COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-5
( anciennement dénommée 4e Chambre A)
ARRÊT AU FOND
DU 31 JANVIER 2019
hg
N° 2019/ 83
Rôle N° RG 16/15019 - N° Portalis DBVB-V-B7A-7DKR
Corinne Christiane Z... X... épouse Y...
Jeannine Z... Clémence A... épouse X...
C/
Philippe B...
Estelle B... divorcée C...
Paul D...
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Laurence F...
Me Yann E...
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 01 Mars 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 12/03343.
APPELANTES
Madame Corinne Christiane Z... X... épouse Y...
demeurant [...]
représentée par Me Laurence F..., avocat au barreau de GRASSE
Madame Jeannine Z... O... épouse X...
demeurant [...]
représentée par Me Laurence F..., avocat au barreau de GRASSE
INTIMES
Monsieur Philippe Emile P...
demeurant [...]
représenté par Me Yann E..., avocat au barreau de GRASSE, assisté de Me Michèle Q..., avocat au barreau de PARIS, plaidant
Madame Estelle Marina B...
demeurant [...]
représentée par Me Yann E..., avocat au barreau de GRASSE, assistée de Me Michèle Q..., avocat au barreau de PARIS, plaidant
Monsieur Paul François D...
demeurant [...]
représenté par Me Yann E..., avocat au barreau de GRASSE, assisté de Me Michèle Q..., avocat au barreau de PARIS, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 13 Décembre 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Hélène GIAMI, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de:
Madame Laure BOURREL, Président
Madame Hélène GIAMI, Conseiller
Madame Bernadette MALGRAS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 31 Janvier 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 31 Janvier 2019,
Signé par Madame Laure BOURREL, Président et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE:
Par acte notarié reçu en l'étude de Maître F..., notaire à Vence le 7 juillet 2006, la parcelle de terre située sur la commune de Bezaudun les Alpes, lieudit Champ Loup, cadastrée section [...] pour 1ha 80a 90ca, a fait l'objet d'un acte de notoriété acquisitive, au profit de Jeannine A... épouse X....
Par acte notarié du 6 avril 2007 reçu par la même étude de Maître F..., Jeannine A... épouse X... a fait donation de ladite parcelle à sa fille, Corinne X... épouse Y....
Par acte d'huissier du 29 mai 2012, Philippe B..., Estelle B... et Paul D... ont fait assigner Jeannine A... épouse X... et Corinne X... épouse Y... devant le tribunal de grande instance de Grasse aux fins de nullité de l'acte de notoriété acquisitive et de se voir déclarer propriétaires du bien concerné par cet acte.
Par jugement contradictoire du tribunal de grande instance de Grasse du 1er mars 2016, rectifié le 26 juillet 2016, il a été statué en ces termes:
«Dit nul et de nul effet l'acte de notoriété reçu par Maître Frédéric F..., notaire à Vence, en date du 7 juillet 2006 conférant la propriété à Jeanine A... épouse X... de la parcelle cadastrée section [...], quartier Champ Loup, à Bezaudun les Alpes avec toutes les conséquences de fait et de droit y attachées ;
Dit nul et de nul effet l'acte notarié reçu par Maître Frédéric F..., notaire à Vence, en date du 6 avril 2007 par lequel Jeanine A... épouse X... a fait donation à sa fille Corinne X... épouse Y... de la parcelle cadastrée section [...], quartier Champ Loup, à Bezaudun les Alpes avec toutes les conséquences de fait et de droit y attachées ;
Dit, en conséquence, que la parcelle située [...] (06) portant le numéro E84 d'une superficie de l ha 80a 90ca, n'a cessé d'être la propriété de la famille D..., puis D...-B... et est, compte tenu du décès de Jeanine D..., devenue la propriété de Philippe B... son fils, Estelle B... divorcée C..., sa fille et Paul D..., son frère ;
Rejette le surplus des demandes ;
Condamne Jeannine A... épouse X... et Corinne X... épouse Y... aux entiers dépens de l'instance ;
Autorise Maître Jean-Michel G..., avocat, à recouvrer directement les dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne Jeannine A... épouse X... et Corinne X... épouse Y... à payer à Philippe B..., Estelle B... et Paul D... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.»
Le 12 août 2016, Jeannine A... épouse X... et Corinne X... épouse Y... ont fait appel de cette décision.
Par arrêt avant dire droit du 8 mars 2018, Claude H... a été désigné en qualité d'expert avec mission de:
se faire remettre tout document utile par les parties,
- consulter les services chargés de la publicité foncière sur l'historique de la transmission de la parcelle litigieuse,
préciser tous éléments utiles relativement aux droits éventuels des consorts B... D... dans la succession de Andrée I... épouse de Joseph D...,
donner à la cour tout élément utile à la solution du présent litige.
Il a déposé son rapport au greffe de la cour d'appel d'Aix en Provence le 14 septembre 2018.
Aux termes de leurs dernières conclusions n°4 reçues au greffe le 10 décembre 2018, auxquelles il convient de se référer, Jeannine A... épouse X... et Corinne X... épouse Y... (les consorts X...) sollicitent au visa du décret du 4 janvier 1955, de voir:
- réformer le jugement,
- rejeter les demandes adverses,
- condamner solidairement Philippe B..., Estelle B... et Paul D... à leur payer 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile.
Pour elles:
- depuis 1910, la famille A... X... est propriétaire de la parcelle, Josephin A... se l'étant vue attribuer par un acte de donation-partage du 9 février 1910;
- si le lieudit mentionné est «le Chier» et non «Champ Loup», cela est du à la disparition de certains quartiers, et notamment à l'absorption par «Champ Loup» de «le Chier»;
- les pièces 12, 14, 15, 16, 41, 47, 48 et 49 des intimées ne sauraient valoir preuve de propriété du bien litigieux;
- elles justifient d'actes de possession par le projet de création d'un centre pour autistes sur le terrain en 2007 ou par l'accès donné à des archéologues en 2010 et par les attestations de Messieurs J... et K..., ce dernier précisant au surplus que Philippe B... lui avait demandé où se trouvait la parcelle;
- l'acte du 20 août 1923 comportant vente par Josephin A... d'une terre de 9ha environ sur Bezaudun «Chier» n'a pas été publié.
Aux termes de leurs dernières conclusions n°2 remises au greffe et notifiées le 11 décembre 2018, auxquelles il convient de se référer pour un exposé détaillé des moyens et prétentions, Philippe B..., Estelle B... et Paul D... (les consorts B... D...) sollicitent:
- la confirmation du jugement en toutes ses dispositions,
- le rejet de toutes les prétentions adverses,
- la condamnation de Jeannine A... épouse X... et Corinne X... épouse Y... à leur payer:
10 000 € de dommages et intérêts pour appel abusif et dilatoire,
4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- leur condamnation aux dépens, y compris les frais d'expertise.
Pour eux:
- la parcelle litigieuse appartient à la famille A... depuis au moins 1842, et les intimés viennent aux droits de Andrée I... épouse de Joseph D... à qui cette parcelle avait été léguée par Joseph A... veuf de Lucie L..., décédé le [...], suivant testament du 24 août 1932,
- si la succession d'Andrée I... épouse de Joseph D... n'a pas été réglée, aucun transfert de propriété n'a été enregistré depuis son décès hormis l'acte de notoriété du [...],
- cet acte repose sur un faux postulat, relatif à l'acte de donation du 9 février 1910 qui visait «deux propriétés sises sur le terroir de Bezaudun, quartier le Chier» et ne portait pas sur la parcelle litigieuse située lieudit Champ Loup,
- l'expert a conclu justement son rapport en considérant que les consorts X... n'avaient aucun droit sur la parcelle litigieuse et que les consorts B... D... avaient des droits dans la succession d'Andrée I... épouse de Joseph D...,
- il s'est trompé en considérant que la parcelle litigieuse n'entrait pas dans la succession d'Andrée I... épouse de Joseph D....
L'ordonnance de clôture est en date du 13 décembre 2018.
MOTIFS DE LA DECISION:
En l'état de l'acte de notoriété acquisitive du 7 juillet 2006 au profit de Jeannine A... épouse X... et de l'acte de donation du 6 avril 2007 à Corinne X... épouse Y..., ainsi que d'éléments attestant d'actes de possession des consorts X..., tels que:
- un projet de création d'un centre pour autistes sur le terrain en 2007,
- un accès donné à des archéologues en 2010,
- les attestations d'Antonin J..., né le [...], exploitant agricole à Bezaudun les Alpes, et d'Emile K..., suivant lesquels, pour le premier, il a demeuré face à la parcelle [...] de 1935 à 2008 qui était occupée par Théophile A... qui lui avait toujours affirmé en être propriétaire pour en avoir hérité de son père, et pour le second, faisant état d'une occupation régulière des consorts X... depuis 1991, date à laquelle il a acheté son terrain voisin de la parcelle litigieuse, il appartient aux consorts B... D... qui contestent la propriété des consorts X... de rapporter la preuve de leurs droits sur le bien revendiqué.
Sur les titres invoqués:
Les consorts B... D... établissent que Joseph A... veuf de Lucie L..., décédé le [...] a institué Andrée I... épouse de Joseph D..., légataire universelle à charge pour elle de satisfaire à des legs définis, suivant testament du 24 août 1932.
Cet acte a été transcrit au service chargé de la publicité foncière de Grasse le 5 mars 1937 volume 2277 n°43 par l'intermédiaire de Maître M..., notaire ayant reçu le testament et délivré l'attestation relative au legs universel contenu dans ledit testament.
Il comporte la déclaration d'Andrée I... épouse D... des biens compris dans le legs universel parmi lesquels figure en n°12 la "propriété située à Bezaudun, lieudit Champ Loup, paraissant cadastrée section [...] pour une surface de 18 090 mètres".
Andrée I... épouse D... a été envoyée en possession du legs par ordonnance du 14 avril 1936 et a déclaré la succession au fisc.
Toutefois, aucune mutation de la parcelle cadastrée section [...] n'a valablement été enregistrée au nom de Joseph A... veuf de Lucie L... ou au nom d'Andrée I... ou de son époux, Joseph D....
En effet, si un extrait de matrice cadastrale de l'année 1931 permet de répertorier les biens de Joseph A... sur la commune de la Gaude, il comporte un ajout manuscrit sous le cachet et la signature du représentant du maire relatif à la parcelle litigieuse qui ne permet donc pas d'établir la réalité de la publication de la propriété en faveur de Joseph A....
Quant à la matrice cadastrale de l'année 1944 établie au nom de Joseph D..., elle émane également d'une autre commune que celle de Bezaudun les Alpes (illisible), et ne comporte aucun cachet ou signature de celui qui l'a délivrée, en sorte qu'elle ne permet pas d'établir la publicité de la propriété revendiquée.
Conformément aux conclusions du rapport d'expertise, il apparaît donc qu'à supposer que les consorts B... D... aient des droits dans la succession d'Andrée I... épouse D..., il n'est pas établi que cette succession englobait la parcelle litigieuse.
Sur la prescription acquisitive trentenaire:
Les consorts B... D... se prévalent de:
un document daté du 8 janvier 1987 établi par «Paul D... pour l'indivision B... D...» autorisant l'entreprise Pellegrin-frères, travaillant pour le compte d'EDF à effectuer une piste sur les terrains section [...],
deux courriers de l'étude notariale F... adressé le 17 janvier 1997 à Paul D... et le 15 octobre 1999 à Jeanine B... proposant pour le premier l'établissement de lots, comprenant notamment le «terrain de Bezaudun» et pour le second un courrier contenant «les copies demandées des 10 janvier 1928 et 15 février 1949 concernant les biens de sa grand-mère et de ses père et mère».
Alors que la fiabilité du document émanant de Paul D..., partie au procès, n'est pas certaine, qu'il n'est pas justifié de la réalisation de la piste prétendument autorisée, et que les courriers du notaire ne sont pas de nature à établir des actes de possession sur le terrain litigieux, il ne peut être considéré que les consorts B... D... ont acquis la parcelle par usucapion.
A défaut par eux d'établir leurs droits de propriété sur le bien revendiqué, leurs demandes en nullité des actes reçus par Maître Frédéric F..., le 7 juillet 2006 portant notoriété au profit Jeanine A... épouse X... pour la parcelle cadastrée section [...], quartier Champ Loup, à Bezaudun les Alpes, et le 6 avril 2007 de donation du bien à Corinne X... épouse Y... seront rejetées.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a statué en sens inverse et a dit que la parcelle située [...] (06) portant le numéro E84 d'une superficie de l ha 80a 90ca, n'a cessée d'être la propriété de la famille D..., puis D...-B... et, compte tenu du décès de Jeanine D..., de Philippe B... son fils, Estelle B... divorcée C..., sa fille et Paul D..., son frère.
Sur la demande de dommages et intérêts pour appel abusif et dilatoire:
Jeannine A... épouse X... et Corinne X... épouse Y... apparaissant fondées en leur appel, ne sauraient être condamnées à des dommages et intérêts pour appel abusif et dilatoire.
Philippe B..., Estelle B... et Paul D... seront déboutés de cette prétention.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens:
Le jugement sera également infirmé en ce qu'il a condamné Jeannine A... épouse X... et Corinne X... épouse Y... à payer à Philippe B..., Estelle B... et Paul D... la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Succombant à l'instance, Philippe B..., Estelle B... et Paul D... seront condamnés in solidum aux dépens et à payer 3 000 € à Jeannine A... épouse X... et Corinne X... épouse Y... en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,
Rejette les demandes de Philippe B..., Estelle B... et Paul D... tendant à voir:
- annuler les actes notariés reçus par Maître Frédéric F..., le 7 juillet 2006 portant notoriété au profit Jeanine A... épouse X... pour la parcelle cadastrée section [...], quartier Champ Loup, à Bezaudun les Alpes, et le 6 avril 2007 de donation du bien à Corinne X... épouse Y...,
- dire que la parcelle située [...] (06) cadastrée section [...] d'une superficie de l ha 80a 90ca, n'a cessé d'être la propriété de la famille D..., puis D...-B... et, compte tenu du décès de Jeanine D..., de Philippe B... son fils, Estelle B... divorcée C..., sa fille et Paul D..., son frère,
Condamne in solidum Philippe B..., Estelle B... et Paul D... aux dépens, avec distraction pour ceux d'appel dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile, et à payer 3 000 € à Jeannine A... épouse X... et Corinne X... épouse Y... en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT