en paiement de la somme principale de 254.938,89 euros, somme modifiée ultérieurement.

Par jugement réputé contradictoire du 7 septembre 2018, le tribunal précité s'est déclaré incompétent pour connaître du litige opposant la société CMA-CGM S.A. à la société Fermin Crespo Ascarza et a condamné la société GBO Argentina à payer à la société CMA-CGM S.A. la somme de 254 938,89 euros en principal, avec intérêts au taux légal et capitalisés à compter de la demande en justice et celle de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

La société CMA-CGM a relevé appel de cette décision à l'encontre de la société Fermin par déclaration en date du 25 septembre 2018.

Par conclusions enregistrées le 13 octobre 2020 et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société CMA-CGM fait valoir que':

-elle demande la révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 7 février 2022,

-le tribunal de commerce de Marseille est compétent en application de la clause attributive de juridiction insérée dans le connaissement en application de l'article 23 alinéa 1 du Règlement (CE) n°44/2001,

-cette clause n'est pas potestative, et est opposable à la société Fermin, dès lors que celle-ci est mentionnée comme destinataire au connaissement, qu'elle en a eu connaissance, et qu'elle a choisi la société CMA-CGM comme transporteur'; cette clause s'inscrit dans les usages s'agissant d'un commerce international

Sur le fond, la société appelante soutient la responsabilité «'solidaire'» de la société GBO Argentina et de la société Fermin Crespo pour absence de déclaration de la nature dangereuse de la marchandise litigieuse en application de l'article 4.6 de la Convention de Bruxelles de 1924.

La société CMA-CGM demande d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il aurait dû se déclarer compétent sur ses demandes à l'égard de la société Fermin Crespo et de condamner l'entreprise Fermin Crespo à lui payer la somme de 254.938,89 Euros, sauf à parfaire, augmentée des intérêts légaux capitalisables à compter du 29 août 2011,'solidairement avec la société GBO Argentina.

Subsidiairement, la société CMA-CGM demande à la cour de condamner l'entreprise Fermin Crespo à lui payer la somme de 99.606,65 Euros, sauf à parfaire, augmentée des intérêts légaux capitalisables à compter du 29 août2011,'solidairement avec la société GBO Argentina en invoquant un conditionnement inapproprié de la marchandise.

En tout état de cause, elle demande le paiement d'une somme de 10.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Par conclusions enregistrées le 30 janvier 2019 et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, l'entreprise Fermin Crespo Ascarza rétorque que':

-la clause attributive de juridiction est nulle car potestative,

-la clause attributive de compétence n'est opposable au destinataire que si, en vertu du droit applicable à la clause, en acquérant le connaissement le destinataire succède au chargeur dans ses droits et obligations,

-les clauses attributives de compétence ne sont opposables au destinataire que si ce dernier les a expressément acceptées, ce qui n'est pas le cas en l'espèce,

-seules les juridictions espagnoles sont compétentes pour connaître de l'action du transport.

Sur le fond, la société intimée fait valoir'que :

-les marchandises n'étaient pas dangereuses au regard de la législation argentine'; un certificat du laboratoire d'analyse New Technical Supervision établi avant chargement atteste que le charbon ne présentait pas de caractère dangereux,

-les dommages sont imputables à la faute du transporteur dès lors que les marchandises ont été chargées dans les cales du navire et non en pontée, que les cales étaient mal ventilées

-subsidiairement, la société CMA-CGM ne démontre pas l'existence d'une faute imputable au destinataire,

-en tout état de cause, la société CMA-CGM ne démontre pas la preuve de son préjudice'; aucune condamnation solidaire ne pourra être prononcée

La société Fermin Crespo conclut à la confirmation de la décision déférée et demande paiement d'une somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Subsidiairement, elle demande à ce que la société CMA-CGM soit déboutée de toutes ses demandes au fond.

Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 7 février 2022 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 10 mars 2022.

A cette date l'affaire a été retenue et mise en délibéré au 28 avril 2022.

MOTIFS

Sur la révocation de l'ordonnance de clôture':

Au visa des articles 907, 802 et 803 du code de procédure civile, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats postérieurement à l'ordonnance de clôture, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, à l'exception des demandes en intervention volontaire, des conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et autres accessoires échus et aux débours faits jusqu'à l'ouverture des débats, et à l'exception également des demandes de révocation de l'ordonnance de clôture et des conclusions qui tendent à la reprise de l'instance en l'état où celle-ci se trouvait au moment de son interruption.

Par ailleurs, l'ordonnance de clôture peut être révoquée s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.

En l'espèce, il apparaît qu'en concluant le 2 février 2022, soit cinq jours avant l'ordonnance de clôture prononcée le 7 février 2022, l'intimé n'a pas mis l'appelant en situation de conclure en réponse avant la clôture de l'instruction.

En conséquence, au visa de l'article 16 du code de procédure civile et du nécessaire respect du principe du contradictoire, il convient d'écarter les conclusions prises par la société Fermin Crespo le 2 février 2022 en complément de ses conclusions du 30 janvier 2019. Les parties conviennent au surplus que les prétentions sont identiques.

En outre, il y a lieu de déclarer irrecevables les conclusions prises en réponse par la société CMA-CGM le 15 février 2022 comme étant postérieures à l'ordonnance de clôture dès lors qu'aucun motif grave n'a été invoqué de part et d'autre justifiant la révocation de cette ordonnance.

Sur la compétence':

Aux termes du connaissement produit par la société CMA-CGM, transporteur maritime (pièce n°1'«'draft waybill'»), il est prévu au recto de cet acte que «'toutes actions contre le Marchand concernant le contrat de transport, que constitue le présent connaissement, pourront être portées devant le tribunal de commerce de Marseille ou, à la discrétion du Transporteur, devant tout autre tribunal compétent'» selon la traduction non contestée des parties.

La société Fermin Crespo, en sa qualité de destinataire de la marchandise, fait valoir que cette clause est nulle car potestative, et qu'elle ne lui est pas opposable. Elle soutient la compétence des juridictions espagnoles.

En premier lieu, en ce qui concerne le caractère potestatif de la clause, il convient de rappeler qu'en application de l'article 1170 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, la condition potestative est celle qui fait dépendre l'exécution de la convention d'un événement qu'il est au pouvoir de l'une ou de l'autre des parties contractantes de faire arriver ou d'empêcher.

En l'espèce, outre le fait que la clause n'est pas potestative mais alternative, en ce qu'elle offre un choix de juridiction, il apparaît qu'elle ne conditionne pas l'exécution de la convention mais uniquement le choix du tribunal compétent en cas de litige.

En outre, si la seconde branche de l'alternative «'à la discrétion du Transporteur, devant tout autre tribunal compétent'», fait dépendre le choix de la juridiction au seul bon vouloir du transporteur, il s'avère que la société CMA-CGM n'a fait qu'user de la première branche de l'alternative en portant le litige devant le tribunal de commerce de Marseille expressément visé.

Dès lors, la désignation du tribunal de commerce de Marseille étant clairement déterminée par la clause attributive de juridiction il n'y a pas lieu de prononcer la nullité de la clause.

En second lieu, en ce qui concerne l'opposabilité, il a été jugé qu'une clause attributive de juridiction convenue entre un transporteur et un chargeur et insérée dans une lettre de transport maritime, produit ses effets à l'égard du tiers porteur de la lettre de transport maritime que pour autant que, en l'acquérant, il ait succédé aux droits et obligations du chargeur en vertu du droit national applicable.

En l'espèce, les parties, qui ne contestent pas l'application du droit français, n'établissent pas que la société Fermin Crespo, tiers porteur en sa qualité de destinataire de la marchandise, a succédé aux droits et obligations du chargeur, étant observé que la société CMA-CGM n'établit pas a minima que la société Fermin Crespo a pris livraison de la marchandise puisqu'il ressort des pièces au dossier que partie de cette marchandise a été débarquée au port de Valencia (Espagne) après sa destruction dans l'incendie survenu le 30 août 2010.

A défaut, au visa de l'article 23 du règlement n°44-2001 du 22 décembre 2000, les parties au contrat peuvent également déroger aux règles de compétence nationale, soit de convention expresse, soit lorsque'le consentement des parties contractantes à la clause attributive de juridiction est présumé exister dans l'hypothèse où leur comportement correspond à un usage régissant le domaine du commerce international dans lequel elles opèrent et dont elles ont ou sont censées avoir connaissance.

A cet égard, la société Fermin Crespo, bien que mentionnée au connaissement en qualité de «'notify'», destinataire, n'est pas signataire de ce document et il n'est pas établi qu'elle ait pu consentir aux clauses produites par la société CMA-CGM au moment de la formation du contrat et en tout état de cause, au plus tard avant la livraison, étant observé que la pièce numéro 1 produite aux débats n'est qu'un «'brouillon'» ou ébauche du connaissement «'draft'» et que les autres conditions générales ne sont pas annexées et peuvent se rapporter à n'importe quelle lettre de transport.

La société CMA-CGM n'établit pas davantage que la société Fermin Crespo a elle-même choisi le transporteur. La seule mention «'freight collect'» portée sur le connaissement est insuffisante à établir la connaissance qu'a pu avoir la société Fermin Crespo des termes de la lettre de transport et n'a d'incidence que sur les rapports entre le chargeur et le destinataire quant au paiement du fret maritime.

Enfin, la société CMA-CGM ne démontre pas que dans ses rapports avec le chargeur, partie originaire au contrat de transport, il existe un usage conférant compétence aux juridictions du lieu du siège du transporteur maritime considérant que la société CMA-CGM ne communique aucun antécédent attestant d'un flux commercial entre les sociétés, et pas davantage avec la société Fermin Crespo. La seule référence à son site internet est insuffisante à caractériser l'existence d'un usage dont la société Fermin Crespo a eu ou était censée avoir connaissance. La société CMA-CGM n'établit pas par ailleurs l'existence d'un usage international en la matière.

En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement du tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il s'est déclaré incompétent à l'effet de statuer sur les demandes de la société CMA-CGM à l'encontre de la société Fermin Crespo.

L'incompétence au profit de juridictions ne relevant pas du ressort de la présente cour d'appel, exclut la faculté d'évocation au fond du présent litige.

Sur les frais et dépens':

La société CMA-CGM, partie succombante, conservera la charge des entiers dépens de la procédure d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile et sera tenue de payer à la société Fermin Crespo la somme de 8.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rejette les conclusions de la société Fermin Crespo datées du 2 février 2022,

Dit irrecevables les conclusions de la société CMA-CGM datées du 15 février 2022

Confirme le jugement rendu le 7 septembre 2018 par le tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur le litige opposant la société CMA-CGM à la société Fermin Crespo Ascarza,

Y ajoutant,

Dit que la société CMA-CGM conservera la charge des entiers dépens de la procédure d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société CMA-CGM à payer à la société Fermin Crespo Ascarza la somme de 8.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le GREFFIER Le PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 3-1
Numéro d'arrêt : 18/15261
Date de la décision : 28/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-28;18.15261 ?
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