COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-4
ARRÊT AU FOND
DU 14 NOVEMBRE 2019
N° 2019/
NT/
Rôle N° RG 17/18234 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BBJOQ
[P] [C]
épouse [H]
C/
Mutuelle L'UNION DES MUTUELLES DE FRANCE 06
Copie exécutoire délivrée
le : 14 NOVEMBRE 2019
à :
- Me Cécile SCHWAL, avocat au barreau de NICE
- Me Rémi BOULVERT, avocat au barreau de NICE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE en date du 07 Septembre 2017 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 16/00618.
APPELANTE
Madame [P] [C] épouse [H]
demeurant [Adresse 1] / FRANCE
représentée par Me Rémi BOULVERT, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
SOCIETE OXANCE venant aux droits de L'UNION DES MUTUELLES DE FRANCE 06
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Cécile SCHWAL, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Septembre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Noëlle ABBA, Président de chambre
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller
Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Novembre 2019.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 14 Novembre 2019
Signé par Madame Marie-Noëlle ABBA, Président de chambre et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCEDURE
Mme [P] [C], épouse [H], recrutée en qualité de chirurgien-dentiste salariée à temps partiel par l'Union des mutuelles de France 06 à compter du 1er novembre 2004 et qui, ayant la qualité de déléguée syndicale, a exercé divers mandats d'élue du personnel à partir de l'année 2012, a été licenciée, avec mise à pied conservatoire, pour faute grave par lettre du 22 juillet 2013 ainsi motivée :
« (') Vous avez été convoquée en date du 13 juin 2013, par lettre remise en main propre contre
décharge, à un entretien préalable 'xé au mardi 25 juin 2013, au siège de l'Union avec Madame [C] [I] , Directrice Générale.
Cette lettre vous informait d'une part, que nous envisagions de procéder à votre licenciement
et de la faculté dont vous disposiez de vous faire assister et d'autre part, de votre mise à pied à titre conservatoire.
Ce même jour, nous informions l'inspection du travail de la mesure conservatoire de mise à
pied ainsi prise à votre endroit concomitamment à l'engagement de la procédure de licenciement pour faute.
Vous vous êtes présentée à cet entretien, assistée de Monsieur [R], représentant du personnel.
A l'issue de cet entretien et après réexamen de votre dossier personnel, nous avons décidé de poursuivre la procédure de licenciement.
En ce sens, nous avons formulé une demande d'autorisation de licenciement auprès de l'inspecteur du travail dont dépend l'Uníon.
En effet, il vous est reproché votre comportement hautement répréhensible :
o Tant à l'égard de plusieurs salariés de l'Union, dont certains estiment subir en conséquence une dégradation de leurs conditions de travail et de leur santé ;
o Qu'envers des patients du centre dentaire qui, au mieux, souhaitent changer de praticien, au pire, ne plus fréquenter le centre,un tel comportement portant gravement atteinte au bon fonctionnement du centre dentaire de [U] et plus généralement préjudice à l'Union.
Plus précisément :
=.$gt; Vous avez adopté un comportement d'une extrême gravité, susceptible de revêtir la qualification de harcèlement moral, à l'encontre de plusieurs salariés du centre dentaire [Établissement 1] au sein duquel vous travaillez.
Plusieurs salariés estiment en effet que votre comportement engendre une réelle dégradation de leurs conditions de travail mais également de leur santé tant physique que morale.
Ainsi, les salariés ont constaté une détérioration de l'ambiance de travail et l'installation d'un
climat de suspicion se matérialisant entre autres par un dénigrement envers la Direction et plusieurs salariés.
Vous usez et abusez de votre position pour terroriser une partie du personnel, en particulier les assistantes dentaires et les agents d'accueil, faisant preuve d'une grande agressivité ou de dénigrement à leur égard avec des qualificatifs inadmissibles (ex. « bourricot'') ou encore au travers de remontrances injustifiées.
Plusieurs salariés vous décrivent comme un praticien « énervé », « brutal '', « épouvantable »,
qui « hurle dans les couloirs '' et « manipule son entourage ».
Tout ceci est confirmé par de réelles dif'cultés que nous rencontrons pour remplacer vos assistantes en cas de congés ou de maladie, les salariés ne souhaitant pas travailler à vos
côtés.
Il est manifeste que votre attitude engendre une réelle souffrance au travail à l'origine, ces derniers mois, de départs de certains salariés et d'état anxio-dépressif pour d'autres.
Du fait de notre obligation de sécurité de résultat en matière de santé et de sécurité au travail, nous ne pouvons laisser la situation en l'état, et ce, d'autant plus que vous ne vous remettez nullement en question, bien au contraire.
En effet, malgré un avertissement, le 4 janvier 2013, sanctionnant déjà ce type de comportement, vous n'avez pas jugé nécessaire de modifier votre attitude inappropriée et totalement déplacée, conduite qui s'est, d'autant plus, réellement aggravée ces derniers mois.
Pourtant, nous vous avions clairement demandé, aux termes de cet avertissement de «modifier radicalement votre comportement et de veiller à entretenir des relations
dépourvues de toute agressivité tant vis-à-vis des autres salariés de l''Union que des patients''.
Vous n'avez manifestement pas daigné tenir compte de cette mise en garde.
=:$gt; Vous adoptez également envers vos patients un comportement agressif et contraire aux attentes légitimes de ces derniers.
Plusieurs patients se sont plaints du comportement agressif et brutal ainsi que du manque évident de considération que vous portez à leur endroit.
Les répercussions de ce comportement sont d'autant plus importantes eu égard à l'appréhension naturelle des patients à recevoir des soins dentaires. Cela a un effet extrêmement négatif sur la réputation du Centre Dentaire [Établissement 1], certains patients souhaitant changer de praticien mais d'autres, qui pour certains étaient des « habitués '', ne souhaitant plus fréquenter le Centre.
Certains salariés ont du reste fait part de leur vive inquiétude quant à la mauvaise réputation
qui en résulte pour le Centre Dentaire [Établissement 1], allant jusqu'à remettre en cause sa survie
si rien n'était fait.
Avant toute prise de décision, la Direction a souhaité porter ces éléments de faits à la connaissance :
- du Comité d'entreprise lors d'une réunion qui s'est tenue le 28 mars 2013,
- du CHSCT, compte tenu des missions qui lui sont dévolues et des plaintes dont il avait lui-même été informé, afin que soit diligentée une enquête interne. Le CHSCT s'est réuni le 11 avril 2013 et a confié la réalisation de cette enquête à une Commission paritaire composée de la secrétaire du CHSCT, Madame [F] [F] et de la Directrice Générale de l'Union 06, Madame [C] [I].
La restitution de l'enquête s'est déroulée le 12 juin 2013 devant le CHSCT, réuni à cet effet à
la demande de plus de deux de ses membres.
Ces griefs ont été soumis à l'appréciation de Madame [H] [L], Inspecteur du travail de
la 9ème section d'inspection.
Par décision en date du 11 juillet 2013, à l'issue de son enquête contradictoire et après avoir
notamment relevé que l'enquête visait ci-dessus mettait en évidence vos agissements fautifs envers les salariés lesquels sont suffisamment graves, à eux seuls, pour justifier le licenciement, celle-ci a autorisé votre licenciement.
En conséquence et au vu de cette autorisation, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave.
Votre licenciement prendra effet au jour de l'envoi de la présente à votre domicile, et ce, sans préavis ni indemnité.
Nous vous rappelons que vous faites l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire. Par conséquent, la période non travaillée depuis le 13 juin 2013 ne sera pas rémunérée (...) ».
Le conseil de prudhommes de Nice, saisi par Mme [P] [C], épouse [H], le 13 mai 2016, a, par jugement du 7 septembre 2017, dit son licenciement justifié, rejeté toutes ses demandes et l'a condamnée au paiement de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [P] [C], épouse [H], a relevé appel de cette décision par déclaration du 9 octobre 2017 et dont elle a reçu notification le 14 septembre 2017.
Dans ses conclusions notifiées le 9 novembre 2017, Mme [P] [C], épouse [H], déniant les difficultés relationnelles qui lui sont reprochées, conteste les motifs de son licenciement, soutient qu'elle a été évincée en raison de ses dénonciations des conditions de travail au sein du centre dentaire, notamment à la suite de la nomination d'une nouvelle responsable au mois d'avril 2012, et fait valoir que l'autorisation de licenciement donnée par l'inspection du travail a été annulée par la juridiction administrative.
L'appelante sollicite ainsi l'infirmation de la décision prud'homale et la condamnation de l'employeur à lui payer :
16 884 € à titre d'indemnité en application de l'article L2422 du code du travail,
6 006 € à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire,
13 513 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
1 952 € au titre des congés payés,
8 107,20 € à titre d'indemnité de licenciement,
71 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Oxance, venant aux droits de l'Union des mutuelles de France 06, soutient dans ses conclusions notifiées le 5 février 2018, que le licenciement de Mme [P] [C], épouse [H], est justifié en raison de ses comportements fautifs tant à l'égard des salariés du centre dentaire que des patients dont elle estime rapporter la preuve.
Elle réfute tout lien entre l'exercice des divers mandats de Mme [P] [C], épouse [H], et la rupture du contrat de travail dont les motifs peuvent être appréciés par le juge judiciaire dès lors que la juridiction administrative n'a annulée l'autorisation de licenciement que pour des raisons tenant à sa légalité externe.
Estimant ainsi les demandes de Mme [P] [C], épouse [H], non fondées dans leur principe et injustifiées dans leur montant, l'intimée sollicite leur rejet et le paiement de 3 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, en plus des 2 000 € accordés à ce titre par la juridiction prud'homale.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 26 août 2019.
La cour renvoie pour plus ample exposé aux écritures reprises et soutenues par les conseils des parties à l'audience d'appel tenue le 9 septembre 2019.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu qu'il est constant que la décision de l'inspection du travail ayant autorisé le licenciement de Mme [P] [C], épouse [H], salariée protégée, a été annulée par jugement du tribunal administratif de Nice du 15 décembre 2015, confirmé par décision de la cour administrative de Marseille datée du 8 décembre 2016, pour des motifs tenant à sa légalité externe (défaut de communication de certains documents à la salariée au cours de l'enquête) ; que le juge social demeure ainsi compétent pour apprécier la caractère réel et sérieux des motifs du licenciement qui n'ont pas été examinés, sur le fond, par la juridiction administrative ;
Attendu que la lettre de licenciement sus-reproduite qui fixe les limites du litige, reproche en substance à Mme [P] [C], épouse [H], son comportement qualifié de « hautement répréhensible » tant à l'égard de salariés du centre de soins dentaires (attitudes terrorisantes et dénigrantes confinant à du harcèlement) que de patients (agressivité et brutalité) et rappelle qu'elle a fait l'objet d'un avertissement notifié le 4 janvier 2013 (pièce 4) pour des comportements identiques auxquels cette sanction n'a pas mis un terme et qui se sont, au contraire, aggravés ;
Attendu qu'il incombe à l'employeur sur qui pèse la charge de prouver la faute grave, de démontrer, au risque d'une seconde sanction prohibée des mêmes faits, que les comportements qu'il reproche à Mme [P] [C], épouse [H], ont perduré postérieurement à l'avertissement du 4 janvier 2013 voire se sont aggravés ;
Attendu qu'à l'examen des documents produits par la société Oxance il s'avère que la majorité des attestations et correspondances de salariés ou patients dont elle se prévaut sont pour la plupart datés de l'année 2012 et évoquent des situations antérieures à l'avertissement du 4 janvier 2013 (ses pièces 20 à 24, 30) de sorte qu'elles ne sauraient démontrer la persistance, après cette sanction, des attitudes stigmatisées par la lettre de licenciement ; que les seuls documents mettant explicitement en cause l'attitude de Mme [P] [C], épouse [H], après le 4 janvier 2013 sont une lettre de l'assistante dentaire [A] du 22 mars 2013 (pièce 25) évoquant ses venues fréquentes dans le cabinet du Dr [T] pour lui remettre « des comptes-rendus ou autres » et discuter « sans discrétion » des problèmes internes de l'entreprise, laquelle ne saurait être retenue comme un élément de preuve en raison de son imprécision factuelle et eu égard, par ailleurs, aux divers mandats exercés par Mme [P] [C], épouse [H], induisant des contacts fréquents avec les salariés du centre, une correspondance rédigée le 1er mars 2013 par Mme [W] [O] assistante dentaire travaillant en binôme avec l'appelante, mentionnant, notamment, une altercation avec cette dernière dans des circonstances et pour des motifs imprécis et invérifiables le 18 février 2013 dont la valeur probatoire est insuffisante (pièce 26) et enfin des appréciations écrites adressées au mois d'avril 2013 par deux patients, Mme [B] et M. [Y] (pièces 28 et 29), reprochant à Mme [P] [C], épouse [H], sa froideur ou la rapidité de ses interventions qui ne sauraient également convaincre en raison de la dimension parfaitement subjective et invérifiable de ces avis ; qu'il sera, en outre, observé que les procès verbaux du CHSCT (pièces 5 à 8 et 32 de l'employeur), celui de la réunion du comité d'entreprise du 28 juin 2013 (pièces 12 et 13) et les documents de l'enquête administrative (pièces 14 à 16) également produits par l'employeur, ne relatent ou visent aucun fait ou comportement précisément datés, postérieurs au 4 janvier 2013 ; qu'en l'état de l'ensemble de ces constatations la réalité des motifs du licenciement doit être tenue pour insuffisamment démontrée ; que la rupture du contrat de travail sera, en conséquence, déclarée sans cause réelle et sérieuse,
Attendu qu'en application de l'article L 2422-4 du code du travail, Mme [P] [C], épouse [H], qui ne réclame pas sa réintégration, a droit à une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration d'un délai de deux mois suivant la notification de la décision d'annulation de l'autorisation administrative (arrêt de la cour administrative d'appel du 8 décembre 2016) ; que les pièces produites par la salariée, (bulletins de salaire, notification de droits, relevé d'indemnités Pôle emploi), ayant retrouvé un emploi équivalent en 2014, permettent de retenir que sa perte de revenus, pour la période comprise entre la notification du licenciement et la fin de son indemnisation par Pôle emploi (juillet à décembre 2013), s'élève à 16 884 €, somme dont la société Oxance sera condamnée à s'acquitter ;
Attendu qu'il sera également alloué à Mme [P] [C] épouse [H], compte tenu de son ancienneté supérieure à 2 ans (approximativement 9 ans) au service d'une entreprise ne soutenant pas employer moins de 11 salariés, du salaire mensuel moyen brut qu'elle a perdu (4 505 €) et des éléments produits sur son évolution professionnelle, une indemnité de licenciement abusif arbitrée à 30 000 € en application de l'article L1235-3 du code du travail dans sa rédaction alors applicable ;
Attendu qu'il sera fait droit à l 'indemnité compensatrice de préavis, à l'indemnité de licenciement et au rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire , outre les congés payés afférents, dont les montants et calculs ne sont pas discutés en cause d'appel ;
Attendu que l'équité exige d'allouer 3 000 € à Mme [P] [C] en compensation de ses frais non compris dans les dépens en cause d'appel ;
Attendu que les entiers dépens seront laissés à la charge de la société Oxance qui succombe à l'instance ;
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile :
Infirme le jugement du conseil de prudhommes de Nice du 7 septembre 2017 et statuant à nouveau :
Dit le licenciement de Mme [P] [C], épouse [H], dépourvu de cause réelle et sérieuse;
Condamne la société Oxance venant aux droits de l'Union des mutuelles de France 06 à payer à Mme [P] [C], épouse [H] :
16 884 € à titre d'indemnité en application de l'article L2422 du code du travail,
6 006 € à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire,
13 513 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
1 951,92 € au titre des congés payés (rappel de salaire et préavis),
8 107, 20 € à titre d'indemnité de licenciement,
30 000 €à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Rejette toute demande plus ample ou contraire ;
Condamne la la société Oxance venant aux droits de l'Union des mutuelles de France 06 aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT