COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-8
ARRÊT AU FOND
DU 12 FEVRIER 2020
N°2020/144
Rôle N° RG 19/01327 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BDVMT
SARL HOSPITALISATION A DOMICILE - H.A.D
C/
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Denis FERRE, avocat au barreau de MARSEILLE
CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des BOUCHES-DU-RHONE en date du 10 Décembre 2018,enregistré au répertoire général sous le n° 21704828.
APPELANTE
SARL HOSPITALISATION A DOMICILE - H.A.D, demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Denis FERRE de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
Organisme CPCAM DES BOUCHES-DU-RHONE, demeurant [Adresse 2]
représentée par Mme [F] [C] (Inspectrice du contentieux) en vertu d'un pouvoir spécial
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Janvier 2020, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Florence DELORD, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président de chambre
Madame Florence DELORD, Conseiller
Madame Marie-Pierre SAINTE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Février 2020.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Février 2020
Signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président de chambre et Mme Cyrielle GOUNAUD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Sarl « Hospitalisation à Domicile Bouches du Rhône Est » (HAD) a fait appel du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône du 10 décembre 2018 qui, après jonction des trois recours engagés par les parties, a rejeté son recours contre la décision de la commission de recours amiable du 31 octobre 2017 et l'a condamnée à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie la somme de 21049,37 euros représentant des sommes facturées à tort pendant l'année 2015, pour des patients hospitalisés à domicile et pour lesquels la caisse lui versait un forfait « GHT ».
Par ses dernières conclusions développées à l'audience de plaidoirie du 22 janvier 2020, elle a demandé à la Cour d'enjoindre à la caisse de fournir les justificatifs des sommes dont elle lui réclame le remboursement, à défaut, d'infirmer le jugement, d'annuler l'indu et de condamner la caisse primaire d'assurance maladie à lui payer la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions développées à l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie a demandé à la Cour de confirmer le jugement, de rejeter les demandes de l'appelante et de la condamner à lui payer la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Par lettre recommandée du 18 octobre 2016, la caisse primaire d'assurance maladie a informé la société HAD que ses services avaient procédé à un contrôle des facturations de l'année 2015, concernant les soins de ville pour des prestations réglementairement financées par les forfaits GHT pour des patients hospitalisés à domicile, et qu'ils avaient relevé des anomalies s'élevant à 76947,07 euros résultant, notamment, d'une double facturation.
Un tableau de 194 pages récapitulant ces anomalies était joint à cette lettre qui laissait à la société HAD un délai de deux mois pour présenter ses observations.
Suite aux explications présentées par la société HAD dans son courrier recommandé daté du 23 décembre 2016, la caisse, par lettre recommandée du 14 mars 2017, a procédé à la notification d'un indu ramené à la somme de 21049,37 euros, selon un tableau annexé comportant 104 pages.
Cette notification a été contestée devant la commission de recours amiable qui a rejeté le recours par une décision du 31 octobre 2017, le tribunal ayant ensuite également rejeté la contestation de la société HAD, par le jugement dont appel.
La société HAD appelante, a fait valoir que, ni les patients dont elle gérait l'hospitalisation à domicile, ni la caisse ne lui avaient jamais transmis les prescriptions médicales à partir desquelles les services de la caisse avaient procédé à des remboursements dont cette dernière estimait, au jour du contrôle (non contradictoire), qu'elles étaient incluses dans le forfait GHT.
Elle fait valoir que, disposant de sa propre pharmacie, elle avait fait face à toutes les demandes de prise en charge des médicaments prescrits par les médecins traitants des patients et qu'elle n'avait donc pas à en effectuer un remboursement à la caisse au titre d'un indu qui n'est pas démontré. Elle a d'ailleurs justifié des virements bancaires à destination des prestataires par les documents versés aux dossiers de chaque patient.
L'appelante a également fait valoir que la caisse n'avait pas tenu compte des périodes pendant lesquelles le patient ne se trouvait plus en « hospitalisation à domicile », mais se trouvait effectivement hospitalisé.
Elle a fait valoir que les dispositifs médicaux remis au patient et restant sa propriété (bas de contention, fauteuils, etc..) ne pouvaient pas être mis à sa charge.
Elle a fait valoir que l'admission dans le cadre de l'hospitalisation à domicile se fait sur la base d'un projet thérapeutique excluant la prise en charge en dehors de la pathologie, notamment si le patient se trouve en EHPAD.
Elle fait valoir, enfin, que certaines prestations auraient été effectuées dans le cadre d'une hospitalisation de jour, et que, dans ce cas, la prestation n'entrait pas dans le forfait GHT.
Elle regrette que, ni la caisse, ni le tribunal n'aient répondu à ces divers arguments.
La caisse a fait valoir que les sommes qu'elle réclamait à la société HAD entraient dans le forfait GHT de chaque patient, pour lequel cette société recevait une somme forfaitaire annuelle destinée à couvrir les prestations liées à l'hospitalisation à domicile , tels que les médicaments, les actes de biologie et les dispositifs médicaux divers. Elle a précisé qu'elle n'était pas contractuellement liée aux prestataires ayant accompli les actes litigieux (délivrance de médicaments, actes de biologie, soins de kinésithérapie, etc...) et que les conventions conclues entre ceux-ci et la société HAD lui étaient inopposables.
La Cour rappelle que la société d'hospitalisation à domicile facture ses prestations à la caisse d'assurance maladie conformément à la tarification à l'activité, les tarifs devant tenir compte de la nature des soins prodigués, de la complexité de la situation clinique, de l'état de dépendance du patient, de la durée de sa prise charge et de l'évolution de son état de santé.
L'hospitalisation à domicile impose que soit établi un projet thérapeutique par le médecin traitant et le médecin coordonnateur de la société d'HAD, et éventuellement de la structure accueillant le patient (EHPAD, par exemple).
La caisse d'assurance maladie est toujours avisée de la mise en place d'une hospitalisation à domicile.
La Cour constate que la caisse a établi deux tableaux, le premier communiqué en octobre 2016, et le second en mars 2017, constituant le tableau définitif, chacun des deux récapitulant, pour chaque assuré social, la date de la prescription médicale ou para-médicale, le nom du prescripteur, le nom de l'exécutant, la date de chaque prestation et son coût.
Ces tableaux permettent donc de constater que la caisse était en possession de chaque prescription médicale lorsqu'elle a procédé d'abord au remboursement de chaque prestation en 2015, (analyses en laboratoire, séances de kinésithérapie, ou d'orthophonie, etc '), mais également au moment du contrôle de facturation, en octobre 2016.
Par ses écritures, la caisse a d'ailleurs confirmé qu'elle avait reçu les prescriptions médicales et les demandes de remboursement, directement des professionnels de santé que sont les pharmacies, laboratoires, kinésithérapeutes, orthophonistes et autres.
Par voie de conséquence, lesdites prescriptions médicales n'ont jamais été remises à la société d'hospitalisation à domicile, qui en demande à la caisse la communication, depuis sa lettre du 23 décembre 2016. Par cette même lettre, la société HAD proposait une réunion avec les représentants de la caisse pour pouvoir clarifier la demande qu'elle contestait dans son entier.
La caisse n'a pas donné suite à cette offre et a poursuivi le recouvrement de ce qu'elle estimait être un indu.
La caisse avait admis, dans sa lettre du 18 octobre 2016 que « Si vous estimez que ces anomalies présumées ne sont pas imputables à votre établissement, je vous remercie de me fournir tous les éléments en votre possession.».
Pour pouvoir apporter cette preuve, la société HAD devait donc nécessairement prendre connaissance des prescriptions médicales et des facturations litigieuses, qui n'étaient pas en sa possession.
Or, la caisse n'a jamais communiqué ces documents, même devant la Cour, sans jamais s'en expliquer.
Cette carence dans la production des preuves sur lesquelles la caisse fonde sa demande de remboursement d'un indu a privé et prive encore la société HAD de son droit de s'expliquer, de manière contradictoire, sur l'existence de chaque somme réclamée au titre d'un indu, dont il sera rappelé que le total s'établissait à plus de 76000 euros en octobre 2016 et qu'il a été réduit à 21049 euros en mars 2017, sans que la caisse n'en ait jamais donné la moindre explication.
La société appelante fait valoir que la caisse doit apporter la preuve que les sommes dont elle lui réclame le remboursement entraient bien dans le projet thérapeutique ayant justifié l'hospitalisation à domicile.
Elle cite comme exemple l'hypothèse dans laquelle un patient hospitalisé pour une pathologie précise se ferait prescrire des médicaments sans aucun lien avec cette pathologie.
Elle estime que, dans ce cas, la dépense n'aurait pas à entrer dans le forfait GHT.
La caisse n'a pas contesté ce raisonnement, mais n'a pas pour autant justifié des prescriptions médicales sur lesquelles elle avait établi le premier tableau des « anomalies » d'abord, et ensuite celui des « indus ».
Or, d'une part, la caisse n'a jamais expliqué à partir de quels critères elle avait abandonné plus des deux tiers de sa notification.
Par une simple approche comparative, la Cour constate que le choix des réclamations est incohérent: par exemple, pour le premier assuré de la page 1/194, M.[V], des soins de kinésithérapie étaient réclamés à la société HAD, mais dans la seconde liste, le nom de cet assuré n'apparaît plus : la caisse a donc abandonné sa créance, alors que, dans cette même seconde liste, elle persiste à réclamer des remboursement d'actes de kinésithérapie prodigués à d'autres assurés.
D'autre part, la carence de la caisse empêche la Cour de se prononcer sur le bien fondé de l'indu réclamé, alors que figurent, dans les tableaux, des prestations qui avaient été demandées par des hôpitaux (hôpital [3], hôpital [4], hôpital privé de [1], certains CHR et CHU de la région, etc...) et exécutés pendant plusieurs jours, sans que soit connu le lieu d'exécution de chaque prestation (ex. : soins d'orthophonie ou de kinésithérapie), ce qui laisse subsister un doute certain sur le principe d'une hospitalisation « à domicile » pour ces prestations.
Ce doute permet à la Cour de considérer que les cinq arguments présentés de manière très détaillée par l'appelante au soutien de son appel sont sérieux et que la caisse se devait d'y répondre, dès le mois de décembre 2016 et, à plus forte raison, devant la Cour.
En tout état de cause, le dossier permet de constater que la société HAD ne pouvait avoir connaissance de l'existence des prestations faisant l'objet du litige dès lors qu'il est admis que le patient ou l'assuré social ne peut se voir privé de l'usage de sa carte « Vitale », et que, de son côté, la caisse avait été parfaitement informée de la mise en place d'une hospitalisation à domicile.
Enfin, la société HAD a justifié, dès le 23 décembre 2016, de ce qu'elle avait avisé systématiquement les laboratoires et les pharmacies de la mise en place de l'hospitalisation à domicile pour chaque patient, par des télécopies dont elle a fourni la preuve, assuré par assuré, dans son dossier.
Il semble que la caisse n'a pas davantage tenu compte de ces pièces qu'elle ne commente même pas.
La Cour constate que la société HAD a bien apporté la preuve que les « anomalies » ne lui étaient pas imputables et que la caisse avait tous les éléments d'information suffisants pour lui permettre de s'adresser, en temps utile, aux « prestataires » concernés : pharmacies, laboratoires, infirmiers, etc...
La caisse ajoute, dans ses conclusions, que, « si l'établissement qui prend en charge l'hospitalisation à domicile n'a pas rempli son obligation de délivrer les fournitures et spécialités comprises dans le forfait GHT, les patients sont contraints, pour recevoir les soins, de faire appel à des auxiliaires médicaux externes qui facturent directement à l'Assurance Maladie ».
Ainsi que l'a fait valoir l'appelante, la caisse n'apporte aucune preuve d'un refus de la société HAD d'assumer ses obligations ou d'une carence dans l'exécution de ses obligations.
Elle admet très explicitement que les demandes de remboursement lui avaient bien été adressées directement et que la société HAD ne pouvait donc pas en avoir eu connaissance.
Aucune preuve n'est apportée par la caisse que les sommes qu'elle réclame à la société HAD devaient rentrer dans le forfait GHT de chaque patient.
La preuve de l'existence d'un indu n'est donc pas rapportée.
La Cour infirme le jugement dont appel et rejette les demandes de la caisse.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône du 10 décembre 2018,
Et, statuant à nouveau :
Annule la notification d'indu du 14 mars 2017,
Déboute la caisse primaire d'assurance maladie de ses demandes de remboursement d'un indu de 21049,37 euros,
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie à payer à la Sarl « Hospitalisation à Domicile Bouches du Rhône Est » la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie aux dépens postérieurs au 1er janvier 2019, conformément aux articles 695 et 696 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT