COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-1
ARRÊT AU FOND
DU 03 DECEMBRE 2020
N°2020/202
Rôle N° RG 19/12637 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEWV3
[K] [U]
C/
[Y] [C]
[A] [I]
MONSIEUR LE PROCUREUR GENERAL
[S] [V]
Copie exécutoire délivrée le :
à : Me Sandra JUSTON
Me Françoise BOULAN
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du Tribunal de Grande Instance de Grasse en date du 12 Juillet 2019 enregistrée au répertoire général sous le n° 19/00377.
APPELANT
Maître [K] [U]
né le [Date naissance 5] 1964 à [Localité 10], demeurant [Adresse 8]
représenté par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Michel LOPRESTI, avocat au barreau de GRASSE, plaidant
INTIMES
Maître [Y] [C]
né le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 9], demeurant [Adresse 3] Membre de la SCP [C]-AVAZERI-[V], pris en sa qualité de Mandataire ad hoc aux fins de représentation de la SA SNP BOAT SERVICE, désigné à ces fonctions par ordonnance du Président du Tribunal de Commerce de Cannes en date du 31 juillet 2014
représenté par Me Françoise BOULAN de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Maître [A] [I]
né le [Date naissance 4] 1960 à [Localité 7] (80), demeurant [Adresse 6], pris en sa qualité de Liquidateur à la liquidation judiciaire de la S.A SNP BOAT SERVICE, désigné à ces fonctions par jugement du Tribunal de Commerce de Cannes en date du 22 juillet 2014
représenté par Me Françoise BOULAN de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistéé de Me Philippe MARIA, avocat au barreau de GRASSE, plaidant
Monsieur LE PROCUREUR GENERAL, COUR D'APPEL - [Adresse 2]
défaillant
PARTIE INTERVENANTE
Maître [S] [V]
demeurant [Adresse 3] Membre de la SCP [C]-AVAZERI-[V], pris en sa qualité de Mandataire ad hoc aux fins de représentation de la SA SNP BOAT SERVICE, désigné à ces fonctions par ordonnance du Président du Tribunal de Commerce de CANNES en date du 21 novembre 2019, aux lieu et place de Me [C]
représenté par Me Françoise BOULAN de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Philippe MARIA, avocat au barreau de GRASSE, plaidant
Intervenant volontaire
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Octobre 2020 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Pierre CALLOCH, Président, et Madame Marie-Christine BERQUET, Conseiller, chargés du rapport et Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller, empêché.
Monsieur Pierre CALLOCH, Président, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Pierre CALLOCH, Président
Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller empêché
Madame Marie-Christine BERQUET, Conseiller
Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Décembre 2020.
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Décembre 2020.
Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et M. Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant jugement en date du 7 avril 2009, le tribunal de commerce de CANNES a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société SNP BOAT SERVICES, spécialisée dans la vente de yachts et navires de plaisance de luxe, neufs et d'occasion. Le tribunal a nommé maître [F] [N] et maître [A] [X] [G] en qualité d'administrateurs judiciaires avec mission d'assistance, et maître [K] [U] en qualité de mandataire judiciaire.
Le montant du passé déclaré à la procédure s'est élevé à 512, 8 millions d'euros, dont 193, 6 millions au titre de passif bancaire.
Par acte en date des 18 et 22 février 2010, un protocole transactionnel a été signé entre la société SNP BOAT SERVICES et différents établissements bancaires afin de restructurer le passif bancaire et de prévoir notamment un règlement échelonné. Cet accord prévoyait la nomination d'un mandataire ad hoc spécial chargé notamment de surveiller la bonne exécution du protocole. La rémunération de ce mandataire ad hoc était stipulée à la charge de la société SNP BOAT SERVICES par l'article 9 du protocole.
Le protocole a été autorisé par ordonnance du juge commissaire en date du 4 mars 2010 puis homologué par jugement du tribunal de commerce de CANNES en date du 7 avril 2010 arrêtant le plan de sauvegarde. Par ce jugement, le tribunal a désigné maître [U] en qualité de mandataire ad hoc spécial chargé de veiller à la bonne exécution du protocole.
Le 29 avril 2010, une convention d'honoraires a été signée entre la SNP BOAT SERVICES et maître [U] fixant le montant de ces honoraires à une somme forfaitaire de 2 % hors taxe calculée sur le total des fonds versés sur le compte répartition tel que visé dans le protocole d'accord transactionnel.
Un avenant au protocole a été signé entre les parties le 9 juin 2011, prévoyant notamment les honoraires de 2% à percevoir par le mandataire ad hoc sur le prix de vente du stock de navires. Cet avenant a été homologué par jugement du tribunal de commerce de CANNES du 7 juillet 2011.
Par lettre en date du 24 juin 2013, le parquet général d'AIX EN PROVENCE a demandé à maître [U] des informations concernant les conditions de sa rémunération en qualité de mandataire ad hoc spécial au vu des dispositions de l'article L 663-2 du Code de commerce. Par lettre recommandée en date du 25 février 2014, maître [U] a été cité devant la commission nationale des mandataires judiciaires pour violation de cet article.
Par décision en date du 28 mai 2014, la commission nationale d'inscription et de discipline des mandataires judiciaires a jugé que maître [U] avait contrevenu aux dispositions de l'article L 663-2 du Code de commerce en percevant des honoraires en qualité de mandataire ad hoc et a prononcé à son encontre une peine disciplinaire d'avertissement. Cette décision a été confirmée par arrêt de la Cour d'appel de PARIS en date du 18 février 2015 devenu définitif.
Suivant jugement en date du 7 janvier 2014, le tribunal de commerce de CANNES a prononcé la résolution du plan de sauvegarde et a placé la SNP BOAT SERVICES en redressement judiciaire, maître [I] étant désigné en qualité de mandataire judiciaire. Le redressement judiciaire a été converti en liquidation par jugement du 22 juillet 2014, maître [I] étant nommé en qualité de liquidateur. Maître [C] était nommé en qualité de mandataire ad hoc par ordonnance en date du 31 juillet 2114 afin d'exercer les droits et actions de la SNP BOAT SERVICES dans toutes les actions ne relevant pas de la mission du liquidateur judiciaire.
Un litige étant né entre maître [I] et les établissements bancaires concernant les effets du prononcé du redressement judiciaire sur la validité du protocole transactionnel des 18 et 22 février 2010, la Cour d'appel d'AIX EN PROVENCE a par arrêt en date du 5 avril 2018 devenu définitif considéré que le protocole valait transaction au sens de l'article 2044 du Code civil, qu'il était revêtu à ce titre de l'autorité de la chose jugée et qu'en conséquence il n'était pas affecté par la résolution du plan de sauvegarde.
Par acte en date du 15 février 2019, maître [I] ès qualité a fait assigner maître [U] et maître [C] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de GRASSE afin d'obtenir la condamnation de maître [U] à verser la somme de 1 030 850 € 34 en restitution des sommes perçues au titre d'honoraires de mandataire ad hoc et à communiquer sous astreinte différents documents comptables.
Suivant ordonnance en date du 12 juillet 2019, le juge des référés a condamné maître [U] à verser à maître [I] ès qualité la somme de 1 030 850 € 34, à lui remettre l'historique du compte de la caisse des dépôts et des consignations et l'historique du compte Société Générale ouverts dans le cadre du mandat spécial, et à lui payer la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Maître [U] a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 31 juillet 2019.
Maître [V] est intervenu volontairement à la cause en lieu et place de maître [C] par conclusions déposées le 2 décembre 2019.
L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance présidentielle en date du 10 février 2020 et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 9 mars 2020. A cette audience, elle a été renvoyée à la demande de toutes les parties à l'audience du 26 octobre 2020 en raison d'un mouvement de grève du barreau.
A l'appui de son appel, par conclusions déposées au greffe le 2 janvier 2020, maître [U] soulève la nullité de l'ordonnance pour violation des droits de la défense, le premier juge ayant tronqué l'exposé des moyens et n'y ayant répondu dans les motifs que partiellement. Il demande à la cour d'évoquer le fond après annulation en application de l'article 562 du code de procédure civile.
Maître [U] soulève ensuite l'incompétence matérielle du tribunal de grande instance au profit du tribunal de commerce de CANNES en application de la clause de compétence stipulée dans le protocole d'accord, ou si l'on considère que l'action se fonde sur les dispositions de l'article L 663-2 du code de commerce en ce que ce tribunal est le juge de la procédure collective.
Il demande à la cour de déclarer fondée son exception d'incompétence, mais là encore d'évoquer le fond de l'affaire en vertu de l'article 90 du code de procédure civile.
Maître [U] soutient que l'action en paiement est prescrite en application de l'article 2224 du code civil dès lors que le principe de la rémunération était connu dès l'autorisation par le juge commissaire puis l'homologation par le tribunal du protocole d'accord, soit dès avril 2010 et qu'en outre, notamment, la question de la rémunération du mandataire spécial a été soulevée par le parquet général dès le mois de juin 2013.
Il soulève en outre la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée au protocole d'accord homologué, observation étant faite que l'arrêt de la cour d'appel de PARIS statuant sur la décision de la commission de discipline n'a, elle, autorité qu'en ce qui concerne la procédure disciplinaire.
Enfin, maître [U] invoque la fin de non recevoir tirée de l'absence de qualité à agir de maître [I] dès lors qu'en application de l'arrêt de la cour en date du 5 avril 2018, la restitution des honoraires ne pourrait être prononcée qu'au bénéfice des banques créancières gagistes, et non de l'ensemble des créanciers dont maître [I] est chargé de défendre l'intérêt collectif.
Sur le fond, maître [U] invoque l'existence de contestations sérieuses ne permettant pas de faire droit aux demandes présentées devant le juge des référés. Il rappelle que la convention d'honoraires du 29 avril 2010 n'a jamais été annulée et que le protocole transactionnel a été homologué, observation étant faite que la sanction disciplinaire ne serait pas de nature à entraîner une obligation de restitution des honoraires. Il conteste que les sommes versées sur le compte ouvert pour recueillir les fonds provenant de la vente des navires fassent partie des éléments d'actif et affirme que les honoraires lui sont acquis dès lors qu'il a procédé à la répartition et au versement aux établissements de crédit des sommes placées sur le compte. Il affirme qu'une interprétation correcte de l'article L 663-2 du code de commerce rend licite le paiement des honoraires versés au titre de ses fonctions de mandataire spécial et excipe à ce titre des conséquences de l'arrêt de la présente cour en date du 5 avril 2018. Il insiste enfin sur la transparence ayant toujours présidé à la perception de la rémunération des honoraires. Il demande en conséquence à l'annulation de l'ordonnance de référé, et en toute hypothèse à son infirmation, et demande à la cour en toute hypothèse de :
- Faire notamment application des dispositions des articles 455 alinéa 1er et 458 alinéa 1° du
code de procédure civile ainsi que des dispositions de l'article 6.1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l'hommes et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et prononcer l'annulation de l'ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance de Grasse le 12 juillet 2019.
En toute hypothèse,
- Infirmer l'ordonnance de référé entreprise et, statuant à nouveau par l'effet dévolutif de l'appel,
. Dire et juger Maître [K] [U] recevable et bien fondé en son exception d'incompétence
rationae materiae et se déclarer incompétent, soit au profit de Monsieur le Président du Tribunal de Commerce de Cannes, soit au profit du Tribunal de Commerce de CANNES, Maître [I] liquidateur judiciaire de la Société SNP BOAT SERVICE exerçant, soit une action au nom du débiteur dessaisi, soit une action au nom pour le compte de l'intérêt collectif des créanciers, au surplus, s'agissant d'une action née de la procédure collective et sur laquelle la procédure collective exerce une influence (article R662-3 du code de commerce).
. Faire le cas échéant application des dispositions de l'article 90 du code de procédure civile,
la Cour ne restant en toute hypothèse néanmoins saisie qu'en matière de référé.
. Dire et juger Maître [A] [I], ès-qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la Société SNP BOAT SERVICE, irrecevable en ses demandes, fins et conclusions, pour défaut de qualité et intérêt à agir, ses prétentions sont en toute hypothèse prescrites et se heurtent à l'autorité de chose jugée et ce, notamment en application des dispositions des articles 122 du code de procédure civile, 2224 du code civil, 1351 ancien du code civil et 1355 actuel du code civil, ainsi que des articles 2044 et suivants du code civil, ainsi qu'en vertu de l'arrêt définitif rendu par la Cour d'Appel d'Aix en Provence le 5 avril 2018
En toute hypothèse et pour le cas où par impossible, il serait admis la recevabilité des demandes,
dire et juger n'y avoir lieu à référé, les dispositions des articles 808 et 809 alinéa 2 du Code de
Procédure Civile ne pouvant trouver application, les demandes se heurtant à des contestations
sérieuses exclusives de la compétence du Juge des référés.
. Débouter Maître [A] [I], ès-qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la
Société SNP BOAT SERVICE, de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.
. Débouter Maître [S] [V], ès-qualités de mandataire ad hoc aux fins de
représentation de la Société SNP BOAT SERVICE (intervenant volontaire) de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.
-Renvoyer Maître [A] [I], ès-qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la
Société SNP BOAT SERVICE et Maître [S] [V] ès-qualités de mandataire ad hoc
aux fins de représentation de la Société SNP BOAT SERVICE, à mieux se pourvoir.
. Condamner Maître [A] [I], ès-qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la Société SNP BOAT SERVICE, à payer à Maître [K] [U] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
. Condamner Maître [A] [I], ès-qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la Société SNP BOAT SERVICE, aux entiers dépens, ceux d'appe1 distraits au profit de Maître Sandra JUSTON, avocat membre de la SOCIÉTÉ CIVILE PROFESSIONNELLE BADIE-SIMON-THIBAUD & JUSTON du Barreau d'Aix en Provence, aux offres de droit conformément notamment à l'article 699 du code de procédure civile
Maître [I], par conclusions déposées au greffe le 2 décembre 2020, relève que la déclaration d'appel ne tend pas à l'annulation de la décision déférée, ce qui rendrait irrecevable les moyens soulevés par maître [U]. Il fait observer que l'action tend à obtenir le versement des sommes détenues sur un compte géré par maître [U], qui lui-même n'a perçu aucune somme, et qu'en conséquence la juridiction de droit commun était matériellement compétence, observation étant faite en outre que la cour peut statuer en application de l'article 90 du code de procédure civile, étant juge d'appel du tribunal de commerce de CANNES. Sur la prescription de l'action, maître [I] rappelle qu'il n'a eu connaissance du dossier qu'au jour de sa désignation en tant que liquidateur et n'a été informé de l'existence des sommes litigieuses qu'à réception du courrier du parquet général, soit le 20 août 2018. En outre, maître [U] ne pourrait invoquer la moindre prescription dès lors que le versement des sommes aurait eu une cause illicite. Il conteste l'existence d'une autorité de la chose jugée dès lors que la question de la liceité de la clause de rémunération n'a jamais été tranchée, que lui même n'était pas partie aux litiges invoqués et que la condamnation disciplinaire revêt le caractère de fait nouveau.
Sur le fond, maître [I] soutient que sa demande ne se heurte à aucune contestation sérieuse dès lors qu'il est acquis que les sommes versées au titre d'honoraires sont restées sur le compte spécial ouvert à la Caisse des dépôts et consignations et qu'elles appartiennent bien à la société SNP BOAT puisque provenant de la vente de navires. Selon lui, il appartenait à maître [U] de déclarer sa créance à l'ouverture du redressement judiciaire après avoir reversé les sommes détenues sur le compte ouvert au nom de la société. Maître [I] fait observer que non seulement la créance de maître [U] au titre des honoraires n'a pas été déclarée, mais il soulève la prescription prévue par l'article R 663-40 du Code de commerce ainsi que l'autorité de la chose jugée attachée à la décision de la commission disciplinaire et à l'arrêt confirmatif de la cour d'appel. Il conclut en conséquence à la confirmation de l'intégralité de l'ordonnance et sollicite l'octroi d'une somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Maître [V], par conclusions déposées le 2 décembre 2000, demande à la cour de déclarer recevable son intervention volontaire en sa qualité de mandataire ad hoc de la société SNP BOAT SERVICES résultant d'une ordonnance du tribunal de commerce de CANNES en date du 21 novembre 2019. Il conclut au caractère irrecevable de la demande en annulation de l'ordonnance de référé, cette demande n'étant pas visée dans la déclaration d'appel.
Maître [V] conclut à la compétence du tribunal de grande instance de GRASSE, la demande de transmission des fonds n'étant pas liée à la convention d'honoraires ou au protocole transactionnel. Il relève qu'en toute hypothèse, la cour peut évoquer le fond du litige, étant juridiction d'appel du tribunal de commerce de CANNES.
Maître [V] reprend les arguments de maître [I] concernant la prescription et la fin de non recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée. Il reprend de même l'argumentation relative au caractère non contestable de l'obligation de verser les sommes à l'actif de la liquidation. Au terme de ses conclusions, maître [V] conclut en conséquence à la confirmation de l'intégralité de la décision et à l'octroi en cause d'appel d'une somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur l'avocat général, par conclusions déposées le 5 mars 2020, a demandé à la cour de confirmer la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande en annulation de l'ordonnance
La déclaration d'appel déposée le 31 juillet 2019 par maître [U] vise expressément l'annulation ou la réformation de l'ordonnance de référé en date du 12 juillet 2019 ; il convient dès lors de retenir que la cour est saisie d'une demande en annulation de la décision déférée conjointe à la demande en réformation.
L'article 455 du code de procédure civile, qui s'applique tant aux jugements qu'aux ordonnances de référé, dispose que la décision doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, cette prescription étant prévue à peine de nullité ainsi que l'édicte l'article 458 du même code ; la lecture de la page 3 de l'ordonnance du juge des référés permet de constater que cette décision mentionne non seulement les demandes principales, reconventionnelles et accessoires exposées par maître [U], mais résume sur trois paragraphes les moyens avancés ; il apparaît dès lors que la décision répond à l'exigence d'exposer succinctement les prétentions et moyens des parties .
Maître [U] verse aux débats des conclusions datées du 25 juin 2019, soit le jour de l'audience devant le juge des référés, visées par le greffe et au terme desquelles il soulève l'incompétence matérielle du tribunal de grande instance de GRASSE au profit du tribunal de commerce de CANNES ou de son président ; à juste titre, il fait observer que cette exception d'incompétence n'est pas mentionnée dans le rappel des prétentions et moyens des parties, et que le juge des référés n'y a pas répondu, ni dans ses motifs, ni dans le dispositif ; cette omission ne constitue pas une violation des dispositions formelles de l'article 455 du code de procédure civile mais s'analyse en l'absence d'examen d'un moyen, en l'absence une exception soulevée par le défendeur ; elle n'a pas privé maître [U] de la possibilité de bénéficier d'un procès équitable dès lors que la décision était susceptible d'appel et que l'intéressé a eu en conséquence la possibilité de faire examiner son exception par la cour ; il convient en conséquence de rejeter la demande en annulation fondée sur une violation des dispositions de l'article 455, ou une violation du droit à bénéficier d'un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme.
Sur l'exception d'incompétence
L'article R 662-3 du Code de commerce dispose que le tribunal saisi d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire connaît de tout ce qui concerne ces procédures, à l'exception des actions en responsabilité civile exercée à l'encontre de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur qui sont de la compétence du tribunal de grande instance.
En l'espèce, l'action intentée devant le juge des référés du tribunal de grande instance de GRASSE par maître [I] ès qualité a pour fondement l'article L 663-2 du Code de commerce, et non la responsabilité délictuelle du mandataire ; dès lors, il ne peut être contesté que cette action est née de la procédure collective ouverte à l'égard de la société SNP BOAT SERVICE et doit être jugée en application des règles prévues par le code de commerce en matière de difficultés des entreprises ; c'est dès lors à bon droit que maître [U] soulève l'incompétence du juge des référés du tribunal de grande instance au profit du tribunal de commerce de CANNES, juge de la procédure collective ; l'ordonnance de référé du tribunal de grande instance sera en conséquence infirmée.
La cour étant juridiction d'appel relativement au tribunal de commerce de CANNES estimé compétent, il y a lieu en application de l'article 90 du code de procédure civile de statuer sur le fond.
Sur les fins de non recevoir soulevées par maître [U]
Maître [I] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société SNP BOAT SERVICES agit dans l'intérêt de l'ensemble des créanciers ; ces créanciers ont un intérêt évident à voir réintégrer à l'actif de la société les sommes qui en seraient indûment soustraites ; il importe peu qu'au moment de la répartition, ces sommes doivent bénéficier à tous ces créanciers, ou seulement comme le soutient maître [U], à ceux justifiant d'un droit de gage ; il sera en conséquence retenu que maître [I] ès qualité justifie bien de sa qualité à agir à la présente procédure.
Les actions personnelles ou mobilières, en application de l'article 2224 du code civil, se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Maître [I] a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire de la société SNP BOAT par jugement du tribunal de commerce de CANNES en date du 22 juillet 2014 ; il n'a exercé aucune mission dans le cadre de la mesure de sauvegarde initiale ; il ne pouvait en conséquence avoir connaissance de l'existence de la rémunération contestée de maître [U] avant sa nomination à la date du 22 juillet 2014 ; en conséquence, sans même déterminer à quelle date les faits matériels ont été par lui constatés, il convient de constater que l'action introduite le 15 février 2019 l'a été dans les délais de prescription ; la fin de non recevoir tirée de la prescription sera écartée.
L'article 1355 du Code civil dispose que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement et précise tout particulièrement qu'il faut que la chose demandée soit la même et que la demande soit fondée sur la même cause ; maître [U] invoque en l'espèce l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt de la présente cour en date du 5 avril 2018 ; une simple lecture de cette décision permet de constater que celle ci portait sur la validité du protocole transactionnel en date des 18 et 22 février 2010 et sur l'autorité de la chose jugée devant ou non être conférée à cet accord ; si maître [U] invoque ce protocole pour affirmer son droit à rémunération, force est de constater qu'aucune demande en paiement n'a été par lui formée dans la procédure ayant conduit à l'arrêt du 5 avril 2018 et que la décision ne porte nullement sur la liceité de cette demande au regard non seulement du protocole, mais encore de la législation en matière de procédure collective ; c'est dès lors à tort que maître [U] invoque l'autorité de la chose jugée, telle que définie par l'article 1355 déjà cité, pour faire déclarer la demande en restitution des fonds irrecevable.
Maître [V] ayant été désigné par ordonnance du 21 novembre 2019 du tribunal de commerce de CANNES en qualité de mandataire ad hoc de la société SNP BOAT SERVICES avec mission de suivre le bon déroulement de la procédure collective et d'exercer les droits et actions de la société non compris dans la mission du liquidateur, son intervention volontaire aux cotés de maître [I] apparaît recevable.
Sur le fond
L'article L 663-2 du Code de commerce dispose que la rémunération des administrateurs judiciaires, des mandataires judiciaires, des commissaires à l'exécution du plan et des liquidateurs telle que fixée par le titre IV bis du livre IV est 'exclusive de toute autre rémunération ou remboursement de frais au titre de la même procédure ou au titre d'une mission subséquente qui n'en serait que le prolongement à l'exception d'un mandat de justice confié au titre du troisième alinéa de l'article L 643-9".
Cette disposition prohibant pour les administrateurs, mandataires, commissaires à l'exécution du plan et liquidateurs toute autre rémunération que celle fixée réglementairement par le Code de commerce dès lors que les intéressés agissent dans le cadre de la procédure pour laquelle ils ont été nommés ou au titre d'une mission subséquente est dépourvue de toute ambiguïté ; le terme même de mission subséquente ne souffre pas d'interprétation, ce terme visant de manière parfaitement claire toute mission découlant de la nomination en qualité d'administrateur, mandataire, commissaire ou liquidateur.
En raison du caractère d'ordre public attaché à toutes les dispositions relatives aux procédures collectives, il ne peut être dérogé à celles-ci par un accord entre les parties, cet accord fut-il homologué par la juridiction chargée de la procédure ; au cas d'espèce, il est dès lors sans incidence sur les droits de maître [U] de constater que la clause fixant à son profit une rémunération en sa qualité d'administrateur ad hoc spécial ait été stipulée dans un protocole transactionnel homologué par le tribunal de commerce de CANNES et jugé par la présente cour dans son arrêt du 5 avril 2018 comme revêtu de l'exécution provisoire, ce protocole ne pouvant en toute hypothèse contenir une disposition contraire à un texte légal.
Le jugement du tribunal de commerce de CANNES en date du 7 avril 2010 arrêtant le plan de sauvegarde tel que présenté par la SA SERVICE NAVIGATION DE PLAISANCE BOAT SERVICE a expressément maintenu maître [K] [U] dans ses fonctions de mandataire judiciaire auxquelles il avait été nommé par jugement du 7 avril 2009, puis l'a désigné conformément aux stipulations du protocole d'accord signé le 22 février 2010 en qualité de mandataire spécial avec pour mission de veiller à la bonne exécution du dit protocole ; il ne peut dès lors être contesté que tant d'un point de vue procédural que chronologique, la mission de maître [U] en qualité d'administrateur ad hoc spécial est la suite de sa nomination en qualité d'administrateur judiciaire, et constitue donc une mission subséquente ; il est tout autant incontestable que cette mission de mandataire ad hoc spécial est sans rapport avec la mission visée par le troisième alinéa de l'article L 643-9 ; dès lors, il résulte de l'article L 663-2 rappelé plus haut que maître [U] ne pouvait revendiquer aucune rémunération au titre de ses fonctions de mandataire ad hoc spécial dans la procédure collective de la société SNP BOAT SERVICES, et ce quelles que soient les dispositions stipulées au protocole transactionnel ; il convient dès lors d'ordonner la restitution des sommes détenues à ce titre sur le compte de répartition spécial, soit la somme de 1 086 416 € 90, cette restitution ne se heurtant à aucune contestation sérieuse au vu des dispositions du Code de commerce.
La production des relevés de compte de la caisse des dépôts et consignations et de l'historique du compte Société Générale apparaît indispensable pour que maître [I] puisse exercer sa mission ; il y a lieu en conséquence de l'ordonner sous astreinte, selon les modalités déterminées au dispositif.
Sur les demandes accessoires
Maître [U] succombant au fond, il sera condamné à verser à maître [I] et maître [V] chacun la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
- DÉCLARE recevable l'intervention volontaire de maître [V]
- REJETTE la demande en annulation formée par maître [U] à l'encontre de l'ordonnance de référé du tribunal de grande instance de GRASSE en date du 12 juillet 2019.
- REJETTE les fins de non recevoir soulevées par maître [U].
- INFIRME l'ordonnance de référé du tribunal de grande instance de GRASSE en date du 12 juillet 2019 ayant retenu sa compétence matérielle et ayant de ce fait statué sur le fond.
Statuant sur le fond en application de l'article 90 du code de procédure civile,
- CONDAMNE maître [K] [U] à verser à maître [I] ès qualité de liquidateur judiciaire de la société SNP BOAT SERVICE la somme de 1 086 416 € 90 détenu sur un compte de répartition spéciale et par lui conservées au titre de rémunération en sa qualité de mandataire ad hoc.
- CONDAMNE maître [K] [U] à remettre à maître [I] ès qualité l'intégralité des relevés de banque et comptables du compte Caisse des dépôts et consignations et du compte Société Générale sur lequel ont transité le prix de cession des navires dépendant de l'actif de la société SNP BOAT SERVICES, et ce sous astreinte provisoire de 150 € par jour de retard à compter de la présente décision, et pour une durée de quatre mois.
- CONDAMNE maître [K] [U] à verser à maître [I] et maître [V] ès qualité, chacun, la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- CONDAMNE maître [K] [U] à l'intégralité des dépens, dont distraction au profit des avocats à la cause.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT