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23/05/2019 | FRANCE | N°17/19416

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-4, 23 mai 2019, 17/19416


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE


Chambre 4-4





ARRÊT AU FOND


DU 23 MAI 2019





N° 2019/


JLT/FP-D

















Rôle N° RG 17/19416 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BBMMF











X... S...








C/





P... N...











Copie exécutoire délivrée


le :23 MAI 2019


à :


Me Caroline MACHAUX, avocat au barreau de N

ICE





Me Carole PENARD, avocat au barreau de NICE




















Décision déférée à la Cour :





Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de NICE en date du 14 Septembre 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 16/00234.








APPELANTE





Madame X... S..., demeurant [...] /...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-4

ARRÊT AU FOND

DU 23 MAI 2019

N° 2019/

JLT/FP-D

Rôle N° RG 17/19416 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BBMMF

X... S...

C/

P... N...

Copie exécutoire délivrée

le :23 MAI 2019

à :

Me Caroline MACHAUX, avocat au barreau de NICE

Me Carole PENARD, avocat au barreau de NICE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de NICE en date du 14 Septembre 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 16/00234.

APPELANTE

Madame X... S..., demeurant [...] / FRANCE

représentée par Me Caroline MACHAUX de la SCP DELPLANCKE-POZZO DI BORGO-ROMETTI & ASSOCIES, avocat au barreau de NICE substituée par Me Marie I..., avocat au barreau de NICE

INTIMEE

Madame P... N..., demeurant [...]

représentée par Me Carole PENARD, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 11 Mars 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président

Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller

Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Caroline LOGIEST.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2019.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2019,

Signé par Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président et Madame Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Mme X... S... a été embauchée par Mme P... N..., notaire, en qualité de notaire assistante, par un contrat de travail à durée indéterminée du 21 juillet 2008.

Elle a été nommée notaire salariée par arrêté du Garde des Sceaux du 24 octobre 2012 et elle a prêté serment le 21 novembre 2012.

Elle a été licenciée pour faute grave le 3 octobre 2015, suite à l'avis favorable rendu le 15 septembre 2015 par la commission consultative en matière de licenciement des salariés des notaires de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Saisi par la salariée le 15 février 2016, le Conseil de Prud'hommes de Nice, par jugement du 14 septembre 2017, a :

- rejeté l'exception d'incompétence,

- dit la procédure de licenciement entachée d'une irrégularité de forme mais fondé,

- débouté Mme S... de ses demandes à l'exception de celle portant sur l'irrégularité de forme,

- condamné Mme N... à payer à Mme S... la somme de 1,00 euros à titre de dommages-intérêts,

- condamné Mme S... à payer à Mme N... la somme de 5 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme S... a relevé appel le 26 octobre 2017 de ce jugement notifié le 30 septembre 2017.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions déposées le 1er mars 2019 auxquelles il convient de se référer pour de plus amples développements, Mme S..., concluant à la réformation partielle du jugement, sollicitede dire et juger nul le licenciement et de condamner Mme N... à lui payer les sommes de :

- 6 000,00 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier,

- 60 000,00 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 18 132,42 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 813,24 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,

- 8 713,65 euros nets à titre d'indemnité de licenciement,

- 58 023,74 euros nets à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur,

- 25 957,92 euros bruts à titre de rappel de salaires sur mise à pied conservatoire,

- 2 595,79 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés sur rappel de salaire,

- 5 000,00 euros nets sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle demande la remise des documents de fin de contrat et bulletins de salaire rectifiés sous astreinte et les intérêts au taux légal.

Par conclusions déposées le 21 février 2019 auxquelles il convient de se référer pour de plus amples développements, Mme N..., concluant à la confirmation du jugement, sollicite de débouter Mme S... de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 5 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi que celle de 7 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 mars 2019.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure et des prétentions et moyens antérieurs des parties, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux conclusions déposées.

DISCUSSION

Sur la commission de discipline

Mme S... soutient que les membres de la commission de discipline instituée par le décret n°93-82 du 15 janvier 1993 ont été nommés par arrêté du garde des sceaux du 9 janvier 2006 pour 4 ans, qu'aucune nouvelle nomination n'a eu lieu à l'échéance, et que les membres de la commission ayant donné leur avis dans la présente procédure n'ont pas été nommés par le garde des sceaux mais par les chefs de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Elle estime qu'il s'agit là d'une irrégularité de fond et qu'en conséquence, le licenciement se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse pour ce seul motif.

Toutefois, par des motifs pertinents que la cour adopte, le premier juge a exactement retenu qu'aucune irrégularité ne pouvait être invoquée à ce titre.

L'article 19 du décret n°93-82 du 15 janvier 1993 dispose en effet :

'Tout licenciement envisagé par le titulaire de l'office d'un notaire salarié est soumis à l'avis d'une commission instituée par le garde des sceaux, ministre de la justice, dans le ressort d'une ou de plusieurs cours d'appel et composée comme suit :

1° Un magistrat, président, désigné conjointement par le premier président de la cour d'appel du lieu du siège de la commission et le procureur général près la même cour ;

2° Deux notaires titulaires d'office ou associés, désignés sur proposition du conseil régional ou des conseils régionaux des notaires conjointement par le premier président et le procureur général mentionnés ci-dessus ;

3° Deux notaires salariés exerçant dans le ressort de la cour, désignés dans les mêmes conditions sur proposition des organisations syndicales de salariés du notariat, ayant parmi leurs membres des notaires salariés, les plus représentatives, ou, à défaut de proposition, du conseil régional ou des conseils régionaux des notaires.

Les membres de la commission sont nommés pour quatre ans'.

Il résulte expressément de ces dispositions que, si la commission elle-même est instituée par un arrêté du garde des sceaux, les membres de celle-ci sont désignés conjointement 'par le premier président de la cour d'appel du lieu du siège de la commission et le procureur général près la même cour'.

En l'espèce, il est constant que les membres de la commission ayant siégé le 15 septembre 2015 dans le cadre de la procédure de licenciement visant Mme S..., ont été désignés par la première présidente de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et le procureur général de cette même cour selon décision du 31 juillet 2015.

La commission était régulièrement composée lorsqu'elle a siégé.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les prétentions de Mme S... sur ce point.

Sur le licenciement

En droit, la faute grave se définit comme étant celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations qui résultent du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d'appréciation ou l'insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire.

Il incombe à l'employeur d'apporter la preuve de la faute grave qu'il invoque, l'absence de preuve d'une faute ayant pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, aux termes de la lettre du 3 octobre 2015 qui fixe les limites du litige, le licenciement est ainsi motivé :

'(...) Vous avez manqué gravement et sciemment aux règles fondamentales qui régissent notre profession et plus particulièrement au devoir de conseil, directement lié à la rédaction des actes et à l'impartialité dont le notaire est tenu en toutes circonstances.

Il en a été ainsi à l'occasion du dossier 'U... / SlB- BP INVEST', dossier entièrement constitué par vos soins et suivi par vous.

Dans le cadre de la procédure actuellement pendante devant le TGI de PARIS, pour

laquelle je suis contrainte de me défendre et d'assumer vos manquements vis-a-vis des tiers en ma qualité d'employeur, j'ai pu ainsi découvrir avec consternation, à la suite de la communication des écritures par les conseils de M. U..., et qui m'ont été transmises par Maître Q... le 8 Avril 2015 que faisant fi de nos règles déontologiques :

- Vous avez failli à votre devoir de conseil en n'adressant à aucun moment dans la gestion du dossier le moindre courrier au vendeur, ni aucun mail, ni même le projet d'avant-contrat et ce, afin d'éviter que les proches ne découvrent le montage organisé avec votre connivence par M. F..., marchand de biens, avec qui, il est à présent avéré, que vous entretenez des relations capitalistiques et intimes.

- A la suite de la signature de l'acte de vente, vous n'avez pas davantage adressé un avis de signature ou une attestation de vente, ce qui a obligé le vendeur à saisir un avocat pour obtenir réponse à ses demandes de copies d'acte.

- Et ce, contrairement aux déclarations faites à Maître Q..., avocat en charge de la défense des intérêts de l'étude et de nos intérêts dans le dossier U..., en ma présence lors de l'entretien que nous avons eu ensemble le 15 Avril 2015.

Vos contradictions lors de cette réunion m'ont sérieusement interpellée et m'ontconduit à faire diligenter un constat d'huissier sur les documents que vous aviez rédigés dans le cadre de ce dossier.

De par les règles fondamentales qui régissent notre profession, le notaire est le 'conseil désintéressé' des parties et doit 'leur faire connaître toutes l'étendue desobligations qu'elles contractent'.

Votre obligation était d'autant plus étendue en la matière que le vendeur était unvieux monsieur de 90 ans, et l'acquéreur un marchand de biens très proche de vous.

Circonstance aggravante, vous reconnaissez dans une lettre adressée à la chambredes notaires, le 22 Avril 2014, avoir vous-même mis en relation Monsieur U...avec M. F....

Nos instances professionnelles ne s'y sont pas trompées en vous convoquantimmédiatement à la chambre des Notaires, pour d'une part, vous rappeler les règles

déontologiques auxquelles nous sommes tenues, et d'autre part, compte tenu de la gravité de la situation, vous informer de la possibilité de faire l'objet d'ici peu de sanctions disciplinaires.

Vos obligations sont également rappelées par l'article 24 de la convention collective

du notariat, lequel rappelle 'le notariat étant une profession soumise à des règlesarrêtées par les pouvoirs publics et fixées par des règlements professionnels, le personnel est tenu de se conformer à ces règles en matière déontologique et disciplinaire'.

La gravité de vos manquements est telle que :

- Dès le 19 Mai 2015, un juge d'instruction venu de Paris, se présentait à l'étude pour vous entendre et procéder avec l'aide d'officiers de la police judiciaire à une perquisition de mes locaux avec saisie de tout ou partie de vos dossiers.

- Qu'à l'examen du dossier U..., le Conseil Supérieur du Notariat a diligenté, en mon étude, les 30 Juin, 1 et 2 Juillet 2015, une inspection occasionnelle au niveau national portant sur les dossiers traités par vos soins.

Pour ce seul motif, votre licenciement pour faute grave pour manquements à nosrègles déontologiques élémentaires est justifié. Pourtant, il y a plus grave encore :

Vous avez créé de toute pièce un document afin de vous exonérer de toute responsabilité et l'avez en toute connaissance de cause produit à l'occasion d'une procédure contentieuse.

Dans le cadre de la procédure U..., pour vous exonérer de toute responsabilité, vous n'avez pas hésité à fabriquer un document en rédigeant postérieurement à la signature de l'acte authentique, une lettre au vendeur, très explicite sur la portée de ses engagements.

Bien entendu, Monsieur U... ne l'a jamais reçue puisque le courrier a été crééde toute pièce le 16 Décembre 2013 à 14h 20mn28s, bien que portant la date du 7 Juin2012, alors que l'acte a été signé le 19 Juin 2012.

J'en tiens pour preuve le constat d'huissier établi le 16 Avril 2015 sur le poste quiconservait la mémoire de l'ancien logiciel de l'étude.

Vous-même lors de l'audition de la commission consultative, avez conforté cettepreuve, en produisant votre propre agenda démontrant ainsi que vous étiez bien présente à l'étude le 16 Décembre 2013 et que vous n'aviez aucun rendez-vous.

Ces faits stupéfiants, d'une exceptionnelle gravité, vous rendent pénalementresponsable tant au niveau de la procédure en cours pour escroquerie (et/ou) abus de faiblesse que vis-a-vis de la profession.

Vous n'avez ensuite pas hésité à adresser votre fausse lettre du 7 Juin 2012 à lachambre des notaires en vue de sa transmission à Maître Q..., à notrecompagnie d'assurances afin qu'ils l'utilisent comme pièce de procédure pour vousexonérer de toute responsabilité.

Cette pièce a heureusement pu être retirée a ma demande, Maître Q...n'ayant pas encore déposé ses conclusions.

Je n'ose imaginer les conséquences de votre acte sur l'étude et sur moi-même si jene m'étais pas aperçue à temps de cette manoeuvre indigne d'un notaire, dont vousne pouviez ignorer les effets.

Ce manquement professionnel d'une gravité rare a d'ailleurs conduit la commission

consultative à se prononcer en faveur de votre licenciement.

J'ai pu également constater que faisant fi de l'obligation de loyauté, inhérente atoute relation salariée un peu plus tard, vous avez procédé à un détournement declientèle au profit de l'étude Maître L..., notaire à NICE, qui dans plusieursmails, avouait ne jamais avoir vu les clients.

Enfin, j'ai pu également noter que vous avez procédé également à des détournements de mails au profit de votre boîte personnelle extérieure a l'étude, que bien entendu j'ai fait immédiatement bloquer dès que j'en ai eu connaissance.

Alors que vous étiez notaire depuis plus d'un an, et bénéficiez de toute liberté dansla gestion des dossiers dont vous aviez la charge, vous avez failli gravement à tousvos devoirs de notaire, violé le serment de probité et loyauté que vous avez fait lorsde votre nomination, trahi de la manière la plus cynique la confiance que je voustémoignais et porté atteinte a l'honorabilité de l'Etude et de son titulaire.

Des lors, la poursuite de notre relation contractuelle s'avère impossible, y comprisdurant le préavis (...)'.

Il ressort de cette lettre que 3 griefs sont invoqués à l'encontre de la salariée :

- manquements aux règles déontologiques à l'occasion du dossier U...,

- création d'un faux document,

- détournement de clientèle au profit de Me L... et à des détournements de mails sur sa boîte personnelle.

Mme S... n'est pas fondée à invoquer la décision de non-lieu intervenue à son profit dans la procédure pénale. Seules les décisions de juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique et devenues irrévocables sont revêtues de l'autorité de la chose jugée. Les décisions de non-lieu, révisables et provisoires, ne bénéficient pas d'une telle autorité et ne font pas obstacle à ce que la juridiction civile connaisse des mêmes faits.

- Sur le premier grief

S'agissant des liens unissant Mme S... à M. F..., marchand de biens qui a procédé à l'acquisition du bien immobilier de M. U..., la salariée justifie, par deux attestations, que Mme N... connaissait l'existence de ces liens avant les opérations de vente. Me R..., avocat au barreau de Nice, atteste, en effet, que, le 6 février 2015, une réunion a eu lieu à laquelle assistaient M. F..., Mme N... et Mme S... au cours de laquelle ont été évoquées l'assignation et les conclusions de M. U... en précisant que le contenu de ces dernières a été clairement exposé et discuté en présence de Mme N.... Or, ces conclusions mettent clairement en avant les liens capitalistiques existant entre Mme S... et M. F..., l'avocat accompagnant ses développements d'un schéma explicatif résumant les relations entre eux.

Par ailleurs, M. D..., compagnon d'un clerc de l'étude, atteste que Mme N... ne pouvait ignorer que M. F... était le compagnon de Mme S... pour en avoir parlé. Il explique qu'ils évoquaient leur vie privée et que M. F... et Mme S... avaient fait part, en présence de Mme N... de leur projet de fonder une famille lors du pot de Noël 2013. M. T..., urbaniste, confirme que, lors des pots étaient présents les compagnons des collaboratrices de Mme N..., notamment, M.F..., compagnon de Mme S....

Mme N... conteste avoir eu connaissance de ces liens avant le mois d'avril 2015 mais elle reconnaît que M. F... a été présent à l'étude en qualité de client peu de temps après l'entrée en fonction de Mme S... et que cette dernière s'est toujours occupée exclusivement des dossiers de la société de celui-ci. Compte tenu que le nom de M.F... et celui de la société apparaissent sur l'acte de vente litigieux, les éléments versés aux débats par la salariée, que rien ne permet de remettre en cause, jettent pour le moins un doute qui met obstacle à ce que l'employeur puisse valablement lui reprocher d'avoir mis en relation M. F... et M. U... et d'avoir reçu l'acte de vente.

Il convient, en effet, de relever qu'à la date de la vente (19 juin 2012), Mme S... n'avait pas encore été nommée notaire salariée et qu'elle n'était encore que clerc habilité, de sorte qu'elle ne pouvait recevoir la signature des parties que 'sous la surveillance et la responsabilité du notaire'(article 10 de la loi du 25 ventôse an XI) et il est, en l'espèce, constant que Mme N... a apposé sa signature en sa qualité de notaire pour officialiser l'acte. Elle ne pouvait donc ignorer l'identité de l'acquéreur lorsqu'elle a apposé sa signature.

La connaissance de l'existence de ces liens depuis plus de deux mois ne peut permettre à Mme S... d'invoquer utilement la prescription de l'article L 1332-4 du code du travail, le grief visé par l'employeur consistant principalement dans le manquement aux règles déontologiques, mais, alors que Mme N... reproche à Mme S... d'avoir abusé de sa confiance, les pièces produites ne permettent pas de vérifier les griefs formulés à son encontre et d'établir que Mme S... aurait cherché à 'favoriser' l'une des parties à l'acte, en l'occurrence M. F....

Alors que Mme S... conteste avoir participé à la négociation concernant la vente et qu'elle souligne, en se prévalant d'une vente intervenue en 2011, que M. U... et M.F... se connaissaient avant celle-ci, Mme N... soutient qu'elle aurait rédigé le compromis de vente ayant été utilisé lors des opérations mais ce compromis ne porte pas trace de l'intervention de Mme S... et la ressemblance, invoquée par l'employeur, entre la trame utilisée pour le compromis et les trames de l'étude ne peut suffire à démontrer l'intervention de Mme S....

Mme N... se fonde sur les opérations qu'elle a sollicitées de M. E..., expert agréé en informatique, le 18 octobre 2016 sur le contenu d'un ordinateur de l'étude et sur les constatations faites à cette occasion par huissier de justice selon procès-verbal du même jour. Cependant, il résulte seulement de ces opérations que l'informaticien a déclaré avoir découvert dans l'ordinateur un document intitulé 'compromis copro' à la date du 30 mai 2012 mais ce document ne figure ni dans le compte rendu de ses opérations ni dans le procès-verbal de constat. En outre, rien ne permet de vérifier que ce document correspondrait à celui utilisé lors des opérations de vente ni que Mme S... en soit l'auteur. Il convient de relever que ces opérations se sont déroulées sur la seule initiative de Mme N... sans que Mme S... ait été appelée à y participer pour formuler ses observations et qu'en l'absence de caractère contradictoire, ces opérations ne présentent aucun caractère probant.

S'agissant du manquement au devoir de conseil reproché à la salariée, MmeN... reproche à la salariée l'absence, préalablement à la vente, de la procuration et de l'avant-projet. Pourtant, l'acte de vente lui-même fait état de la procuration donnée par le vendeur en précisant qu'elle est annexée à l'acte, ce qui tend à démontrer que le document correspondant lui a bien été adressé. En outre, le dossier comporte une lettre à en-tête de l'étude notariale, datée du 7 juin 2012, par laquelle le vendeur a été informé des conditions de la vente (notamment du prix). Cette lettre mentionne également qu'y est jointe la procuration que le vendeur était invité à remplir. L'employeur soutient que la procuration aurait, en réalité, été transmise par M. F... lui-même mais rien ne permet de vérifier cette affirmation.

En l'absence de tout autre élément, rien ne permet de vérifier que Mme S... aurait manqué à son devoir de conseil.

Il est vrai que la lettre du 7 juin 2012 est arguée de faux par l'employeur et qu'elle fait l'objet du deuxième grief.

- Sur le deuxième grief

Pour soutenir que la salariée aurait commis un faux en créant, le 16 décembre 2013, le courrier daté du 7 juin 2012, portant information au vendeur des conditions de la vente, l'employeur se fonde, là encore, sur les opérations effectuées par M. E... le 18 octobre 2016 et le procès-verbal de constat du même jour pourtant dépourvus de valeur probante en l'absence de toute garantie quant à la fiabilité des conclusions émises s'agissant d'opérations effectuées non contradictoirement.

Mme S... fait valoir, à juste titre, que le procès-verbal de constat mentionne, de manière contradictoire, une création à la date du 13 décembre 2013 mais aussi une création à la date du 16 avril 2015.

Au demeurant, il en résulte seulement qu'un document dénommé 'envoiproc.doc' contenant la lettre datée du 7 juin 2012 a été créé le 16 décembre 2013 mais rien ne permet d'en déduire que cette création serait imputable à Mme S... alors que celle-ci le conteste ni que la lettre n'aurait pas effectivement été établie à sa date même si un document informatique identique a été créé le 16 décembre 2013.

La salariée ne conteste pas avoir transmis ce courrier à l'avocat chargé de la défense des intérêts de l'étude dans le cadre de la procédure engagée par M. U... mais elle soutient qu'elle n'a fait que transmettre les pièces du dossier figurant dans le dossier informatique. Elle fait, à juste titre, observer, d'une part, que le document litigieux ne fait que procéder à la transmission du projet d'acte de vente et de la procuration qu'il était demandé au vendeur de signer et, d'autre part, que la procuration a bien été régularisée ainsi qu'en atteste l'acte de vente.

Rien ne permet de vérifier que la lettre litigieuse n'aurait pas été adressée en son temps ni surtout que Mme S... aurait 'créé' ce document le 16 décembre 2013.

Mme S... souligne avoir fait l'objet d'un non-lieu sur ce point dans le cadre de la procédure pénale et elle se prévaut de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 12 avril 2018 qui, sur les poursuites disciplinaires engagées à son encontre, a débouté le Ministère public des demandes de sanctions sollicitées en considérant, notamment, que le rapport d'inspection effectué par le Conseil supérieur du notariat n'avait opéré aucune constatation sur l'existence d'un faux et que le double du courrier d'envoi à M. U... de la procuration à signer n'a jamais pu être retrouvé.

En l'état, les éléments versés aux débats ne permettent pas de vérifier que Mme S... aurait réalisé un faux document.

- Sur le troisième grief

Alors que Me L... atteste que Mme S... 'n'a jamais effectué de détournement de clientèle à (son) profit', Mme N... n'apporte aucun élément de nature à démontrer l'existence d'un tel détournement alors que la salariée conteste ce grief.

Il n'est pas davantage justifié du détournement de mails professionnels, également contesté par Mme S... qui souligne seulement qu'elle avait la possibilité, pendant la relation de travail, de consulter ses e-mails sur son téléphone portable.

Ce grief ne peut être retenu.

- Sur la synthèse

Les griefs formulés à l'encontre de la salariée n'étant pas établis, le licenciement se trouve entaché de nullité, Mme S... justifiant avoir informé l'employeur, par lettre du 4 septembre 2015, de son état de grossesse.

Le jugement doit être infirmé en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes à ce titre.

Mme S..., née [...] , a été licenciée après 7 ans et 2 mois d'ancienneté au service d'une entreprise employant moins de 11 salariés, à l'âge de 38 ans. Elle a été prise en charge par Pôle Emploi et a retrouvé un emploi en qualité de notaire assistant le 13 mars 2018.

Compte tenu de son salaire mensuel brut (6 044,14 euros), il lui sera alloué, en application de l'article L 1235-5 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, la somme de 40 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ainsi que la somme de 8 713,65 euros à titre d'indemnité légale de licenciement correspondant à 1/5eme de mois par année d'ancienneté et celle de 18 132,42 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois), outre l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante (1 813,24 euros brut).

Dans la mesure où la salariée justifie que la date prévue pour l'accouchement était fixée au mois de mars 2016, l'indemnité due au titre du statut protecteur prévu par l'article L 1225-71 du code du travail, sera fixée, en tenant compte de la durée de la période de protection s'achevant au 24 juillet 2016, à la somme de 58 023,74 euros correspondant au salaire qui aurait été perçu pendant la période de protection.

L'employeur devra, en outre, payer à la salariée la somme de 25 957,92 euros brut correspondant au salaire de la période de mise à pied conservatoire avec l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante, cette mise à pied n'étant pas justifiée en l'absence de faute grave.

Sur la demande de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement

Il n'est pas contesté que le 3ème motif de licenciement tenant au détournement de clientèle n'a pas été évoqué à l'occasion de l'entretien préalable, l'employeur n'ayant fait état que des deux premiers.

Néanmoins, la salariée ne justifie pas du préjudice que cette irrégularité aurait pu lui causer et qui justifierait une somme supérieure à celle allouée par le premier juge. Ainsi que le sollicite l'employeur, le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les intérêts

En application des dispositions des articles 1153 ancien du code civil (article 1231-6 nouveau) et R 1452-5 du code du travail, les sommes allouées de nature salariale (rappel de salaires, indemnité de préavis, indemnités compensatrices de congés payés, indemnité de licenciement), porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l'employeur à l'audience de tentative de conciliation valant mise en demeure, soit le 19 février 2016.

Les sommes fixées judiciairement (dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dommages-intérêts pour violation du statut protecteur), produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur la demande de documents

L'employeur doit remettre à la salariée un bulletin de salaire rectificatif, un certificat de travail et une attestation destinée au POLE EMPLOI rectifiés conformément au présent arrêt.

Cette remise devra intervenir dans le délai de quinze jours suivant le présent arrêt, sous peine d'une astreinte de 50,00 euros par jour de retard.

Sur la demande de dommages- intérêts pour procédure abusive

La procédure suivie par Mme S... ne présentant aucun caractère abusif et se révélant au contraire bien fondée, la demande de dommages-intérêts de l'employeur doit être rejetée.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

En application de l'article 700 du code de procédure civile, l'employeur doit payer à la salariée la somme de 3 000,00 euros au titre des frais exposés par celle-ci et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile,

Infirme le jugement,

Statuant à nouveau,

- Dit le licenciement nul,

- Condamne Mme P... N... à payer à Mme X... S... les sommes de :

* 40 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

* 18 132,42 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 1 813,24 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante,

* 8 713,65 euros à titre d'indemnité de licenciement,

* 58 023,74 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur,

* 25 957,92 euros brut à titre de rappel de salaires sur mise à pied conservatoire,

* 2 595,79 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante,

- Déboute Mme X... S... de sa demande de dommages-intérêts pour procédure de licenciement irrégulière,

- Dit que les sommes allouées à titre de rappel de salaire, d'indemnité de préavis, d'indemnités compensatrices de congés payés et d'indemnité de licenciement porteront intérêts au taux légal à compter du 19 février 2016 et que les sommes allouées à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul et d'indemnité pour violation du statut protecteur produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

- Dit que Mme P... N... doit remettre à Mme X... S... un bulletin de salaire rectificatif, un certificat de travail et une attestation destinée au POLE EMPLOI rectifiés conformément au présent arrêt et ce, dans le délai de quinze jours suivant le présent arrêt, sous peine d'une astreinte de 50,00 euros par jour de retard,

- Déboute Mme P... N... de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- Condamne Mme P... N... à payer à Mme X... S... la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit que Mme P... N... doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

F. PARADIS-DEISS J.L. THOMAS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-4
Numéro d'arrêt : 17/19416
Date de la décision : 23/05/2019

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 17, arrêt n°17/19416 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-05-23;17.19416 ?
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