COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-4
ARRÊT AU FOND
DU 06 JUIN 2019
N° 2019/
JLT/FP-D
Rôle N° RG 17/11427 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BAW5B
SARL INDIAN FAST FOOD
C/
[G] [I]
Copie exécutoire délivrée
le :
06 JUIN 2019
à :
Me Harou DOGO-BERY, avocat au barreau de NICE
Me Sophie GORSE, avocat au barreau de NICE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE en date du 22 Mai 2017 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F16/00941.
APPELANTE
SARL INDIAN FAST FOOD, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Harou DOGO-BERY, avocat au barreau de NICE
INTIME
Monsieur [G] [I], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Sophie GORSE, avocat au barreau de NICE, substituée par Me Denis DEL RIO, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Mars 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller
Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2019.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2019
Signé par Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
M. [G] [I] qui soutient avoir travaillé pour le compte de la S.A.R.L. INDIAN FAST FOOD pour effectuer des travaux de maçonnerie, a saisi le conseil de prud'hommes de Nice le 27 juillet 2016 pour voir reconnaître l'existence d'un contrat de travail et obtenir la condamnation de la S.A.R.L. INDIAN FAST FOOD à lui payer diverses sommes à titre de salaires et d'indemnités.
Par jugement du 22 mai 2017, le Conseil de Prud'hommes a constaté l'existence d'un contrat de travail entre les parties et a qualifié la relation de travail de contrat de travail à durée indéterminée à temps complet ayant débuté le 29 mars 2015 et ayant pris fin le 7 mai 2015 sans procédure de licenciement pour une rémunération au SMIC horaire.
Il a condamné l'employeur à payer à M. [I] les sommes de :
- 1 100,00 euros net à titre de rappel de salaire, congés payés inclus,
- 8 861,88 euros net à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
- 1 476,98 euros net à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement.
Il a ordonné à la S.A.R.L. INDIAN FAST FOOD la délivrance des documents sociaux et des bulletins de salaire.
La S.A.R.L. INDIAN FAST FOOD a relevé appel le 15 juin 2017 de ce jugement notifié le 24 mai 2017.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions déposées le 11 septembre 2017 auxquelles il convient de se référer pour de plus amples développements, la S.A.R.L. INDIAN FAST FOOD, concluant à la réformation partielle du jugement, sollicite de débouter M. [I] de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 2 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions déposées le 8 novembre 2017 auxquelles il convient de se référer pour de plus amples développements, M. [I] sollicite de condamner la S.A.R.L. INDIAN FAST FOOD à lui payer les sommes de :
- 2 000,00 euros au titre du solde de salaire dû,
- 12 784,80 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
- 2 130,80 euros en réparation de la violation de la procédure de licenciement,
- 6 392,40 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
- 2 130,80 euros au titre de l'indemnité de préavis,
- 280,00 euros au titre des congés payés y afférents,
- 30 000 euros au titre de la réparation des préjudices physiques et moraux subis,
- 2 500,00 euros par application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 mars 2019.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure et des prétentions et moyens antérieurs des parties, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux conclusions déposées.
DISCUSSION
Sur l'existence d'un contrat de travail
L'existence d'un contrat de travail suppose qu'il existe entre les parties un lien de subordination caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le
pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les
manquements de son subordonné.
L'existence d'un lien de subordination peut se révéler par l'exercice d'un travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail, par la fourniture du matériel et des outils nécessaires à l'accomplissement du travail. Elle peut aussi résulter des contraintes imposées par l'employeur quant au lieu de travail, l'horaire de travail et plus généralement de tous éléments par lesquels l'employeur manifeste son pouvoir de direction.
L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.
En l'espèce, M. [I] explique qu'il s'est vu proposer une opportunité de travailler temporairement à [Localité 1] par le gérant de la société INDIAN FAST FOOD, que les parties se sont accordées sur une exécution de travaux de maçonnerie durant plusieurs jours pour un salaire de 1 000,00 euros et que, par la suite, la société lui a proposé de poursuivre des travaux de maçonnerie dans une autre partie du restaurant pour un salaire supplémentaire de 1 800,00 euros. Il précise qu'il a commencé à travailler le 29 mars 2015, qu'aucun contrat de travail n'a été régularisé, qu'il a travaillé jusqu'au 7 mai 2015 pour une durée totale de 184 heures et qu'il n'a été rémunéré qu'à hauteur de 800,00 euros.
A l'appui de ses dires, il produit :
- le billet d'avion payé par le frère du gérant de la société pour le voyage du 23 mars 2015,
- l'attestation de M. [H] qui explique que le gérant du restaurant lui a demandé s'il connaissait quelqu'un pour faire des travaux dans son restaurant et que c'est par son intermédiaire que celui-ci a été mis en contact ave M. [I]. Il rapporte : 'Quand [I] est arrivé, ils ont montré une part des travaux dans le restaurant, ils ont offert 1 000,00 euros. Après les travaux, ils ont donné 800,00 euros, reste 200,00 euros. Après ils ont montré tout le reste à faire dans le restaurant. Ils ont encore offert 1 800,00 euros. Après que [I] a tout fait carrelage tout dans le restau, ils ont refusé de le payer (...)',
- le décompte effectué par M. [I] lui-même des heures de travail effectuées du 29 mars 2015 au 7 mai 2015 (184 heures), décompte précisant les heures de début et de fin de travail pour chaque journée,
- l'attestation de M. [J] qui dit avoir vu M. [I] travailler pendant 2 mois dans le restaurant INDIAN FAST FOOD en précisant qu'il réside juste à côté. Il explique être intervenu comme médiateur pour essayer de régler le différend entre les parties. Il confirme que le gérant du restaurant a passé un accord avec M. [I] pour des travaux de maçonnerie moyennant un salaire de 2 800,00 euros et le billet d'avion de retour, que le gérant a versé la somme de 800,00 euros mais pas le solde ni le billet d'avion de sorte que M. [I] est resté bloqué à [Localité 1].
La société INDIAN FAST FOOD reconnaît avoir hébergé M. [I] mais conteste lui avoir fourni du travail et avoir été liée à lui par un contrat de travail.
Elle fait valoir que M. [I] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du contrat de travail allégué. Elle conteste la valeur probante des attestations produites en soulignant leur imprécision, notamment quant aux dates. Elle produit l'attestation d'une cliente disant ne pas avoir vu de travaux au sein du restaurant dans la période de mars à mai 2015 ainsi que l'attestation du propriétaire du local disant ne jamais avoir reçu de demande d'autorisation de travaux. Elle produit des tickets de caisse du restaurant pour prouver que celui-ci est resté ouvert pendant toute la période considérée.
Toutefois, s'il incombe, en effet, à M. [I] de rapporter la preuve de la relation de travail qu'il invoque, il convient de relever que deux témoins attestent de l'existence de cette relation dans des termes concordants. Si leur témoignage comporte des imprécisions, notamment quant aux dates, il en ressort que M. [I] s'est vu confier par le gérant de la société deux séries de travaux de maçonnerie au sein de l'établissement moyennant un salaire devant s'élever au total à 2 800,00 euros sur lequel 800,00 euros ont été payés.
Rien ne permet de remettre en cause la crédibilité des témoignages ainsi recueillis ni la véracité des faits rapportés, lesquels sont corroborés par le billet d'avion payé par le frère du gérant du restaurant et par le fait que M. [I] a été hébergé par la société pendant la durée des travaux.
Le fait que le restaurant soit resté ouvert pendant les travaux, qu'aucune demande en ce sens n'ait été adressée au propriétaire et qu'une cliente n'ait pas constaté l'exécution de travaux n'est pas de nature à exclure l'existence du contrat de travail. De même, le fait que la société n'a pas la maçonnerie pour activité ne fait pas obstacle à ce qu'un salarié soit embauché pour exécuter des travaux de maçonnerie dans ses locaux.
Les éléments versés aux débats sont de nature à apporter la preuve de l'exécution d'une prestation de travail au profit de la société moyennant rémunération, le lien de subordination se trouvant établi par le fait que la société a désigné à M. [I] les travaux à effectuer et lui a demandé de réaliser des travaux supplémentaires.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a reconnu l'existence d'un contrat de travail.
Sur la demande de rappel de salaire
Les éléments versés aux débats permettant d'établir que M. [I] n'a perçu que 800,00 euros sur le montant total convenu de 2 800,00 euros, le salarié est bien fondé à solliciter le solde de salaire lui restant dû, soit 2 000,00 euros.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il lui a alloué une somme inférieure.
Sur la demande de dommages-intérêts pour travail dissimulé
Il résulte des dispositions de l'article L 8223-1 du code du travail que le salarié dont l'employeur a volontairement dissimulé une partie du temps de travail ou a dissimulé son emploi en se soustrayant intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'Article L1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
En l'espèce, il ressort des éléments versés aux débats que la société INDIAN FAST FOOD a employé M. [I] pendant plusieurs semaines en s'abstenant de procéder à la déclaration de cet emploi auprès des organismes concernés, en n'établissant aucun bulletin de salaire et en n'accomplissant aucune des formalités relatives à cet emploi.
Ces carences démontrent la volonté de l'employeur de dissimuler l'emploi de M. [I] et justifient que soit allouée à ce dernier l'indemnité prévue par l'article L 8223-1 précité, soit la somme de 12 784,80 euros (2 130,00 euros x 6), compte tenu du salaire convenu (2 800,00 euros pour 184 heures de travail).
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a alloué au salarié une somme inférieure.
Sur la rupture du contrat de travail
Il est constant qu'en l'absence de contrat de travail écrit, les parties ont été liées par un contrat de travail à durée indéterminée.
En l'absence d'énonciation d'un motif de licenciement et de respect de la procédure prévue en la matière, M. [I] a vu son contrat de travail rompu par un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. [I], né en 1958, a été licencié après 41 jours d'ancienneté au service d'une entreprise employant moins de 11 salariés, à l'âge de 57 ans. M. [I] justifie qu'à la suite de la rupture, il s'est retrouvé sans domicile fixe et sans ressources et qu'il a par la suite connu de graves problèmes de santé.
Compte tenu de son salaire mensuel brut (2 130,80 euros), il lui sera alloué, en application de l'article L 1235-5 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, la somme de 2 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que la somme de 2 130,80 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis (un mois de salaire).
La demande de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement sera rejetée en l'absence de preuve d'un préjudice spécifique qui aurait été causé au salarié par la carence de l'employeur.
Sur la demande de congés payés
Un salaire de 2 800,00 euros ayant été convenu entre les parties, M. [I] est bien fondé, dès lors qu'il n'est ni soutenu ni justifié que des congés payés auraient été pris, à solliciter la somme de 280,00 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante.
Sur la demande de dommages-intérêts en réparation de préjudices matériels et moraux
M. [I] explique qu'il a été expulsé de son logement temporaire par la force, qu'il a été victime de violences et de vol de la part du gérant de la société, qu'il s'est ensuite retrouvé sans domicile fixe, devant vivre dans la rue, sans ressources financières, qu'il s'est nourri grâce à l'aide d'associations et que ces conditions de vie ont eu des conséquences néfastes sur son état de santé de sorte qu'il a dû être hospitalisé a dû recevoir des soins importants.
Cependant, les faits de vol et de violences ne sont pas démontrés et rien ne permet d'établir un lien entre les difficultés de M. [I] avec son employeur et la dégradation de son état de santé.
En l'état des éléments versés aux débats, il n'est pas justifié d'un préjudice qui ne serait pas réparé par les sommes allouées ci-dessus.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il n'est pas inéquitable de laisser aux parties la charge de leurs frais non compris dans les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile,
Confirme le jugement en ce qu'il a dit les parties liées par un contrat de travail, en ce qu'il a qualifié la relation de travail de contrat de travail à durée indéterminée à temps complet ayant débuté le 29 mars 2015 et ayant pris fin le 7 mai 2015 et en ce qu'il a débouté M. [G] [I] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudices matériels et moraux,
Infirmant le jugement pour le surplus et statuant à nouveau,
- Condamne la S.A.R.L. INDIAN FAST FOOD à payer à M. [G] [I] les sommes de :
* 2 000,00 euros brut au titre du solde de salaire dû,
* 12 784,80 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
* 2 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 2 130,80 euros brut au titre de l'indemnité de préavis,
* 280,00 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante,
Y ajoutant,
- Dit n'y avoir lieu en cause d'appel à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Dit que la S.A.R.L. INDIAN FAST FOOD doit supporter les dépens de première instance et d'appel.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
F. PARADIS-DEISS J.L. THOMAS