La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/05/2019 | FRANCE | N°16/19809

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 3-1, 02 mai 2019, 16/19809


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1



ARRÊT AU FOND

DU 02 MAI 2019



N° 2019/164













Rôle N° RG 16/19809 - N° Portalis DBVB-V-B7A-7P35







Société PORT PIN ROLLAND





C/



[E] [C]

[H] [P]

[T] [B] [V]

GIE NAVIMUT GESTION SINISTRE PLAISANCE PLAISANCE

SA GAN ASSURANCES







Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me ALIAS



Me DESOMBRE>


Me COLOMBANI-BATAILLARD



Me PETRO



Me BAYARD













Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de TARASCON en date du 04 Juin 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 12/00432.





APPELANTE





S.A.S. PORT PIN ROLLAND

imm...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT AU FOND

DU 02 MAI 2019

N° 2019/164

Rôle N° RG 16/19809 - N° Portalis DBVB-V-B7A-7P35

Société PORT PIN ROLLAND

C/

[E] [C]

[H] [P]

[T] [B] [V]

GIE NAVIMUT GESTION SINISTRE PLAISANCE PLAISANCE

SA GAN ASSURANCES

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me ALIAS

Me DESOMBRE

Me COLOMBANI-BATAILLARD

Me PETRO

Me BAYARD

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de TARASCON en date du 04 Juin 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 12/00432.

APPELANTE

S.A.S. PORT PIN ROLLAND

immatriculée au RCS de Toulon sous le n° B 301 393 740,

dont le siège est [Adresse 5]

représentée par Me Pascal ALIAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée et plaidant par Me Marc BERNIE, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Monsieur [E] [C]

demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Martine DESOMBRE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assisté et plaidant par Me Virginie BERTRAN, avocat au barreau de MONTPELLIER

Monsieur [H] [P]

demeurant [Adresse 6]

représenté et plaidant par Me Tina COLOMBANI-BATAILLARD, avocat au barreau de NICE

Monsieur [T] [B] [V]

demeurant [Adresse 1]

représenté et plaidant par Me Violaine PETRO, avocat au barreau de TOULON

GIE NAVIMUT GESTION SINISTRE PLAISANCE,

dont le siège est [Adresse 2]

représentée par Me Martine DESOMBRE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

assistée et plaidant par Me Virginie BERTRAN, avocat au barreau de MONTPELLIER

SA GAN ASSURANCES,

dont le siège est [Adresse 4]

représentée par Me Sophie BAYARD, avocat au barreau de TARASCON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 14 Mars 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, monsieur CALLOCH, président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Pierre CALLOCH, Président

Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller

Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Viviane BALLESTER.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Mai 2019.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 02 Mai 2019,

Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et Monsieur Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte en date du 18 mai 2001, monsieur [V] a vendu à monsieur [P] un voilier nommé ESSENTIEL, de type First 456 construit par les chantiers [N]. Ce navire était équipé d'un mat fourni par la société LONGITUDE 7 et installé par la société PORT PIN ROLLAND le 8 septembre 1998 suite à une avarie.

Suivant acte en date du 2 octobre 2005, monsieur [E] a acquis ce voilier de monsieur [P] pour la somme de 90 000 €.

Le 23 novembre 2008, le navire a subi en cours de navigation une avarie du mat et a dû être immobilisé.

Monsieur [E] a fait assigner monsieur [P] et la société PORT PIN ROLLAND devant le juge des référés du tribunal de grande instance de TARASCON par actes en date des 13 et 19 juillet 2010. Par ordonnance en date du 16 septembre 2010, ce juge des référés a désigné monsieur [X] en qualité d'expert. Monsieur [J], nommé en lieu et place de monsieur [X], a déposé son rapport le 13 décembre 2011.

Par acte en date des 28 et 29 février 2012, monsieur [E] a fait assigner la société PORT PIN ROLLAND et monsieur [P] devant le tribunal de grande instance de TARASCON afin d'obtenir leur condamnation in solidum au paiement des frais de réparation et de remplacement du mat, outre les frais de stationnement et la réparation du préjudice de jouissance.

Par acte en date du 13 mai 2013, monsieur [P] a fait assigner monsieur [V], de qui il avait acquis le navire, en garantie de toute condamnation. Par acte en date du 27 mai 2013, la société PORT PIN ROLLAND a fait assigner en garantie la compagnie GAN ASSURANCES en qualité d'assureur de la société LONGITUDE 7. Le 17 décembre 2013, le GIE NAVIMUT GESTION SINISTRE PLAISANCE est intervenu volontairement à la cause en sa qualité de subrogé dans une partie des droits de monsieur [E]. Ces procédures ont été jointes à la procédure principale.

Suivant jugement en date du 4 juin 2015, le tribunal a prononcé la mise hors de cause de messieurs [P] et [V] et de la compagnie GAN ASSURANCES et a condamné la société PORT PIN ROLLAND à verser à monsieur [E] les sommes de 30 644 € 17 en réparation du préjudice matériel, 100 000 € en réparation de son préjudice immatériel et 2 000 € en réparation de son préjudice moral et à verser à monsieur [V] une somme de 2 000 € en réparation de son préjudice moral, outre 700 € alloués à messieurs [E], [V] et [P] ainsi qu'à la compagnie GAN ASSURANCES.

La société PORT PIN ROLLAND a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 23 juin 2015.

Le conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction par ordonnance en date du 11 février 2019 et a renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 14 mars 2019.

A l'appui de son appel, par conclusions déposées au greffe le 17 août 2017, la société PORT PIN ROLLAND soulève la prescription de l'action en rappelant que le mat a été dressé par elle le 8 septembre 1988 et en invoquant la prescription annale instituée par l'article 9 de la loi du 3 janvier 1967 créant l'article L 5113-5 du code des transports, la prescription décennale de droit commun et de l'article L 110-4 du Code de commerce, prescription ramenées à cinq ans par la loi du 17 juin 2008. Elle précise que monsieur [E] connaissait l'existence du vice affectant selon lui le mat dès le 23 novembre 2008.

Subsidiairement, elle affirme avoir commandé à la société LONGITUDE 7 un mat de type F740 identique au mat originel et soutient qu'en conséquence cette société, et donc son assureur la compagnie GAN, doivent supporter la non conformité du produit vendu. Selon elle, la compagnie GAN aurait reconnu l'existence de deux contrats d'assurances et ne parviendrait pas à démontrer que sa garantie n'était plus due au moment de la réalisation du dommage. Cet assureur ne serait pas fondé à invoquer à l'encontre de la victime l'absence de déclaration de sinistre par son assuré. Plus subsidiairement, la société PORT PIN ROLLAND affirme ne pouvoir être tenue qu'au remboursement du mat et conteste les préjudices tant matériels qu'immatériels invoqués par monsieur [E]. Au terme de ces conclusions, la société PORT PIN ROLLAND demande à la cour d'infirmer la décision entreprise et de :

- CONSTATER que toute action à l'encontre de PORT PIN ROLLAND est prescrite ;

- REJETER toute demande dirigée à l'encontre de la société PORT PIN ROLLAND ;

- ORDONNER la restitution de toute somme versée par PORT PIN ROLLAND au titre de l'exécution provisoire ;

- CONDAMNER tout succombant à payer à la société PORT PIN ROLLAND la somme de 9000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER tout succombant aux entiers dépens de l'instance à distraire au profit de Maître Corine SIMONI sur son affirmation de droit ;

A TITRE SUBSIDIAIRE

Vue la police d'assurance souscrite auprès du GAN par LONGITUDE 7 ;

Vue la dissimulation commise par LONGITUDE 7 et la déloyauté du GAN qui refuse la demande légitime de communication de ses polices d'assurances de responsabilité civile ;

Vu article R. 124-1 du Code des assurances ;

Vu le rapport d'expertise judiciaire [J] ;

- DIRE recevable et bien fondée la société PORT PIN ROLLAND en son appel en

garantie à l'encontre du GAN

- CONDAMNER le GAN à relever et garantir PORT PIN ROLLAND de toute condamnation qui pourrait être mise à sa charge

Vu l'article 1646 du code civil ;

- DIRE que les condamnations ne sauraient excéder la somme de 31.933,50 €

Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile ;

- condamner le GAN à payer la somme de 9.000 € à PORT PIN ROLLAND

outre les plus entiers dépens de l'instance ;

PLUS SUBSIDIAIREMENT ENCORE

Vu l'absence de justification de l'estimation de la perte de jouissance par l'expert [J]

Vu le caractère partiel de la perte de jouissance partielle

- RAMENER le montant des condamnations à de plus justes proportions

EN TOUT ETAT DE CAUSE

Vu l'absence de préjudice supporté par Messieurs [V] et [P] ;

- REJETER les demandes indemnitaires de Messieurs [V] et [P]

La société PORT PIN ROLLAND a déposé de nouvelles conclusions le 25 février 2019, sollicitant la révocation de l'ordonnance de clôture afin de pouvoir répliquer aux conclusions adverses.

Monsieur [E] et le GIE GESTION SINISTRE PLAISANCE, par conclusions déposées au greffe le 27 janvier 2017, soutiennent qu'en sa qualité de vendeur, monsieur [P] était tenu de le garantir des vices cachés affectant le mat du voilier, vices mis en évidence par le rapport d'expertise déposé par monsieur [U], et ce quelle que soit sa bonne foi au moment de la vente. Ils chiffrent le préjudice subi sur la base du rapport d'expertise, en rappelant que le vice affectant le mat, d'une longueur inférieure d'un mètre par rapport au mat originel, nécessite le remplacement des voiles. Ils invoquent par ailleurs différentes fautes contractuelles imputables à la société PORT PIN ROLLAND, celle ci ayant montant un mat inadapté au navire et ayant fait croire au propriétaire qu'il s'agissait d'un mat semblable au mat originel. Ils précisent que si la faute du fournisseur, la société LONGITUDE 7 est indiscutable, elle n'exonère pas la société PORT PIN ROLLAND de sa propre responsabilité. Ils concluent au rejet de la fin de non recevoir tirée de la prescription au motif que le vice, à savoir le remplacement du mat par un modèle non conforme, a été découvert en cours d'expertise. En sa qualité de professionnel, la société PORT PIN ROLLAND devrait être condamnée à rembourser les frais de réparation, mais aussi le préjudice de jouissance subi. Au terme de leurs conclusions, monsieur [E] et le GIE GESTION SINISTRE PLAISANCE demandent à la cour de :

DIRE et juger que M. [P] est garant des vices caches du mât du navire ESSENTIEL,

DIRE et juger que PORT PIN ROLLAND a commis une faute en sa qualité d'installateur du mat

CONDAMNER in solidum M. [P] et la société PORT PIN ROLLAND a verser à M. [E], au titre de son préjudice matériel, les sommes de :

- 22.980,53 € au titre du mat, collerette SPARCRAFT RUSSO et main d'oeuvre RUSSO,

- 6.532,27 € au titre du remplacement du gréement,

- 6.966,46 € au titre du matage, du réglage et des essais,

- l4.526,49 € au titre des frais de stationnement exposés à PORT ST [B] DU RHÔNE, outre les factures de stationnement du voilier pour les années 20lI le 20I2, soit un total de 2l.756,49 €, somme à laquelle il convient d'ajouter les frais de stationnement pour les années 20I3 et

20l4, soit 8.322 € le montant total des frais de stationnement est donc de 30.078,49 €,

- 25.656 € au titre de la mise en conformité des deux voiles et étais enrouleurs avec le mal F740, conforme, 3 étages, 2 barres de flèche, et ce avec intérêts de droit

CONDAMNER la société le PORT PIN ROLLAND a verser à M. [E] une somme de 233.750 € au titre des perles de jouissance de 2009 a septembre 2014, soit un total 268.812,50 €, avec intérêts au Taux légal à compter de l'assignation la capitalisation des intérêts

CONDAMNER in solidum la SAS PORT PIN ROLLAND le M. [P] a régler au GIE NAVIMUT GESTION SINISTRE PLAISANCE, subrogé dans les droits de M. [E], la somme de 5.83l,40 € au titre des dommages matériels, celle de 5.2l 5,76 € au titre des frais d'expertise, outre les honoraires de M. [U] à hauteur de 2.754 €, soit la somme totale de I3 80l , 16 €

CONDAMNER in solidum M. [P] le PORT PIN ROLLAND a verser à M. [E] une somme de I0.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

LES CONDAMNER sous la même solidarité aux dépens lesquels comprendront les frais d'expertise de M. [J].

Monsieur [E] a déposé de nouvelles conclusions au greffe le 11 février 2019, puis le 21 février 2019 en sollicitant la révocation de l'ordonnance de clôture.

Monsieur [P], par conclusions déposées le 8 février 2019, conclut à la confirmation du jugement l'ayant déclaré hors la cause, indiquant avoir totalement ignoré la non conformité du mat installé en 1998, ainsi que l'aurait constaté l'expert judiciaire. Il rappelle notamment ne pas être un professionnel en la matière et avoir lui-même fait expertiser le navire avant sa vente. A titre subsidiaire, il demande à être garanti par son propre vendeur, monsieur [V] et en toute hypothèse par la société PORT PIN ROLLAND dont la responsabilité serait établie par le rapport d'expertise. Il soutient que le tribunal a minoré le préjudice moral subi du fait de la faute de la société PORT PIN ROLLAND et conclut sur ce point à l'infirmation de la décision lui ayant alloué de ce chef une somme de 2 000 €. Il demande à la cour de condamner la société PORT PIN ROLLAND à lui verser en réparation de ce préjudice la somme de 5 000 €, outre 5 000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et celle de 6 000 € au titre des frais d'appel.

Monsieur [P] a déposé de nouvelles conclusions le 9 mars 2019 demandant la révocation de l'ordonnance de clôture afin de pouvoir répliquer aux conclusions adverses.

Monsieur [V], par conclusions déposées au greffe le 10 février 2019, demande à la cour de confirmer le jugement l'ayant déclaré hors la cause, en invoquant d'une part la prescription de l'action, celle ci ayant été engagée à son encontre plus de deux ans après le dépôt du rapport d'expertise, et d'autre part la clause par laquelle monsieur [P] déclarait au moment de la vente connaître l'état du navire après avoir été informé du remplacement du mat. Il rappelle en outre que selon l'expert, le vice ne pouvait être décelé par un non professionnel. A titre subsidiaire, il invoque la responsabilité de la société PORT PIN ROLLAND, qui serait établie par le rapport d'expertise judiciaire. Il conclut en conséquence au principal à la confirmation de la décision, subsidiairement à la prescription de l'action et à titre subsidiaire à la garantie de la société PORT PIN ROLLAND, les parties succombantes étant en toute hypothèse condamnée à lui verser une somme de 3 000 € en réparation du préjudice subi du fait de la procédure, outre

6 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [V] a déposé le 1er mars 2019 un second jeu de conclusions, demandant lui aussi la révocation de l'ordonnance de clôture.

La compagnie GAN ASSURANCES, par conclusions déposées le 27 janvier 2016, soutient que la société PORT PIN ROLLAND ne démontre nullement qu'elle était l'assureur de la société LONGITUDE 7, fournisseur du mat, au moment de la vente du dit mat et au moment de la réalisation du sinistre. Elle demande en conséquence à la cour de la déclarer hors la cause et de condamner la société PORT PIN ROLLAND à lui verser une somme de 800 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes de révocation de l'ordonnance de clôture

L'article 783 du code de procédure civile dispose qu'après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité d'office.

En l'espèce, l'ordonnance de clôture a été prononcée par le conseiller de la mise en état le 11 février 2019 à 8 heures 05 ; les conclusions déposées par monsieur [E] le 11 février 2019 par voie électronique à 10 heures 10 doivent être considérées comme déposées postérieurement à l'ordonnance de clôture ; il en est bien évidemment de même pour les conclusions déposées par la société PORT PIN ROLLAND le 25 février 2019, par monsieur [P] le 9 mars 2019, par monsieur [V] le 1er mars 2019 et par monsieur [E], à nouveau, le 21 février 2019.

L'article 784 du code de procédure civile dispose certes que l'ordonnance de clôture peut être révoquée ; cette faculté, offerte au conseiller de la mise en état ou à la cour, nécessite cependant de constater l'existence d'une cause grave survenue depuis que l'ordonnance a été rendue ; dans le présent litige, il est exact que l'une des parties a conclu très tardivement, soit le 10 février 2019, veille de l'ordonnance de clôture, et a soulevé dans ces écritures extrêmement tardives une fin de non recevoir tirée de la prescription ; ces écritures tardives, rappel étant fait que les premières conclusions de l'appelant sont datées du 27 janvier 2017, ne constituent cependant pas une violation du principe du contradictoire, et donc une cause grave de révocation, dès lors que la question de la prescription de l'action avait été soulevée par l'appelante, et que les intimés avaient eu tout loisir de conclure à la fois sur la nature des prescriptions applicables, et sur le point de départ de celles ci ; le seul dépôt de ces conclusions ne peut dès lors justifier la révocation de l'ordonnance de clôture et l'admission de conclusions postérieures à l'ordonnance de clôture dont la date avait été annoncée à l'ensemble des parties par avis de fixation adressé le 19 novembre 2018 ; il convient dès lors, conformément aux dispositions des articles 783 et 784 du code de procédure civile de rejeter les demandes de révocation de l'ordonnance et d'écarter l'ensemble des écritures et pièces postérieures à cette décision.

Sur les fins de non recevoir tirées de la prescription

Monsieur [E] fonde son action dirigée contre la société PORT PIN ROLLAND sur le fondement de la responsabilité délictuelle ; cette action, conformément aux dispositions des articles 2224 du code civil et L 110-4 du Code de commerce issues de la loi du 17 juin 2008 applicable au jour où l'action a été introduite, se prescrit par cinq ans, le point de départ courant à compter de la réalisation du dommage ou à la date à laquelle ce dommage s'est révélé à la victime si celle ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

L'article. L. 5113-5 du code des transports édicte qu'en cas de vice caché, l'action en garantie contre le constructeur se prescrit par un an à compter de la date de la découverte du vice caché ; cette courte prescription invoquée par la société PORT PIN ROLLAND ne s'applique cependant qu'à la responsabilité du constructeur dans le cadre d'un contrat de construction, ou conformément aux dispositions de l'article L 5113-6 dans le cadre d'un contrat de réparation, et non dans le cas d'une responsabilité délictuelle invoquée par un tiers au contrat ; la société PORT PIN ROLLAND n'est dès lors pas fondée à invoquer cette prescription à l'encontre de monsieur [E], tiers au contrat de réparation conclu entre PORT PIN ROLLAND et monsieur [V] et la recevabilité de l'action doit être jugée en fonction des règles de la prescription délictuelle rappelées au paragraphe précédent.

Monsieur [E] n'a eu connaissance du vice affectant les réparations effectuées par la société PORT PIN ROLLAND non pas au moment de l'avarie, soit le 23 novembre 2008, mais au moment où l'expert a déposé son rapport mettant en évidence les causes de cette avarie, soit le 13 décembre 2011 ; l'action introduite par lui à l'encontre de cette société le 28 février 2012 ne peut dès lors être considérée comme prescrite.

L'action dirigée contre monsieur [P] par monsieur [E] est, elle, fondée sur les dispositions des articles 1641 et suivant du code civil ; elle devait être formée en conséquence dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice en application de l'article 1648 ; là encore, la date d'apparition du vice affectant le mat doit être fixée au jour du dépôt du rapport d'expertise, soit le 13 décembre 2011 ; l'action introduite le 28 février 2012 a bien été introduite dans le délai de deux ans suivant cette date, et la fin de non recevoir tirée de la prescription sera écartée.

A l'égard de monsieur [V], non seulement l'action en garantie dirigée par monsieur [P] a été introduite dans le délai de deux ans de l'apparition du vice, puisque introduite le 13 mai 2013, mais encore dans le délai de deux ans à compter du jour où monsieur [P] lui-même a été informé de l'existence de ce vice, soit le jour où il a été assigné par monsieur [E] ; l'action introduite à son encontre ne peut en conséquence être considérée comme prescrite.

Sur le fond

a) sur la responsabilité délictuelle de la société PORT PIN ROLLAND

Monsieur [E] est un tiers au contrat de réparation conclu entre monsieur [V] et la société PORT PIN ROLLAND ; cette société PORT PIN ROLLAND n'est ni le fabriquant du mat, ni le vendeur du navire et à ce titre elle ne peut soutenir qu'en application de la théorie de la chaîne des contrats et du non cumul des responsabilités, monsieur [E] ne pourrait invoquer à son encontre les règles de la responsabilité délictuelle ; monsieur [E] est en conséquence fondé en son principe à invoquer les dispositions de l'ancien article 1382 du Code civil, applicables à la cause, à l'encontre d'une société ayant, selon lui, par son fait occasionné un dommage au bien dont il est désormais propriétaire.

Le rapport d'expertise de monsieur [J], établi au contradictoire notamment de la société PORT PIN ROLLAND, permet de constater que la société PORT PIN ROLLAND, chargée par monsieur [V] de remplacer le mat originel du navire ESSENTIEL, a en réalité dressé sur ce navire un mat d'un modèle différent, non agréé par le constructeur du navire, de taille inférieure de près d'un mètre et doté d'une géométrie, deux étages de barres de flèche au lieu de trois, affaiblissant sa résistance ; cette non conformité du mat de remplacement est directement à l'origine du sinistre intervenu le 23 novembre 2008, créant un effet de flambage conduisant au démâtage (pages 27 et 31 du rapport d'expertise) ; il ne peut être contesté qu'en sa qualité de réparateur maritime professionnel, la société PORT PIN ROLLAND avait l'obligation de vérifier que le mat qui lui était fourni par la société LONGITUDE 7 était non seulement similaire au mat originel, mais aussi et surtout était compatible avec le navire ; c'est à bon droit que les premiers juges ont constaté que la société PORT PIN ROLLAND avait manqué à cette obligation, et avait de ce fait commis une faute ayant entraîné le démâtage du navire ; il convient en conséquence de confirmer la décision ayant condamné la société PORT PIN ROLLAND à réparer les conséquences de ce sinistre.

b) Sur la garantie due au titre des vices cachés

L'article 1643 du Code de commerce édicte que le vendeur est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.

Monsieur [V] et monsieur [P] sont des vendeurs non professionnels ; il ne peut être contesté qu'ils ignoraient le vice affectant le mat équipant le navire dès lors que le bateau a été expertisé le 20 avril 2001 et le 25 avril 2007 et que les deux expertises effectuées par des experts maritimes, versées aux débats, ont toutes deux conclues à un bon état de la mature, ce qui démontre à l'évidence le caractère caché du vice affectant le mat ; il sera observé en outre que lors de la vente entre monsieur [V] et monsieur [P], la première avarie n'a pas été dissimulée par le vendeur, dont la bonne foi est ainsi manifeste.

L'acte de vente signé entre monsieur [V] et monsieur [P] le 18 mai 2001 stipule que cette vente a été faite ' en l'état' et que l'acquéreur accepte le navire en l'état où il se trouve ; cette clause doit s'interpréter comme une clause de non garantie des vices cachés, et ce rappel étant fait que monsieur [P] avait préalablement fait expertiser le navire ; de même, l'acte de vente conclu entre monsieur [P] et monsieur [E] le 12 mars 2005 comporte une clause indiquant que monsieur [E] déclare bien connaître le navire et l'avoir visité pour l'accepter dans l'état où il se trouve ; cette clause entre deux particuliers doit s'interpréter là aussi comme une clause excluant la garantie par le vendeur de bonne foi des vices cachés ; il convient en conséquence de confirmer le jugement ayant rejeté les demandes formées à l'encontre de monsieur [V] et de monsieur [P] sur le fondement de la garantie des vices cachés.

c) sur la garantie par la compagnie GAN

Le rapport d'expertise judiciaire démontre que le mat installé par la société PORT PIN ROLLAND, mat inadapté au navire à réparer, a été fourni par la société LONGITUDE 7 ; à supposer que ce seul constat permette de retenir la responsabilité de la société LONGITUDE 7, et ce sans que les conditions de la commande ne soient démontrées, il appartient à la société PORT PIN ROLLAND d'apporter la preuve qu'au jour de la livraison du produit ou au jour de la réalisation du sinistre, la compagnie LONGITUDE 7 était assurée auprès de la compagnie GAN ; l'attestation versée aux débats émanant du gérant de la société LONGITUDE 7 fait état d'une assurance multirisque souscrite de 1984 à 2000 par la société LONGITUDE 7 ; ce document, au demeurant irrégulier en la forme, ne permet pas d'affirmer qu'au jour de la prestation, soit le 8 septembre 1988, ou du sinistre, soit le 23 novembre 2008, la compagnie GAN garantissait la société LONGITUDE 7 au titre de sa responsabilité professionnelle et notamment du fait d'un vice affectant les produits par elle fabriqués ; il convient de constater en conséquence comme l'ont fait les premiers juges qu'aucun document ne permet d'imputer à la compagnie GAN une obligation de garantie, l'existence même du contrat d'assurance n'étant pas prouvée.

d) sur le montant des préjudices

La responsabilité de la société PORT PIN ROLLAND étant retenue sur le fondement délictuelle, cette partie n'est pas fondée à limiter son obligation d'indemnisation sur le fondement de l'article 1646 du code civil ; conformément au droit commun de la responsabilité délictuelle, elle doit être condamnée à réparer l'intégralité du préjudice subi du fait du démâtage ayant affecté le navire ESSENTIEL en raison de l'inadaptation du matériel.

Les frais de remplacement du mat, de remplacement du gréement, des frais de matage et d'essais ont été retenus par l'expert judiciaire comme constituant le préjudice subi par monsieur [E], soit la somme de 30 644 € 17 ; sur cette somme, il revient à la compagnie NAVITMUT GESTION SINISTRE PLAISANCE la somme de 5 831 € 40, somme qu'elle a déjà versé à monsieur [E] en avance sur le préjudice matériel ; la société PORT PIN ROLLAND n'est pas fondée à demander l'application d'un coefficient de vétusté sur ce montant, son obligation de réparation consistant à remettre en état le navire tel qu'il aurait du être si la faute délictuelle n'avait pas été commise.

L'expert judiciaire exclus expressément (page 52 du rapport) l'existence d'un lien de causalité entre la faute de la société PORT PIN ROLLAND, équipant le navire d'un mat inadapté, et la nécessité de modifier la collerette d'étambrai ; les premiers juges ont dès lors justement écarté les frais de remplacement du préjudice matériel subi ; de même, l'expert écarte du préjudice le coût de remplacement des voiles ; il convient de constater qu'en effet, les voiles telles qu'équipant le mat n'ont subi aucun dommage et que monsieur [E] ne peut bénéficier d'un enrichissement en exigeant le remplacement des dites voiles au format du nouveau mat installé, ce choix étant comme le relève l'expert un choix personnel ; enfin, l'expert indique que la décision de placer le navire résulte là encore d'un choix de monsieur [E], choix qui ne s'imposait pas au vu des travaux à effectuer ; les premiers juges ont là encore à bon droit refuser d'inclure les frais de stationnement dans le préjudice réparable ; enfin, monsieur [E] n'est pas fondé à réclamer le remboursement des frais de port, l'expert rappelant (page 25 du rapport) qu'en toute hypothèse, ce port était le seul lieu de stationnement du navire et devait en conséquence être acquittés en toute hypothèse par le propriétaire ; il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qui concerne le préjudice matériel subi et de débouter monsieur [E] pour le surplus.

Le préjudice lié à l'immobilisation du voilier a été fixé par l'expert à la somme de 46 750 € par an, soit 3 896 € par mois ; la société PORT PIN ROLLAND ne peut demander que cette somme soit réduite au motif que le voilier a pu être utilisé par monsieur [E] comme habitation ou comme bateau à moteur ; il est par contre exact que dès le dépôt du rapport d'expertise, monsieur [E] a été en mesure de faire effectuer les travaux de réparation ; un délai de trois mois pour effectuer le changement de mat et de gréement apparaît raisonnable et sera retenu la durée d'immobilisation due à l'avarie elle même peut être fixée de septembre 2009, date à laquelle le navire a été démâté, à mars 2012, date à laquelle la réparation aurait du être effectuée, soit 30 mois ; le montant du préjudice immatériel subi par monsieur [E] sera ainsi fixé à la somme de 116 880 €.

Il existe une relation contractuelle directe entre monsieur [V] et la société PORT PIN ROLLAND ; en conséquence, toute demande formée par monsieur [V] et la société PORT PIN ROLLAND est régie par les règles de la prescription contractuelle, soit au moment de la signature du contrat dix ans en application de l'article L 110-4 du Code de commerce ; la demande en dommages intérêts formée par monsieur [V] est en conséquence prescrite et le jugement ayant condamné la société PORT PIN ROLLAND sera infirmé ; si monsieur [P], tiers au contrat de réparation, peut invoquer la responsabilité délictuelle à l'encontre de la société PORT PIN ROLLAND, force est de constater qu'il ne démontre pas avoir subi un préjudice autre que celui inhérent à toute procédure judiciaire du fait de la faute reconnue contre le réparateur ; le jugement lui ayant accordé une somme de 2 000 € de dommages intérêts sera en conséquence infirmé.

Sur les demandes accessoires

La société PORT PIN ROLLAND succombant à la procédure, elle devra verser à monsieur [E], la somme de 3 000 € chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile ; une même somme sera versée, au regard des circonstances de la cause, par la société PORT PIN ROLLAND à messieurs [V] et [P], le jugement de première instance étant par ailleurs confirmé en ce qui concerne les frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

- DIT n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture et écarte des débats toutes les conclusions et pièces déposées par les parties postérieurement à cette décision.

- CONFIRME le jugement déféré dans l'intégralité de ses dispositions, exception faite du montant de la condamnation prononcée à l'encontre de la société PORT PIN ROLLAND au titre du préjudice de jouissance subi par monsieur [E] et des condamnations à des dommages intérêts prononcées au profit de messieurs [V] et [P].

Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées,

- CONDAMNE la société PORT PIN ROLLAND à verser à monsieur [E] la somme de 116 800 € en réparation de son préjudice d'immobilisation.

- DÉBOUTE messieurs [V] et [P] de leurs demandes en dommages intérêts.

- DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.

Ajoutant à la décision déférée,

- CONDAMNE la société PORT PIN ROLLAND à verser à monsieur [E], monsieur [V] et monsieur [P] chacun la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- MET l'intégralité des dépens, et ce y compris les frais d'expertise avancés par la société NAVIMUT GESTION SINISTRE PLAISANCE, à la charge de la société PORT PIN ROLLAND, dont distraction au profit des avocats à la cause.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 3-1
Numéro d'arrêt : 16/19809
Date de la décision : 02/05/2019

Références :

Cour d'appel d'Aix-en-Provence 02, arrêt n°16/19809 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-05-02;16.19809 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award