COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-8
ARRÊT AU FOND
DU 16 OCTOBRE 2019
N°2019/
Rôle N° RG 17/13310 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BA4EM
Organisme CPAM [Localité 1]
C/
SAS HOPITAL PRIVE [Établissement 1]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Stéphane CECCALDI, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Anne-Sophie MOULIN, avocat au barreau de PARIS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de TOULON en date du 16 Juin 2017,enregistré au répertoire général sous le n° 21601616.
APPELANTE
Organisme CPAM [Localité 1], demeurant [Adresse 1] / FRANCE
représentée par Me Stéphane CECCALDI, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
SAS HOPITAL PRIVE [Établissement 1], demeurant [Adresse 2] / FRANCE
représentée par Me Anne-Sophie MOULIN, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Septembre 2019, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Florence DELORD, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président de chambre
Madame Florence DELORD, Conseiller
Madame Marie-Pierre SAINTE, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Harmonie VIDAL.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 16 Octobre 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 16 Octobre 2019
Signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président de chambre et Madame Harmonie VIDAL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Fin mai et fin juillet 2013, la caisse primaire d'assurance maladie [Localité 1] et la direction régionale du service médical ont procédé à un contrôle de l'activité de la Clinique [Établissement 2] située à [Localité 2], (ci-après dénommée l'établissement), portant sur l'ensemble des séjours remboursés par la caisse entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2012.
Ce contrôle s'inscrivait dans le cadre du « contrôle médical » prévu par les articles L315-1-III du code de la sécurité sociale.
Des anomalies dans le codage des actes réalisés par les médecins urologues ont été relevées, mettant en évidence des facturations de GHS qualifiés de « fictifs » par les contrôleurs.
Par lettre du 13 février 2014, la caisse a avisé le directeur de l'établissement que des suites contentieuses seraient données à ce contrôle.
Par lettre du 3 juin 2014, la caisse a informé le directeur de l'établissement que les anomalies constatées lors du contrôle étaient frauduleuses et que la procédure de pénalité financière de l'article L162-1-14 du code de la sécurité sociale allait être mise en 'uvre. Il lui était rappelé qu'il pouvait présenter des observations dans le délai de 30 jours.
Par lettre du 16 juin 2014, le directeur de l'établissement a admis qu'il y avait eu des erreurs de facturations imputables à un logiciel de facturation utilisé par ses services administratifs.
Par lettre du 16 juillet 2014, la caisse a informé le directeur de l'établissement que le dossier était transféré à la commission des pénalités financières au visa de l'article L162-1-14 § V du code de la sécurité sociale.
Par lettre du 31 juillet 2014, la commission des pénalités financières a transmis son avis au directeur de l'établissement.
Par un avis du 4 août 2014, le directeur de l'UNCAM a émis un avis favorable à la pénalité financière.
Par lettre recommandée du 11 août 2014, la caisse a notifié au directeur de l'établissement une pénalité financière de 245442 euros sur le fondement de l'article R147-8 du code de la sécurité sociale, l'avisant qu'en cas de contestation il devait saisir le tribunal des affaires de sécurité sociale dans le délai de deux mois.
Par acte du 8 octobre 2014, l'établissement a contesté cette notification devant le tribunal des affaires de sécurité sociale.
Par jugement du 16 juin 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale du Var a annulé la pénalité financière et a condamné la caisse primaire d'assurance maladie à payer à la Clinique [Établissement 2] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile (recours 21601616).
La caisse a fait appel de ce jugement (RG 17/13310).
Par lettre recommandée du 11 août 2014, la caisse a adressé au directeur de l'établissement une notification d'indu d'un montant de 122721,12 euros, sur le fondement de l'article L133-4 du code de la sécurité sociale, l'avisant qu'en cas de contestation il devait saisir la commission de recours amiable dans le délai de deux mois.
Par lettre du 13 octobre 2014, l'établissement a saisi la commission de recours amiable qui, par décision du 19 décembre 2014, a rejeté son recours.
La notification de cette décision précisait que toute contestation devait être présentée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale dans le délai de deux mois.
L'établissement a réceptionné cette décision par lettre recommandée signée le 24 décembre 2014 versée aux débats en pièce 2 de la caisse.
L'établissement, qui contestera ultérieurement avoir reçu cette notification (cf.infra), n'a pas saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale.
Par lettre du 23 décembre 2015 adressée au directeur de l'établissement, la caisse a rappelé qu'il n'avait pas contesté sa décision du 19 décembre 2014, et elle l'a mis en demeure de payer la somme de 122721,12 euros, l'avisant qu'en cas de contestation de la régularité de la mise en demeure, il pouvait saisir la commission de recours amiable dans le délai de deux mois.
Par lettre du 19 février 2016, l'établissement a contesté la mise en demeure devant la commission de recours amiable en faisant valoir, à titre préalable, qu'il n'avait jamais reçu la notification de la décision du 19 décembre 2014 (cf.supra).
Par décision du 1er mars 2016, notifiée à l'établissement par lettre recommandée datée du 30 mars, la commission de recours amiable a rejeté son recours du 19 février 2016 (pièce 4 de la caisse).
La notification de cette décision précisait que toute contestation devait être présentée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale dans le délai de deux mois.
L'établissement a réceptionné cette décision par lettre recommandée signée le 2 avril 2016 (pièce 4).
Par lettre recommandée du 13 mai 2016 adressée au tribunal des affaires de sécurité sociale, l'établissement a contesté la mise en demeure, le bien fondé de la demande de remboursement, ainsi que toute la procédure de recouvrement (lettre non communiquée).
Par jugement du 18 mai 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale [Localité 1] a rejeté la demande d'annulation de la procédure de recouvrement, a déclaré irrecevable la contestation portant sur les causes de l'indu, et, déclarant recevable mais infondée la contestation de la mise en demeure, a condamné l'établissement à payer à la caisse la somme de 122721,12 euros (recours 21601083).
La SAS Hôpital Privé [Établissement 1] (anciennement Clinique [Établissement 2]) a fait appel de ce jugement (RG 18/10270).
Suite à une lettre de la caisse en date du 29 août 2018 qui faisait valoir la connexité des deux contentieux, la Cour, par ordonnance datée du 16 janvier 2019, a procédé à la jonction des deux recours sous le numéro 17/13310.
Par ses dernières conclusions développées oralement à l'audience de plaidoirie du 18 septembre 2019, la caisse primaire d'assurance maladie a demandé à la Cour d'infirmer le jugement du 16 juin 2017, de condamner l'établissement au paiement de la pénalité financière de 245442 euros, de confirmer le jugement du 18 mai 2018, et de condamner la SAS Hôpital Privé [Établissement 1] à lui payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 5000 euros par dossier.
Par ses dernières conclusions développées oralement à l'audience, la SAS Hôpital Privé [Établissement 1] (anciennement dénommée Clinique [Établissement 2]) a demandé à la Cour de confirmer le jugement du 16 juin 2017 ayant annulé la pénalité financière, subsidiairement d'en réduire le montant (à 10000 euros, et sinon à 61360,50 euros, au maximum), d'infirmer le jugement du 18 mai 2018, de dire que les facturations litigieuses étaient justifiées et ne constituaient pas des GHS fictifs, en conséquence, d'annuler la notification d'indu du 11 août 2014, ainsi que la mise en demeure du 23 décembre 2015.
Elle a demandé également l'annulation de la décision de rejet implicite de la CRA du 19 mars 2016 (sic).
Enfin, elle a demandé à la Cour de condamner la caisse primaire d'assurance maladie à lui payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme totale de 4000 euros.
MOTIFS DE LA DECISION
I-)
La notification de l'indu a été faite au visa de l'article L133-4 du code de la sécurité sociale expressément mentionné dans la lettre du 11 août 2014, qui précisait que cette lettre était le premier « acte du recouvrement » des prestations indues et qui en demandait le paiement dans les deux mois.
Comme le lui permettait également la notification du 11 août 2014, et par lettre du 13 octobre 2014, l'établissement n'a rien réglé mais a saisi la commission de recours amiable qui, par décision du 19 décembre 2014, a rejeté chacune de ses critiques.
La lettre recommandée avec avis de réception notifiant cette décision précisait qu'elle pouvait être contestée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale dans le délai de deux mois.
L'établissement a réceptionné cette notification le 24 décembre 2014 (pièce 2 de la caisse).
Devant la Cour, l'établissement persiste à contester avoir reçu cette notification alors que l'accusé de réception parfaitement lisible et dûment signé a été versé aux débats sans provoquer de contestation quant à la véracité de cette pièce.
En conséquence, la Cour tient pour acquis que l'établissement n'a pas saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale.
La caisse a rappelé que l'absence de saisine du tribunal conférait l'autorité de la chose décidée à la décision de la commission.
L'établissement a fait valoir, à titre subsidiaire, qu'à tous les stades de la procédure de recouvrement, il pouvait contester le bien fondé de l'indu et la régularité de la procédure, la décision de la commission n'étant qu'administrative.
La Cour considère que la décision de la commission est donc devenue irrévocable sur tous les points ayant motivé sa saisine et auxquels cette commission a répondu de manière détaillée et motivée le 19 décembre 2014.
La Cour confirme le jugement qui a déclaré irrecevable le moyen tiré de la nullité de la procédure de recouvrement et de la notification du 11 août 2014 qui a suivi.
II-)
La demande d'annulation de la « décision implicite de rejet du 19 mars 2016 » ne correspond pas au déroulement chronologique de ce litige tel qu'il a été rappelé ci-dessus : la commission de recours amiable a statué le 1er mars ; l'établissement a saisi le tribunal d'une contestation d'un supposé rejet implicite du 19 mars 2016, comme noté sur la notification du jugement : en revanche, par ses conclusions déposées devant le tribunal qui les a reprises en entier, l'établissement ne tire pas les conséquences de droit d'une décision de rejet implicite, et, au surplus, que ce soit devant le tribunal ou devant la Cour, il ne justifie pas avoir exercé un recours contre la décision explicite de la commission notifiée le 2 avril 2016, donc bien avant la saisine du tribunal.
La caisse a commis une erreur en considérant que c'était la décision du 1er mars 2016 qui avait été contestée.
La Cour ne peut que constater que la demande d'annulation de la « décision implicite de rejet du 19 mars 2016 » à laquelle s'est substituée la décision du 30 mars 2016 non contestée, est devenue sans objet.
III-)
En conséquence, et comme le soutient la caisse à juste raison, le recours dirigé contre la mise en demeure du 23 décembre 2015 ne pouvait concerner que sa régularité et non pas la régularité des actes accomplis avant le 13 octobre 2014, date de la saisine de la commission de recours amiable.
La caisse fait observer que, devant la Cour, l'établissement ne contestait plus le défaut de motivation de la mise en demeure fondé sur l'article L211-8 du code des relations entre le public et l'administration.
L'établissement demande à la Cour d'annuler la mise en demeure au seul motif que les indus allégués ne seraient pas prouvés.
Ce faisant, l'établissement entend réitérer son analyse du caractère indu des sommes dont le remboursement lui est demandé, alors que la Cour vient de démontrer que cette critique ne peut plus prospérer faute de saisine du tribunal à l'encontre de la décision de la commission de recours amiable datée du 19 décembre 2014.
L'établissement n'argue d'aucune autre critique à l'encontre de la mise en demeure du 23 décembre 2015.
La Cour, constate qu'à cette mise en demeure était annexé un tableau récapitulatif de sept pages, énumérant, assuré par assuré nommément identifié par son NIR, les actes facturés de manière erronée et remboursés par la caisse pendant la période contrôlée, et que, par sa lettre du 16 juin 2014, le directeur de l'établissement n'a pas contesté ces « erreurs », les attribuant à une défaillance d'un logiciel privé interne. Les pièces versées aux débats, montrent que les dysfonctionnements s'étaient manifestés à partir de janvier 2010, sans qu'aucune mesure efficace n'ait été mise en place pour les résoudre. La caisse primaire n'étant pas le fournisseur de ce logiciel, les défaillances qui pouvaient en résulter lui sont inopposables.
La Cour écarte tout moyen tendant à faire annuler cette mise en demeure que le tribunal était fondé à valider pour les sommes qui y sont mentionnées de manière claire et précise.
IV-)
Devant le tribunal puis devant la Cour, l'établissement a soutenu que la procédure de la pénalité financière était nulle car, dans sa notification du 11 août 2014, réceptionnée le 14 août 2014, la caisse n'avait pas respecté la procédure prévue par l'article L162-1-14 R142-1 du code de la sécurité sociale : en effet, elle ne lui avait pas donné d'autre voie de contestation que la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale alors qu'elle se devait de lui adresser, d'abord, une mise en demeure de payer ladite pénalité.
La caisse qui a fait appel du jugement ayant annulé cette pénalité financière pour le motif dont se prévaut l'établissement, a fait valoir que l'absence de mise en demeure préalable à la saisine du tribunal ne pouvait être sanctionnée que par une inopposabilité de la notification, mais que, l'indication erronée des modalités de ce recours, dont elle a admis la réalité, ne pouvait, tout au plus qu'aboutir au constat que les délais ouverts pour une contestation n'avaient pas encore commencé à courir.
La Cour constate d'une part que dans sa lettre du 11 août 2014, la directrice adjointe de la caisse informait le directeur de l'établissement de sa décision de lui infliger une pénalité financière après un avis favorable de la commission des pénalités financières et du directeur de l'UNCAM.
Cette lettre précisait qu'il avait deux mois pour payer par chèque, ou par compensation sur les prestations à venir, et pour saisir le tribunal des affaires de sécurité sociale au visa de l'article R142-6 du code de la sécurité sociale.
Or, quelle que soit sa rédaction dans le temps, ce texte n'a jamais concerné le recours permettant de contester la décision d'un organisme de sécurité sociale, puisqu'il a toujours été ainsi rédigé : « Lorsque la décision du conseil d'administration ou de la commission n'a pas été portée à la connaissance du requérant dans le délai d'un mois, l'intéressé peut considérer sa demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal des affaires de sécurité sociale prévu à l'article L. 142-2.
Le délai d'un mois prévu à l'alinéa précédent court à compter de la réception de la réclamation par l'organisme de sécurité sociale. Toutefois, si des documents sont produits par le réclamant après le dépôt de la réclamation, le délai ne court qu'à dater de la réception de ces documents. Si le comité des abus de droit a été saisi d'une demande relative au même litige que celui qui a donné lieu à la réclamation, le délai ne court qu'à dater de la réception de l'avis du comité par l'organisme de recouvrement. ».
La caisse a donc mentionné un texte erroné quant aux voies de recours.
Elle le reconnaît d'ailleurs dans ses conclusions.
D'autre part, la Cour rappelle que c'est l'article R142-1 du code de la sécurité sociale, non visé dans la lettre du 11 août 2014, qui imposait la saisine de la commission de recours amiable de toute contestation, s'agissant d'une décision d'un organisme de sécurité sociale, et ceci préalablement à la saisine du tribunal : le non-respect de cette procédure préalable est sanctionné par l'irrecevabilité du recours devant le tribunal.
La caisse ne dispose pas du droit de modifier les règles de procédure prévues par un texte législatif.
Cette accumulation des erreurs a privé l'établissement de son droit de connaître l'exacte étendue de ses droits pour présenter, dans le respect du principe du contradictoire, et à l'amiable avant tout contentieux judiciaire, les arguments qu'il pouvait légitimement invoquer à l'encontre de la sanction que constituait la pénalité financière, devant une commission de recours amiable, et ceci quels qu'aient pu être ses arguments.
La privation d'un niveau de discussion fait grief et rend nulle la notification de la pénalité financière du 11 août 2014.
Les motifs retenus par le tribunal ne sont pas pertinents, outre qu'ils sont, pour partie erronés (l'indu n'a pas été annulé).
La Cour, par substitution de motifs, confirme le jugement relatif à la pénalité financière.
V-)
Chaque partie ayant échoué dans ses prétentions, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant par arrêt contradictoire,
Confirme les jugements du tribunal des affaires de sécurité sociale du Var en date des 16 juin 2017 et 18 mai 2018,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Fait masse des dépens exposés depuis le 1er janvier 2019 et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT