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12/12/2019 | FRANCE | N°16/17494

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-1, 12 décembre 2019, 16/17494


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1



ARRÊT AU FOND

DU 12 DECEMBRE 2019



N° 2019/ 424













N° RG 16/17494 - N° Portalis DBVB-V-B7A-7JYI







SA ELECTRICITE RESEAU DISTRIBUTION FRANCE - ERDF -





C/



SARL BATISOLAIRE 5



























Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Alexandra BOISRAME



Me Ludovic ROUSSE

AU

























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Commerce de MANOSQUE en date du 16 Décembre 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 2014000160.







APPELANTE



Société ENEDIS anciennement dénommée SA ELECTRICITE RESEAU DISTRIBUTION FRANCE - ERDF...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT AU FOND

DU 12 DECEMBRE 2019

N° 2019/ 424

N° RG 16/17494 - N° Portalis DBVB-V-B7A-7JYI

SA ELECTRICITE RESEAU DISTRIBUTION FRANCE - ERDF -

C/

SARL BATISOLAIRE 5

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Alexandra BOISRAME

Me Ludovic ROUSSEAU

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de MANOSQUE en date du 16 Décembre 2014 enregistré au répertoire général sous le n° 2014000160.

APPELANTE

Société ENEDIS anciennement dénommée SA ELECTRICITE RESEAU DISTRIBUTION FRANCE - ERDF -, dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Alexandra BOISRAME, avocat au barreau d'AIX-EN- PROVENCE, assistée de Me Pascal CERMOLACCE, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

INTIMEE

SARL BATISOLAIRE 5, immatriculée au RCS de CAEN sous le N° 518 707 849, dont le siège social est [Adresse 2]

représentée par Me Ludovic ROUSSEAU de la SCP ROUSSEAU & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me François FERRARI, avocat au barreau de BEZIERS, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 785,786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Septembre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Pierre CALLOCH, Président

Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller

Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller

Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Décembre 2019.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Décembre 2019

Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et M. Alain VERNOINE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DE L'AFFAIRE

L'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité a organisé un mécanisme visant à favoriser le développement des énergies renouvelables.

Il a été fait obligation à EDF de conclure avec les producteurs intéressés un contrat pour l'achat de l'électricité produite par les installations de production d'électricité qui utilisent des énergies renouvelables.

Le raccordement de ces installations au réseau de distribution est réalisé par ERDF.

Le tarif d'achat de l'électricité produite par ces installations est, selon l'article 8 du décret n° 2001-410 du 10 mai 2001, fixé par arrêté des ministres chargés de l'économie et de l'énergie, après avis du conseil supérieur de l'énergie (« CSE ''), au sein duquel siège ERDF, et de la commission de régulation de l'énergie (« CRE '').

L'électricité était achetée par EDF à un prix supérieur à celui du marché, le surcoût qui en résultait étant compensé par le biais de la contribution au service public de l'électricité (« CSPE »), taxe instituée par l'article 5 de la loi du 10 février 2000, et acquittée par le consommateur final d'électricité.

Un producteur désireux d'exploiter une installation photovoltaïque doit, d'une part, solliciter d'ERDF le raccordement de son installation au réseau public de distribution de l'électricité, et d'autre part, conclure un contrat d'achat d'é1ectricité avec EDF.

Une fois que la demande de raccordement qui lui est adressée est complète (ou« qualifiée ») , ERDF adresse au producteur une offre de raccordement appelée proposition technique et financière («PTF »).

Le délai dont dispose ERDF pour adresser cette PTF est de 3 mois à compter de la réception de la demande de raccordement complète.

Initialement fixé à environ 14 c€/kWh (arrêté du 13 mars 2002), le prix d'achat de l'électricité d'origine photovoltaïque été doublé par arrêté du 10 juillet 2006.

Le 12 janvier 2010, a été publié un arrêté prévoyant une baisse des tarifs d'achat de l'électricité photovoltaïque.

Le 9 décembre 2010, le décret n° 2010-1510 instituant un moratoire a été pris emportant suspension provisoire de l'obligation d'achat d'électricité à la charge d'EDF.

A l'issue de ce moratoire, un nouveau cadre réglementaire a été mis en place avec l'adoption de deux arrêtés du 4 mars 2011, prévoyant notamment l'instauration de procédures d'appe1 d'offres pour les installations dont la puissance est située entre l00kW et 250kW et une baisse conséquente des tarifs d'achat pour les installations d'une puissance inférieure à l00kW.

L'arrêté du 16 mars 2010 avait prévu que « les installations mises en service avant le 15 janvier 2010 bénéficiaient des conditions d'achat telles qu'elles résultaient des dispositions de l'arrêté du 10 juillet 2006 ». Il précisait que les installations non mises en service avant le 15 janvier 2010 pourraient néanmoins bénéficier des conditions d'achat résultant de l'arrêté du 10 juillet 2006.

La société BATISOLAIRE 5 qui a pour activité la production d'énergie renouvelable a engagé les démarches nécessaires pour la mise en 'uvre d'une centrale photovoltaïque sur la Commune [Localité 1].

Elle a adressé son dossier à la société ENEDIS qui l'a reçu le 22 juin 2010.

Le 19 octobre 2010, la société ENEDIS accusait réception de la demande de proposition technique et financière de la société BATISOLAIRE 5. Le dossier était déclaré complet.

La proposition technique et financière devait donc être formulée par la société ENEDIS au plus tard le 22 septembre 2010 du fait d'un délai d'instruction fixé à trois mois, le point de départ du délai étant la date de réception complète par ERDF.

Fin novembre 2010, elle était informée de l'imminence d'un décret conforme à la loi du 10 février 2000 et ayant pour effet de mettre en place un moratoire.

Par décret du 9 décembre 2010, il a été décidé que les dossiers n'ayant pas fait l'objet d'une acceptation avant le 2 décembre 2010 étaient, en pratique, éliminés et qu'une nouvelle demande devrait être déposée sur la base d'un nouvel arrêté fixant le tarif de rachat de l'électricité photovoltaïque.

Cet arrêté a été pris le 4 mars 2011 et a eu pour effet de faire chuter le prix de l'électricité rachetée de 0, 50 à 0,2883euros.

Estimant avoir subi un préjudice lié à une faute de la société ENEDIS, par exploit en date du 18 mars 2014, la société BATISOLAIRE 5 a saisi le Tribunal de Commerce de Manosque aux fins d'entendre :

condamner ERDE` au paiement de la somme de 889 681 €, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation correspondant à sa perte de marge.

Par jugement en date du 16 décembre 2014, le Tribunal de Commerce de Manosque a :

- Condamné la SA ELECTRICITE RESEAU DISTRIBUTION France à payer à la SARL BATISOLAIRE 5 la somme de 889.681 € augmentée des intérêts au taux légal a compter de 1'assignation du 18.03.2014 et celle de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

La société ERDF a interjeté appel de cette décision et expose :

-que le décret n°2010-15-10 du 9 décembre 2010 a suspendu pour une durée de trois mois l'obligation d'achat d'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil.

-que l'article 3 de ce décret prévoit qu'il est possible d'y déroger dès lors que l'acceptation de la PTF a été retournée avant le 2 décembre 2010 ce qui n'est pas le cas en l'espèce,

-que ce projet était loin d'être réalisé.

-que la ' discrimination ' dont la société BATISOLAIRE 5 se dit victime ne repose sur aucun élément tangible,

-qu'il n'existe pas de lien de causalité puisque la société BATISOLAIRE 5 ne démontre pas qu'en l'absence de retard d'ENEDIS dans la transmission de la PTF, elle aurait nécessairement matérialisé son accord sur ce document avant le 2 décembre 2010 et que dès lors, il n'existe pas de lien de causalité entre le dépassement du délai de trois mois dans la transmission de la PTF et le préjudice allégué, qui résulte exclusivement de l'application du décret du 9 décembre 2010 au projet,

-que la suspension du projet et la perte de l'ancien tarif d'achat avantageux ont pour cause exclusive l'adoption par le Gouvernement du décret moratoire,

-que la société BATISOLAIRE 5 fonde son préjudice sur l'application à son profit du tarif d'achat de 50 cts€/kWh issu de l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010 lequel est constitutif d'une aide d'Etat contraire au droit de l'Union européenne pour défaut de notification préalable à la Commission européenne.,

-que de par son illégalité, il ne saurait donc servir de fondement à la réparation d'un préjudice en justice.

A titre subsidiaire, la société ENEDIS fait valoir :

-que l'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil à un prix supérieur à sa valeur de marché, dans les conditions définies par l'arrêté du 12 janvier 2010, a le caractère d'une aide d'Etat et que cet arrêté n'a pas été notifié préalablement à la Commission européenne en violation de l'article 108 paragraphe 3 du TFUE.

-que cet arrêté est illégal et que son application doit, en tout état de cause, être écartée et au besoin, écarter l'application de l'article 88 de la loi du 12 juillet 2010 en raison de sa contrariété avec l'article 108 paragraphe 3 du TFUE.

-que la perte d'une chance inexistante ne peut donner lieu à réparation puisque que le seul préjudice dont pourrait se prévaloir la société BATISOLAIRE 5 est la perte d'une chance d'avoir pu. matérialiser son accord sur une PTF avant le le décembre 2010 minuit puis d'avoir obtenu un contrat d'achat après avoir réalisé et mis en service sa centrale dans un délai de 18 mois et enfin d'avoir pu exploiter sur 20 ans sa centrale virtuelle ;

-que les hypothèses de calcul de l'assiette de préjudice sont totalement injustifiées en leur principe et leur quantum.

La société ENEDIS conclut à la réformation de la décision et au rejet des demandes présentées à son encontre.

La société BATISOLAIRE 5 rétorque :

-que la société ERDF n'ayant pas rempli son obligation d'instruire la demande de proposition technique et financière dans les délais, elle a engagé sa responsabilité,et que le manquement à cette obligation ouvre droit à réparation,

-que le lien de causalité est établi,

-que la société ENEDIS a violé l'obligation légale d'instruire les dossiers sans discrimination,

-que la société ERDF est soumise à une obligation de résultat par l'absence d'aléa sur la réalisation de sa prestation,

-qu'une illégalité de l'arrêté du 12 janvier 2010 ne peut avoir pour effet de remettre les contrats conclus en cause puisque que le contrat d'achat aurait nécessairement été conclu en 2011 sans difficulté du fait que l'arrêté n'a fait l'objet d'aucun recours et qu'il est définitif,

-que même dans l'hypothèse d'une invalidation de l'arrêté du 12 janvier 2010, celle-ci ne peut être rétroactive au vu de la jurisprudence de la CJUE,

-que la conformité avec le droit européen de l'aide d'Etat apportée aux énergies renouvelables et au secteur photovoltaïque en particulier exclut que l'arrêté du 12 janvier 2010 puisse être invalidé,

-qu'elle est fondée à invoquer une perte de marge,

-que même en se référant à la théorie de la perte de chance, elle doit obtenir une indemnisation de près de 100% de la perte de marge,

-que la méthode de calcul de la réparation est fixée par la cour de cassation et qu'elle l'applique,

-qu'elle justifie de son préjudice et que même par application de la perte de chance, celui-ci correspondant à 100% de la perte de marge.

La société BATISOLAIRE 5 conclut à la confirmation de la décision déférée et par voie de conséquence demande de :

-condamner la société ERDF devenue ENEDIS à lui payer une indemnité sur la base de la somme de 889 681 € outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

-A titre subsidiaire, si la méthode de la VAN devait être retenue, condamner ERDF devenue ENEDIS à lui payer une indemnité sur la base de la somme de 1 005 198 €,

-En tout état de cause, si l'arrêté du 12 janvier 2010 ne pouvait servir de base au calcul de l'indemnisation, la Cour peut valablement l'évaluer à titre forfaitaire et non plus consécutivement au calcul lié à l'arrêté, à la somme de 889 681 € et condamner ENEDIS sur la base de ce montant.

La cour renvoie, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties à leurs écritures précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la faute alléguée à l'encontre de la société ENEDIS

La société BATISOLAIRE 5 établit qu'elle a adressé à la société ENEDIS l'intégralité du dossier de demande de raccordement comprenant notamment :

- l'autorisation d'urbanisme (permis de construire ou déclaration de travaux),

- le plan de localisation,

- les caractéristiques techniques précises de l'installation et des modules.

Ces pièces apportent donc la preuve de la réalité du projet et la société ENEDIS ne peut soutenir que le projet n'était pas abouti et que par le dépôt d'une nouvelle demande de raccordement sur le même site le 29 mars 2011, la société intimée admettait par la même que la réalisation initialement prévue ne pouvait aboutir.

La commission de régulation de l'énergie (ou CRE), par délibération du 11 juin 2009 (et son annexe 1), ayant valeur de décision sur les règles d'élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement au réseau public de distribution d'électricité et le suivi de leur mise en 'uvre, a considéré que la société ERDF, devenue ENEDIS, avait l'obligation de transmettre aux demandeurs une PTF dans un délai n'excédant pas trois mois à compter de la réception de sa demande de raccordement complète.

L'article 7.2.3 de la procédure de traitement des demandes de raccordement individuel d'Enedis applicable à compter du 3 juillet 2010, prévoit qu'à l'issue de cet examen et lorsque le dossier est complet, la demande de raccordement est qualifiée, que la date de qualification de la demande de raccordement est fixée à la date de réception du dossier lorsque celui ci est complet ou à la date de réception de la dernière pièce manquante, puis qu'ERDF confirme par courrier postal ou électronique au demandeur que son dossier est complet et lui communique également à cette occasion la date de qualification de sa demande de raccordement... ainsi que le délai d'envoi de l'offre de raccordement.

Le délai de trois mois dans lequel la PTF devait être transmise à la société BATISOLAIRE 5 court à compter de la réception par le gestionnaire de réseau de la demande de raccordement complétée, s'apprécie à la date de réception de la PTF par le demandeur.

La société ENEDIS devait donc retourner son accord avant l'entrée en vigueur du moratoire et en s'en abstenant, a commis une faute susceptible d'ouvrir droit à réparation.

La faute d'ERDF est constituée par son absence de réponse dans le délai de trois mois. Il appartient à la société BATISOLAIRE 5 que du fait de cette absence de réponse, il a perdu une chance qui ne soit pas qu'hypothétique de réaliser son projet et de réaliser pendant vingt ans une marge du fait de son exploitation.

Faute d'avoir respecté son obligation, la société ENEDIS a fait perdre à la société BATISOLAIRE 5 une chance de pouvoir adresser dans le délai qui lui restait, son acceptation de la PTF de sorte que le lien de causalité entre ledit manquement et le préjudice de perte de chance allégué est établi.

Sur la demande d'indemnisation présentée par la société BATISOLAIRE 5

Cette société réclame une indemnisation fondée sur la perte de marge.

Un tel fondement ne peut être retenu du fait d'un prévisionnel de chiffre d'affaires éventuel sur lequel se base la société BATISOLAIRE 5.

Par contre, il appartient à la BATISOLAIRE 5 de démontrer que du fait de cette absence de réponse, elle a perdu une chance qui ne soit pas qu'hypothétique de réaliser son projet et de réaliser pendant vingt ans une marge du fait de son exploitation.

Seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable.

La société ENEDIS soutient que l'arrêté du 12 janvier 2010 était illégal et que son application doit en tout état de cause être écartée car le tarif fixé par cet arrêté a le caractère d'une aide d'Etat qui n'a pas fait l'objet d'une notification préalable à la Commission européenne en violation de l'article 108 paragraphe 3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

En effet, les règles en matière d'aides d'Etat sont posées aux articles 107 à 109 qui (article 107) d'une part, définit les aides d'Etat d'autre part, pose un principe d'incompatibilité des aides avec le marché intérieur.

L'absence de respect de l'article l08§3 du TFUE entraîne l'illégalité de l'aide.

Le Conseil d'Etat dans un arrêt du 15 mai 2012 rappelle qu'une aide d'Etat au sens de l'article l07§1 du TFUE suppose la réunion de quatre conditions :

-qu'i1 y ait une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat,

-que cette intervention soit susceptible d'affecter les échanges entre les Etats membres,

-qu'elle accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire;

-qu°elle fausse ou menace de fausser la concurrence.

Les juridictions nationales ont l'obligation d'écarter le droit interne lorsqu'il est contraire au droit de l'Union européenne.

Le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l'Union, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou à atteindre l'élimination préalable de celle ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel

Il s'en déduit que les moyens de la société BATISOLAIRE 5 selon lesquels l'arrêté du 12 janvier 2010 a été validé par la loi 2010-788 du 12 juillet 2010 sont inopérants.

Le dispositif résultant de l'arrêté du 12 janvier 2010 ne peut bénéficier du règlement n°800/2008 du 6 août 2008, qui prévoit l'exemption de notification, sous conditions, de certaines aides d'Etat, dès lors que l'article 23 réserve l'exemption aux aides environnementales en faveur des investissements dans la promotion de l'énergie produite à partir de sources d'énergie renouvelables, excluant ainsi les aides au fonctionnement telles que l'aide litigieuse, qui garantit l'achat d'électricité à un prix supérieur à celui du marché.

L'illégalité du décret opposée par voie d'exception n'est pas soumise à la prescription édictée par le règlement 659/1999 du 22 mars 1999 qui ne vise que les pouvoirs de la Commission en matière de récupération d'une aide d'État, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Ni l'arrêté tarifaire du 10 juillet 2006, ni l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010 prévoyant au profit des producteurs d'énergie photovoltaïque une rémunération à un tarif supérieur à celui qu'ils auraient pu obtenir sur le marché de l'électricité, dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité, n'ont fait l'objet d'une notification préalable à la Commission européenne.

La CJUE dans son ordonnance du 15 mars 2017 a relevé que le mécanisme en cause, instauré par la réglementation nationale, d'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché doit être considéré comme une intervention de l'Etat ou au moyen des ressources d'Etat.

Cette aide s'adressait uniquement aux producteurs d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil et à aucun autre. Ce traitement avantageux et sélectif faussait donc la concurrence du fait des échanges transfrontières et était susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres.

Il est donc établi que le mécanisme prévu par l'arrêté du 12 janvier 2010 tout comme celui prévu par l'arrêté du 10 juillet 2016 constituent des aides d'Etat au sens de l'article 107, paragraphe1, TFUE, mises à exécution en méconnaissance des obligations découlant de l'article 108, paragraphe 3, TFUE car ils devaient faire l'objet de notification préalable.

La Commission européenne dans sa décision du 10 février 2017 intitulée « aide sous la forme de tarifs d'achat pour le développement d'installations photovoltaïques » prise à la suite de la notification de l'arrêté tarifaire du 4 mars 2011 , qui est venu remplacer l'arrêté du 12 janvier 2010 , en prévoyant un tarif beaucoup moins attractif que les précédents pour les producteurs selon les écritures a considéré que ce tarif d'achat constituait une aide d'Etat.

Elle a ainsi autorisé trois régimes français d'aides aux producteurs d'énergie solaire et hydroélectrique après avoir apprécié les trois régimes au regard des règles de L'Union Européenne en matière d'aides d'Etat, qui garantissent un recours limité au fonds publics et l'absence de surcompensation, en veillant à ce que soient limitées les distorsions de concurrence engendrée.

La CJUE n'a pas rejeté la qualification d'aide d'État, mais a jugé que la première condition pour qualifier un dispositif d'aide d'État était remplie, invitant les juridictions nationales à vérifier si les trois autres conditions l'étaient.

En l'espèce, ce dispositif s'applique à des bénéficiaires qui opèrent dans un système d'économie de marché, caractérisé par ses échanges transfrontaliers, en leur procurant un avantage qui garantit la rentabilité de leur investissement et favorise de manière sélective un type de production, l'énergie d'origine photovoltaïque.

Ce dispositif est donc susceptible d'affecter les échanges entre États membres, accorde à ses bénéficiaires un avantage sélectif et fausse ou risque de fausser la concurrence sur le marché intérieur.

Il ne peut être soutenu que les pouvoirs de la Commission en matière de récupération d'aide d'Etat soient soumis à une prescription de dix ans puisque aucun remboursement n'est sollicité, ENEDIS opposant par voie d'exception l'illégalité de ce tarif.

L'arrêté du 12 janvier 2010 est donc illégal pour défaut de notification préalable à la Commission européenne

Le propre de la responsabilité civile est de rétablir l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit.

Cette règle ne peut conduire à reconstituer un avantage illicite.

Du fait de l'illégalité du tarif institué par l'arrêté du 12 janvier 2010 pour n'avoir pas fait l'objet de notification préalable à la Commission européenne, la société BATISOLAIRE 5 ne peut obtenir réparation d'un préjudice né de son impossibilité de bénéficier dudit tarif consécutif à un retard de ENEDIS dans le traitement de sa demande de PTF , calculé, même subsidiairement, uniquement par référence à un arrêté illégal au regard du droit communautaire.

Etant démontré qu'il s'agissait d'une aide d'État. Elle devait faire l'objet d'une notification préalable à la Commission en application de l'article 108 § 3.

Il n'est pas contesté que l'arrêté du 12 janvier 2010, comme celui du 10 juillet 2006, n'a jamais été notifié à la Commission, préalablement à sa mise en 'uvre, dans les conditions de ce texte.

IL ne peut être soutenu que la Commission aurait pu avoir connaissance de ces textes puisqu'aucune notification n'a été effectuée.

Le règlement d'exemption CE 800/2008, applicable au jour du décret du 12 janvier 2010, ne concernait que les aides transparentes, c'est-à-dire dont il est possible de calculer précisément et préalablement l'équivalent-subvention brut au moment de l'octroi de l'aide, ce qui n'est pas le cas du régime d'aides accordées aux producteurs d'électricité photovoltaïque et les régimes d'aide devaient contenir une référence expresse au règlement par la citation de son titre, ce qui n'est aucunement le cas pour les décrets litigieux.

Il ne peut être soutenu que les dispositions de l'article 88 de la loi de 12 juillet 2010 qui valide l'arrêté du 12 janvier 2010, serait une disposition du droit interne écartant l'application du droit de l'Union en vertu du principe de primauté du droit de l'Union sur le droit national, ou les décisions du Conseil d'État, lequel n'a pas statué sur la violation de l'obligation de notification préalable, ou les décisions ultérieures de la Commission, concernant des régimes d'aide différents, plus contraignants et qui instauraient des tarifs inférieurs à ceux des arrêtés de 2006 et 2010.

Les arrêtés de 2006 et 2010 ayant été abrogés et remplacés par l'arrêté du 4 mars 2011, lequel a d'ailleurs fait l'objet d'une procédure de notification à la Commission, aucune régularisation n'est possible.

Si les juridictions nationales sont compétentes pour apprécier le respect par les États membres de la procédure de notification, seule la Commission européenne est compétente pour statuer sur la compatibilité d'une aide d'État avec le marché intérieur et il n'appartient donc pas à une juridiction nationale d'opérer un tel contrôle. Le fait que la Commission a déclaré compatibles les mécanismes d'aide à la production d'électricité photovoltaïque postérieurs est sans incidence sur la validité des dispositifs antérieurs. Il est tout aussi inopérant d'invoquer l'absence de saisine d'office par la Commission européenne pour procéder à un examen de la

compatibilité, l'absence de décision sur ce point ne signifiant pas que le décret litigieux bénéficie d'une reconnaissance tacite de compatibilité.

L'arrêté du 12 janvier 2010, tout comme celui du 10 juillet 2006, qui n'ont pas été notifiés à la Commission européenne préalablement à leur mise en 'uvre, sont par conséquent illégaux et cette illégalité fait obstacle, à elle seule, à la demande d'indemnisation formée.

Le principe de réparation intégrale du préjudice subi à raison d'une faute commise ne peut trouver à s'appliquer dès lors qu'il s'agit de réparer la perte d'un avantage résultant d'une

aide illégale.

En conséquence, le jugement attaqué est infirmé.

Il convient de condamner la société BATISOLAIRE 5, dont les demandes sont rejetées, à payer à la société ENEDIS une somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement attaqué,

Statuant à nouveau,

Déboute la société BATISOLAIRE 5 de ses demandes,

Condamne la société BATISOLAIRE 5 à payer à la société ENEDIS une somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples,

Condamne la société BATISOLAIRE 5 aux dépens de première instance et d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Le GREFFIER Le PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 3-1
Numéro d'arrêt : 16/17494
Date de la décision : 12/12/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-12-12;16.17494 ?
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